Mémoires de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire. N° 80
Dakar. 1968, 1970, 1975. Trois Tomes. 2377 pages
Quelle que soit la valeur de l'explication qui vient d'être proposée, la gravité de la crise qui secouait les pays du Sud au milieu du XIXme siècle, est un fait indiscutable. Il est donc remarquable que les précurseurs du bouleversement, dont nous venons de brosser les portraits, ont presque disparu de la mémoire des hommes, effacés par la puissante figure de leur successeur Samori. Les colonisateurs, entrés trop tard en scène, n'ont pas eu conscience de leur importance.
Nous nous sommes efforcés de montrer que la vieille société animiste, dont le morcellement persistait en dépit de brèves hégémonies militaires, n'était pas en état de surmonter cette crise car nous avons la conviction que l'oeuvre de Samori n'est pas le produit accidentel de la volonté d'un homme. Il n'en reste pas moins que celui-ci a incarné la révolution dyula, s'il ne l'a pas inspirée. Il en a orienté le déroulement et a su la diriger avec tant de force et d'habileté qu'il est juste de rejeter les autres noms au second plan.
L'Empire que nous allons nous attacher à décrire, suit très exactement dans sa croissance et dans sa chute, le destin de son fondateur. Il est caractéristique qu'il n'ait jamais eu de véritable nom et que pour désigner ce vaste ensemble de pays très variés, aux frontières sans cesse changeantes, les contemporains n'ont pas trouvé autre chose que Samoridugu: « le pays de Samori ».
Quant au souverain, nous verrons qu'il n'a jamais éprouvé le besoin de baptiser les territoires qu'il contrôlait. Un nom géographique est nécessairement attaché à un terroir et suppose des limites plus ou moins étroites alors que la volonté de Samori sera justement d'étendre son système aussi loin que possible, sans déborder cependant du cadre des ethnies manding.
Nous avons donc affaire à un cas très significatif où l'histoire d'une formation politique est inséparable de celle de l'homme qui l'a forgée. Les tentations du genre biographique vont donc nous guetter à chaque pas. On sera porté à scruter l'hérédité et la jeunesse de notre héros et à chercher dans la moindre anecdote les germes de sa future grandeur. Tout en se gardant de ces abus, il est en effet nécessaire d'étudier la formation de cette puissante personnalité. Elle n'est certes pas à l'origine de la révolution dyula, mais elle avait les qualités nécessaires pour la servir et l'utiliser au mieux. Sans déguiser la contingence en nécessité, on peut dire que si Samori avait été un autre homme, l'histoire ne serait pas tout à fait la même.
Il convient donc, pour commencer, de le situer parmi les autres protagonistes du grand bouleversement, dont nous avons montré la diversité, sur le plan de l'enracinement, comme sur celui des motivations et dans leur attitude envers les sociétés autochtones.
Ce problème n'a jamais préoccupé les auteurs européens, qu'ils soient ou non contemporains de notre héros. Les documents qui émanent d'eux ne nous seront d'aucune utilité.
Tout cela est bien confus. Les auteurs travaillant sur le monde manding se sont généralement laissés aller à une terminologie capricieuse et incertaine, et cette déficience est aggravée ici par la faiblesse misérable des traditions orales utilisées. Nous avons tenté, au début de ce travail de mettre un peu d'ordre dans le sens des mots en nous référant à l'usage des autochtones. Nous garderons, non sans hésitation, le nom de Manding pour désigner l'ensemble dialectal incluant
Nous limiterons l'usage de Sarakholé (= Soniñké) aux populations gardant l'usage de cette langue, du Sahel de Nyoro au Haut Sénégal.
L'importance économique et sociale des lignées issues du clan Turè nous vaut des traditions assez riches, sinon toujours sûres, qui permettent d'éclairer l'origine de notre héros et de le situer avec précision dans la société de son temps. Sa jeunesse obscure, dans un pays essentiellement animiste, est par contre assez mal connue. Les anecdotes qui la concernent sont assez nombreuses mais généralement pauvres et difficiles à vérifier. Samori les a parfois confirmés, bien qu'il s'épanchât assez peu, car il aimait évoquer le passé en certaines circonstances, pour montrer que la persistance de sa rancune égalait celle de sa reconnaissance.
Il n'est pas toujours facile de démêler les traditions ou souvenirs authentiques des anecdotes forgées de toutes pièces au temps de la grandeur de l'Almami. Nous ne pouvons pourtant pas les négliger, d'autant moins qu'elles se recoupent souvent mutuellement et qu'elles forment alors un tout cohérent qui ne doit pas être trop éloigné de la vérité.
Fofana Khalil a d'ailleurs publié, tout récemment, d'excellents matériaux qui ont confirmé et parfois complété ceux dont nous disposions 6. Nous lui reprocherons seulement de n'avoir pas cité ses informateurs, qui détiennent des traditions assez voisines de celles que nous avons recueillies.
La place considérable des Turè dans le monde dyula et le prestige que leur avait valu la fondation du royaume d'Odienné ne sont sans doute pas étrangers aux motivations du jeune Samori. Avant d'examiner sa position dans le Konyã animiste qui sera son premier domaine, il convient donc d'étudier l'origine de ce clan et de quelle façon s'y rattachait la famille de notre héros.
Les Turè sont généralement considérés sur le Haut Niger comme des Maninka-Mori. Ils forment un clan d'importance moyenne, caractérisée par une extrême dispersion en d'innombrables petites lignées à travers la vaste zone qui s'étend du Bas Sénégal au Moyen Niger et du Sahel à la Forêt. Çà et là, on trouve des Turè agglutinés en gros noyaux mais ces exceptions sont dues à des faits récents, comme la fondation du Kabasarana.
La dispersion est donc pour eux la règle. Elle n'est pas surprenante si l'on considère le caractère essentiellement « dyula », c'est-à-dire commerçant et maraboutique de ces gens.
Jusqu'au XIXme siècle, ils semblent n'avoir joué aucun rôle politique important. On écrit souvent, il est vrai, que Turè était le dyamu des Askia de Gao, mais il s'agit là d'une interprétation erronée de Delafosse que tout le monde a copié depuis lors 7. En sens contraire, nous verrons plus loin qu'il y a des Turè castés.
Avant de rechercher qu'elle peut être l'origine de ce dyamu, il paraît nécessaire de préciser sa répartition géographique actuelle. En partant de l'ouest, nous constatons que Turè est un nom assez fréquent chez les Toucouleurs où il est porté par des familles essentiellement maraboutiques 8. Il est plus répandu encore chez les Sarakholé, mais inégalement : très fréquent chez ceux du Haut Sénégal (Bakel, Guidimakha, Kayes), il l'est bien moins dans le Sahel. Presque inconnu chez les gens de Nioro, il ne reparaît que dans la région de Nara (Bakunu, Wagadu, Murdya) 9.
La plus forte densité de Turè se trouve sur le Moyen Niger entre Tombouctou et Bamako, chez les Marka, qui sont des Sarakholé entièrement assimilés aux Malinké-Bambara 10. Ils sont nombreux dans les villes historiques de Dya et de Djenné 11. En partant de cet axe fluvial, favorable à des commerçants, les Turè ont essaimé irrégulièrement vers le sud, au long des routes de la pénétration des Manding vers la forêt et la mer. Ils sont installés sporadiquement en Pays Bambara, vers Bougouni, et en gros noyaux dans les vieux centres dyula de Bobo Dioulasso, Bonduku, Kong et Borõ. De nombreux clans animistes, comme les Fõndyo 12, tendent à s'assimiler à eux par suite d'alliances locales. Si leur concentration autour d'Odienné est récente, ils ont participé à la formation du vieux centre musulman de Kankan, d'où ils ont essaimé sur deux axes: vers la mer chez les Dyalõnké et les Susu, vers les pays du kola, dans le Kurãnko et surtout le Konyã 13.
Nous avons commencé notre périple en pays Toucouleur, hors du domaine mandé. Pour être complet, il faudrait également en déborder vers le sud car on trouve des Turé chez les Kisi, les Sénufo, les Dagõmba et aussi vers l'est en pays Bariba ainsi que chez les Songhai et les Zerma 14. Dans ces régions périphériques, ils sont cependant peu nombreux, et descendent souvent de familles immigrées qui ont fini par s'assimiler à leur nouveau milieu. Ce cas n'est cependant pas général : nous avons en effet souvent affaire à des autochtones qui ont adapté Turé comme équivalent de leur dyamu national, poussés par un sentiment d'infériorité ethnique, Ce procédé est courant dans tous les pays du Soudan occidental 15.
Cette répartition périphérique moulée à la fois sur le Haut Sénégal et le Haut Niger inciterait un diffusionniste classique à situer l'origine du nom dans la région médiane, le pays soninké du Sahel, bien qu'il y soit relativement rare. En fait, c'est bien le cas : comme la plupart des dyamu typiquement dyula, Turé est d'origine sarakholé. Dans cette langue, le mot signifie « éléphant ». L'éléphant est effectivement l'interdit (tana) des Turé dans certaines régions, plus rarement il est vrai que le python. Ce dernier domine surtout le haut fleuve et le Sud jusqu'au Konyã 16.
Dans la légende du Wagadu, les Turé forment l'un des clans authentiquement sarakholé, descendant de l'ancêtre mythique Dinga 17. De sa dernière épouse, Singo-Gillé-Buné-Kibo, Dinga aurait eu cinq fils qui seraient les ancêtres d'une partie des Dwaich et des Masna (Soninké Azer de Mauritanie) ainsi que du clan Kumma. L'un d'eux, Mamadi ou Mãndyã Turè est le père du dernier Manga du Wagadu, Turè Khankhédyaba 18. Ce Mãndyã est considéré comme l'ancêtre de tous les Turè, y compris les gens de caste comme les Dyõngo (cordonniers) et les Dyarèsi (forgerons). Après la chute du Ghana, les deux fils de Khankhédyaba se seraient séparés. Dindin Ali, partant vers l'ouest, serait à l'origine des Turé du Bondu et du Pays Toucouleur, Silmãngãnda, marchant à l'est, formerait la souche des Turè du Mandé, y compris notre Samori.
Ces légendes sont conformes à ce que nous pouvons reconstituer par ailleurs, du passé. Les Turé ont participé au grand mouvement qui a porté les Sarakholé du Sahel vers le moyen Niger, puis de là vers les lisières de la Forêt sous le nom de dyula. Il est naturel qu'ils se soient concentrés dans le foyer du sud Masina où nous les trouvons, à côté des Mana et des Sisé parmi les clans de l'ethnie Nono. C'est de là qu'ils se sont répandus dans la boucle du Niger sous le nom de Marka, puis de Dafiñ.
Leurs centres principaux sont naturellement Dya d'où est issu le clan apparenté des Dyabi, et qui a précédé la métropole de Djenné. Ils ont cependant essaimé, comme les autres Marka vers l'aval du fleuve et particulièrement entre Tombouctou et le lac Débo. Dans ce pays amphibie que les eaux couvrent à chaque crue, on les trouve notamment autour de Nyafunké (Nono, Sumpi) 19 et dans le Korõmbana, plus à l'est, dont la capitale, Korientzé est un vieux centre Marka. Sur la rive orientale du Débo, le village de Dyindyo (adm. Guindio), huit kilomètres au nord de Gurao, compte parmi ses Marka des Turè dont seraient issus les ancêtres de Samori 20. Cette concentration, entre Tombouctou et le Masina, qui sont des vieux centres d'Islam, est significative . Il paraît acquis que les Turé ont été l'un des clans d'ascendance Sarakholé dont la conversion à la religion du Prophète fut la plus ancienne et la plus profonde. C'est eux et leurs parents, les Dyabi, qui ont fait de Dya, bien avant Djenné, l'un des foyers d'où la nouvelle foi rayonnait en pays noir.
Influences maghrébines. Ce caractère maraboutique des Turè explique qu'ils cultivent souvent des traditions d'origine orientale qui paraissent contredire, à première vue, notre exposé de leur ascendance Sarakholé. La plus ancienne mention écrite du nom Turè vient d'Ibn Battuta qui, passant en 1353 à Dya , nous signale la présence de commerçants Wãngara (= Manding ) à côté de musulmans blancs du rite Ibadite qu'on nommait Saganogo, et d'orthodoxes malékites appelés Touri 21. Le fait que ces gens aient adopté des dyamu africains me pousse à suivre l'interprétation de Marty, qui en fait non des Maghrébins, mais des descendants de commerçants blancs, établis et mariés dans le pays 22. Chez les Hausa, qui marqueront la limite orientale de notre enquête, turé n'est plus un dyamu, mais un mot, baturé (pl.: turawa), qui sert à désigner toutes les personnes de race blanche aussi bien les Arabes que les Anglais 23. Comme ce mot n'est pas explicable par une racine hausa, Barth, qui le dit introduit récemment, voulait le rattacher au mot peul tura(gol): prier. En fait, le verbe peul turaade ne signifie pas exactement « prier », mais « se pencher en avant » 24. Je pense que ce mot ne vient pas du peul, mais de notre dyamu sarakholé et, si son introduction est récente, c'est qu'elle eut lieu à un moment ou, sur le haut Niger, le nom de Turè était souvent porté par des familles ayant un peu de sang blanc 25. Effectivement, Rouch confirme qu'en pays songhai, le dyamu Turé, d'ailleurs peu répandu, est porté par les « musulmans ou les descendants des Arma » 26.
Il ne parait pas douteux que de 1591 à 1670, tant que le pachalik de Tombouctou conserva quelques liens avec le Maroc des Saadiens, un afflux exceptionnel de Maghrébins s'est produit, particulièrement sur l'axe fluvial, en aval de Djenné. En dehors de l'élément militaire et administratif, nous savons que cette immigration incluait de nombreux personnages religieux du Sud Marocain, dont certains se prétendaient chérifs. Une partie des familles descendant de ces immigrants et de femmes du pays semble avoir adopté le dyamu de Turé 27. En dehors des Arma de la région de Tombouctou, nous les trouvons tout au long du fleuve vers l'amont et, bien que la région n'ait pas été étudiée systématiquement, il est possible de suivre l'histoire de quelques familles. C'est ainsi qu'à Djenné, deux lignées Turé, qui fournissent les chefs des quartiers Sankorè et Farmentalla, descendraient d'Arma venus en garnison à l'époque du pachalik 28. Plus au sud, à Bamako, les premiers rapports français qualifient de « Maures » les puissantes familles Turè de la ville. Il est peu discutable que ces deux familles, qui se qualifiaient respectivement de Twati et de Darawé, ont eu des ancêtres venus du Sahara central, sans doute au XIIme siècle. La première a cependant séjourné un certain temps à Ségou avant de se joindre aux Nyarè de Bamako et de transformer cette ville en centre commercial important (XVIIme siècle). Le métissage jouant, ils n'ont pas tardé à se transformer en Bambara musulmans 29. Nous avons défini le « clan » mandé comme une infinité de lignées, dispersées un peu partout et n'ayant en commun qu'un nom et un vague sentiment de solidarité. L'importance de celui-ci est d'ailleurs considérable puisqu'il est souvent le fondement des alliances et qu'il a permit aux commerçants de développer l'institution des Dyatigi. L'essentiel est de garder à l'esprit que le dyamu ne se transmet pas exclusivement par hérédité, les captifs affranchis adoptant volontiers celui de leur maître, et les immigrants celui de leur hôte. Il ne faut donc pas s'étonner que la légende du Wagadu classe avec les Turè, comme enfants d'une même mère, les Masna ou Soninké-Azèr de l'Awkar et une partie des Dwaich 30. Bien que ceux-ci soient sans aucun doute des Soninké assimilés par les Maures à partir du XVIme siècle, on peut en déduire que les Turè sont depuis longtemps considérés comme étant en rapports particulièrement étroits avec les éléments de race blanche, donc avec le commerce et l'Islam. On a vu qu'il est impossible de s'intégrer à la société mandé sans adapter un dyamu, qui est à proprement parler un « nom honorable » avec tout le complexe socio-religieux qu'il implique (tanaa, sénãnku, etc…). Contraints de choisir un nom, les enfants métis de ces Maghrébin. ont dû souvent donner la préférence à Turé et, le snobisme jouant, les authentiques Turè se sont certainement empressés de prendre à leur compte la tradition d'origine orientale. Bien entendu, il est impossible de distinguer les cas où cette tradition peut comporter un noyau de vérité 31.
Les ancêtres paternels de Samori s'insèrent dans le courant dyula qui, partant du foyer Marka du Masina, a remonté le fleuve et ses affluents jusqu'aux franges de la Forêt et, finalement, débouché au XVIIIme siècle sur la mer, entre le Rio Pongo et la Sierra Leone. On a vu qu'en dépit de leur assimilation totale aux ethnies Manding, ils ont gardé leur personnalité liée à l'Islam et au commerce. Ils ont ainsi formé un groupe professionnel original au sein d'un peuplement qui était certes animiste, mais dont aucun fossé culturel profond ne les isolait. Ces dyula, commerçants ou marabouts, ont accompagné les « Sõninké » ou guerriers païens quand ceux-ci ont conquis les pays du sud au moment de la dislocation du Mali.
La migration des Turè en amont du Niger nous permet de suivre ce mouvement et, dans une certaine mesure, d'en connaître les buts. Les traditions orales que j'ai pu recueillir à Siguiri, Kankan, Kissidougou, Beyla et Odienné se recoupent de façon satisfaisante. Certaines prétendent raccorder les généalogies de Samori et des Turé du Kabasarana (Odienné). Les six dernières générations avant Samori et Vakaba sont présentées avec assez de précision et de concordance pour qu'on puisse les considérer comme historiques. Ceci nous reporte à la fin du XVIIme siècle. Au-delà, nous entrons vraisemblablement dans le mythe, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a rien à en tirer, en dépit des divergences et des contradictions. Le premier ancêtre, Magãndyu, se situerait à la fin du XVme siècle, si l'on compte trente ans par génération. On nous dit qu'il est venu du Yémen et ses enfants s'installèrent successivement, à Tombouctou, à Djenné puis à Sidikila, selon une version, à Guindio, ou Gourao, à Dya, ou Djenné, puis à Sidikila, selon les autres. En fait, il n'y a pas de contradiction. Dya et Djenné sont les villes jumelles du Sud-Masina, qui comptent toutes deux de nombreux Turè, et se trouvent socialement et intellectuellement en symbiose. Si l'on part de la région des lacs pour gagner le haut fleuve on doit faire étape à Dya ou Djenné. Guindio est notoirement le lieu d'origine des familles de Samori et de Vakaba et on y trouve encore des Turè. Quant à l'origine yéménite, elle pourrait évidemment rendre compte d'un ancêtre maghrébin venu par Tombouctou. J'en doute cependant. Car la généalogie reconstituée, qui ne parait pas entièrement fictive, nous fait remonter au XVme siècle, c'est-à-dire plus de cent ans avant la création du pachalik de Tombouctou et l'établissement d'un nombre relativement élevé de Blancs sur le Niger. Je pense que la mention de Tombouctou désigne toute la région, y compris le pays des lacs. Ce serait simplement la substitution du nom d'une ville illustre à l'obscur village de Guindio. D'ailleurs Magãndyu et ses enfants portent des noms purement mandé. On peut se demander si Magãndyu n'est pas simplement une déformation de Mãndyã, l'ancêtre mythique des Turé du Wagadu 32. Il reste acquis qu'une lignée Turè, sans doute de pure origine Sarakholé, a vécu longtemps sur la rive est du lac Débo, qui marque l'étape médiane de la route Tombouctou-Djenné. Vers la fin du XVIme siècle, elle entreprit de remonter le fleuve et, après une étape à Djenné, vint fonder Sidikila en Pays Mandé.
Sidikila qui comptait en 1958 1.287 habitants, est un gros village situé sur la rive gauche du Sãnkarani, à la frontière des républiques du Mali et de Guinée, dans l'ancien canton de Dyumawañya. Son fondateur éponyme, Sidiki Turè, paraît être le premier personnage historique de la généalogie. A trente ans par génération, on peut fixer sa naissance vers 1590 et supposer qu'il a fondé son village dans la première moitié du XVIIme siècle. Sidikila est à une quinzaine de kilomètres de Nyani où l'on situe par hypothèse l'antique capitale du Mali. Cependant, lors de l'arrivée des Turè, la région, ravagée par les invasions peules du XVIme siècle, aurait été fort peu peuplée. Elle était en cours de colonisation par des lignées Kèita, dont le chef Masagbèrè avait fondé Kamaro vers le début du siècle. Marabouts et commerçants, les Turé ne pouvaient exercer de commandement politique. Une lignée Kèita dirigée par Nãndubané, fils de Masagbèrè, vint les rejoindre pour exercer cette fonction 33.
Sidiki semble avoir été un personnage considérable. Son souvenir reste vivant non seulement parmi ses descendants, mais dans tout le Mandé jusqu'aux portes de Bamako. On peut se demander ce qui fit la fortune de ce dyula dans un pays à moitié désert et ruiné. La tradition répond qu'il faisait extraire de l'or. La zone frontière guinéo-malienne, au nord du Niger, vers Kurémalé, comme entre Niger et Sãnkarani, est en effet une zone d'orpaillage traditionnel à peine moins importante que le Buré 34. En 1957, les placers en activité les plus proches se trouvaient à Konyakokuñ, trente kilomètres au nord de Sidikila. Les griots de Kèla attribuent à Sidiki des activités plus lointaines. C'est ainsi qu'avec l'accord des Kèita, il aurait mis en exploitation l'orpaillage de Kolulaté, sur la rive nord du fleuve, quarante kilomètres à l'ouest de Kaaba (Kãngaba) 35.
S'il est exact que Sidiki se spécialisait dans l'orpaillage, il n'est pas surprenant que ce commerçant du Masina se soit installé aux sources de ce métal, dont la production avait été certainement compromise par les troubles du XVIme siècle.
Les Turè d'Odienné prétendent descendre directement de Sidiki par des généalogies qui semblent précises et dignes de confiance 36. Certains lui rattachent également Samori d'une façon moins directe et moins sûre. Il est évident qu'un homme riche et puissant comme Sidiki s'entourait d'une énorme famille ainsi que de nombreux captifs et de clients divers, qui ne devaient pas hésiter à adapter son dyamu. Nous n'avons donc pas la certitude d'une filiation génétique de Sidiki, personnage assurément historique, à Vakaba et encore moins à Samori. La filiation sociale qui seule nous intéresse ici, est du moins tout à fait certaine 37.
Nous avons déjà décrit le destin glorieux de la lignée de Vakaba qui resta enracinée à Sidikila jusqu'au milieu du XVIIIme siècle 38. Il convient à présent de considérer les Turè du Haut-Niger dont se détacheront les ancêtres de Samori
Les familles de ce clan que l'on trouve sur le Bas Milo se distinguent par le surnom de Situru 39 et certaines d'entre elles seraient venues directement de Djenné bien avant l'époque de Sidiki. Leur centre historique est le petit village de Biñko 40, vingt kilomètres à l'ouest de Kankan, dont le territoire n'appartient pas aux Kaba du Baté, mais aux Kõndé du Sãnkarã, ou plus précisément du Gbèrèdugu.
Biñko est plus ancien que la métropole dyula et son refus de s'intégrer au Baté est significatif. La légende rattache sa fondation aux origines du Sãnkarã. Quand Faramani eut conquis ce pays, il partit vers l'est pour visiter son « frère », Mãsa-Brèma, ancêtres des Koné du Konyã. En arrivant à l'emplacement de Biñko, il y trouva le vénérable Arafã-Musa Turè que sa petite taille faisait appeler Tyéni (petit homme). Le guerrier animiste et le musulman firent alliance, si bien que les Turè sont jusqu'à ce jour les « marabouts » des Kondé 41. Ces événements ne peuvent être postérieurs au début du XVIme siècle. Quand l'ancêtre des Kaba arrivera à son tour, il s'installera un moment à Biñko avant de jeter à Kabala les fondements du Baté.
Biñko va jouer un rôle essentiel dans la diffusion des Turè vers les franges de la Forêt. Sidikila, qui est pourtant bien plus important, n'aura pas autant d'influence. Les deux villages établirent d'ailleurs des relations étroites durant les XVIIme et XVIIIme siècles. Non seulement leurs lignées s'allièrent par de nombreux mariages, mais des hommes de Sidikila vinrent grossir le vieux village du Sãnkarã. Certaines traditions placent parmi eux un certain Amadu Turè qui serait « fils » de l'illustre Sidiki. D'autres voient en lui un descendant de Tyéni. C'est en tout cas le premier ancêtre certain de Samori.
Les Turè de Biñko, comme les Sisé de Bakõngo, ont en tout cas fourni de nombreux marabouts et marchands de kola, qui se sont fixés le long des routes du sud ou dans les centres de courtage proches de la Forêt. De ce côté, on trouve surtout des Turè dans le Nyumamãndu du Kurãnko occidental, à portée des kola du Kisi. Ils occupent la plus grande partie du village de Lèro 42. Plus à l'est, on ne rencontre plus que des petites lignées dispersées sur la route du Toma, au sein des Kamara animistes du Bas Konyã. Tel est le milieu dont est sorti Samori.
Dès le XVIIIme siècle, la plupart des Turè avaient préféré descendre vers la mer. C'est alors, on l'a vu, que la révolution du Fuuta-Dyalõ ouvre la route du Haut Niger aux Rivières. Malgré leur réserve, les gens de Biñko se trouvèrent nécessairement entraînés dans l'orbite du Baté où Kankan se transformait rapidement en une véritable cité. Les Turè suivirent le mouvement qui poussait Dyula et Bunduka vers les comptoirs européens et s'établirent en grand nombre du Rio Pongo à la Sierra Leone. Ils adaptèrent la langue susu, mais amorcèrent l'islamisation du pays, particulièrement en Mèlakoré (cercle de Forécaria, Guinée). A l'aube du XIXme siècle, Bukari-Fodé Turé se sentit assez fort pour y lancer une petite guerre sainte, prendre le pouvoir et inaugurer la lignée des Almami du Moréa. Bien qu'il fût issu de Biñko, nous ignorons s'il provenait de la même lignée que Samori. L'informateur de Fofana Kalil parle, il est vrai d'un grand oncle de notre héros, Samori-Fiñ, qui aurait émigré au Moréa. La chose est très possible, bien que nous n'ayons pas recueilli cette tradition 43. Ce personnage, né au Konyã, dans la lignée que nous allons bientôt décrire, a pu s'établir sur les Rivières après y avoir commercé, mais il paraît inconnu des traditions susu et n'a sans doute pas joué un rôle politique notable. Il n'en illustre pas moins la mobilité et la disponibilité traditionnelle des dyula. Le contraste n'en est que plus vif si nous considérons à présent la destinée de ses parents demeurés dans les vallées lointaines du Konyã.
En comptant trente ans par génération, les enfants d'Amadu Turè, Umori-Ba et Biñko-Mori, seraient nés vers 1650 dans le vieux village du Sãnkarã. Nous sommes désormais sur un terrain relativement solide. La tradition nous peint ces hommes et leurs descendants avec des traits concrets, comme il convient pour une lignée stabilisée dans un terroir restreint. Fabu, fils de Biñko-Mori va s'enraciner dans le Bas Konyã. Nous avons déjà présenté ce château d'eau dont les plateaux herbeux et frais, riches en bovins, surplombent de façon abrupte la touffeur de la forêt kolatière. La première poussée des « Soninké » vers le sud, celle des Kuruma et des Koné, avait à peine mordu sur ces hautes terres. Celles-ci étaient par contre, depuis le XVIme siècle, au coeur de l'immense domaine des Kamara-Dyomãndé et particulièrement des Fèrenkamãsi qui en tenaient l'ouest et pénétraient profondément en forêt sur le versant atlantique (Tukoro). Parmi eux, les Feñséménési occupaient la plupart des kafu du Toma et du Milo, interceptant la principale route kolatière. Une de leurs lignées, celle des Sétumãsi tenait en respect les Kurãnko dans les montagnes du Konyãnko où sa capitale, Dumbadu, s'élevait depuis le XVIIIme siècle. Un kilomètre plus loin on trouvait le grand marché de Lofèro qui était depuis longtemps l'un des premiers centres de courtage du kola.
Tout ce monde était stabilisé depuis plus de deux siècles et les petits kafu, bien enracinés et repliés sur eux-mêmes, n'acceptaient que d'éphémères hégémonies militaires. Les vieux groupes dyula qui dataient de la migration, s'étaient endormis dans la routine de leurs fonctions maraboutiques et commerciales. Ils vivaient à part, dans leurs gros centres de courtiers et les Kamara leur avaient abandonné le haut-plateau avec le village sacré de Musadugu qui ne devait être le monopole d'aucune des lignées Feñséménési. Ces gens étaient certainement aussi attachés que les animistes à leur passé commun.
C'est dans ce monde complexe, mais alors à peine figé, que Fabu Turé se fixa au début du XVIIIme siècle On nous dit qu'il quitta Biñko à la suite d'une querelle avec son oncle Umori-Ba dont les descendants vinrent toujours au vieux village. Il partit pour le sud avec son captif Kamã, chargé d'un ballot de manuscrits arabes et ce trait, joint à d'autres anecdotes, montre qu'il faisait sans doute le métier de marabout guérisseur. Il se fixa en tout cas dans le kafu du Blamana, sur le plateau séparant le Haut Dyõ de la chaîne du Gben. Ce pays appartenait à des Koné et le nouveau venu épousa la petite-fille de Sirikiyo, chef de Kofilakoro. Il s'établit auprès de son beau-père et y passa le reste de ses jours 44.
Deux de ses fils, Makèsa et Yaba restèrent à Kofilakoro où leurs descendants vivent jusqu'à présent. Le troisième, Vafèrè, se fâcha avec sa famille et alla s'établir 20 km. plus loin, dans le Bãmbadugu. Il se fixa chez les Kamara de Manyãmbaladugu. Ses descendants vont s'enraciner en ce lieu pour plus d'un siècle, jusqu'à Samori dont Vafèrè est le trisaïeul 45.
Quatre générations dans le même village. Nous voilà loin de la mobilité dyula. Les généalogies que nous possédons mettent aussitôt en relief un fait essentiel : nos Turé se marient exclusivement parmi les animistes qui les ont reçus. Du moins, toutes les unions dont la tradition a conservé le souvenir, sont de ce type. Fabu avait donné l'exemple en épousant la fille de Sirikyo. Toutes les alliances ultérieures, du moins celles qui nous sont connues, seront contractées avec des Kamara. Nous ignorons le nom de l'épouse de Vafèrè, mais c'était une Fãndyarasi de Manyãmbaladugu. Karfa 46 se marie assez loin de chez lui, avec Sa Kamara, de Dumbadu, issue d'un chef du Konyãnko 47. Leur fils, Samorigbé 48, cherche beaucoup plus prés: il s'unit à Dyãnka, fille de Fadima-Kisya, le chef de Lenko 49. L'enfant qu'elle met au monde entre 1800 et 1810, Laafiya Turè, est fort bien connu. Les cinq femmes qu'il épousa provenaient de villages situés à moins de trente kilomètres de sa résidence. Parmi elles, nous trouvons la fille d'un petit village, Masorona Kamara, de Fãndudugu, qui sera la mère de Samori.
Il faut donc nous rendre à l'évidence. Nos Turé ne sont pas seulement stabilisés : ils sont génétiquement assimilés. Non loin de là, vers Odienné, comme dans le Konyã proprement dit, autour de Beyla, nous voyons des lignées musulmanes évoluer différemment. C'est que les Turè de Samatigila, comme les Doré ou les Kuruma de Musadugu, s'ils ont fait souche en terre animiste, n'ont pas essaimé parmi les autochtones : ils sont restés groupés en villages musulmans et, dans la grande majorité des cas, se sont mariés entre eux. Pour les ancêtres de Samori, individus isolés ou petites familles dispersées au sein de la masse animiste, leur petit nombre les empêcha de s'enkyster. Ils ne pouvaient se faire accepter qu'en s'alliant à leurs voisins païens et ils jouèrent ce jeu. A chaque génération, le filet de « sang » maninka-mori allait s'amenuisant et quand naquit Samori on peut considérer que le processus était achevé. La structure génétique de notre héros provient des Kamara, accessoirement des Konaté et des Koné, beaucoup plus que des Turè.
Comme on peut l'imaginer, l'assimilation au nouveau milieu a progressé du même pas sur les plans sociologique et intellectuel. Fabu était lettré. Il est vraisemblable que la connaissance de l'écriture disparut avec lui, sans que ses descendants adoptassent aussitôt les moeurs du cultivateur sédentaire. Nous savons, en effet, qu'ils se firent colporteurs. L'informateur de Kalil Fofana présente pourtant le père de Samori comme tisserand. Il n'y a pas là une véritable contradiction puisque cet artisanat, on l'a vu, était étroitement lié au négoce. Vers Odienné, les ancêtres de Vakaba étaient des tisserands nomades, utilisant à l'occasion leurs produits pour financer leur commerce. Il est très possible que la lignée de Samori ait eu recours aux mêmes pratiques. Nous sommes par contre portés à croire qu'ils se détournaient progressivement du commerce à longue distance. La localisation de leurs mariages dans un cercle étroit est à cet égard un indice très sur.
Saa Kamara était native de Dumbadu, à un kilomètre du grand marché de Lofèro où son époux Karfa allait certainement acheter des kolas. Si leur fils Samori-Fiñ s'est vraiment fixé sur les Rivières, c'est évidemment qu'il avait débuté dans le colportage à longue distance et son frère Samorigbè le pratiqua au moins sur une petite échelle. La tradition le confirme, puisque le père de Samori naquit lui-même à Kurukaro du Worodugu au hasard d'un déplacement de ses parents. Laafiya allait lui-même dans sa jeunesse acheter des kolas en forêt et on ne peut exclure qu'il fut occasionnellement tisserand comme l'affirme Kalil Fofana. C'est en tout cas au cours de ses voyages qu'il se lia d'amitié avec Koñyé-Morifiñ Swarè, le fameux marabout de Nyõnsomoridugu. Un peu plus tard, la tradition le montre pourtant définitivement stabilisé et très hostile aux premiers symptômes d'agitation de son fils.
Cette sédentarisation progressive, jointe à l'indice des mariages, donne la mesure de l'enracinement des Turé dans leur terroir nouveau. Ils paraissent y avoir prospéré. Leur fortune se fondait en grande partie sur le bétail, qui est le mode de capitalisation le plus général en Afrique Noire. Dans le Konyã, dont les hauts plateaux dépourvus de tsé-tsé sont favorables à l'élevage, les cultivateurs ont toujours possédé de nombreux boeufs et la forte immigration Fula de la fin du XVIIIme siècle a considérablement accru le cheptel. Il est significatif que la tradition insiste à plusieurs reprises sur la richesse en boeufs de Laafiya 50. Stabilisé à Manyãmbaladugu, avec ses gros troupeaux et cinq épouses « dotées » avant l'âge de trente ans, c'était assurément un notable riche et influent. Ses parents maternels, les Kamara, devaient compter avec lui. Nous voici loin du « Dyoulah très besogneux » de Péroz.
Abandon du commerce, enracinement dans le terroir, tout cela va de pair avec la régression de l'Islam. Bien entendu, il ne s'agit pas d'une soudaine « conversion » à l'animisme, mais d'une lente désagrégation. Elle ne fut jamais poussée jusqu'à ses dernières conséquences : c'est ainsi que les descendants de Fabu ont porté des noms musulmans et que jamais ils n'organisèrent le culte des ancêtres. Ce dernier est, on l'a vu, le rite le plus contraire à l'esprit de l'Islam, qui prie pour les morts et ne prie pas les morts. C'est la dernière étape, la plus difficile à franchir pour ceux qui reviennent au paganisme. Si les Turé n'ont pas doublé ce cap, il s'en fallait de peu. Ils allèrent en effet jusqu'à l'abandon de la prière, qui marque le degré le plus bas de l'Islam noir, car on la fait ostensiblement, par respect humain même si l'on ne sait rien d'autre. Tout commence en effet par là, car il est impossible de faire jouer la solidarité musulmane, indispensable au commerce, sans ce minimum de conformisme. On peut être assuré que les Turè en gardèrent la pratique tant qu'ils voyagèrent comme dyula. Nous savons cependant que Laafiya, retiré définitivement à Manyãmbaladugu, ne priait pas. Il l'avait certainement fait dans sa jeunesse quand il se livrait au commerce du kola et était l'hôte de Morifiñ Swarè. On nous dit par ailleurs qu'il s'était fait initier au Kiba, à l'âge convenable, vers 25-30 ans. Le Kiba, ou Djo, que V. Pâques a décrit pour la région de Bougouni, se substitue aux six sociétés d'initiations classiques du nord, bien que, dans notre région, il ait coexisté avec le Komo. Les villages musulmans l'ignoraient, bien entendu, mais les adhésions individuelles de dyula n'étaient pas rares car cette intégration à la société animiste favorisait leurs affaires.
Laafiya avait d'ailleurs été beaucoup plus loin puisqu'il rendait personnellement un culte à des divinités du terroir :
Les dyula se contentent généralement de payer leurs voisins païens pour qu'ils procèdent en leur nom à de telles cérémonies.
Il paraît donc évident qu'avec Laafiya, l'absorption des Turè au sein des Konyãnké animistes est pratiquement achevée.
voilà comment on peut définir le milieu natal de Samori. Même sans insister sur son hérédité, où l'apport des Turé est infime, il paraît difficile de qualifier notre héros de Sarakholé ou de dyula. Il était fils du Konyã, non pas du vieux Konyã islamisé de Musadugu et de Beyla, mais du Konyã animiste des rives du Dyõ et du Milo.
Il s'appelait cependant Turè et son ancêtre, Fabu, était un Maninka-Mori venu de Biñko. Il nous faudra apprécier si la conscience de ce fait a influé sur sa conduite ultérieure. Mais cela, dans l'immédiat, est étranger à sa formation. Il hérite d'une lignée dont la situation sociale parait bien assise. Il est vrai que le prestige d'intercesseur magicien qui auréole en milieu animiste tout porteur de la culture islamique s'est éteint avec Fabu. Il a été supplanté par celui du riche notable dont l'imposant capital se déploie en bétail. Descendant par les femmes des meilleures lignées de Kamara animistes, Samori se trouve au départ dans une position foncièrement différente de Mori-Ulé Sisé ou de Vakaba Tourè. Ce n'est pas un immigré de fraîche date ou un minoritaire qui va construire sa puissance aux dépens de ses hôtes. C'est un fils du pays, qui peut, à l'occasion, compter sur l'appui de ses « oncles » maternels.
Laafiya Turè 52 avait abandonné la vie aventureuse du colporteur pour s'enfermer paisiblement dans son village natal et se livrer aux cultes païens du terroir. Il était naturel qu'il suivit la tradition de sa famille en épousant exclusivement des filles de ses voisins animistes. Quatre des cinq femmes qu'il a dotées avant que son fils ne connaisse la puissance, sont effectivement des Kamara et aucune ne provient d'un village éloigné de plus de trente kilomètres.
Parmi elles, la mère de Samori, Masorona 53 Kamara était née à Fandugu petit village perché sur les contreforts occidentaux de la chaîne du Gben 54. Elle descendait des Kamara du Worodugu, ce « pays creux » qui est encadré de hautes montagnes et traversé en son milieu par le cours du Milo. Ces Kamara, en partant vers la forêt, avaient fondé vers Macenta la chefferie du Mandugu. Mais Masorona appartenait à une lignée des moins puissantes. Quittant leur village ancestral de Talibakoro, proche du Milo, ses ancêtres avaient escaladé les contreforts du Gben et accroché de nombreux hameaux à ces terres pauvres et rocailleuses. Fabu, père de Masorona, était marié plus au nord, à Manima, dans le Gundo, au sein d'une puissante lignée du clan Konaté. Masorona qui naquit probablement vers 1810, épousa Laafiya Turè à une date qu'il convient de placer un peu avant 1830.
Il est vraisemblable qu'elle était sa première épouse Samori fut en tout cas son premier enfant. Diverses anecdotes courent sur la grossesse de Masorona. On raconte qu'après deux ans, de mariage, comme elle n'était pas encore enceinte, Laafiya rendit visite au célèbre marabout Samorikuru Konaté qui résidait à Kolèdu 55. Avant de donner sa bénédiction, Samorikuru exigea qu'on consultât un géomancien (kèñyé-la-bara: mot à mot: « celui de la disposition du sable »). Le Koroko auquel on eut recours prédit la naissance d'un enfant qui serait illustre, à condition de procéder à un sacrifice extraordinaire. Laafiya y aurait procédé malgré l'opposition des gens de Sanãnkoro, si bien que Samorikuru donna sa bénédiction et que Masorona se trouva bientôt enceinte 56.
Samori montrera toujours de la reconnaissance à l'humble caste de devins forgerons auxquels il devait, croyait-il, à la fois la vie et la puissance.
Peu avant la naissance, Laafiya se rendit à Nyõnsomoridugu pour visiter le fameux Koñyé-Morifiñ 57. Il voulait l'interroger sur un songe qui l'avait vivement impressionné. Il avait vu un serpent sortir de ses reins, grandir, et s'élever jusqu'au ciel. Morifiñ lui annonça aussitôt qu'il aurait un fils et que ce fils dominerait le monde entier. Aussi confiait-il la famille Swarè à la protection du futur conquérant. Quelle que soit l'authenticité de cette anecdote, le vénérable marabout suivra dès l'origine l'ascension de Samori et nous verrons qu'il exercera sur lui une influence considérable.
C'est en tout cas à Manyãmbaladugu, village de ses ancêtres, que Samori naquit aux approches de 1830 58?. Il est évidemment impossible de fixer une date exacte que Laafiya lui-même n'aurait pas pu donner. Les auteurs français varient à l'extrême, bien que le plus grand nombre, suivant Delafosse, parlent de 1835. Gouraud qui fréquenta quotidiennement Samori durant les premières semaines de sa captivité est très près de ce chiffre, puisqu'il donne à l'almami « la soixantaine, certainement » en 1898. Il est ainsi en accord avec Binger qui parlait de cinquante ans en 1887 mais non avec Péroz qui en supposait quarante en 1886.
Tous ces chiffres sont arbitraires. En revanche, les données actuellement disponibles permettent de serrer la réalité d'assez près. En remontant de proche en proche, on arrive à l'année 1830 qui forme un terminus ad quem. Tous les Européens, qui l'ont approché ont donc sous-estimé l'âge de Samori dont la vigueur exceptionnelle les trompait.
La coutume malinké ne sépare jamais l'enfant de sa mère avant l'âge de sept ans. Samori passa donc ses premières années à Manyãmbaladugu chez son père, « riche en bÅ“ufs », et en compagnie des nombreux frères dont la naissance semble avoir suivi d'assez près la sienne.
Après son sevrage, il aurait parfois été confié à Masarã Konaté, co-épouse de sa mère. Cette coutume, fort judicieuse en milieu polygame, a pour but avoué de lutter contre la haine qui naît fréquemment entre demi-frères 59.
A partir de sept ans, au moment où garçons et filles cessent de jouer ensemble, l'enfant se détache un peu de sa mère. C'est l'âge où il est souvent mis pour quelques années, à la charge de la famille maternelle. Ce fut le cas de Samori qui fut confié à Nyalè Konaté, tante utérine de Masorona, qui avait épousé Kagbèfèrè Konaté, l'un des hommes les plus influents du Gundo. Kagbèfèrè vivait à Farafina à une vingtaine de kilomètres de Manyãmbaladugu, mais son fils s'entendait t mal avec les Tyèulési de Sanakoroni qui imposaient leur prépondérance, comme on l'a vu, avec l'appui des Bèrèté. Nous avons déjà parlé de ce Nyalè-Mori qui alla fonder plus à l'ouest un village qui prit son nom 60. C'est là que le jeune Samori passa une grande partie de son temps, jusqu'au jour où son père le rappela pour le faire circoncire.
La tradition n'embellit pas cette enfance d'anecdotes extraordinaires. Elle nous montre seulement un garçon particulièrement serviable à l'égard de ses parents, allant volontiers chercher du bois en brousse pour sa tante ou sa mère. On l'employait habituellement à garder les moutons et les boeufs. On dit qu'il était actif et adroit, qu'il aimait beaucoup grimper aux arbres et, bien entendu, qu'il s'était imposé comme chef à ses camarades dont il dirigeait les jeux et la petite guerre.
Tout cela est assez ordinaire, bien que les informateurs de Kalil Fofana aient insisté, plus que les miens, sur les dispositions naturelles du jeune garçon au commandement. Souvent, il organisait des expéditions avec des jeunes de son âge qui, la nuit comme le jour, allaient marauder des oranges ou des tubercules de manioc dans les champs des villages voisins. Toute une bande de jeunes gens fut très tôt attirée par ce garçon auquel personne ne disputait le rang de chef, car, de l'initiative, il en avait comme pas un, et son sens de l'équité dans le partage des butins lui conservait la sympathie de tous. Les réprimandes et les corrections reçues de ses parents ne modifièrent en rien on comportement… » (1963, p. 7).
Malgré cette énergie précoce, sa vie suivit d'abord le cours que lui imposait la coutume. L'animisme du Konyã paraît ignorer le Ntomo depuis des siècles et c'est donc sans préparation spéciale que les forgerons du Komo infligent aux jeunes gens la circoncision, première étape vers le statut d'adulte. Samori devint ainsi kursitigi (« maître du pantalon ») en compagnie des jeunes garçons de Manyãmbaladugu, dont l'un au moins, le griot Sidiki Konaté, allait s'illustrer sous ses ordres.
Il lui fallait alors attendre une dizaine d'années pour accéder à la grande société du Kiba (ou Djo) dont les « bouffons sacré » parcouraient tous les sept ans les villages du Konyã 61. C'était une épreuve assez coûteuse mais Laafiya, qui l'avait subie, y destinait sans doute son fils.
Le jeune homme ne lui en laissa pas le temps. Il n'était pas destiné à vieillir paisiblement au rythme du vieil animisme et prendre un jour sa place dans la gérontocratie de Manyãmbaladugu. Son caractère ne s'y prêtait pas.
Les traditions divergent sur la durée de cette période mais le chiffre moyen de cinq ans donne un ordre de grandeur acceptable. Il faut tenir compte, en effet, des nombreux itinéraires où la présence de Samori parait attestée et du développement de son commerce qui ne resta pas limité au simple colportage. Un autre détail significatif est la connaissance parfaite qu'il avait de la langue toma. Ceci implique une fréquentation assez prolongée des marchés du Lofa et on ne peut la placer à une autre époque de sa vie.
Cette période nous est connue par un grand nombre d'anecdotes. Alors que les traditions intéressant les ancêtres et la jeunesse de notre héros proviennent presque exclusivement de sa famille ou de lignées apparentées, celles que nous abordons maintenant sont disséminées à travers un vaste territoire. Quand elles sont isolées, il convient de les accueillir avec la plus grande réserve car elles ont pu être forgées par la suite, à l'époque de sa puissance. Mais elles devraient se rencontrer alors dans l'ensemble de l'Empire tandis qu'on les trouve seulement dans une zone vaste mais bien délimitée, qui correspond aux routes occidentales du kola. Cela plaide en faveur de leur authenticité et si la méfiance reste de rigueur, on ne peut pourtant pas écarter en bloc ces renseignements. Il arrive d'ailleurs qu'ils se recoupent mutuellement et Samori les a parfois publiquement confirmés.
Le premier problème que nous rencontrons, est celui de la vocation de Samori et les contradictions que nous venons de relever dans la tradition ne nous aident pas à le résoudre. Laafiya poussa-t-il gon fils à prendre la route ou bien s'opposa-t-il longuement au désir du jeune homme ? Il importe seulement de relever que celui-ci montrait déjà une volonté d'indépendance qui le rendait insupportable. Dans une société aussi figée que celle du vieux Konyã, le fait est significatif. A l'âge où se cristallisaient l'intelligence et le caractère du jeune homme, celui-ci révélait qu'il était un déviant, incapable d'accepter le cadre social qu'on lui offrait.
Il se trouve qu'avant l'ère coloniale, dont les bouleversements économiques et sociaux allaient ouvrir des perspectives aux aventures individuelles, la seule issue possible hors du lignage patriarcal et du village était offerte par la profession de dyula. Il est vraisemblable que ce désir d'évasion joua davantage dans la révolte de Samori que la conscience plus ou moins vague de son ascendance Maninka-Mori. La tradition nous éclaire ainsi, malgré son incertitude, sur la fermeté précoce d'un caractère impérieux et avide d'action.
Laafiya ayant pris sa décision, il convenait du moins d'aider le jeune homme à débuter dans de bonnes conditions. Le père aurait vendu une génisse pour donner un premier capital à son fils 64. Celui-ci pouvait disposer au départ des anciens dyatigi de Laafiya ou de leurs héritiers, mais dans ce métier plein d'aléas, il était bon d'avoir en outre un protecteur puissant. Le père choisit le vieux chef des Kurãnko orientaux, Katsyãntèrna Mara qu'il avait jadis fréquenté, et il lui envoya Samori avec un cadeau en armes à feu pour demander son patronage. Katsyãntèrna l'accorda au jeune homme qui revint souvent à Soghomaya pour approvisionner en fusils.
Ce Mãsa dont le fils, Denda-Soghoma, se lia d'amitié avec lui. Le vieux chef avait hérité du prestige guerrier du conquérant Musa-Gbè mais son successeur devra bientôt prendre les armes pour maintenir son autorité et son appui sera utile à Samori au début de sa carrière militaire.
Le jeune homme, désormais protégé dans une certaine mesure contre les spoliations, pouvait commencer à circuler. Il est possible de dresser la carte de ses activités commerciales, en partant des localités où son passage est signalé par des traditions. Nous voyons aussitôt que la plupart sont situées sur les pistes unissant le Haut Niger aux pays du kola, dans une zone limitée en longitude par le Haut Niger et le Baulé et en latitude par la frange forestière et les marchés de la zone intermédiaire.
Le pays natal de Samori est au coeur de cette région. Il lui suffisait de passer sur le versant ouest du Gben pour déboucher, dans la vallée du Milo, sur la grande piste unissant Kankan au pays Toma (Tukoro) 65.
C'est effectivement chez les Toma, dont il parlait la langue, que Samori semble avoir été habituellement s'approvisionner en kolas. Le fait est normal car dans cette direction, il était particulièrement riche en parents utérins, parmi les Kamara du Konyãnko et du Tukoro 66. Ses transactions s'y déroulaient donc dans des conditions exceptionnelles de sécurité. Il est signalé plus rarement en direction des pays Kisi 67, Guerzé 68 et Dã 69. Il aurait été jusqu'à Byãnkumã, lieu d'échange traditionnel des Dyomandé et des Dã, au coeur de la région qui sera eu 1898 le théâtre de ses derniers sursauts.
Ces kolas qu'il obtenait à l'origine contre des poulets donnés par son père, ultérieurement des boeufs, plus rarement du sel, il allait en hâte les revendre sur la zone intermédiaire ou les franges du Fuuta-Dyalõ 70. C'est là qu'il achetait le bétail ou le sel destinés au voyage de retour. Mais on le signale aussi dans le Burè, terre classique de l'or où aboutissait, en ce milieu du siècle, une grande partie du commerce d'objets manufacturés provenant de Freetown: des tissus et surtout des armes. Celles-ci n'étaient encore que d'antiques fusils à pierre mais on les vendait en telles quantités que le nom d'armes de traite leur est resté attaché.
Samori paraît s'être intéressé très spécialement à deux frêts de retour : le bétail et les armes. Le bétail explique la fréquence des traditions le signalant aux frontières du Fuuta et du Wasulu 71. Les armes rendent compte de ses voyages au Burè. Il ne gagnait pas toujours l'Ouest par les routes classiques du Baté car on le signale à Banyã et à Mafindi-Kabaya chez les Kurãnko du Haut Niger. Il est évident que, s'il achetait des kolas à Mata, tel était l'itinéraire le plus court pour les offrir aux acheteurs du Fuuta ou de la Sierra-Leone.
La tradition ne lui attribue d'ailleurs pas des voyages aussi vastes que ceux de Vakaba. Il semble qu'il n'ait jamais fréquenté les grands centres du Moyen Niger comme Bamako et encore moins Djenné. De ce côté, nous savons qu'il n'a même pas été à Sidikila. Quand il ira sacrifier, en 1889, dans l'antique village des Turè, il y mettra le pied pour la première fois.
Vers la fin de la période, il aurait cependant étendu ses affaires et pratiqué de véritables « voyages triangulaires ». Partant de la Forêt avec des kolas et des esclaves, il gagnait le Buré où il se procurait de la poudre d'or, puis les confins du Fuuta-Dyalõ ou du Solimana où il trouvait à bon compte des boeufs ou des armes qu'il revendait au prix fort au Konyã. Cela rend compte des traditions isolées qui le concernent en quelques points situés à l'ouest du Haut Niger. Il convient par contre de rejeter les renseignements selon lesquels le jeune homme aurait visité personnellement Freetown. Il dira lui-même au major Festing, en 1888, qu'il n'avait jamais été plus loin que Mafindi-Kabaya, en direction de la mer 72. Le jeune dyula n'a donc pas eu l'occasion d'apprécier directement l'impact de l'Europe sur l'Afrique. On peut pourtant être assuré qu'il ne l'ignorait pas car les colporteurs qui remontaient de la Côte étaient nécessairement ses partenaires. Avec l'imagination fertile des Malinké, ils débordaient de contes merveilleux sur la magie redoutable des hommes à la peau blanche dont les produits bizarres étaient à présent partout nécessaires.
Au sein du monde mouvant du commerce dyula, on a vu qu'une hiérarchie complexe s'était organisée 73. Patronné par un chef puissant, bien introduit par de nombreux « oncles » et d'excellents dyatigi, Samori ne devait pas demeurer à l'humble niveau du colporteur dont la charge est l'unique bien. Il avait d'ailleurs débuté avec l'aide de son père, si bien qu'il développa assez vite ses affaires. Son activité sera cependant trop courte, beaucoup plus que celle du fondateur d'Odienné, aussi n'aura-t-il pas le temps de parcourir tout le cycle jusqu'au niveau du gros « armateur » de caravanes. Nous connaissons le nom de certains camarades de routes avec qui il voyageait régulièrement à ses débuts, quand il portait lui-même son ballot 74. Son goût pour le commerce du bétail l'ayant mené souvent dans le Wasulu, il se lia d'amitié avec les Koroko , cette caste de forgerons colporteurs que l'on trouve de Kankan à Bougouni et jusqu'à Séguéla. Ce sont d'humbles gens, assez méprisés et s'ils monopolisent le commerce de leur région, c'est au niveau le plus modeste.
Samori les a beaucoup fréquentés, peut-être parce qu'au départ il n'était guère plus riche qu'eux, peut-être en raison de la fameuse prédiction qui avait été faite à Laafiya. La géomancie dont les Koroko s'étaient fait une spécialité l'a d'ailleurs toujours fasciné et on dit que ses amis lui révélèrent les secrets du pouvoir contre promesse de les ménager quand il serait puissant 75. Nous verrons effectivement qu'il proscrira la capture des Koroko et saura les utiliser comme agents de renseignements.
Le jeune homme finit par s'affranchir du vulgaire colportage puisque nous le voyons acheter dans le Mandugu et le Buzyé des esclaves destinés au Wasulu et au Fuuta. Vers la fin de sa carrière, il semble bien qu'en dépit de son jeune âge, il ait joui d'une certaine considération. Il était connu et apprécié d'un certain nombre de chefs qui lui seront fort utiles au début de son entreprise politique.
Parmi ces protecteurs, le premier rang incombe naturellement aux Kamara chez qui Samori faisait vibrer la corde de la parenté utérine. Sur les confins du pays Toma, dans le Mãndugu, il achetait régulièrement les esclaves razziés par Bamadyègbè Kamara et il fournissait ce chef en fusils 76. Plus au sud, sur le Haut Dyani, Samori était lié au fameux Kamãn-Kyèkura de Kwonkã, fils du Mãsa du Buzyé. Ce dernier lui aurait fait de somptueux cadeaux « pour nourrir sa mère ». Il aurait accepté de défendre les intérêts du jeune homme et de payer ses dettes contre promesse qu'il ne vendrait qu'à lui seul et n'achèterait que par son intermédiaire quand il viendrait dans la région.
Samori avait conclu des accords de ce type avec Tumaniñ Kèita, chef de Tumaniya à la frontière du Fuuta [201]. Dans le Wasulu, deux protections sont dignes d'être signalées, celle de Mamuruba Samu, chef de Solomanina (Gbãndyagha) et surtout celle du jeune Adyigbè Dyakité, de Dyarakuru. Cette amitié allait s'avérer riche en conséquences politiques [342, 352].
Quand il se rendait dans l'Est, assez rarement semble-t-il, Samori trouvait à Odienné des « parents » dont le pouvoir politique était bien établi. Les Turè du Kabasarana ne seraient pas restés insensibles à cette communauté d'origine. On raconte, en effet, qu'un certain jour, Samori qui avait acheté des cages de poulets sur le marché d'Odienné, fut dépouillé par le sofa Sorona-Koma. Il alla se plaindre à Muktar Turè qui réglait beaucoup d'affaires à la place de Vakaba alors trop âgé. Muktar lui rendit justice. Il lui offrit même un captif en cadeau, mais déplora de voir un Turè réduit à un commerce médiocre au lieu de faire la guerre. Cette leçon ne devait pas être perdue.
Nos informateurs affirment en effet qu'en dépit de ces succès, les entreprises de Samori étaient souvent compromises par les manifestations d'un caractère vigoureux unissant des qualités et des défauts peu compatibles avec la profession commerciale. Il semble qu'il ait toujours manqué de souplesse et montré une très grande obstination. Celle-ci, jointe à une constance certaine dans ses amitiés, le rendait très populaire parmi ses camarades et odieux à ses concurrents. Il avait la réputation de ne reculer devant aucun danger et de ne jamais se plaindre, mais il n'oubliait jamais les injures subies 77. Les résultats étaient prévisibles. On nous rapporte de nombreuses querelles qu'il aurait suscitées sur les marchés et qui se terminaient parfois en batailles rangées. Il était inévitable qu'il subît des avanies et la tradition ne manque pas de les évoquer car Samori les rappellera volontiers bien des années plus tard, à l'heure de la vengeance 78.
Nous avons des raisons de croire que ce jeune homme au caractère bien trempé avait un goût précoce pour le recours aux armes. Le fait ressort de deux anecdotes dignes de créance.
La première est relative au Mãndugu de Macenta où Samori allait fréquemment acheter des esclaves. Certain jour, il n'en trouva pas. Son dyatigi Musokura-Kasya lui proposa alors d 'aller avec lui razzier les Toma. Samori accepta et ils dressèrent ensemble une embuscade dans la vallée du Makhona. Samori en ramena « une captive au teint clair » [50].
La seconde affaire est bien plus significative. Elle aurait eu lieu à Manyãmbaladugu. Samori se reposait entre deux voyages, quand des sofas de Sisé enlevèrent les troupeaux du village. Il réunit aussitôt les jeunes gens qu'il put trouver, les arma et partit à la poursuite des razzieurs qu'il surprit de nuit au bivouac. Il plaça habilement ses camarades tout autour et leur ordonna de tirailler irrégulièrement au signal de façon à donner l'impression que l'attaque était menée par une troupe nombreuse. Il mit ainsi les voleurs en faite et récupéra le bétail. Ces fourrageurs appartenaient sans aucun doute à l'armée qui, deux années de suite, attaqua les gens du Gundo concentrés à Sèdu. La chute de ce village coïncide avec la capture de Masorona que je place en 1852-1853. L'anecdote est donc à situer au début de cette saison sèche ou durant la précédente, en tout cas, tout à fait à la fin de la carrière commerciale de Samori [1].
Malgré tous nos efforts, nous avons du mal à imaginer ce qu'était notre héros, après quelques années de colportage, sans tenir compte de ce qu'il allait devenir. Physiquement, il était évidemment grand et robuste, comme il le sera encore en 1898. Ses incisives taillées en pointe évoquaient son enfance animiste tandis que ses mains « ladres », c'est-à-dire frappées d'albinisme partiel, inquiétaient ses compatriotes qui y voyaient le signe de pouvoirs surnaturels.
La tradition nous montre cet homme au caractère difficile et au physique impressionnant, troublant les villages qu'il visitait pour son commerce. Des devins auraient prédit plus d'une fois sa puissance future, poussant ainsi contre lui la population effrayée. A plusieurs reprises, il aurait dû s'enfuir, de nuit, averti par ses hôtes, pour éviter d'être assassiné.
Un fait important, survenu durant ces années de voyage, est le retour de Samori à l'Islam. L'animisme local où coexistaient le Komo et le Djo, n'était peut-être pas aussi pauvre qu'on le croit quand on l'étudie dans son état actuel d'extrême dégradation. Il ne pouvait en tout cas suppléer à l'abandon de l'Islam par les dyula, aussi longtemps que ceux-ci se livraient au commerce à longue distance. Seuls s'y sont ralliés, on l'a vu, ceux qui se sédentarisaient en petit nombre au sein des kafu païens.
Dans le cas des ancêtres de Samori, non seulement isolés et enracinés dans leur nouveau terroir, mais encore génétiquement assimilés par des mariages successifs, la question ne se posait pas. Bien que Laafiya n'ait pas, semble-t-il, rendu un véritable culte des ancêtres aux morts de sa lignée, il était initié au Djo et adorait régulièrement les esprits autochtones Farafiñ et Dyigbè. Il y avait sans doute préparé son fils, mais il est probable que celui-ci avait rejeté toutes ces valeurs au moment où il secouait les contraintes familiales et qu'il en éprouvait un sentiment de vide spirituel.
Dès qu'il se fit dyula, son métier le contraignit d'ailleurs aux apparences de l'Islam, sans lequel l'indispensable réseau des dyatigi ne fonctionnait pas. Il est vrai qu'il s'agissait d'une religion réduite à sa plus simple expression, c'est-à-dire aux gestes formels de la prière et à quelques détails de parure comme la substitution d'un crâne rasé aux trois nattes des animistes. Samori parcourut cette étape sous l'égide du fameux Koñyé-Morifiñ Swarè de Nyõnsomoridugu. Nous avons vu que cet ami de famille s'était intéressé au fils de Laafiya dès avant sa naissance. Nyõnsomoridugu, à l'entrée du col de Kokorè, était une étape inévitable sur la route de Kwonkã et Samori y séjourna certainement souvent. Koñyé-Morifiñ était son dyatigi et c'est lui qui apprit au jeune homme à prier. Sur le plan strictement religieux, les choses n'allèrent pas plus loin et les progrès de Samori vers un Islam moins formel seront très lents. Mais le vieux marabout n'a-t-il pas eu une influence plus profonde sur son jeune hôte ? N'a-t-il pas orienté celui-ci, compte-tenu de son tempérament naturellement belliqueux, vers l'idée de la guerre sainte (dyaadi) qui permet de justifier la violence, si même elle ne la suscite pas ? L'hypothèse pourrait se fonder sur les longues études que le frère de Morifiñ avait menées au Fuuta-Dyalõ en compagnie de Mori-Ulé, celui qui avait ouvert dans le Konyã l'ère des troubles les plus graves. On nous dit que le jeune Samori se vit appelé en rêve par le Prophète qui déposa dans ses mains un fusil. Si cette tradition n'a pas été forgée de toutes pièces beaucoup plus tard, quand Samori se proclama chef des croyants, on pourrait y voir l'indice que le jeune homme était sous l'influence de fanatiques religieux.
Toute la vie de Koñyé-Morifiñ dément pourtant cette suggestion. Son village était certes islamisé de longue date, mais il vivait depuis toujours dans les meilleurs termes avec ses protecteurs, les Kamara animistes. Il incarnait le vieux type du marabout dyula, hostile à tout changement, au point de s'opposer parfois à la conversion des païens. Trop de liens matrimoniaux ou d'amitié les liaient à « leurs » animistes pour qu'ils acceptent l'idée de la guerre. On a vu que Morifiñ avait refusé sa bénédiction au belliqueux Mori-Ulé et la mort tragique de ce conquérant n'eut pas d'autre cause aux yeux du Konyã tout entier.
L'influence de Morifiñ sur le fils de Laafiya n'est pas discutable 79. Samori donnera le nom du vieillard à l'un de ses enfants plus connu des Français sous celui de Dyaulé-Karamogho. Dans de telles conditions, je pense que l'Islam naissant du jeune dyula était pur de tout rêve guerrier. Il est vrai que Madina était son étape ordinaire sur la route d'Odienné et qu'il avait pu y connaître les hommes des Sisé. On peut admettre aussi que son caractère ferme et sa fierté le rendaient peu endurant envers les avanies qu'infligeaient nécessairement les chefs païens aux colporteurs. Cela ne pouvait suffire à lui ouvrir une autre voie. Il y fallait un accident. Ce fut l'enlèvement de Masorona par les sofas des Sisé, vraisemblablement au début de 1853.
Au moment où le jeune homme allait prendre, sous la contrainte, la route où l'attendait son destin, quel bilan peut-on dresser de ses années de jeunesse ? Nous venons d'étudier une série d'anecdotes dont aucune n'est vraiment vérifiable, mais que leur cohérence rend vraisemblables. Il est clair qu'à l'âge de vingt ans, Samori avait déjà renversé la tendance qui poussait les Turè, de génération en génération, à s'enraciner plus profondément dans le sol du Konyã. Son père l'avait portée au paroxysme quand, après sa jeunesse de colporteur, il s'était stabilisé sans cet esprit de retour. Le jeune homme ne portait plus dans ses veines qu'un filet infime de sang dyula, c'était génétiquement un pur Konyãnké, et on pouvait penser qu'il mènerait paisiblement la vie d'un riche éleveur, en sacrifiant aux divinités du terroir et en participant, quand il en aurait l'âge, à la vie politique du kafu. Il était au contraire revenu à la mobilité de ses ancêtres dyula et par voie de conséquence à l'Islam.
Son nom de clan, dernière trace d'une origine septentrionale, a pu orienter ses idées, mais le facteur essentiel a été sans aucun doute la répugnance qu'un caractère vigoureux et fier ressentait devant les nombreuses années de vie monotone et soumise que la gérontocratie animiste allait lui imposer. Les heurts fréquents qui l'opposeront jusqu'au bout à son père en sont un indice sûr. Ce qu'il va chercher dans le commerce et dans l'Islam, c'est la libération des contraintes familiales et peut-être déjà les moyens de satisfaire son goût de dominer. Les circonstances lui feront découvrir dans la guerre une méthode mieux adaptée à son tempérament.
Cette personnalité exceptionnelle ne faisait que ressentir plus vivement ce qu'éprouvaient beaucoup d'hommes de sa génération, au moment où des forces hostiles attaquent de toutes parts la vieille société animiste du Konyã. Aussi seront-ils nombreux à le suivre quand il proposera sa solution qui n'était ni la défense impossible d'une tradition périmée ni la soumission aux Sisé oppresseurs, mais la prise en charge du bouleversement par les Konyãnké eux-mêmes.
Samori s'engagea dans l'armée des Sisé peu après la chute de Sédugu, sans doute au début de 1853. Si notre chronologie est juste, il servit cinq ou six ans chez eux et non les « sept ans, sept mois, sept jours » chers à la tradition. Ces années sont décisives pour la formation de notre héros et on souhaiterait bien les connaître. Il n'en est malheureusement rien. C'est en effet ici que la tradition orale est la moins riche et la moins précise, car l'exil de Samori loin de son pays n'a pas marqué les souvenirs familiaux tandis que les actions de ce jeune sofa, qui allait devenir le destructeur du Moriulédugu, n'ont suscité chez les Sisé que des légendes hostiles. Cette période, particulièrement obscure pour la biographie de Samori, est aussi la dernière dont la chronologie présente quelques flottements.
Nous pensons cependant que l'exactitude minutieuse des événements compte ici moins que l'ambiance et nous nous permettrons de lâcher un peu la bride aux légendes, du moment qu'elles paraissent significatives.
Samori avait alors plus de vingt ans. Le commerce l'avait entraîné loin du Konyã, quand un colporteur lui apprit que les Sisé avaient détruit Manyãmbaladugu et que sa mère était captive 80. Il rentra précipitamment et trouva Laafiya réfugié à Fiñdugu, dans le Konyãnko, patrie de la grand-mère Saa 81. L'entrevue des deux hommes aurait manqué de cordialité, car le fils accusait son père de n'avoir pas tout fait pour sauver sa mère et de refuser les dépenses nécessaires pour la libérer 82. C'est donc en vain que Laafiya s'opposa au départ de Samori, et celui-ci prit la route de Madina où il se présenta à Sérè-Burlay 83. Il constata que sa mère était bien traitée, en raison de l'alliance des Sisé avec les Turé et il n'eut pas de peine à s'engager comme sofa. Le Faama promit de libérer Masorona dès que le jeune homme aurait sept captifs à donner en échange 84.
Presque tous les informateurs déclarent que Samori se présenta sans armes à Madina, muni seulement d'un bâton et d'un paquet qui contenait ses affaires. Selon un renseignement isolé, il serait cependant venu avec un fusil, mais le fait est improbable car les hommes qui s'engageaient armés (marfatigi) recevaient une part spéciale de butin et Samori ne parait pas en avoir bénéficié.
Selon Khalil Fofana, l'installation de notre héros à Madina n'aurait pas été si facile. Un géomancien 85 aurait prédit à Sérè-Bréma qu'un jeune homme qui allait se présenter était appelé à régner à la place des Sisé, et qu'aucun sacrifice ne pourrait y remédier. Ce devin génial ayant même donné le signalement de Samori, celui-ci fut appréhendé dès qu'il entra en ville. Amené devant Sérè-Burlay, il réussit à le séduire, le convainquit de sa bonne foi et fut versé dans sa garde personnelle. Cette tradition est suspecte car elle est pleine de confusions et d'erreurs. Elle a du être élaborée assez tard, mais elle décrit fort bien les relations du jeune homme avec les puissants frères Sisé et elle nous introduit à la série de prédictions inquiétantes qui allaient suivre pas à pas notre héros.
Quoi qu'il en soit, Samori prit plaisir à servir Burlay et ce guerrier, souvent malheureux, allait le protéger jusqu'à sa mort. Le fils de Laafiya se trouvait si bien qu'il décida de faire venir son jeune frère Kémé-Brèma, dit Fabu pour apprendre la guerre à ses côtés.
Au moment où Samori s'engagea, les Sisé étaient maîtres du Haut Torõ, mais leur puissance atteignait un premier palier car la « Guerre des Fils du Rêve » qui dominait les pays du Nord, allait les gêner pendant un an ou deux. La première campagne où combattit Samori fut justement dirigée contre une colonne de Dyèri qui menaça un moment Gbèlèba et que les Sisé repoussèrent avant d'aller aider Vakaba à la détruire près de Fèrè (Ca., 1854) 86.
Quand la mort de Dyèri dissipa ce danger, vers 1855, les Sisé accordèrent au Faama d'Odienné l'aide qu'ils lui avaient promise pour étendre ses domaines. Nous savons que Samori participa ainsi à la conquête du Barala, et particulièrement au siège de Mahãndugu puisque c'est en s'y rendant qu'il fit l'objet d'une nouvelle prédiction, dont l'auteur était cette fois un marabout de Saghala (Torokoto, Worodugu).
Nous ignorons s'il était au siège de Borotu, mais son courage fut particulièrement remarqué durant la malheureuse expédition de Korumba, lancée par Va-Brèma quelques mois après la mort de Vakaba (1858) et où la vaillance des Sisé évita de justesse une catastrophe totale.
Dans la lutte contre la grande révolte qui suivit, Samori commandait déjà un groupe de dix hommes . La mort de Sérè-Burlay au siège de Kobobi-Kuru fut cependant une catastrophe pour le jeune homme car il était au plus mal avec Bréma, le nouveau Faama. Il fit pourtant campagne avec lui à Kobobi-Kuru et au Farana, mais il le quitta brusquement peu après son retour à Madina (début 1859).
Sur cette trame événementielle assez fruste, des anecdotes significatives permettent de construire quelques hypothèses.
On ne saurait douter que la valeur militaire de Samori se soit révélée très vite. Dès son premier combat, alors que les Sisé reculaient sous le feu des Fula de Dyèri, solidement retranchés, le jeune homme se serait lancé seul en avant, brandissant son fusil et électrisant ainsi la colonne qui enleva l'obstacle. Dans cette seule affaire il aurait fait trois captifs [1].
Il semble qu'il donc fût assez vite en état de racheter sa mère, mais Sérè-Burlay qui l'appréciait fort insista pour le garder à ses côtés, en lui révélant le brillant avenir qui lui était promis. Il est d'ailleurs très vraisemblable que le jeune homme avait pris goût à sa nouvelle condition et n'était nullement pressé de reprendre la piste du colportage. Pour le remercier de son acceptation, Burlay lui offrit deux captives [1, 5].
Selon la tradition, cette idylle fut constamment troublée par Sérè-Brèma qui considérait le favori de son frère avec un oeil plein de suspicion et de colère. Ces renseignements sont sans doute le fruit de la propagande samorienne qui s'efforça, après 1880, de justifier la destruction du Moriulédugu. Il est cependant possible qu'ils contiennent un noyau de vérité.
Sérè-Bréma était impressionné par les nombreuses prédictions annonçant que ce jeune sofa supplanterait les Sisé. La première aurait eu lieu à Saghala, où campait l'armée en marche sur le Barala. Une grande enquête divinatoire qui eut lieu au retour, aurait alors désigné Samori 87.
Peu après, un marabout namutigi, qui visitait Madina, donna le même avertissement à Sérè-Burlay. « Un des sofas supplantera ta famille et commandera à tous les noirs. J'ai vu en rêve ses mains tachées de blanc ». On rassembla alors l'armée pour identifier le suspect, mais Samori venait de faire laver ses vêtements et comme ils n'étaient pas secs, il demeura chez lui. Le marabout ne trouva donc pas celui qu'il cherchait et demanda qu'on fasse visiter les cases une à une. Samori se présenta alors, vêtu d'un boubou trempé et le fusil en bandoulière. « C'est lui, dit aussitôt l'étranger, recommande-lui ta famille car il sera puissant ».
La nuit tombée, Burlay aurait donc convoqué Samori et celui-ci se présenta, très inquiet, muni de son fusil, si bien qu'il se fit désarmer par les gardes. C'est alors qu'il aurait demandé au Faama la permission de rentrer chez lui, car il voulait cesser de combattre à présent qu'il avait libéré sa mère. Burlay s'y opposa en lui proposant d'épouser sa fille Sérè dès qu'elle en aurait l'âge et en lui recommandant de protéger sa famille si jamais il devenait puissant. Il lui offrit alors des kolas et l'invita à se retirer. Mais Samori, méfiant, craignait d'être tué à la sortie et il exigea d'abord que son maître jurât sur le Coran qu'il ne lui voulait aucun mal. Quand Sérè-Bréma fut mis au courant de cet entretien, il aurait protesté vivement en suggérant de mettre aux fers et même de tuer ce dangereux personnage.
A partir de ce moment, selon la propagande samorienne, il aurait haï le jeune homme 88.
On peut admettre qu'il ne l'aimait guère. Tous les informateurs attestent qu'il le fit mettre huit jours aux fers à Kobobi-Kuru, dont il venait de s'emparer 89. Cette affaire se situe donc dans les derniers mois de 1858, quand le Faama revint au Bèèla pour venger la mort de Burlay, car durant la première campagne, il était demeuré à Madina comme il en avait l'habitude. Il reprocha en tout cas à Samori, de s'être mal conduit pendant l'assaut de la place, et notre héros n'était pas homme à oublier cette injure, qu'elle fût motivée ou non.
Il se sépara donc des Sisé peu après leur retour à Madina, car il croyait, nous dit-on. qu'on en voulait à sa vie. Il est très possible que Brèma ait vraiment décidé de le faire tuer. La rupture entre un nouveau souverain qui s'efforce d'asseoir son pouvoir et un chef de guerre particulièrement apprécié de son prédécesseur était chose commune. Au moment où la mort de Burlay ébranlait profondément l'Etat, il est vraisemblable que son frère voulait se défaire d'un suspect, et qu'il désirait agir par surprise s'il craignait sa popularité.
Chaque vendredi, dans l'après-midi, les sofas dansaient tour à tour devant le Faama. Celui-ci aurait donc fait fondre quatre balles, en alliage de plomb et d'or, capables de neutraliser les puissantes amulettes de son ennemi ; il les aurait distribuées à ses gardes en leur donnant l'ordre de tirer sur Samori, au jour convenu, pendant qu'il danserait. La tradition nous propose un joli roman pour nous expliquer comment notre héros fut averti et s'enfuit avec sa mère 90.
Selon Kalil Fofana, au contraire, Bréma voulait le garder auprès de lui, de peur qu'il n'échappât à son contrôle, mais il ne put se décider à l'emmener combattre dans le Haut Konyã (campagne de 1859) de peur que ne grandisse encore sa popularité. Cette information situe correctement l'événement, à la veille de la première campagne forestière des Sisé, ce qui lui donne un certain poids 91. La tradition de la fuite de Samori et de sa mère est pourtant bien ancrée chez la totalité de mes informateurs, dont certains n'hésitent pas à la comparer à l'hégire du Prophète [10]. Elle peut seule rendre compte de l'itinéraire des voyageurs, s'il est exact qu'ils se sont présentés à Nyõnsomoridugu pour demander la bénédiction de Koñyé-Morifiñ. Malgré les affabulations qui l'ornementent, il n'est donc pas évident qu'il convienne de la rejeter entièrement.
Toujours est-il que Samori et sa mère rejoignirent bientôt Laafiya qui vivait depuis la destruction de son village à Fiñdugu 92, chez ses « oncles » du Konyãnko.
On ne saurait surestimer les bénéfices que Samori a retirés de son séjour à Madina bien qu'il en soit rentré aussi pauvre qu'il y était allé.
Ils se situent surtout, bien entendu, sur le plan de la formation militaire. Le jeune colporteur énergique et audacieux, mais sans expérience, s'était transformé en un chef de guerre renommé et populaire. Il avait découvert la voie dont il ne s'écartera plus. Il s'était surtout formé aux nouvelles méthodes de combat qui assuraient depuis une vingtaine d'années la supériorité des Sisé et Turé sur les animistes. Il était désormais habitué à répartir les combattants en kuru (dizaines) et en bolo, sans tenir compte des classes d'âge, ainsi qu'à l'usage généralisé des armes à feu, et accessoirement de la cavalerie, enfin à l'organisation des sièges et des assauts. Il avait aussi montré qu'il savait commander les hommes et s'en faire aimer, comme son caractère l'y prédisposait. C'était désormais un expert en question militaires et il saura se faire payer quand il ne travaillera pas pour son compte.
Sur le plan de la culture islamique, le bilan paraît par contre fort mince. Il est possible que Samori, favori de Burlay, ait appris quelques versets du Coran, mais c'est seulement beaucoup plus tard, à Bisãndugu, qu'il allait recevoir des notions d'écriture du Peul Musa Dyallo. Les Sisé n'avaient pas maintenu la haute culture de Mori-Ulé et ils étaient tombés au niveau médiocre des marabouts de la zone intermédiaire. En dehors de leur neveu, Karamogho Madisé, aucun lettré notable ne parait s'être formé à Madina. Malgré le séjour de Samori dans la capitale de la guerre sainte (dyaadi), il allait laisser passer au moins quinze ans avant de montrer un nouvel intérêt pour l'Islam.
Il n'est pas moins significatif que sa première démarche, en quittant les Sisé, ait été une visite à Koñyé-Morifiñ, l'ennemi de la guerre sainte. Samori venait de connaître intimement celle-ci et ne pouvait se méprendre sur sa nature, celle d'une domination brutale pour laquelle l'Islam n'était qu'un prétexte. La suite des événements porte à croire que Samori ressentit vivement le mépris de ses maîtres pour les autochtones animistes, auxquels tant de liens l'attachaient. Il est possible qu'il leur ait emprunté l'idée d'un usage politique de l'Islam, mais il n'en tirait certainement pas les mêmes conséquences qu'eux.
Quand ils rejoignit son père à Fiñdugu, Samori avait près de trente ans et une réputation guerrière déjà établie, mais il se trouvait démuni de tout 93. La famille n'y demeura guère car Masorona mourut presqu'aussitôt et fut enterrée à Dumbadu où l'on montre toujours sa tombe. Très ébranlé par ce deuil, Samori décida son père à se transporter à Sanãnkoro, sur le Milo, chez ses « oncles » du Talikoro. Il allait se trouver à proximité de Fãndugu, le village de sa mère, et de Manyãmbaladugu qui avait été reconstruit sur l'autre versant du Gben (fin de 1859) 94 .
Ce retour ne présentait aucun danger puisque Samori n'avait pas rompu officiellement avec les Sisé et que tout l'ouest du Dyõ échappait en fait à l'autorité de Madina. On a vu que Sarãswarè-Mori Bèrèté était en train d'imposer son hégémonie au Bas Konyã en s'appuyant sur Tèrè-Yara Konaté, mais qu'il était assez prudent pour rendre à Sérè-Brèma un hommage de pure forme.
Samori était pauvre mais il n'avait nullement l'intention de reprendre le métier de colporteur. Il se trouvait donc disponible et prêt à saisir la première occasion favorable. L'entreprise des Bèrèté, qui paraissaient unir animistes et musulmans, tous fils d'une même terre, contre la menace étrangère, devait lui être plutôt sympathique. Tèrè-Yara était d'ailleurs son cousin maternel et Kõnké-Mori, frère assez terne du Bèrèté était un ancien compagnon de colportage. Il n'est pas étonnant qu'il se soit rallié à Sarãswarè-Mori quand le hasard le mit en sa présence à l'occasion d'une visite à Lenko 95.
C'est ainsi qu'à la fin de 1859 ou au début de 1860, Samori s'installa dans la forteresse toute neuve de Sirãmbadugu, où les Bèrèté lui confièrent tout de suite une troupe de dix hommes (kuru). Ses liens familiaux avec les Konaté pouvaient dès lors lui assurer une carrière brillante.
Samori rejoignait la nouvelle armée au moment précis où Sarãswarè-Mori, après avoir consolidé son pouvoir sur le Haut Torõ, songeait à recourir aux armes pour étendre son hégémonie et se trouver un jour en état d'affronter les Sisé. Pour ne pas provoquer ceux-ci, le nouveau conquérant ne pouvait frapper que vers le nord, mais au risque de provoquer la grande puissance de Nãntènen-Famudu, et surtout vers l'ouest où la division des Kurãnko et surtout des Konyãnké promettait des succès faciles. C'était d'ailleurs en invoquant le nom du Faama de Madina qu'il allait inaugurer ce nouvel impérialisme.
Samori se distingua d'abord dans une série de razzias contre le Bas Torõ, particulièrement à Farabana, Bananko, et, semble-t-il, Bisãndugu 96. Sarãswarè-Mori fut si content de lui qu'il lui donna une jument et l'Almami, en évoquant ce souvenir, déclarait dans sa vieillesse que depuis ce jour, il n'avait jamais plus marché à pied (début 1860). Une forte contre-attaque de Nãnténen-Famudu, qui parvint d'ailleurs jusqu'aux murs de Sirãmbadugu, fit alors comprendre au Bèrèté qu'il avait affaire à trop forte partie. Il tourna dès lors ses forces d'un autre côté.
Sous prétexte de venger des dyula qui avaient été pillés, il décida bientôt d'attaquer le gros village de Dyomãndu, sur les confins du Toma (Tukoro) 97. C'était un marché-étape fréquenté par les colporteurs de kola, dans les domaines de Mãmfiñ Kamara, le jeune chef du Konõnkoro dont nous aurons souvent à parler 98. En apprenant le danger qu'il courait, Mãmfiñ s'inquiéta à juste titre et sut faire jouer la solidarité des Fèrenkamãsi. Nyama, le Mãsa de Damaro, dont la mère venait de Dyomãndu, s'interposa en hâte et promit une indemnité. L'armée des Bèrèté, qui remontait déjà la rive droite du Milo, reçut son ambassade à Sokurala et Sarãswarè-Mori lui donna satisfaction car il voulait ménager ses voisins Kamara.
Il ne pouvait pourtant pas demeurer l'arme au pied et il décida de surprendre le Konyãnko tout proche qui abritait dans ses montagnes le riche marché de Lofèro. En traversant brusquement le Milo puis en escaladant les dolérites abruptes du Kõñsènè, les Bèrèté surprirent Foya, mais ils trouvèrent évacués les gros centres de Dumbadu et de Gbèdu, si bien qu'ils firent peu de butin. Le bruit courut que Tèrè-Yara, qui considérait le chef Kèsa Bala comme un « oncle », l'avait fait avertir au dernier moment. Il est certain que cette guerre devait fort le gêner, ainsi d'ailleurs que Samori qui en profita du moins pour visiter la tombe de sa mère.
Sarãswarè-Mori se vengea de sa déconvenue en envahissant le Mãndu où il pilla sans peine Dyeradu et Muzonu 99. Masarã-Lãsèy Kamara, le chef de ce kafu, avait fui chez les Toma sans résister. C'était l'ancien dyatigi de Samori, à qui les Kamara allaient vivement reprocher d'avoir participé à cette affaire (1860).
Les Bèrèté en avaient cependant tiré un certain prestige et ils reçurent aussitôt un appel de Denda-Soghoma, le Mãsa du Kurãnko oriental, qui n'arrivait pas à mater les Misafiñsi de Dusukoya 100. Sarãswarè-Mori accepta aussitôt de l'aider, dans l'espoir de faire un riche butin et d'étendre son influence à l'ouest du Milo 101.
Après avoir hiverné à Sirãmbadugu, il mena donc son armée à Soghomaya et détruisit sans peine Dusukoya, en tuant Fasiri-Mara, rebelle à Denda-Soghoma. Le Mãsa des Kurãnko n'eut guère le temps de s'en réjouir. Au soir de la bataille, il vint trouver son allié et lui offrit « 7 captifs, 7 boeufs, 7 fusils et 7 boucles en or », en l'invitant à rentrer chez lui. Le Bèrèté lui répondit que non seulement il gardait tout le butin, mais qu'il désirait séjourner à Soghomaya et que son hôte allait le nourrir avec toute son armée aussi longtemps qu'il lui plairait (fin de 1860)
Dans cette troupe inactive, campée en pays conquis, les intrigues allaient bon train et de violentes querelles de préséance opposèrent Sarãswarè-Mori à Tèrè-Yara. Celui-ci considérait le Bèrèté comme son chef de guerre (Kèlètigi) et cette subordination toute théorique pesait au dyula. L'Islam de Sarãswarè-Mori parait avoir fermenté depuis son séjour à Kankan et c'est alors qu'il accusa son allié de l'échec du Konyãnko, « Tous ces païens sont d'accord et on ne peut se fier à eux ». Pensant rétablir sa prédominance, il fit un beau jour assassiner Tèrè-Yara avec la complicité d'une de ses femmes 102. Ce crime parut d'abord payant puisque Nyamori, le frère du mort, ne réagit pas et plaça les guerriers Konaté sous l'autorité des Bèrèté.
La mort de son cousin privait cependant Samori de son principal appui et les Bèrèté jalousaient déjà sa popularité. Il annonça donc que les affaires de son père le réclamaient et obtint facilement son congé. Il ne partait d'ailleurs pas les mains vides, comme en quittant Madina, car il emmenait son cheval et une troupe de cent captifs (début 1861 ?) [1, 5].
Il avait déjà l'intention de travailler à son compte puisqu'il ne s'arrêtera guère à Sanãnkoro, où son père lui remit le troupeau hérité de Masorona. Il publia qu'il était disposé à nourrir tous les jeunes gens qui le rejoindraient et alla s'installer en amont du Milo, à Sokurala. Il s'était fait, l'année précédente, des amis chez les Kamara Sèmõsi, maîtres de ce pays et le village était situé au pied de la chaîne du Gben, où il pensait trouver, à l'occasion, un asile commode. Il n'avait d'ailleurs pas rompu avec les Bérété et il s'employa au contraire, fort habilement, à utiliser leur prestige à son profit. Avec l'aide de ses frères, Kémé-Brèma et Manigbè-Mori, qui l'avaient rejoint, il entreprit de lever un tribut, dans ce district du Haut Milo, comme s'il était l'agent de Sarãswarè-Mori (hivernage 1861).
Il paya cher cette hâte. Des mécontents allèrent se plaindre à Soghomaya et les Bèrèté, furieux de l'abus qu'on faisait de leur nom, et jugeant soudain Samori dangereux, envoyèrent une troupe l'arrêter. Celui-ci fut trahi alors qu'il passait la nuit chez des « oncles » à Dalagbèla 103. Les sofas le surprirent, sous une forte pluie, dans une case où il bavardait avec sa femme Managbè-Sara et ses deux frères. Emmenés à Soghomaya, ceux-ci furent relâchés tandis que Samori, jugé seul responsable, était placé dans un carcan en bois de nèrè.
Sarãswaré-Möri s'était mis en fureur à la vue de son prisonnier et lui avait appliqué sur le front un coup de gourdin dont il allait garder la cicatrice jusqu'à sa mort. Il hésita pourtant à l'exécuter, impressionné peut-être par la prédiction d'un géomancien, selon laquelle Samori lui sauverait un jour la vie. Celui-ci resta donc un mois à la cangue, jusqu'au jour où son vieil ami Denda-Soghoma, dont la haine contre les Bèrèté grandissait, le fit détacher pendant la nuit et lui donna un fusil 104.
Samori fila d'une traite derrière le Gben et demanda asile à Nyama Kamara, le Mãsa du Simãndugu. Comme celui-ci n'osait pas résister aux Bèrèté, il envoya son hôte à Wonituro, un hameau inaccessible, situé en pleine montagne 105. Les sofas de Sarãswarè-Mori l'y suivirent d'ailleurs, et le fugitif dut se cacher dans un grenier plein de gousses de nèrè pendant qu'ils fouillaient les cases du voisinage.
Samori ne demeura pas longtemps dans la clandestinité car la puissance des Bèrèté allait vite révéler ses faiblesses. A l'approche de la récolte, les Kurãnko décidèrent de se débarrasser de ces hôtes indiscrets, mais l'attaque qu'ils lancèrent contre leur camp, à Soghomaya, échoua complètement. Le village fut détruit et Denda-Soghoma dut chercher asile à Kuliya, sur la frontière des Kisi, où il allait demeurer pendant plus d'un quart de siècle 106. Son échec n'était qu'apparent car les Bèrèté, isolés dans un pays hostile, décidèrent bientôt de rentrer à Sirãmbadugu (hivernage 1861). Dès qu'ils eurent renvoyé chez eux les Konaté, ceux-ci montrèrent qu'ils ne pardonnaient pas le meurtre de Tèrè-Yara. Leur nouveau Mãsa, Dyãnka-Tèrè, se cantonna à Sanakoroni dans une réserve hostile et fit des avances discrètes aux Sisé qui lui accordèrent bientôt l'investiture du Gundo. Au même moment, le frère du mort, Nyamori, releva Sèdu de ses ruines et les fortifications qu'il y construisit n'étaient pas dirigées contre le Faama de Madina.
Quelques mois après leur retour du Kurãnko, les Bèrèté ne contrôlaient donc plus que le Gundo occidental, où Nyalè-Mori prenait d'ailleurs ses distances, malgré le voisinage de Sirãmbadugu. Sarãswarè-Mori allait désormais demeurer immobile, en s'employant à fortifier fiévreusement sa résidence, tandis que montaient autour de lui les périls qui allaient mettre fin à sa carrière politique.
Samori n'avait rien retiré de son passage chez les Bèrèté. Il s'était joint à eux, faute de moyens, pour se constituer un premier capital et une clientèle, et voici qu'il devait se cacher après avoir tout perdu. On ne s'étonnera donc pas du rôle qu'il allait jouer dans la destruction de leur hégémonie. Ce but atteint, il fera d'ailleurs preuve de magnanimité envers eux, sans doute par amitié pour son ancien compagnon de colportage, mais aussi pour donner raison au Koroko dont la prédiction l'avait sans doute sauvé.
Notes
1. P. R. O. War Office to Colonial Office C. O. 806/293.
2. Péroz, 1889, pp. 388-389.
Les premiers renseignements publiés sur Samori sont dûs à Gallieni (1885). Il est difficile d'être plus confus. Samori serait le chef du « Moribélédugu » où son père commandait le seul village de Dougourou. C'était un paisible Soninké de religion musulmane, plus adonné au commerce qu'à la guerre… Un de ses anciens compagnons, Mori-Birahim a su se créer une situation à part et vient d'entrer en lutte contre lui ».
Ces renseignements ont été recueillis en 1880 à Nango, au moment où Samori entrait effectivement en lutte contre Sérè-Brèma, Faama du Moriulédugu. Celui-ci est évidemment identique au « Moribélédugu » et Gallieni a bien tort d'expliquer Bélé par « pierre », plus exactement « caillou ». La confusion peut s'expliquer par l'apprentissage de Samori chez les Sisè. Ces données, mal comprises, se sont mêlées aux souvenirs de la campagne de Samori sur le Niger où le chef de Dugura l'hébergea effectivement pendant l'hivernage de 1878.
3. Binger (1892), I, p. 146 Mevil (Samory. pp. 2-4) se borne à reproduire les renseignements de Binger.
4. Delafosse, Haut Sénégal-Niger, II, p. 343. Dix ans plus tôt, dans son Manuel pratique de la langue mandé, Delafosse avait reproduit le texte dyula d'Amadou Kouroubari qu'il avait lui-même inspiré. On y trouve l'affirmation que Samori est né à Sanankoro « d'un Malinké sans renom, et d'une mère Konyãnké ».
« a fa mandenga lo, ar a kiri Laafiya Ture - a be farhande. A na konianga muso lo…» (p 148).
5. Dominique Traoré, « Notes sur Samory », L'Education Africaine, 23eme année, n° 85, janvier-mars 1934, suivi par Ingold (1961). D. Traoré ne nous indique pas ses informateurs et n'écrit pas un récit continu mais des « notes » sur divers épisodes. Ses renseignements sont les moins inexacts publiés jusqu'ici, mais, recueillis loin des lieux, à Sikasso et Bobo, il est naturel que les erreurs y soient nombreuses. La généalogie traditionnelle est réduite à peu de chose et Sa Kamara, rebaptisée Sara est indiquée comme mère de Laafiya. Nous verrons qu'elle est sa grand-mère.
D. Traoré est donc à utiliser avec précaution, sauf pour les événements concernant la région de Bobo
6. Recherches Africaines. Conakry, 1963, n° 1, pp. 3-28
7. Un Turè, l'almami Siré-Hasan, a cependant commandé le Fuuta-Toro au début du XIXme siècle, après la révolution islamique d'Abd-el-Kader; cf. Delafosse et Gaden, Chronique du Fouta Sénégalais, Paris, 1913, p. 102.
Pour les origines de l'Askia Mohammed, le Tarikh-es-Soudan, dit seulement qu'il est appelé « Et-Turi, ou suivant d'autres auteurs Es-Selenki » (p. 117). Delafosse a interprété ce texte en écrivant que l'Askia était un « Soninké de la fraction des Silla nommé Mohammed et fils d'Aboubakar Tourè.» Ceci n'a guère de sens car Turé et Silla sont deux clans Soninké nobles (wago) qui n'ont rien en commun. Les Silla, contrairement aux Turé ne descendent pas de Dinga, l'ancêtre mythique des Soninké. Avant la venue de celui-ci, il y aurait eu des Silla forgerons parmi les Dyinu (diables) qui occupaient le pays. Dans le Wagadu primitif les Silla gouvernaient, il est vrai, l'un des quatre Fado (gouvernement), celui de Daligumbe, mais rien ne prouve qu'il ait inclus des Turè.
Quand Delafosse écrivait son Haut Sénégal-Niger, que tout le monde recopie consciencieusement depuis, il ne disposait pas du Tarikh-el-Fettach dont il publia la traduction avec Houdes chez Leroux en 1913. Or, ce texte tranche la question. Il nous dit que le père de l'Askia Mohammed « avait pour surnom Arloum et appartenait au clan des Silla qui est, dit-on, originaire du Torõ. » (traduction page 114). Les Askia n'étaient donc pas des Turè mais des Silla, originaires du Fuuta-Toro. La mère de l'Askia était, il est vrai, songhoy (fille du chef de Kura, île que Delafosse place en amont de Tombouctou)
Ce document est connu depuis longtemps et Rouch (1953) l'a judicieusement utilisé. C'est pourquoi il est navrant de trouver encore dans un ouvrage d'aussi haute tenue scientifique que A History of Islam In West Africa, de J. Spencer Trimingham (Londres, 1969), la mention de l'Askia Mohammed Turé ibn Abu Bakr (p. 92). Les légendes ont la vie dure.
8. Leriche, « Anthroponymie Toucouleur ». Bulletin I.F.A.N., t. XVIII, 1956, pp. 1-2.
9. Marty (1920), t. IV, pp. 23 sq., 208 à 237 sq. De la région de Kayes le nom a été diffusé vers le sud puisqu'on le trouve chez les Malinké du Kõnkodugu (Delafosse, H.S.N., T. III, p. 98).
10. C'est par erreur que Lavergne de Tressan (1953) écrit qu'ils parlant encore soninké (p. 170). La « langue marka » n'est qu'un dialecte du bambara.
11. La meilleure synthèse pour le Sud-Masina reste la monographie classique de Monteil, Djenné (1932) On la complétera par Marty (1920), t. II, pp. 135 sq., et le livre de Ba et Daget (1957).
On trouve aussi des Turé chez les Nono dans le canton rural du Pondori voisin de Djenné. La plus grande concentration du clan est dans la ville même de Djenné, où une partie des Turé sont des cordonniers castés. Parmi eux Marty signale des personnalités ayant fait le pèlerinage dès la fin du XIXme siècle, comme El Hadji Bubakar Turè et El Hadji Baba Turè dont le voyage dura dix-huit ans.
Le chef de la ville de Mopti était, vers 1920, Amara Banya Turè, « métis de Songhay et de Malinké ».
12. On trouve les Fõndyo dans la région d'Odienné. Les Samakè, particulièrement nombreux autour de Bougouni et dans le Konyã oriental ont également l'éléphant pour tana. Il en résulte une tendance à s'identifier aux Turè.
13. Particulièrement autour de Forécaria, chez les Susu. Par contre, peu nombreux chez les Kurãnko, ils sont limités au noyau musulman du Nyumamãndu (Kissidougou).
14. On en trouve en pays Sénufo surtout dans l'enclave dyula de Kolya (près de Boundiali, Côte d'Ivoire), venus au XVIIIme siècle de Djenné et en grande partie assimilés au milieu. Ailleurs, chez les Sénufo et chez les Kisi, il s'agit surtout d'une équivalence de dyamu.
Chez les Dagomba et les Bariba, les Turè sont généralement d'origine songhai ou zerma. Lombard signale qu'ils détiennent en pays bariba les petites chefferies de Wawa (Nigéria) et de Tunru (Bénin, ex-Dahomey), cf. Lombard, « Les Bariba du Nord Dahomey », B.l.F.A.N., 1957.
Reste l'ensemble songhai-zarma où les Turè sont nombreux. Selon Rouch, ce nom s'applique essentiellement à des « musulmans et Arma descendants des Marocains », donc à des éléments venue de l'amont du fleuve. Ils joueront un rôle notable dans l'expansion des Zerma à travers la boucle du Niger dans la seconde moitié du XIXme siècle. C'est l'un d'eux, Mori Turè qui lancera la « guerre sainte » dans le Tagwana et le Djimi puis fondera le gros centre de Marabadyasa (Côte d'Ivoire, cercle de Bouaké), cf. Rouch, Les Songhay (1952) et « Migrations en Ghana », J.S.A., XXVI, 1956. Ci-dessous, 4eme Partie, Chapitre VII et 2eme Partie, Chapitre II.
15. A titre d'exemple, Turè est considéré comme l'équivalent chez les Kisi du dyamu de Tolno et chez les Sénufo de celui de Tüo.
16. Le python est le tana de Samori. Marty (1920) a bien vu, contrairement à Arcin (1907) suivant Binger (1892) que le tana garde son importance en milieu islamisé. L'observation de Delafosse (H.S.N., 111, p. 109) parait très localisée.
La deuxième caractéristique du dyamu, la sénãnkuya, parenté à plaisanterie ou, mieux, alliance cathartique selon la terminologie de Griaule, est extrêmement particularisée. Chaque lignée a la sienne et on ne peut en parler de façon générale pour les Turè.
17. Ch. Monteil, « La légende du Ouagadou et l'origine des Soninké » (1953).
18. Il est aussi appelé Mãndyã Lagaré Turè. C'est le seul Mãga de ce noms, tous les autres étant des Sisé, comme plus tard les souverains (Tunka) du Ghana. Rappelons que les Tunkara (ou Samura, Dukurè, Dyerisa) ne se rattachent pas, comme on l'écrit souvent, au clan du Tunka (« Empereur » du Ghana) mais à celui des kusa ou chefs captifs
19. Delafosse, H.S.N., t. Il, 68-69. Monteil (1932), pp. 27-28, Marty (1920), ll, pp. 190 sq.
20. Il ne m'a malheureusement pas été possible de me rendre dans cette région éloignée. On ne dispose d'aucune donnée sur les Turè de Dyindio et les traditions qu'ils peuvent conserver. Dominique Traoré (1934) signale le voyage qu'y fit en 1901 le griot Tènèna-Misa rentrant du Gabon pour annoncer la mort de Samori. Les autorités françaises le poursuivront pour agitation politique.
21. Traduction Defremery et Sanguinetti (1927), IV, pp. 394-395.
22. Marty (1920), t. II, p. 136.
23. Barth, Travels (Londres, 1858), T. 1, p. 471.
Signalons au passage que Turè est le nom de l'une des tribus païennes paléonégritiques refoulées sur le plateau Bautchi. Elle compte environ 16.000 membres. Il s'agit vraisemblablement d'une simple coïncidence onomastique.
24. Labouret, La langue des Peuls ou Foulbe, (1952).
25. Ibn Battuta, atteste au XIVme siècle cette tendance à baptiser Turè les éléments d'origine blanche et les premiers noyaux musulmans (mandé en l'occurrence) qui apparaissent à la même époque en pays Hausa. Il ne parait donc guère possible de faire remonter plus haut l'adoption de ce mot. J'ai tendance à la situer au XVIme siècle, au moment où les Askia se sont efforcés de vassaliser les Etats Hausa, ou même XVIIme siècle quand le processus d'assimilation des éléments maghrébins battait son plein sur le Haut Niger. Il en sera question ci-dessous.
Dans un récent article, Jeffryes suggère un ancien usage de la racine tur pour désigner les Arabes en pays hausa et, par voie de conséquence, les plantes qu'ils avaient introduites à haute époque. Les thèses de l'auteur en matière d'ethno-botanique sont très controversées et je ne m'aventurerai pas sur ce terrain. Rien ne prouve, en tout cas, l'usage ancien des noms de plantes cités. Quant aux populations voisines qui emploient la racine tur pour désigner les Blancs (Nupé-Kapa, Eve, Kambali, Nuru, Moni), elles l'ont vraisemblablement empruntée aux Hausa. Il faudrait ajouter à cette liste les Kanuri qui sont de loin les plus importants.
Rappelons, pour terminer, qu'on a voulu parfois expliquer tur par le nom de la ville de Tyr qui aurait été généralisé pour désigner tous les Syriens. (Cf. M.D.W. Jeffryes, How Ancient is West African Maize?, Africa, Vol. XXXIII, n° 2, April 1963).
26. Rouch (1954), p. 33.
Marty (1920), t. II, signale qu'à Buguber, village de la rive droite voisin de Goundam, les Turè se disent descendants dun Zénaga, Alfa Mohammed Turè, conseiller de l'Askia Mohammed.
27. Sauf les familles à prétentions chérifiennes, qui ont en général adopté le dyamu Haidara à Tombouctou et sur l'axe du Haut Niger. La diffusion de ce dyamu semble provenir de la fuite à Tombouctou du marabout marocain Ali-ben-Haidar vers 1670. Cf. Delafosse, H.S N, 1, p. 247.
28. Marty (1920), t. II signale Mamadu Turé descendant d'Arma Serifi, chef du quartier Sankorè de Djenné. Le nom de ce quartier marque, bien entendu, l'influence de Tombouctou.
Plus au sud-ouest, Pageard (1961. p. 80) signale des Turè originaires de Djenné établis à Tõngé, près du Bani, comme marchande d'esclaves (galo). Le Bani limite plus ou moins les paléonégritiques Bobo et Sénufo (minyanka) qui ont toujours été un gibier licite pour les esclavagistes musulmans. Les Turé s'occupaient sans doute de les expédier par le fleuve vers Tombouctou.
29. Marty (1920), t. IV, pp. 65 sq. Nous aurons à reparler de ces Turé à l'occasion des événements de 1883. Tout récemment, Meillassoux nous a livré de nouveaux éléments sur ces lignées, dont un bon article sur le kafu de Bamako (C.E.A., n° 14, 1963). Ses hypothèses chronologiques sont malheureusement peu fondées.
30. Ici encore le snobisme joue, mettant en jeu les équivalences de nom et menant à l'assimilation. C'est à ces Masna que fait allusion la Chronique de Oualata et de Nema (Marty, Revue des Etudes Islamiques, 1927, III et IV), à propos des guerres entre les Bambara de Ségou et du Kaarta. C'est par un contresens que Tauxier y trouve la confirmation de sa théorie sur l'origine des rois bambara en qui il voit à tort des Peuls du Masina. Cf. Tauxier, Histoire des Bambara (1942), pp. 112 sq.
31. La chose est cependant possible dans quelques familles dont on peut tracer les origines jusqu'au XVIIme ou XVIIIme siècle. Même en ce cas, la proportion de sang maghrébin est actuellement infime puisque l'ancêtre est toujours venu seul ou presque.
Le Tarikh du griot de Téliko, près de Kankan, publié par Humblot (« Du nom propre chez les Mandé »), B.C.E.H.S.A.O.F, 1918, pp. 519-540) ne nous fournit aucun élément positif mais illumine la mentalité des milieux islamisés. Il écrit :
« Qui peut dire je suis « touré », cela veut dire « avare ». C'est le nom propre d'El-Hassan, fils d'Ali, fils d'Abou Motaleb. Ils sont chorfa. Qui peut dire je suis touré » (il y a deux nations de touré), c'est le nom du regard de l'envoyé de Dieu (Nadharu'inda rasulu' llahi). »
32. Mã n'est en effet qu'une contraction de magã, variante du vieux titre soninké que nous avons rencontré plus haut et qui subsiste en susu sous la forme mãga. Magã-dyã signifie donc « le seigneur long (dyã) » alors que magã-dyu est « le seigneur mauvais » (méchant).
Les autres noms de la généalogie suscitent peu de commentaires.
Fabu: « le père qui grandit » (qui se répand) est un équivalent habituel de Brèma (Ibrahim).
Slilmagã = silama-magã = « le chef musulman ».
Fèrèmanãño = fèrè est le nom qu'on donne aux enfants nés en criant (fèrè: « cri »). Manãdo signifie « l'homme de la brousse » (mana = végétation sauvage).
33. Les clans fondamentaux de Sidikila sont au nombre de trois. Le troisième est représenté par la lignée, plus récente, qui descend de Fundo Dumbuya (Kuruma).
Jusqu'à ce jour les marabouts du village sont des Turè, descendants plus ou moins directs de Sidiki. Depuis l'islamisation totale du village, qui a eu lieu vers 1940, ils fournissent l'lmam, le chef étant bien entendu un Kèita
Informateurs : Mori Turè [249] et Moribadya Kèita [250] de Sidikila. Sidiki (ou Siliki) venant de l'arabe acciddiq « le véridique », est l'équivalent habituel de Bakari (Abu Bakr).
34. Entre Niger et Sãnkarani, les frontaliers maliens et qui guinéens se disputent les placers, ce qui provoque des incidents à chaque saison sèche, quand le travail d'orpaillage reprend. Ils ont eu une certaine gravité au début de 1957.
35. Ce renseignement provenant des griots de Kèla m'a été transmis par M. Bakari Kamian, que je remercie de son obligeance.
36. La généalogie a été reconstituée à l'aide d'informateurs provenant à la fois de l'entourage de Samori [1, 2, 3, 4, 5, 6, 10] et des milieux dirigeants d'Odienné [376, 386, 388, 390]. Bien qu'il n'y ait eu aucun contact récent entre ces deux groupes, le nombre des générations concorde remarquablement.
37. Dans le sens d'une parenté génétique, Le Champion a voulu invoquer le type soudanien caractéristique des Turé : grands, maigres, au mollet allongé.
En fait, si ce type, que la personne de Samori illustrait fort bien, se rencontre dans le Konyã comme à Odienné, il est loin d'être universel et il est au moins aussi fréquent chez les Kamara parents maternels de Samori, que chez les Turè.
38. C'est seulement Kémé-Brèma, dont Sidiki serait le trisaïeul qui quitta Sidikila. A trente ans par génération, il serait né vers 1710. On a vu que les Turé d'Odienné étaient essentiellement des tisserands alors que cette profession est mal attestée dans la lignée de Samori [376, 386].
39. Si-turu: « mise en terre de semence ».
40. Biñ-ko: « Rivières des herbes ». Le village n'avait que 173 habitants en 1958.
41. Feramani, à la tête de ses guerriers demanda à Tyèni (« petit homme ») s'il voulait la paix ou la guerre. « Je veux la paix, si tu épargnes les miens, tu auras ma bénédiction ». Ils sacrifièrent alors un dafe (cheval blanc ou gris clair) pour sceller leur alliance. Tyèni signala alors à Faramani une fumée sortant d'une caverne au flanc de la montagne de Biñko. Une embuscade permit de capturer des Bambara. Ils parlaient une langue incompréhensible et portaient une queue. Ils en avaient honte et se cachaient depuis l'arrivée des Turé. Ceux-ci les débarrassèrent de leur queue par un maraboutage et ces Bambara, qui prirent le nom de Kondé, sont les ancêtres d'une partie des habitants du Gbèrèdugu [10].
Le thème des autochtones dotés de queues est assez fréquent et on peut le rationaliser en songeant à une ficelle de cache-sexe retombant sur les reins.
42. Leur influence sur les Kisi sera assez nette pour généraliser l'équivalence Tolno = Turè.
43. Fofana Kalil, 1963, p 7. Cet auteur a recueilli une généalogie de Samori, plus courte et assez différente de la mienne. Celle-ci étant confirmée par cinq informateurs sérieux, je la crois préférable et je m'y tiendrai.
Une prospection intensive des traditions du Moréa permettrait peut-être d'obtenir quelques précisions sur Samori-Fiñ. Pour Fofana Kalil, ce dernier serait né à Biñko, mais nous ne pouvons le suivre sur ce point.
Mori Sulèmani Dem [14], qui est médiocre quand il n'est pas témoin oculaire, a dicté à son fils une légende confuse sur les origines de Samori. Selon lui, l'Almami porterait le nom de son grand-père, Ladyi Sanamori, un savant marabout de Djenné qui fit le pèlerinage de La Mecque avant de se fixer à Tyèrè du Minyanka et d'aller se marier à Nyalèmoridugu, dans le Gundo. Il y aurait épousé Téné Koné, fille du roi Binko-Mori et leur fils Lakhefiya y serait demeuré, sous la protection d'Amara Koné, fils de Binko-Mori. La mère de Samori serait Sogona, fille de Dyoman, chef de Gbankuna ».
Mori-Sulémani n'a jamais visité le Konyã et il présente ces éléments de traditions dans un tel désordre qu'on ne peut les utiliser, même si certains sont authentiques.
44. A trente ans par génération, Fabu serait né vers 1880 et son départ pour le Konyã pourrait se situer peu après 1700. Nos informateurs [1, 2, 3, 5] racontent qu'il arriva à Kofilakoro en l'absence de Sirikiyo et fut hébergé provisoirement par Fèrèba Sariyo. Quand le chef rentra, il demanda au marabout de soigner son enfant qui souffrait d'un ulcère. Le traitement ayant réussi, le guérisseur épousa sa malade.
Le Blamana, domaine des Koné et le Bãmbadugu, qui appartient aux Kamara, sont les kafu les plus septentrionaux du Konyã. Le premier, qui est le plus ancien, se partage la rive ouest du Dyõ avec le Boñyana. Son principal village, Kofilakoro avait en 1958 737 habitants : c'est un gros centre à l'échelle de la région (canton de Simandugu, Beyla)
45. Manyãmbaladugu s'est reconstruit vers 1900, trois kilomètres à l'ouest de son emplacement du XlXme siècle. C'est un hameau d'une centaine d'habitants, rattaché au village administratif de Sokodugu (621 habitants: Simãndugu-Beyla) Ce village fait partie, coutumièrement, du Bãmbadugu peuplé par des Kamara de lignée Fãndyarasi, installés dans le courant du XVIIme siècle. Trouvant les rives du Dyõ occupées par les Koné, ils se sont accrochés au revers oriental de la chaîne du Gben.
Les habitants de Manyãmbaladugu et Sokodugu (Sekamandu) ne sont cependant pas Fãndyarasi. Ce sont des Feñsémenési venus plus récemment de Losèzo (Talikoro) dans la vallée du Milo. Le fondateur s'appelait Manyãmbala Kamara [4].
Ma-Nya = nom donné à un enfant dont l'accouchement a été difficile. Les musulmans en font l'équivalent de Musa.
Makèsa et Yaba sont les seuls noms animistes que nous trouverons parmi ces Turè. Ma-Kèsa vient de Kèsa (hardi). Ya-Ba de Ya = troisième enfant (mâle ou femelle) et de ba = « grand ».
Le sens de férè, « cris » a déjà été signalé. Ici, pour la première fois, nous voyons paraîtra le préfixe konianké va = père, qui se substitue au malinké fa = père (Fabu).
46. Kerfa, contraction de karifalla. De l'arabe kalafullahi, « confié à Dieu », selon Delafosse (1955, p. 334).
47. Sà: « mort » est le nom donné à un enfant dont la mère est morte en accouchant ou au survivant de deux jumeaux. Sa Kamara, fille de Kãn-Brèma était une petite-fille de Fawu qui, d'après la tradition, fit la guerre jusqu'à la mer en territoire libérien. Son nom est une variante régionale de Fabu.
48. La Samori-Fiñ qui aurait émigré en Mèlakori, selon Fofana Kalil, serait un frère de Samori-Gbè, et certainement utérin.
Voici donc qu'apparaît le nom de notre héros. Pour DelaFosse, Sà serait un préfixe de respect et Samori signifierait « son excellence Mori ». Cette explication n'est guère défendable.
Sà ou Masa étant un prénom féminin assez fréquent, les Samori étaient assez nombreux au Konyã d'autant que les noms tendent à se répéter toutes les deux générations dans une même lignée. Les Samori se trouvaient donc dans des familles musulmanes comme le marabout Samorikuru de Kolédu, mais aussi dans les plus grandes lignées animistes. C'est ainsi que le troisième fils du légendaire Fèren-Kamã, ancêtre des chefs du Gwana s'appelait Samori le long - = Va-Samori-Dyã.
Samori sera simplement baptisé en souvenir de son grand-père que avait le teint rougeâtre, d'où le surnom de Gbè (blanc ou clair) = Samori-Gbè.
Mori qui signifie « musulman » ou « lettré » est une forme méridionale et correspond à Mudu en malinké du nord, de Siguiri jusqu'à Kita. Cela explique que les Français aient d'abord connu le conquérant sous le nom de Samudu « Samoudou » et que des variantes de cette forme aient été jusqu'au bout en faveur chez les Britanniques de Sierra Leone : Sarmadoo (le r dans l'orthographe créole sert à allonger la voyelle).
49. dyãnka signifie « bâtard » et il est curieux que ce terme soit fréquent dans l'onomastique du Haut Milo et il s'agit sans doute d'un nom dépréciatif destiné à détourner les esprits malveillants.
Dyãnka Kamara, fille de Fadima-Kisya, petite-fille de Fenwonya appartenait à la plus grande famille du Bãmbadugu : celle des chefs de Lenko (lignée Fandyarasi, segment Séribasi). Manãnkolo, chef d'Usudugu, qui était déjà considéré comme le doyen des Kamara, et le principal chef du Bãmbadugu, était son cousin. Son rôle sera décisif lors des débuts de Samori.
Lenko (640 habitants) et Usudugu (450 habitants) font partie du canton de Simãndugu auquel l'autorité française a rattaché arbitrairement le Bãmbadugu (Beyla, Guinée).
50. Selon [1] quand Samori se présenta à Sérè-Bréma, celui-ci dès qu'il l'eut identifié, lui dit: « C'est toi le fils de Laafiya qui a beaucoup de boeufs » [4] prête les mêmes paroles à Sarãswarè-Mori quand il recruta Samori comme chef de guerre.
51. Dyigbè est visiblement le Guigoué de D. Traoré (1934). Cet auteur dit que Samori y sacrifiait alors que nous verrons l'Almami se donner le plus grand mal pour empêcher son père de célébrer ce culte. D. Traoré nous raconte en outre l'étrange histoire du caïman bossu « Bogoundoun », génie protecteur des Turè venu en leur compagnie du lac Débo au Milo. La capture de ses femelles livrées par des Bozo à Samori provoque sa colère. Il organise une coalition des génies du terroir pour attaquer Guigoué qui s'obstine à protéger Samori, La mort de Guigoué entraîne la chute de l'Almami. Je n'ai pas pu trouver trace de cette légende. « Bogodoun » parait actuellement inconnu comme génie à Kerwanè. C'est probablement une déformation de Boodou, l'un des plus gros villages konaté du Gundo (cercle de Kankan). Une fois de plus, D. Traoré écrivant loin d'une région qu'il ne connaît pas, semble avoir commis certaines confusions.
52. Laafiya ou Laghafiya, de l'arabe Lafiyat, « dispos » Dyaa lui sert souvent d'équivalent.
53. Ma-Soro-Na, de Soro : « acquérir » ?> « mère (femme) reçue » (Delafosse, 1955, p. 684) Il semble bien que c'était le véritable nom de la mère de Samori et non un « surnom donné à une femme qui vient d'avoir son premier enfant » (ibid.). Humblot interprète sorhona (= soghona) comme dérivé de l'arabe sakana = demeure, être tranquille. Ce nom est donné par les Peul à la première épouse qui doit demeurer dans la case du mari et en sortir le moins possible » (1919, p. 419). Nous ne pensons pas que cette explication soit valable ici bien que la mère de Samori fût la première épouse de l'éleveur Laafiya qui fréquentait assidûment les Fula du Konyã. La prononciation parait d'ailleurs différer. Dans le cas qui nous intéresse, elle est souvent contractée en Soona.
54. Fãndugu, sur le versant occidental du Gben, est dans le Talikoro (« sous le tali » = erythrophlÅ“um guineense). Ce kafu, à cheval sur le Milo, en aval de Kerwanè, est encadré à l'est par la chaîne du Gben et à l'ouest par la falaise impressionnante du Tintikuru. Il est occupé par des Kamara Fenséménési (segment Sébrèmasi) parents de ceux du Konyãnko (segment Sétumãsi) Masorona était donc une « petite nièce » de Sà, mais elle provenait de la branche la plus pauvre du lignage, éparpillée en petits hameaux sur les terrains rocailleux du Gben. Fãndugu a disparu. Les descendants de ses habitants se trouvent à Kundyã (408 habitants, Kerwanè, Beyla, Guinée).
Rappelons que Manyãmbaladugu est occupé par une autre lignée de Sébrèmasi.
55. Kolèdu, village en ruine situé 1 km. 5 au nord de l'actuel Kèrwanè
Cette tradition [1, 2] affirme qu'il fut baptisé d'après le nom de Samorikuru. L'opinion générale est qu'on lui attribua, conformément à la coutume, le nom de son grand-père Samorigbè. Il n y a pas d'incompatibilité car le choix de Laafiya a pu être confirmé par la bénédiction de Samorikuru. Celui-ci est un personnage parfaitement historique et fort connu dans la région. Par contre, tout s'oppose à la version de Dominique Traoré qui nous raconte que Samori enfant s'appelait simplement Mori mais fut confié conformément à la coutume à une coépouse de sa mère, Masako. On aurait donc dit Masakomori, contracté ultérieurement en Samori. Masako est absolument inconnue de la tradition locale à moins qu'il ne s'agisse de Masaran Konaté, qui se serait effectivement occupé de Samori à un moment donné. Elle n'est certainement pas à l'origine du nom de Samori. Cf. D. Traoré (1934).
56. Laafiya donna au Koroko un boeuf en paiement.
Selon Kalil Fofana (op. cit., p 7), le sacrifice de 7 coqs et d'un bélier annonçait la souveraineté d'où l'opposition des gens de Sanãnkoro. La permission d'y procéder fut alors accordée par les Kamara de Fãndugu, « frères » de Masorona.
L'informateur de Kalil Fofana situe l'anecdote alors que Samori était « un garçonnet déjà trop éveillé pour son âge ». Je me fie à Bangali Kamara [4] pour qui ce sacrifice est un prélude à la naissance.
57. Il est souvent appelé Morifiñ-Ba (le grand Morifiñ) ou par respect, Sosabali (celui qu'on ne peut contredire). Avant lui, la grande famille maraboutique de Nyõsomoridugu était une lignée Fofana
58. Voir Appendice I, chronologie.
59. Cette série de naissances inclut au moins celles de Nyumomori, de Kémé-Brèma, de Masarã-Mamadi et de Manigbè-Mori. Elle est vraisemblablement à l'origine de la tradition rapportée par D. Traoré, op. cit., selon qui Laafiya avait épousé huit femmes sans avoir aucun entant avant Masorona. Dès que celle-ci eut accouché de Samori, les autres se trouvèrent enceintes.
En fait, la tradition orale de la famille qui est très solide et que je préfère, assure que Masorona fut la première épouse de Laafiya. Ce dernier aura cinq épouses avant d'atteindre la soixantaine, ce qui est d'ailleurs considérable pour le Konyã et suffit à en faire un notable.
Masorona, en dehors de Samori, n'eut qu'une fille, Masa. Celle-ci parait avoir eu dix à quinze ans de moins que son frère qui lui porta toujours une grande affection. Elle épousera un marabout du Torõ, Madigbè Dyabi, et ses enfants joueront un certain rôle dans l'entourage de leur oncle.
60. Nyalèmoridugu (Gundo, cercle de Kankan), 328 habitants, près de la route Kankan-Kèrwanè.
61. Sur le Ntomo et les autres Dyo. ainsi que sur le Djo, voir 1 - Partie, Chapitre II, C, 4, b à e.
62. Kalil Fofana, 1963, p. 7.
De gba, « priver, accabler » (Delafosse, 1955, p. 257). Le Tyégbana prive les autres de leurs biens. Delafosse traduit aussi ce mot par « célibataire », mais Je n'ai jamais remarqué ce sens,
Selon Kalil Fofana, « Samori-ni-kõtè », mot à mot: « Samori, cette sauterelle » (dévastatrice). Delafosse, 1955, p. 383).
63. Pour la chronologie, voir Appendice I.
64. Fofana Kalil, p. 8.
65. Pour toutes ces routes, voir ci-dessus, 1ère Partie, Chapitre III, E et F.
Vers le pays Toma, Samori est signalé à Lofèro, Dyaradugu, Dyorodugu, Macenta, Kabalo et Bakédu (Libéria). Il traversait donc régulièrement les montagnes boisées de la Dorsale [17, 50, 52, 54, 53, 55].
66. Le Konyãnko, patrie de son arrière grand-mère Sa Kamara. Le Mãndugu commandé par la fraction aînée de sa lignée maternelle.
67. On le signale à Soghomaya, chez Katsyãn-Tèrna, à Lèro (Nyumamãndu) enfin à Mara, chez les Kisi du Farmaya où les Savané n'étaient pas encore établis [102, 104, 144].
68. En direction du pays Guerzé à Beyla-Dyakolidugu, au coeur du Konyã proprement dit, et à Boola, sur son revers forestier. Nous savons en revanche qu'il n'a jamais été dans le Karagwa [20, 26, 28].
69. En direction du pays Dã, au vieux marché de Fwala, situé au coeur des monts du Farana, ensuite à Gbèsoba et dans le Mau au gros marché de Wanino, à Mãndu et Dyomãndugu, enfin à Byãnkumã, au sud du Bafiñ, le premier village Dã (1.129 habitants, canton de Gan, subdivision de Man, Côte d'Ivoire) [42, 47, 442, 450, 449, 470].
70. On le signale en direction du Fuuta-Dyalõ à Tinti-Ulé, Kankan, Binko (village de ses ancêtres), Balato (gué du Niger), Kouroussa, Banko (au pied du massif du Wulada), Tumaniya (sur le Haut Tenkiso) [74, 87, 84, 195, 194, 198. 201]. Il remontait ainsi jusqu'au fleuve la route historique suivi par la pénétration malinké aux XVme et XVIme siècles, puis abordait les pistes de la mer par l'itinéraire septentrional.
Dalanya et Moribaya sont sur une bretelle de cette route par le Sankarã-Basãndo [88, 90].
En direction du nord à Norasuba, sur le fleuve et à Didi du Buré [221, 256].
En direction de l'est et du nord-est, il aboutissait à la zone intermédiaire à travers le Wasulu par Dyalakuru (Dyétulu) et Yanfolila, abordant le pays bambara à Ntèntu et Bougouni [342].
La richesse en bovins du Wasulu explique les visites au Gbãndyagha (Solomanina, Zambala) et au Kusã (Basaribèdyi) [361. 362].
Enfin, en direction de l'est, suivant une rocade perpendiculaire aux grands axes nord-sud, on le signale à Madina des Sisé, à Gbèlèba, à Maninya, à Togobala (Worodugu), à Mahandugu du Barala et puis à Samatigila et Odienné chez ses congénères Turé [392, 396, 360, 44, 425]
71. Il ne dut pas aller souvent à Timbo car le grand marché du bétail était à Banko dans le Wulada ou se rencontraient les bouviers descendant du Fuuta et les dyula arrivant de l'est [1981.
Dans le Wasulu on nous dit que Samori s'arrangeait pour faire les marchés du Gbãndyagha et du Kusã dans la même semaine. Il vendait ses kolas le dimanche, jour de marché, à Solomanina. Il allait ensuite à Zambala et le mercredi suivant, il était au marché de Basaribèdyi [351, 352].
72. Les localisations à Tumsolya et Timbo, sur la route du Fuuta-Dyalõ sont acceptables [201, 8]. Celles de Farana, et à plus forte raison de Banyã et Mafindi-Kabaya [211, 275], sur la route directe de Sierra Leone, le sont également. La mention isolée de Falaba (Solimana) [10] est suspecte car elle parait contredire les déclarations à Festing (pour celles-ci, P.R.O., Co 806-308).
Les traditions rejetées sur les voyages à Freetown [8, 10] avaient paru un instant confirmées par les rapports de Lawson, interprète du Gouvernement de Sierra Leone (cf. mon article : la jeunesse da Samori. 1962. p 168).
73. Sur les hiérarchies commerciales, voir plus haut, 1ère Partie, Chapitre III.
74. Diverses traditions signalent: Kõndé-Mori Bèrèté de Sanakoroni (Gundo, cercle de Kankan) [170], Dyèli-Moridyã Dyubaté, de Sanãnkoro (Talikoro) (cercle de Beyla) [1, 51] Kèlèmisa Samaghasi, de Gwentégéla (Mau, subdivision de Touba, Côte d'Ivoire). L'amitié de certains d'entre eux le servira dans sa carrière politique. C'est ainsi que Kèlèmisa contribuera en 1883 au ralliement du Mau [462].
75. Cette prédiction serait le fait des Koroko Sumauru de Ntèntu (Kurulamini, cercle de Bougouni) [12]
76. Bamadyègbè résidait à Dyaradugu (Mãndugu, cercle de Macenta, Guinée) où le dyatigi de Samori était son neveu, Musokura-Kasya, lui-même futur chef [50].
77. Il ne reculait devant aucune querelle, aucun danger, ne se plaignait d'aucune souffrance et prenait volontiers le parti des dyula dans toutes les discussions. Aussi se fit-il aimer par tous ceux qui voyageaient avec lui. Il ne fit pas grande fortune. [5].
78. Il semble avoir souvent voulu imposer ce qu'il estimait être le juste prix [1]. On cite de ce fait des bagarres qu'il aurait déclenchées à Fwala (canton de Farana, cercle de Beyla) [42] et à Ntèntu (Bougouni) [12] pour un désaccord sur le prix des poulets. Il rappellera plus tard qu'on lui avait volé un bouc à Bougouni [12], et un taurillon à Sarèya (Balèya, Kouroussa) [197]. Inversement, une anecdote qui n'est probablement pas forgée de toutes pièces, montre qu'il gardait le souvenir des bienfaits. On dit qu'il s'était rendu à Moribaya (Sãnkarã, Basãndo, Kankan) pour réclamer une dette. Il arriva de nuit sous une pluie battante et descendit chez le griot Söri-Kamiso qui lui prêta une natte. Plus tard, comme il dormait, le jeune frère du griot qui recevait des filles entra dans la case pour prendre la natte. Surpris de voir un étranger, il la lui arracha brutalement et le laissa sur le sol nu. Cependant, Söri-Kamiso avait eu un rêve annonçant la puissance future de son hôte. Il se leva, le trouva découvert et l'entoura de sa couverture. Au matin, très en colère contre son frère, il fit cadeau de la natte à Samori, le nourrit généreusement et l'accompagna hors du village. Quand Samori conquerra le Basãndo, il convoquera Söri-Kamiso qui, très inquiet, ne viendra qu'au second appel. Samori lui rappellera alors son bienfait et lui confiera le commandement de la région. Söri-Kamiso gardera ce poste tant que durera la puissance de Samori au scandale des grandes familles Kõndé du pays [1].
Il est vrai que Samori confia à un Kõndé l'ensemble du Basãndo. Mais ici encore une anecdote nous apprend qu'il récompensait un bienfait. Farãntumani Kõndé, chef de Gbalako, aurait en effet puni une vieille femme qui avait frappé le jeune dyula de passage [88]
Dans le même esprit, on nous raconte à Mãndugu (Barala, Touba, Côte d'lvoire) que Samori arriva un jour à la nuit tombante sous la pluie. Budawen, la femme du chef, le recueillit et lui donna une couverture pour la nuit. Au matin, son mari fit cadeau de la couverture. Samori, devenu puissant, fera venir auprès de lui Vadro Dyomãndé, fils de Budawen, qui le suivra jusqu'en 1898 [424].
79. Samori subit aussi l'influence d'un personnage beaucoup moins renommé, le marabout Vãsumana Dukurè de Musadugu (Konyã), qui était également son dyatigi [1, 22].
80. Plusieurs versions contradictoires existent sur le lieu où Samori apprit la catastrophe. Selon mes meilleurs informateurs [7, 3], il achetait des kolas au gros marché Toma de Kabaro sur la frontière libérienne (Koodu).
Selon d'autres [5, 7, 11], il se trouvait à Dyorodogu, qui est l'étape principale entre Kabaro et Loféro. On ajoute qu'il aurait marché deux jours sans trêve pour rejoindre son père, ce qui correspond mieux à la première localisation (75 kilomètres au lieu de 35). Un autre informateur le situe à Kuliya, dans le Kurãnko oriental [102].
Dèm [14] parle de Gorla (Ngorla) dans la Forêt.
Selon l'informateur de Kalil Fofana, Samori se trouvait à Banyã dans le Kurãnko central (cercle de Farana). c'est-à-dire sur la route de Kisi au Fuuta-Dyalõ. Il lui aurait fallu alors au moins une semaine pour rentrer (1963, p. 9)
81. Des informateurs assez médiocres [2, 7] situent cette rencontre à Sanãnkoro. Selon Kalil Fofana, Laafiya s'était réfugié à Sogrendugu près de Farãnkonédugu, dans le Torõ (plus précisément le Namisana). Je n ai pas pu identifier ce village et ce renseignement parait suspect. Les Konatè venaient justement de se soumettre aux Sisé et ne pouvaient guère offrir refuge à leurs victimes.
Findugu (510 habitants en 1958) : 1 kilomètre ouest de Dimadu, 2 kilomètres sud-ouest de Loféro. Sanãnkoro fut sans doute la première étape de Laafiya dans sa fuite. Nyumakèñyi, l'une de ses épouses en était native et y avait un frère, Tènèma Kamara, alors fort influent. C'est en tout cas à Findugu, chez ses « oncles » que Laafiya résida pendant les années que passa son fils chez les Sisé [1, 3, 5, 15].
82. Ici encore les divers informateurs ne concordent pas entièrement. Selon [1], Laafiya aurait reproché à son fils son amour de l'argent, car s'il ne voyageait pas sans cesse, il aurait pu sauver sa mère.
Selon [3], Samori s'indigna que son père ait pu sauver quatre épouses et la plus grande partie de son troupeau mais non Masorona. Il l'accusa de négliger sa mère et de préférer ses autres femmes. Il lui aurait alors demandé les boeufs nécessaires pour racheter la captive, mais le père aurait refusé en affirmant que les Sisé garderaient le bétail sans rendre la femme. « Ils sont trop forts. Il faut attendre la volonté de Dieu ».
Selon [4], Laafiya venait de payer une dot pour marier Samori et il exigea que les noces aient lieu, ce qui interdisait le voyage de Madina. Samori refusa et suggéra de marier sa fiancée à son frère Sumbu. Ce dernier n'accepta pas et il fallut négocier pour rompre les fiançailles.
83. L'erreur la plus grave consiste à confondre Burlay avec Mori-Ulé, mort depuis au moins huit ans et à ignorer le règne du frère aîné de Sérè-Brèma. Ce dernier est alors considéré comme Faama, Burlay n'étant que son premier ministre. On a vu que la réalité était exactement l'inverse.
Comme Burlay est appelé « Karamo Moriulen », il est possible que la confusion soit double et intéresse aussi un parent des deux Faama, Karamogho Madisé, qui sera également un protecteur de Samori et finira par se rallier à lui. Cet homme de religion s'occupait d'ailleurs des affaires judiciaires et pourrait être qualifié, avec quelque abus, de premier ministre.
84. Comme un sofa avait droit à la moitié ou au tiers des prises, il fallait que Samori capture de 14 à 21 personnes pour parvenir à ses fins. Selon Dèm [14], deux des captifs qu'il prit alors, Mèkuma et Faduga, allaient être parmi ses premiers compagnons de combat.
Selon Babu Kondé [8], qui parait ici tomber dans la fantaisie, Samori se serait engagé incognito et se serait fait connaître beaucoup plus tard en présentant les captifs nécessaires pour libérer sa mère. Sérè-Bréma qui avait déjà remarqué sa bravoure lui aurait vivement reproché cette dissimulation.
Selon Kalil Fofana (p. 9), la mère de Samori ne s'était vu imposer aucune autre besogne que de traire des vaches chaque matin.
85. K. Fofana, p. 9. Le géomancien aurait été originaire « du Basãndo », c'était donc vraisemblablement un Fula du Folonigbè (Sabadugu).
86. Les Sangarè du Kusã (Yanfolila, Mali) étaient présents dans cette colonne [359]. Par contre, le chef Fula « Nõmbolo » (« lèche ta patte ») dont parlent certaines traditions provient d'une confusion avec Nomunõ Fani, le chef du Torõ oriental tué dix ans plus tôt par Vakaba.
87. Cette enquête fut confiée à un marabout qui procéda par jets de kolas. Il désigna ainsi, d'abord le bolo de Samori, puis son groupe de dix, enfin le jeune homme lui-même.
88. Selon Babu Kondé [81] Sérè-Bréma, en apprenant le projet de départ aurait déclaré: « Cet homme est populaire parce qu'il fait beaucoup de cadeaux. Il est à craindre. S'il veut nous quitter ; il faut le tuer ». Karamogho Madisé s'y opposa en prédisant que le meurtre d'un musulman leur porterait malheur.
89. Par « mise aux fers », il faut entendre dans un carcan de bois (gbã).
90. D'après [1, 2 et 4], pour fondre ses balles, Brèma aurait confisqué les bijoux d'une de ses captives, qui était la maîtresse de Samori. Cette femme ayant tout entendu donna rendez-vous à son ami au lavoir et lui révéla le complot. Il devait être abattu durant la danse du second vendredi. Le premier vendredi, Samori dansa longuement et se prosterna devant Brèma qui lui donna sa bénédiction. Le jour même il fit partir sa mère, sous prétexte de visiter une amie qui résidait dans un village de culture. Le troisième jour, la nuit tombée, il quitta à son tour Madina et retrouva sa mère au rendez-vous fixé.
Au lieu de se diriger vers l'ouest, pour gagner la vallée du Milo par la piste habituelle (Kobala, Karala, Sesé), ils s'en écartèrent au gué du Numu, prenant vers le sud un sentier de chasseurs qui traversait la brousse déserte, en direction des premiers villages du Bèèla. Masorona aurait alors fait des traces sur la piste principale et ils se cachèrent dans un marigot d'où ils virent passer les cavaliers lancés à leur poursuite.
En vue de la traversée du désert, la mère avait préparé des beignets pour plusieurs jours de marche. Le soir, au campement, Samori coupa beaucoup de bois et fit un grand feu, puis il couvrit sa mère de sa couverture. La nuit, celle-ci prit feu, les réveillant en sursaut, Masorona bénit alors son fils et lui dit :
« Tu as renoncé à la liberté pour me secourir, c'est pourquoi tous les hommes seront tes captifs. Tu m'as donné ta seule couverture et elle a brûlé, c'est pourquoi Dieu te donnera tant de vêtements que tu ne pourras les porter. Voici des années que je suis séparée de ma fille Masa, c'est pourquoi Dieu te donnera des fils et des filles innombrables ». [102]
Après cet incident très biblique, la mère et le fils traverseront les montagnes du Girila et le plateau du Haut Konyã pour gagner Nyõnsomoridugu.
Les traditions ne disent rien de Kémé-Brèma. Il n'avait pas atteint à la notoriété de son frère et il semble qu'il ait quitté Madina avant lui.
91. Kalil Fofana, p. 93. Les Sisé allaient effectivement combattre le Girila mais, selon mes informateurs, Masabori, de Sokurala n'en était pas encore le chef. Il dirigera la révolte contre Samori, trente ans plus tard (1888), et cela impliquerait un règne extraordinairement long.
92. Selon un informateur 13], Samori aurait laissé sa mère aller seule à Findugu et serait parti brigander. Il aurait eu honte de se présenter devant son père sans ramener tous les boeufs enlevés jadis par les Sisé.
93. Selon Kalil Fofana (p. 10), c'est encore à Sogbrendugu (Namusana) que Samori aurait retrouvé son père. L'emplacement de la tombe de Masorona infirme cette version.
94. Laafiya n'a sans doute quitté le Konyãnko qu'après la récolte (octobre, novembre), car il cultivait des terrains qua lui avait prêtés Kèsa-Bala.
95. Peu après son retour à Sanãnkoro, Laafiya avait envoyé son fils à Lenko pour réclamer à Momo Kamara, l'ancien chef de guerre de Bãmbadugu, une créance impayée. Samori se heurta à un refus et il s'adressa alors au Bèrèté qui visitait justement Momo à l'occasion de grandes funérailles. Sarãswarè-Mori intervint pour que le jeune Turè ait satisfaction et, connaissant sa réputation militaire, il lui demanda de servir sous ses ordres [1, 2, 4].
Sèri, dont Samori venait d'épouser la fille, Managbè-Sara, allait remplacer par la suite son frère Momo.
96. Bien que la tradition orale soit assez confuse, il est difficile de placer à un autre moment la première attaque de notre héros contre sa future capitale [72].
97. Dyomãndu, 275 habitants en 1958 : 9°07'W 8°50'N.
98. C'est Mamfiñ qui transféra la capitale du Konõnkoro, de Ularo, dans les montagnes de la Dorsale, à Singbèdu, en plein pays Toma, sur le versant Atlantique [52].
99. Foya: 9° 00'N 9° 10'W
Gbèdu: 8° 59' N 9° 13'W
Dumedu: 8° 56' N 9° 16'W
Musonu: 8°54'N 9° 16'W.
100. Rappelons que les Mara qui gouvernent le Kurãnko oriental sont divisés entre les Musagbesi, qui ont l'hégémonie et dont est issu Dénda-Soghoma et les Misafiñsi souvent assez rétifs qui obéissaient alors à Fasir- Mara.
101. La négociation aurait été annoncée par Tenémbala Kõndé, chef de Waru, et adversaire traditionnel du Mãndu, au nom de son seigneur, Denda-Soghoma. Il aurait visité les Bérètè qui campaient à Dyaradu [50, 96, 102].
102. Pendant que Tèrè-Yara prenait sa douche matinale, cette femme cacha l'arme qu'il gardait toujours à portée de la main et appela les sofas des Bèrèté qui attendaient à côté [69, 70].
103. Dalagbèla : « Près de la mare blanche », dans le Worodugu, 8 kilomètres au sud de Kerwanè: 9° 00 W 9° 12' N.
104. Selon un informateur [3], Samori fut délivré par son ancien compagnon Kõnké-Mori Bèrèté et non par Denda-Soghoma.
105. Wonitoro: « Petite caverne aux acacias » (= tu). Ce lieu actuellement désert est situé près de la côte 1439 (8° 57' W 9° 07' N). Le nèrè est un condiment à l'odeur extrêmement tenace et Samori en fut dégoûté à jamais, il le proscrivit de sa concession et aucune de ses femmes n'aurait osé en mettre dans sa nourriture.
106. Avant Kuliya, il séjourna quelque temps à Nyomanyené [102].
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