Présence Africaine. Paris. Dakar. 1998. 133 pages
Il convient de noter que la nature des rapports entre l'Almami Samori et la ville de Kong rappelle à maints égards ceux qu'il a entretenus avec Kankan, cette autre métropole religieuse et commerciale.
La colonne Monteil ayant battu en retraite au mois de mars 1895 sans atteindre Kong qu'elle avait mission de défendre, tout espoir de secours s'était évanoui chez les habitants.
Le résident français, le douanier Bailly, dut quitter précipitamment la ville devant l'hostilité de plus en plus manifeste de la population. Le parti samorien qui s'était constitué à l'approche des sofas prit le pouvoir et décida d'aller proclamer le ralliement de la cité à l'empire.
Au mois d'avril 1895, quelques semaines à peine après la défaite de Monteil, l'Almami reçut une délégation de la ville de Kong sur les bords de la Comoë.
Comme on peut le deviner, il fut très sensible à cette démarche comme il l'avait été à celle des Kaba, dix ans auparavant. Après tant d'avatars dans son entreprise de conquête, cette soumission lui conférait un prestige dont il avait grandement besoin.
Ainsi donc, comme à Kankan, mieux qu'à Kankan, pourrions-nous ajouter, Kong la grande métropole religieuse et commerciale bénéficia d'un traitement de faveur :
Bien sûr ce traitement exceptionnel de faveur devait trouver sa contrepartie dans les avantages politiques, stratégiques et économiques que l'Almami en attendait ! Pour lui, le contrôle d'un centre aussi névralgique devait avoir des retombées politiques incontestables dans cette région où se retrouvaient installés çà et là, les éléments d'une même tribu, voire d'une même famille.
Les princes Wattara qui s'adonnaient au gros négoce sur la place de Bobo-Dioulasso, par exemple, n'étaient-ils pas les hôtes indiqués des caravanes de chevaux de l'Almami ?
Par le biais des intérêts économiques, ces courtiers prolongeaient ainsi l'influence politique de l'empereur.
Sur la frontière sud, les échanges avec la côte connurent un net ralentissement du fait de la présence des postes coloniaux jalonnant la route.
L'accalmie consécutive à la sournission de Kong fut mise à profit par l'Almami pour pousser ses conquêtes en direction du pays Mossi, puis du Gurunsi, grands éleveurs de chevaux.
La conquête du Gurunsi le mettait en rapport avec les comptoirs britanniques de la Gold Coast (actuel Ghana) sources d'approvisionnement en armes et munitions.
Du côté français, on évalua très vite la portée de ce mouvement. Il fallait empêcher, à tout prix, une collusion entre les Anglais et l'Almami. L'année de l'Est sous les ordres de Sarankén-Mori se heurta à la mission Voulet-Chanoine (1896) dépêchée de la boucle du Niger. L'Almami qui évitait les accrochages avec les troupes coloniales, ordonna à son fils le retrait des sofas de la zone de friction.
Ce retrait considéré comme une reculade par les autochtones de la région, surtout par les éléments mal ralliés de Kong, aurait été à l'origine de la crise grave qui a amené l'Almami à châtier la ville le 18 mai 1897.
En tout état de cause, le bilan des transactions commerciales n'était pas aussi fructueux depuis le règne de l'empereur en avril 1895. Le commerce des chevaux était sans doute florissant mais le manque a gagner était important par suite de la fermeture des voies d'accès à la mer par les troupes coloniales.
Les notables de Kong s'étaient résignés tant que le rapport des forces était en leur défaveur. Le retrait de l'armée de Sarankén-Mori devant la mission Voulet-Chanoine leur avait redonné courage.
Dirigé à présent par Sabana-Oulén, un prince Wattara, les habitants multiplièrent les provocations à l'adresse de l'Almami, en interceptant ses convois de chevaux en provenance de Bobo-Dioulasso.
Parallèlement à ces actes hostiles, ils dépêchèrent une mission auprès de Binger à Bassam. Ils sollicitaient la protection de la France auprès de leur ancien hôte devenu gouverneur de la Côte d'Ivoire. Ce dernier n'avait pas réagi aussitôt, le centre d'intérêt de la conquête coloniale étant, à l'époque, la place de Bouna plus proche de la frontière de la Gold Coast. Les rapports entre l'Almami et la ville de Kong connurent alors une période d'hostilité latente qui prendra fin avec la réaction française, suite au drame de Bouna.
Au mois de mai 1897, une mission en provenance de la boucle du Niger et conduite par le capitaine Braulot tenta d'entrer en contact avec l'Almami pour de nouvelles negociations dans le but de l'empêcher de tomber sous l'influence britannique, alors que les sofas occupaient Bouna depuis décembre 1896.
Dans le message dont Braulot était porteur, les autorités coloniales françaises proposaient à l'Almami d'accepter leqr domination sur les pays qu'il avait récemment conquis. A ces anciennes exigences ils ajoutaient la nécessité pour l'Empereur d'accepter la présence d'un résident auprès de lui. L'Almami séjournait dans le Djimini. Braulot n'avait pas été autorisé à traverser personnellement les États mais ses envoyés avaient été reçus par le souverain. Celui-ci ne se faisait plus aucune illusion sur la valeur de ces traités et ne désirait qu'une chose : vivre à l'écart des Français !
Il fit éconduire poliment mais fermement la délégation.
Le contact se perdit à nouveau jusqu'en août 1897 lors de la deuxième mission de Braulot ; celle qui sera fatale à ce dernier. Dans la course engagée entre Français et Anglais, il faut signaler que ces derniers ont fait, à leur tour, l'expérience des mauvais contacts avec les sofas. Après la défaite de Monteil, ce fut le tour de l'Anglais Henderson, d'être battu à Dôkita en avril 1897.
Lorsque l'armée de l'Est, sous les ordres de Sarankén-Mori, occupa le Gurunsi, les troupes coloniales britanniques de la Gold Coast réagirent violemment.
Le gouverneur Maxwell tenta d'intimider l'Almami en lui adressant des menaces de plus en plus pressantes. Celui-ci fit preuve de beaucoup de retenue, désireux qu'il était de développer les bonnes relations commerciales à peine amorcées dans ce secteur.
Pour l'Almami Samori les Anglais ne pouvaient avoir d'autres objectifs que de réussir de bonnes affaires. Il devait déchanter cette fois car sa réaction modérée fut interprétée comme une couardise par Maxwell qui poussa la colonne Henderson en direction de Bouna déjà occupé par Sarankén-Mori.
À l'occasion le gouverneur britannique aurait adressé au fils de l'Almami l'ultimatum suivant : « Il faut que les sofas évacuent d'office les régions voisines de la Gold Coast, territoire britannique, sinon qu'ils se préparent à être écrasés, car jusqu'à présent ils n'ont eu affaire qu'aux Français qui, comme l'hyène, poursuivent leur proie jusqu'à lépuisement ; quant à nous, poursuivait l'ultimatum anglais, nous avons la réaction foudroyante du lion.»
Malgré le ton agressif de ces propos pompeux, Sarankén-Mori fut très modéré dans sa réponse.
Il invoqua notamment la cordialité qui a toujours caractérisé les rapports entre son père et les autorités britanniques de la Sierra-Leone.
« Mais, concluait le prince, si je dois me convaincre que tous les Toubabs sont des usurpateurs, alors je suis prêt à la lutte.»
Et il lutta. Ce fut la défaite de la colonne Henderson à Dôkita, puis sa déroute totale à Wâ où il fut fait prisonnier. Makoni Kaba Kamara nous rapporte qu'à cette occasion deux canons furent pris à l'ennemi et le chef sofa auteur de l'exploit fut surnommé « Gbèlèta-Koné 1.»
L'humiliation infligée à Henderson appelait, sans nul doute, une réaction britannique, avec pour objectif certain l'occupation de Bouna.
L'Almami Samori en était bien conscient, les Français s'attendaient aussi à cette riposte. Dans leur analyse de la situation ils estimèrent cependant préférable de négocier avec l'empereur en mettant en veilleuse la vengeance de Monteil.
Un accord avec lui, fût-il éphémère comme les precedents, aurait l'avantage de faciliter l'occupation de Bouna avant les Anglais.
Deux missions furent organisées, presque simultanément, lune partant de la côte du golfe de Guinée, dirigée par Nebout, un administrateur civil, et l'autre de la boucle du Niger, conduite par le même capitaine Braulot. Les deux missions visaient à obtenir de l'Almami la cession de Bouna.
Braulot fut le premier à entrer en contact avec l'Almami. Celui-ci, en homme d'Etat averti, ne perdait aucune occasion de profiter des contradictions entre ses adversaires. Il accepta de céder Bouna aux Français.
Ordre fut donné à Sarankén-Mori de faire évacuer la place par les sofas de Souleymane. Ce kèlètigui ne s'étant pas exécuté, Braulot s'en plaignit à Sanrankén-Mori qui s'offrit, aussitôt à l'accompagner. C'était en août 1897, la colonne française marchait donc en compagnie des sofas de Sarankén-Mori.
Chemin faisant, soumis à une forte pression de la part de son mentor, l'influent Niamakamé Amara Diabaté, le fils de l'Almami prit une décision aux conséquences extrêmement graves.
Partisan de la lutte à outrance, Amara Diabaté ne pouvait se résigner à céder volontairement aux Français une place conquise par les armes. Avec le concours de Keysséri Konè, le « Gbèlèta-Konè », Amara Diabaté avait finalement réussi à obtenir du prince la décision de faire assassiner tous les officiers de la colonne Braulot.
« Le convoi avançait donc sous le crachin du mois d'août; puis il s'arrêta aux abords de l'agglomération de Bouna, dans un champ de fonio », précise Makoni Kaba Kamara.
Au cours de la halte, un son de trompette retentit soudain, les sofas se jetèrent sur les Français, les tuèrent, tandis que les tirailleurs hébétés étaient désarmés. Certains d'entre eux réussirent cependant à s'enfuir. C'était le 20 août 1897.
Sarankén-Mori n'osa point se présenter à son père pour le compte rendu. Il délégua Amara Diabaté pour remettre les têtes des victimes.
Celui-ci déploya tout son art de griot-flatteur afin d'atténuer le courroux de l'Almami qui entra, en effet, dans un accès de colère, particulièrement violent. Cet acte insensé ruinait en tout cas sa stratégie de l'heure, à savoir gagner du temps en opposant Français et Anglais.
La démarche menée par Braulot lui avait donné quelque espoir de répit. Tout le calcul s'est trouvé faussé avec leur assassinat.
Sarankén-Mori fut déchu de son rang de prince héritier (pour un certain temps du moins) en faveur de Mouctar son cadet. L'empereur envisagea avec lucidité les conséquences de la situation créée ; il ne se faisait plus d'illusion sur une quelconque possibilité de compromis. Il décida de construire la forteresse de Bori-bana (la course est finie) à l'image de celle de Sikasso.
La dernière tentative de rapprochement eut lieu avec la mission Nebout qui vint aussitôt après le drame de Bouna.
Celui-ci essaya en vain d'obtenir de l'Almami une capitulation sans condition, en jouant de l'arme du chantage. Face au drame de Bouna, l'Almami s'évertua à prouver sa bonne foi et à faire accepter ses regrets bien sincères. Devant l'intransigeance de Nebout, les négociations furent rompues.
La réaction anglaise à la suite de l'arrestation de Henderson fut plutôt modérée. Maxwell écrivit à l'Almami pour lui demander de relaxer l'officier et de céder Bouna. Il obtint la libération de Henderson mais dut faire conquérir la place en profitant du départ du gros de l'armée samorienne sur le front ouest d'où elle subissait les assauts des troupes coloniales du Soudan.
Les autorités coloniales françaises, irritées par l'assassinat de Braulot et de ses compagnons, frustrées du fait de l'occupation de Bouna par les Anglais, avaient juré d'en finir avec l'Almami Samori Touré.
Leurs agents stipendiés avaient déjà commencé à encourager les princes Wattara de Kong à résister à l'empereur en perpétrant la saisie de ses caravanes de chevaux.
Celui-ci dépêcha un émissaire auprès de Sabana-Oulén, le prince qui dirigeait le mouvement de résistance, pour exiger de lui le respect du serment d'allégeance de la Comoë.
Sabana-Oulén se mit à tergiverser avec l'espoir que les secours demandés aux Français arriveraient à temps pour protéger Kong.
L'Almami Samori, bien informé sur ces tractations, prit les devants et vint assiéger la ville à la mi-mai, après deux jours de marche en provenance de Dabakala.
Répugnant manifestement à mâter des coreligionnaires il prit l'initiative de nouvelles négociations en dehors de l'enceinte de la ville, en terrain neutre. L'obstination des Wattara fit échouer toute tentative d'arriver à un compromis. L'Almami passa à l'action le 18 mai 1898. La ville ne put résister longtemps ; elle fut détruite de fond en comble. Les notables furent exécutés tandis que le reste de la population était déportée dans le Djimini.
L'empereur dut poursuivre son offensive en direction de Bobo-Dioulasso, second centre où des princes rescapés, tel que Bakari-Oulén Wattara, s'étaient repliés. Ce centre était un nœud important de réseaux d'approvisionnement en chevaux de l'armée samorienne. Toute perturbation dans ce commerce entraînait des conséquences graves pour le conquérant qui avait fondamentalement restructuré son armée. En effet, face aux difficultés de recrutement des sofas dans ce pays au climat politique incertain il avait basé la puissance de son armée sur deux éléments essentiels : la puissance de feu avec les armes perfectionnées et la grande mobilité des troupes avec une cavalerie de plus en plus nombreuse. Désormais les compagnies de fantassins devaient essentiellement occuper les territoires conquis, en assurer la sauvegarde et le contrôle.
La tactique de la guerre populaire, la mobilisation du grand nombre de combattants avait cédé la place à l'intervention de troupes d'élite.
Note
1. Gbèlè : canon gbèlèta : preneur de canons.
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