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Histoire et Tradition Orale


Djibril Tamsir Niane
Soundjata ou l'épopée mandingue
Paris. Présence africaine. 1960. 212 pages


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L'enfance

Une femme s'habitue vite. Sogolon Kedjou se promenait maintenant sans gêne dans la grande enceinte du roi ; on s'habitua vite aussi à sa laideur. Mais la première femme du souverain, Sassouma Bérété, se révéla insupportable. Elle ne tenait plus en place ; elle souffrait de voir la laide Sogolon promener fièrement sa grossesse dans le palais : que deviendrait-elle si on déshéritait son fils qui avait déjà huit ans, au profit de l'enfant que Sogolon allait mettre au monde ? Toutes les attentions du roi étaient pour la future mère ; au retour des guerres il lui apportait la meilleure part du butin ; les beaux pagnes, les bijoux rares. Bientôt de sombres projets s'échafaudèrent dans l'esprit de Sassouma Bérété : elle voulait tuer Sogolon. En grand secret, elle fit venir auprès d'elle les plus grands sorciers du Manding, mais tous s'avouèrent incapables d'affronter Sogolon ; en effet, dès le crépuscule, trois hiboux venaient s'asseoir sur le toit de sa case et la veillaient. De guerre lasse Sassouma se dit :
– Eh bien, qu'il naisse donc, cet enfant, on verra bien.
Sogolon arriva à terme ; le roi avait fait venir à Niani les neuf grandes matrones du Manding qui étaient maintenant, constamment auprès de la fille de Do.
Le roi était un jour au milieu de ses courtisans quand on vint lui annoncer que les douleurs de Sogolon commençaient. Il renvoya tous les courtisans ; seul Gnankouman Doua resta à ses côtés.
On eût dit que c'était la première fois qu'il devenait père, tellement il était agité et inquiet. Tout le palais gardait un silence parfait. Doua, de sa guitare monocorde, essaya de distraire le souverain, ce fut en vain ; il dut même arrêter cette musique qui agaçait le roi. Soudain le ciel s'assombrit, de gros nuages venus de l'est cachèrent le soleil ; pourtant on était en saison sèche ; le tonnerre se mit à gronder, de rapides éclairs déchirèrent les nuages ; quelques grosses gouttes de pluie se mirent à tomber tandis qu'un vent effroyable s'élevait ; un éclair accompagné d'un sourd grondement de tonnerre partit de l'est illumina tout le ciel jusqu'au couchant. La pluie s'arrêta de tomber, le soleil parut. C'est à ce moment que sortit une matrone de la case de Sogolon ; elle courut vers le vestibule et annonça à Naré Maghan qu'il était père d'un garçon.

Le roi ne réagit point ; il était comme hébété.
Alors Doua comprenant son émotion se leva, fit signe à deux esclaves qui se tenaient déjà près du tabala royal : les coups précipités du tambour royal annoncèrent au Manding la naissance d'un fils ; les tam-tams du village répondirent et ainsi le même jour, tout le Manding sut la bonne nouvelle. Au grand silence de tout à l'heure succédèrent des cris de joie, les tam-tams, les balafons ; tous les musiciens de Niani se dirigèrent vers le palais. La première émotion passé, le roi s'était levé ; à sa sortie du vestibule il fut accueilli par la chaude voix de Gnankouman Doua.
– Je te salue, père, je te salue, roi Naré Maghan, je te salue Maghan Kon Fatta, Frako Maghan Keign ; il est né l'enfant que le monde attend. Maghan, ô père heureux, je te salue ; il est né l'enfant-lion, l'enfant-buffle. Pour l'annoncer au monde le Tout-Puissant a fait gronder le tonnerre, tout le ciel s'est illuminé et la terre a tremblé. Salut, père, salut roi Naré Maghan.
Tous les griots étaient là déjà ils ont composé un hymne à l'enfant royal la générosité des rois rend les griots éloquents. Maghan Kon Fatta distribua rien qu'en ce jour, dix greniers de riz à la population. Sassouma Bérété se fit remarquer par ses largesses, mais; cela ne trompait personne, elle souffrait dans son coeur, mais elle ne voulait rien laisser paraître.
Le nom fut donné le huitième jour après la naissance. Ce fut une grande fête les gens vinrent de tous les villages du Manding, chaque peuple voisin apporta des cadeaux au roi. Dès le matin, devant le palais, un grand cercle s'était formé ; au milieu, des servantes pilaient le riz blanc qui devait servir de pain, les boeufs sacrifiés gisaient au pied du grand fromager.
Dans la case de Sogolon, la tante du roi enlevait à l'enfant ses premiers cheveux tandis que les griottes, armées de grands éventails, rafraîchissaient la mère nonchalamment étendue sur des coussins moelleux.
Le roi était dans son vestibule, il sortit, suivi de Doua. La foule fit silence et Doua cria :
– L'Enfant de Sogolon s'appellera Maghan, du nom de son père, et Mari Djata, nom qu'aucun prince du Manding n'a porté ; le fils de Sogolon sera le premier de ce nom.
Aussitôt les griots crièrent le nom de l'enfant, les tam-tams retentirent à nouveau ; la tante du roi qui était sortie pour entendre le nom de l'enfant, rentra dans la case et murmura à l'oreille du nouveau-né le double nom de Maghan et de Mari Djata afin qu'il se souvienne.
La fête se termina par la distribution de viande aux chefs de famille et tout le monde se sépara dans la joie. Les proches parents entrèrent un à un dans la case de la mère pour admirer le nouveau-né.


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