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Histoire


Ibrahima Khalil Fofana
L'Almami Samori Touré. Empereur
Récit historique

Présence Africaine. Paris. Dakar. 1998. 133 pages


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Chapitre II
L'enfance de Samori

À dix ans il avait déjà embrigadé tous les garçons du voisinage.
Ses dispositions de meneur étaient manifestes. Il organisait souvent des expéditions avec ses compagnons et ils allaient, de nuit comme de jour, marauder pour des fruits, des agrumes ou des tubercules dans les champs au risque de recevoir quelquefois la bastonnade.
Toute une bande de jeunes gens fut vite attirée par les aventures de ce garçon auquel personne ne disputait le rang de chef car, de l'initiative il en avait comme pas un et son sens aigu de l'équité lors du partage des butins lui assurait la sympathie de tous.
Ses parents qui avaient de plus en plus de démêlés avec les voisins, usèrent de corrections de plus en plus sévères. Mais cela ne modifia en rien le comportement de Samori ; il était du genre « dur à cuire ».
Ayant acquis plus de force et d'expérience, la bande de Samori commença a s'attaquer à des marchands forains voyageant isolément pour les rançonner ; les prises devinrent de plus en plus importantes. On passa de la volaille aux caprins puis au gros bétail.
La bande inspirait dès lors une crainte réelle au sein de la population. Samori fut surnommé « Samorinin-Kötö » (Samori la canaille). Les activités de la bande de Samori suscitaient maintenant assez d'inquiétude chez ses parents, de plus en plus agacés par les multiples plaintes et les menaces de représailles des voisins.
Au marigot où elle allait puiser de l'eau, Sokhona Kamara entendait, sans broncher, les allusions les plus désobligeantes : peut-on s'enorgueillir d'avoir mis au monde un véritable serpent ? Kèmo Lanfia était souvent convoqué devant le Conseil des notables pour entendre des récriminations et des menaces : puisque tes beaux-parents sont à Fandou près d'ici et qu'ils ont fait ce que tu sais (les sacrifices), tu finiras par déménager avec ton rejeton !
Un soir, Kèmo Lanfia dit à son épouse: « Notre garçon nous attire actuellement assez d'ennuis. Il est assez grand et peut faire du commerce. » Nous sommes en 1850 ; Samori a bien la vingtaine.
Décision prise, Kèmo Lanfia vendit une génisse et constitua pour son fils un modeste capital.
Samori devint un marchand entre son pays natal, le Konia, la forêt et le Sankaran.
Contre les noix de kola de la zone forestière il vendait des bandes de cotonnade tissées par son père. Il ramenait des articles achetés dans les factoreries de la côte sierra-léonaise contre les noix de kola, et ainsi de suite. Pendant ces voyages il noua de solides amitiés qui furent plus tard très utiles à sa diplomatie. Il apprit certains dialectes, en particulier le löma, particulièrement difficile entre autres.
Vers l'année 1853 des événements graves vinrent troubler cette carrière de routine. En effet, au cours de ses pérégrinations de marchand forain, il rencontra un jour à Banyan (préfecture de Faranah) un congénère dioula qui lui apprit que Séré Bréma, frère cadet de Séré Bourlaye, alors roi du Moriou Léndou 1, avait détruit Sanankoro et ses environs.
Samori revint précipitamment vers son village. Sur le chemin du retour il apprit que son père s'était retiré à Sogbrendou près de Frankonedou, sa mère Sokhona Kamara ayant été amenée en captivité à Madina, capitale du royaume.
Le coeur ulcéré, il se rendit auprès de son père qui lui conta dans le détail cette pénible histoire.
— Père, demanda Samori, ne serait-il pas possible de racheter la liberté de ma mère contre des bœufs ?
— Certainement mon fils, répondit Kèmo Lanfia, mais ils ne m'ont laissé aucun bien ; ils ont tout emporté y compris les boeufs. Quelques années seront nécessaires pour réunir le cheptel susceptible de permettre la libération de ta mère !
Pour Samori c'était vraiment trop long pour être accepté. Aussi, réagit-il :
— Père, et si j'allais me constituer captif à la place de ma mère ?
— Ils accepteront peut-être, répondit le père, réellement dans l'embarras.
Pendant que Samori et son père songeaient au moyen de racheter la liberté de Sokhona Kamara, dont l'absence devenait de plus en plus intolérable, que se passait-il à la cour de Madina ?
La captive était occupée à traire les vaches. Aucune autre besogne pénible ne lui était imposée.
Ce traitement de faveur était dû, selon la tradition, au fait que le roi Bourlaye Cissé tenait compte de l'alliance ancestrale entre les clans Cissé et Touré, depuis la nuit des temps.
Bien sûr, Sokhona Kamara ne se doutait nullement que sa captivité serait un maillon déterminant dans la longue chaîne des événements liés au destin de son fils.
A la cour de Madina, le roi Séré Bourlaye prenait de l'âge et l'avenir du trône donnait lieu à de multiples consultations occultes.
Comme successeurs potentiels, il y avait certes Séré Bréma, le frère cadet, chef guerrier émérite auréolé de succès ; il y avait aussi le bouillant fils Morlaye ; sait-on jamais assez sur les desseins du Créateur ? Il est toujours prudent de sonder le destin et de faire à temps les sacrifices appropriés. Aussi les devins se succédaient-ils à la cour de Madina, chacun se prétendant le plus compétent.
Le roi Séré Bourlaye n'était pas encore satisfait lorsque la chance le mit en contact avec Foulah-Moro Sidibé, un devin du Bassando, sûr de sa science et scrupuleux de sa réputation.
Foulah-Moro étala son stock de sable, procéda aux incantations rituelles puis déclara :
— Je vois venir à la cour un jeune homme, mal vêtu, armé d'un bâton, un bagage insignifiant sur l'épaule. Il vient vers vous, je ne sais pour quel motif, mais son étoile est si brillante qu'elle éclipse tout dans votre entourage !
— Cela signifie-t-il, demanda le roi inquiet, que personne dans mon entourage ne pourra dominer cet homme ?
Foulah-Mouro refit sept fois la consultation avant de répondre :
— Ce jeune homme commandera à tous ceux qui sont présents à la cour de Madina.
— Mon fils, se fit suppliant le roi auprès de Foulah-Moro, n'y aurait-il pas quelques sacrifices à même de modifier ce destin ?
— Aucun sacrifice ne peut modifier ce destin répondit, imperturbable, Foulah-Moro qui venait de jeter ainsi l'anxiété dans tous les coeurs. Les conciliabules se multiplièrent au sein de la famille royale : le frère cadet du roi, Sere Bréma, celui-là même qui avait capturé Sokhona Kamara, le fils Morlaye et certainement la clique des courtisans, penchaient pour une mise à mort pure et simple de Samori dès qu'il serait appréhendé !
Cependant le roi Séré Bourlaye inclinait pour la clémence, cela sans doute en conformité avec les préceptes du saint Coran postulant, d'une part la soumission à la volonté de Dieu, et prohibant d'autre part le crime gratuit.
Il donna, en conséquence, des instructions à la garde chargée de la vigilance au portail. Aussi Samori fut-il conduit sous bonne escorte auprès de lui dès qu'il se présenta à Madina.
L'escorte éloignée, le roi Séré Bourlaye eut avec Samori un entretien qui l'édifia sur ses qualités d'intelligence et de caractère ; sa piété filiale était évidente :
— Salut et respect à vous, Roi, déclara Samori. Mon père Lanfia Touré, fils de Samorigbé vous adresse son salut ; il m'a dépêché auprès de vous en raison des liens de fraternité qui ont de tout temps existé entre les Cissé et les Touré. Il m'a chargé de vous dire qu'il prend de l'âge et que sa case est vide du fait de l'absence prolongée de ma mère. Il implore votre générosité et comme il ne lui reste aucun bien, il vous prie de bien vouloir m'accepter à la place de ma mère.
— Mon fils, répondit le roi, soit le bienvenu. En effet les Cissé et les Touré sont des frères et tu es ici chez toi. J'apprécie tes qualités de courage et de dévouement, aussi vais-je utiliser tes services pendant quelque temps, puis tu rejoindras ton père en compagnie de ta mère.
Ainsi débutait une période très cruciale de la vie de Samori.
En effet c'est à la cour de Madina qu'il reçut sa formation de guerrier, c'est là aussi qu'il fut initié aux notions élémentaires sur la pratique de l'islam. Retenu pendant sept longues années, sa seule consolation était d'être auprès de sa mère et de constater surtout qu'elle ne subissait aucune brimade.
Avec le maniement des armes il apprit l'art du combat avec tout ce que cela implique comme sens aigu de la discipline, l'esprit de corps et le dévouement à la cause publique.
Le courage et l'intelligence étant des dispositions naturelles chez Samori, il se distingua très vite et s'imposa à l'attention de tous ; il devint populaire. On rechercha de plus en plus sa collaboration, le succès couronnant souvent ses expéditions guerrières.
La réputation de guerrier émérite avait largement débordé la cour de Madina.
Il convient de signaler que deux années s'étaient écoulées depuis son arrivée à Madina quand il fut rejoint par son frère Kémé Bréma (Fabou) dépêché par Kémo Lanfia pour le ramener avec sa mère.
N'ayant pas eu plus de succès dans ses démarches aupres du roi, Kémé Bréma avait choisi de rester aux côtés de Samori. Ainsi, pendant cinq années il alla aussi guerroyer partout dans la région et devint à son tour l'éminent guerrier qui favorisa plus d'une fois la fortune du conquérant Samori.
Cependant le roi Séré Bourlaye, protecteur de Samori vint à mourir en 1859. Séré Bréma, son successeur, se trouva désormais en situation de face à face avec son encombrant captif.
Selon Mamadi Oulén Cissé, toutes les tentatives faites pour se débarrasser de lui (empoisonnement, guet-apens, etc.) échouèrent lamentablement.
Aussi lorsque en 1860, les Doré, musulmans de Missadou (Beyla) menacés par leur puissant voisin, le paien Massabory Kamara de Guirila (surnommé Ouara-ourou Kégbanan) implorèrent le secours de Séré Bréma, leur coreligionnaire, celui-ci se trouva-t-il devant un dilemme : fallait-il faire participer Samori à cette campagne au risque de lui donner l'occasion d'accroître son prestige ? Ou bien fallait-il le laisser à Madina au risque qu'il s'empare du pouvoir ?
Séré Bréma, dans sa sagesse, préféra l'éloigner en lui rendant la liberté ainsi que celle de sa mère et de Kémé Bréma. Soucieux de ménager l'avenir, il le convoqua et lui dit : « Je suis satisfait de tes états de service ; choisis sept vaches dans le troupeau et retourne auprès de mon frère Lanfia. » Samori, accompagné de sa mère et de son frère Kéme Bréma, rejoignit son père. La famille au complet revint à Sanankoro qui s'était repeuplé entre-temps.

Note
1. Royaume situé à cheval sur les fleuves Dion, Kouraî et Goula (actuelles sous-préfectures de Baranama et de Karala). Du nom de son fondateur Morioulén Cissé origine de Bakongo-Cisséla (préfecture de Kankan). Après des études coraniques à Dinguiraye il a créé un royaume théocratique avec Madina comme capitale.


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