Mémoires de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire. N° 80
Dakar. 1968, 1970, 1975. Trois Tomes. 2377 pages
Les vieilles structures des Malinké paraissaient encore intactes en 1828, quand René Caillié traversa le Niger, peu avant que naisse, dans le Bas Konyã, un enfant nommé Samori Turé. Vingt ans plus tard, quand ce dernier, rompant avec les contraintes familiales, prit la piste des colporteurs, les pays du Sud étaient déjà en convulsion et l'hégémonie séculaire des animistes se trouvait menacée.
L'étude de ces bouleversements doit être précédée d'un tableau politique rapide de la zone soudanaise car les révolutions qui s'y déroulaient depuis un siècle, sous l'impulsion des Peuls, pourraient fort bien s'être diffusées vers le Sud, le long des pistes du kola. Les vieilles terres des rives du Niger forment donc nécessairement le fond du décor que nous allons poser.
Le Fuuta-Dyalõ A la fin du XVIIIme siècle, la domination de l'aristocratie peule s'était stabilisée au Fuuta-Dyalõ après un demi-siècle de guerre. Les Fula restés païens avaient fui dans le Sud, en remontant le Dyõ jusqu'au Konyã dont les hautes terres les séduisaient. La croisade anti-musulmane du Wasulunké Kõndé-Brèma Dyakité s'était effondrée en 1778 et le Fuuta-Dyalõ, enfin hors de danger, avait renoncé à toute expansion. La compétition des dynasties Alfaya et Soriya pour le titre d'Almami allait d'ailleurs le paralyser définitivement. Le système d'alternance bi-annuelle qui fut proclamé, dès 1839, peut-être à la suggestion d'El Hadj Omar, ne fonctionna qu'avec difficulté et ne fit qu'illustrer l'impuissance du pouvoir. A peine ralliée en masse à la Tidyaniya Omarienne, l'aristocratie peule se trouva en effet confrontée à l'étrange révolution sociale des Hubbu, qui se réclamait de la tradition Kadiri, mais qui incarnait en fait la conjonction des autochtones avec des Peuls frustrés par la nouvelle aristocratie. Ces fanatiques allaient bouleverser le pays pendant près d'un quart de siècle et détourner définitivement ses forces des conquêtes extérieures. La « guerre sainte » allait dès lors s'éteindre dans les montagnes de l'Ouest, si l'on excepte les dernières conquêtes du Labé sur la haute Gambie et le Gabu (Guinée-Bissau) ainsi que celles des Timbi aux dépens des Susu. La « théocratie » du Fuuta-Dyalõ n'a pu inspirer 1er conquérants musulmans du XIXme siècle qu'à titre de précédent historique.
Sur le Haut Niger, la métropole dyula de Kankan avait cependant lié un moment son destin politique à celui des Peuls.
Ce gros village, fondé sur le sol du Sãnkarã, vers le début du XVIIme siècle, par des Sarakholé du Dyafunu, ne devint une véritable ville qu'au XVIIIme siècle 1. Sa croissance découlait naturellement du trafic intense qui s'organisait alors entre le Haut Fleuve et la Côte des Rivières, grâce à la sécurité relative du Fuuta-Dyalõ. Les dyula ne s'y trompaient pas et ils affluèrent vers ce noeud de routes commerciales, déterminé par le bief aval du Milo et son confluent avec le Niger. Ils y trouvaient l'amorce des pistes qui descendaient d'un côté vers les comptoirs européens et montaient de l'autre vers les kolateraies de la Forêt. Les agglomérations musulmanes se multiplièrent alors, autour de Kankan, jusqu'à former un véritable kafu dyula qui prit le nom de Baté ou plus exactement Batyé « entre les fleuves ».
La ville fut asservie pour quelques années par Kondé Brèma mais elle profita de la défaite des animistes pour s'affranchir, en formant une sorte de république marchande sous l'autorité de la famille Kaba (1778).
Celle-ci était justement dirigée par un saint homme, Alfa Kaabinè, qui avait animé la reconstruction du Baté et qui assurait sa sécurité grâce à un prestige immense, rayonnant jusqu'à la Forêt.
Jusqu'à sa mort, qui survint à un grand âge, vers 1810, Kankan se contenta de défendre sa liberté et de prospérer par la science musulmane et le négoce. Les animistes du Sãkarã relevaient la tête à mesure que la menace peule s'estompait, mais ils respectaient la métropole toute proche dont l'intense activité commerciale était chaque jour plus nécessaire aux peuples du Haut-Niger.
Les dangers venaient cependant de l'aval car les grandes crises de l'histoire soudanaise se nouaient de ce côté. L'Empire Bambara de Ségou paraît avoir étendu une suzeraineté à éclipse jusqu'au Bas Sãnkarani, dès l'époque des Kulibali. De cette région jusqu'à Kankan, l'hégémonie appartenait alors aux Kèita du Dyuma, dont le plus grand souverain, Kasa-Musa, fit longtemps la guerre au Wasulu, vers la fin du XVIIIme siècle. Il était d'ailleurs en bons termes avec les Dyara qui allaient porter la puissance de Ségou à un degré inégalé après avoir éliminé les Kulibali vers 1750. Entre ces, alliés, les Fula du Wasulu étaient pris en tenaille mais ils réagirent avec une énergie extrême, les Dyakité de Samayana parvenant même un moment à dominer le bas Manding et la région de Bamako. Ils furent éliminés en 1808 par le nouveau Faama de Ségou, Daa Dyara, qui mit aussitôt la main sur les orpaillages du Burè et envoya sa puissante cavalerie écraser les gens du Sãnkarã. Il imposa sa suzeraineté à une fraction de ce pays ainsi qu'à Kankan et Kouroussa où il séjourna un moment. En poussant ses frontières jusqu'au Fuuta-Dyalõ, il voulait évidemment établir son contrôle sur la fameuse route des Rivières et il y réussit mais seulement pour peu de temps (circa 1808-1818) 2.
L'ordre Bambara n'allait durer qu'une dizaine d'années. Peu après la révolte du Masina, gui éclata vers 1818, le Haut Fleuve échappa à Ségou dont l'autorité ne dépassera plus Kaaba (Kangaba). En amont, une puissance nouvelle occupait désormais la scène. Il s'agit du royaume Dyalõnké de Tãmba, fondé vers la fin du siècle précédent, sur le Haut Bafiñ (Sénégal), par des autochtones ralliés à l'autorité d'une lignée Sako, d'origine Sarakholé. Cet Etat réussit à maintenir son indépendance entre les Bambara et le Fuuta-Dyalõ jusqu'au jour où le Faama Bukari Sako, plus connu sous le nom de Tãmba-Bwari profita de la défaillance de Ségou pour mettre la main sur l'or du Burè et écraser les Kèita du Dyuma. Il rallia aisément à sa cause ses contribules, les Sako de Kundyã, établis depuis longtemps sur le Fyé et, avec leur aide, il étendit ses frontières jusqu'au Wasulu. Pour abaisser Kankan, il n'hésita pas à détourner sur Tãmba les caravanes venant de l'aval qui voulaient gagner la mer par le Fuuta-Dyalõ 3. Il nuisait ainsi gravement au commerce du Baté et la haine des dyula allait le poursuivre longtemps. Cette guerre a empêché Caillié de se rendre à Ségou, et l'a orienté vers l'est, ce qui nous a valu du moins la première description des routes du kola. L'hégémonie de Tãmba allait d'ailleurs s'effriter très vite après la mort de Bwari, survenue vers 1840. Huit ans plus tard, El-Hadj Omar détruisit les Dyalõnké en tant que peuple et implanta au coeur de leur territoire le foyer Toucouleur de Dinguiraye (1848).
Les dyula du Sud ne pouvaient guère recevoir l'idée de guerre sainte de leurs frères du Nord tant que ceux-ci restaient soumis à des souverains animistes comme ceux de Tãmba et de Ségou. L'exemple du Masina joua par contre après 1818 et l'impuissance des Dyara à réduire les Peuls fit certainement une forte impression. La conversion massive de cette ethnie nomade était cependant un phénomène original qui ne pouvait pas inspirer les minorités musulmanes incrustées en Pays malinké.
Nous en revenons donc à Kankan, la métropole dont l'influence était incontestée, jusqu'aux portes de la Forêt, au début du XIXme siècle. C'est elle qui servait de relais au Fuuta-Dyalõ et c'est d'elle qu'aurait dû émaner l'esprit de la Révolution.
Le Baté était effectivement le pays natal de Mori-Ulé qui allait déclencher la première guerre dans le sud, mais il s'était expatrié longtemps avant de passer aux actes. Kankan persistera encore dans une politique de prudence et de conciliation envers les animistes du Sãnkarã et du Torõ, quinze ans après que les armes aient parlé dans le Konyã.
Le successeur d'Alfa Kaabinè, son neveu Mamoudou Sanusi, dit Koro-Mamadu, était un vieillard paisible, soucieux de ménager des voisins dont dépendait le passage des caravanes. Il sut d'ailleurs échapper à Tamba Bwari, dont Caillié, qu'il reçut, atteste l'hostilité.
Le prestige religieux des Kaba pâlissait cependant devant l'étoile montante des Shérifu, venus du Moyen-Niger au XVIIIme siècle, et qui détenaient le Wird de la Kadiriya. L'harmonie ne régnait guère sur les rives du Milo, malgré l'importance de la ville, et on comprend que ces commerçants, qui ignoraient jusqu'alors la guerre, aient hésité à prendre les armes contre leurs voisins animistes. Ils en supportaient cependant les exigences avec une impatience croissante et la nouvelle des combats que menait leur frère Mori-Ulé vers la Forêt faisait certainement fermenter les esprits.
Pour les décider à faire ce pas, il ne faudra pas moins que le bouleversement de l'Islam ouest africain dû à l'intrusion de la Tidyaniya.
La rivalité des Shérifu suffit à expliquer que les Kaba aient fiévreusement adopté la voie nouvelle, dès 1838, quand El Hadj Omar visita leur ville en rentrant de La Mecque. Alfa Mamudu, petit-fils de Mamudu Sanusi, suivit aussitôt le grand marabout comme disciple (taalibu). Il était inévitable que l'exubérance et l'ardeur guerrière de la nouvelle voie saisisse les gens du Baté et leur donne l'idée d'imposer enfin leur loi par les armes.
Pour agir ainsi, ils n'avaient qu'à s'inspirer de leur maître spirituel. Alfa Mamudu forma en effet une colonne pour aider El Hadj Omar au siège de Tãmba, qui marqua en 1851 le début de la guerre sainte (dyaadi). Dès son retour à Kankan, il entreprit une série de petites guerres destinées à élargir le Baté ou à réduire l'orgueil de ses voisins, les Kondé du Sãnkarã et les Konaté du Torõ. Il se lança ensuite contre le Wasulu (1851-1852), ouvrant ainsi une crise qui allait durer plus d'un quart de siècle.
Devant la menace qui surgissait ainsi, et que les guerres d'El Hadj Omar dans le nord rendaient terrifiante, les Fula du Wasulu réagirent avec une promptitude et une vigueur surprenantes. Un jeune chef dépendant du Baté, Dyèri Sidibé de Ulundu, vit en rêve un esprit qui lui révéla le moyen de sélectionner des guerriers invincibles. Il s'agissait d'un orchestre sans tambours, comprenant une harpe arquée (koni), un résonateur (nkiri) et des clochettes (wurè) et qui rythmait une danse durant laquelle quelques hommes tombaient en transe, perdaient conscience et prédisaient l'avenir comme en rêve 4. Ces élus étaient aussitôt enrôlés, d'où le nom bizarre de ce mouvement : « Sugo-Dén-Kèlè », (la guerre des Fils du Rêve ). Ce fut un raz-de-marée dans le Wasulu dont Dyèri se rendit maître, du Sãnkarani jusqu'au Baulé, en l'espace de quelques mois (circa1850).
L'histoire de Kondé-Brèma se répétait ainsi à un siècle d'intervalle et Nãnténen-Famudu, qui dirigeait la résistance aux Sisé, dans le Torõ, s'allia aussitôt à Dyèri, bien qu'il n'acceptât pas sa danse. La nouvelle hégémonie s'étendit très loin, au-delà de Bougouni, jusqu'au Bana et au Tyendogu et sur le Folo, aux portes d'Odienné. Dyèri subit d'ailleurs quelques échecs, l'un devant l'empereur de Ségou, Torokoro-Mari, dans le Kèlèyadugu (Bougouni) et l'autre du fait de Vakaba Turè à Fèrè, près d'Odienné (circa 1853-1854). Ces incidents lointains n'ébranlèrent pas sérieusement sa puissance et il finit par aller assiéger Kankan dont la chute aurait couronné son oeuvre. Il fut près de réussir. La ville détruite, la population en fuite, Alfa Mamudu ne tenait plus qu'un étroit réduit quand les Sako de Kundyã, jusque là neutres, se portèrent à son secours. Ces parents du chef de Tãmba se réconciliaient ainsi avec leurs anciens ennemis par peur des Wasulunké. Leur attaque soudaine surprit Dyèri qui périt dans la bataille et dont l'armée se disloqua aussitôt (circa 1855).
Kankan était sauvé et le Wasulu retomba dans l'anarchie d'où deux grands chefs, Kõdyé-Sori et Adyigbè, n'allaient le tirer qu'après de longues guerres civiles. En attendant, la métropole du Baté se remit vite de ses pertes et Alfa Mamudu, convaincu de la protection du Ciel, se lança hardiment dans les conquêtes.
Les triomphes de son maître, El Hadj Omar, dans le nord l'encourageaient certainement, mais les armées toucouleures étaient loin et les Kaba n'avaient à compter que sur eux-mêmes. Les déceptions n'allaient donc pas manquer. Ils menèrent d'abord avec les Sako une série de guerres au Wasulu, dans le dessein d'écraser le pouvoir naissant d'Adyigbè. L'intervention du Sanãfula, appuyé par Nãnténen-Famudu, fit cependant échouer le siège de Dãndèla et Adyigbè demeura maître du Wasulu occidental (circa 1860). Un ennemi puissant fermait ainsi aux Kaba la route de l'Orient et la guerre s'éternisa sans grands résultats.
Après une courte pause, profitant du départ d'Adyigbè pour l'est où il commençait de grandes guerres, Alfa Mamadu fit un ultime effort pour écraser Nãnténen-Famudu, et mettre la main sur le Torõ. Pour la première fois, il se mit d'accord avec les Sisé, en vue d'une attaque en tenaille sur le Sabadugu. Le vieux rêve d'enlever aux animistes la route de Madina à Kankan paraissait alors près de se réaliser. Malgré deux campagnes successives, ce fut pourtant un nouvel échec et le retour d'Adyigbè dans l'ouest ferma bientôt la porte. Pour comble de malheur, Sérè-Brèma Sisé, qui voyait son Empire menacé dans le sud, se détourna ouvertement des Kaba en se réconciliant avec Nãnténen-Famudu (circa 1861-1863).
Alfa Mamadu, qui touchait à la fin de sa vie, se tourna alors vers le nord, sans doute dans l'espoir de rejoindre les Toucouleurs dont les frontières étaient fort proches puisqu'ils tenaient le Burè. Il se heurta cependant aux Kèita du Dyuma qui furent bientôt secourus par leurs parents de Kouroussa ainsi que par Mambi, le Mãsa de Kaaba (Kangaba). Les Kaba ne parvinrent même pas à s'emparer du confluent du Milo et Lamini-Ba, le fils aîné de leur chef, trouva la mort à Kofulani. Comme tous les animistes de la vallée du Niger fermaient aux caravanes la route du Fuuta et que la ruine menaçait Kankan, il fallut s'incliner et conclure une paix blanche (circa 1864-65).
La mort d'Alfa Mamudu suivit de peu la disparition d'El Hadj Omar et la crise de l'Empire Toucouleur calma un instant ses alliés du Haut Niger. Kankan se retrouvait dans l'isolement et son nouveau chef, Fadima-Mori, lui accorda quelques années de calme. Son frère, Umaru-Ba, finit pourtant, vers 1870, par le décider à reprendre une politique d'agressions.
Il s'agissait cette fois d'écraser les Kondé du Basãndo et du Sãnkarã afin d'établir un contact direct avec les marchés du Balé (Sãsãmbaya, Nafadyi) et du Kurãnko (Nyumamãndu). Par là passait la route kolatière du Kisi et le casus belli résidait dans les brimades que subissaient les dyula entre ces villages. L'insolence des Kaba souleva alors la fureur de tous les animistes riverains du Niger, du confluent du Milo à Kouroussa. En représailles, ils organisèrent un véritable blocus commercial de Kankan et envoyèrent des renforts aux Kondé. Après plusieurs campagnes, la victoire parut sourire à Umaru-Ba Kaba quand il enleva Bagbé sur le Nyãdã.
Quelques semaines plus tard, il se laissa pourtant surprendre dans ce village où il périt avec presque toute sa colonne (circa 1873).
Les Kaba qui triomphaient déjà, se virent alors réduits aux abois et ils se tournèrent vers Samori dont la jeune puissance grandissait sur le Milo. Ils ne prévoyaient pas qu'en appelant le conquérant sur le Niger, ils allaient assurer non pas leur triomphe mais le sien et préparer leur propre perte.
Les guerres décousues et finalement stériles des Kaba seraient fort intéressantes si elles étaient liées organiquement à celles du Sud, que nous allons étudier. Mais justement, il n'en est rien.
Bien que Mori-Ulé fût natif du Baté, c'est sur les frontières du Konyã qu'il avait commencé à combattre, et quinze ans avant Alfa-Mamudu. Son exemple n'inspira même pas ce dernier, puisque les Kaba tiraient leur doctrine d'El Hadj Omar et n'entrèrent en campagne qu'à son signal. Il en résultait une divergence profonde entre eux et les révolutions du Sud, une opposition entre Tidyaniya et Kadiriya, qui annonçait déjà une guerre fratricide à laquelle les animistes allaient prendre part avec joie. A son issue, en 1881, Kankan tombera aux mains de Samori.
La guerre sainte des Kaba est donc étrangère à une recherche exacte des origines de Samori car elle incarne une tradition différente.
Il n'en reste pas moins que son explosion, en plein milieu du XIXme siècle, est significative. Elle décèle une évolution générale de la mentalité dyula, une fermentation qui menaçait l'ordre ancien et annonçait de nouveaux temps.
Si nous tournons à présent le dos aux vastes horizons du Niger pour descendre vers la grande Forêt, à travers les savanes boisées de la zone intermédiaire, nous trouvons le berceau de l'Empire samorien dans un état de morcellement total au début du XIXme siècle.
Une seule exception est digne d'être notée. Des Bambara venus de Ségou au milieu du XVIIIme siècle avaient organisé le royaume du Nafana, centré sur Odienné 5. La lignée Dyarasuba qui les commandait n'avait d'ailleurs maintenu aucun lien politique avec les Faama du Niger. Elle s'était assimilée à son nouveau milieu en organisant la lutte des Malinké du Sud contre les Sénufo du Nöölu.
Partout ailleurs, l'influence des hégémonies du Nord était demeuré nulle. Dyamaana ou kafu demeuraient sous le contrôle des vieilles lignées issues de l'ère des migrations et n'avaient connu depuis lors que des ajustements minimes. Un chef guerrier imposait parfois sa prépondérance pour peu de temps et sur un territoire restreint, mais on ne décelait aucune tendance à changer les règles d'un jeu devenu fort routinier.
Si nous examinons d'abord la zone intermédiaire, nous constatons cependant que le Sãnkarã occidental conservait une certaine cohésion sous l'autorité du clan Ularè. Il avait tenu tête au Fuuta-Dyalõ depuis le XVIIIme siècle et sa place forte de Farana fermait les gués du Niger aux attaques venant de l'ouest. Les Kõndé étaient par contre dans un état de profonde division dans le Sãnkarã central et le Basãndo. Ils n'avaient jamais pu oublier une longue guerre civile qui avait scindé leurs kafu au XVIIme siècle en deux groupes antagonistes.
La situation était identique dans le Torõ, entre Milo et Sãnkarani où de nombreux kafu sont répartis entre les clans Kuruma et Konatè. Ceux-ci se livraient périodiquement à des hostilités rituelles sans qu'aucun n'établisse sa prépondérance 6. Les pays d'Odienné se rattachaient coutumièrement à ce Dyamaara avant l'intervention des Dyarasuba.
Si nous longeons à présent la lisière de la Forêt, nous constatons aussitôt une extrême division chez les Kurãnko du centre, entre Niger et Nyãdã, comme si le fléchissement de la menace Kono, moins grave qu'au XVIIIme siècle, leur avait permis de se laisser aller à leur goût du morcellement. En dehors des Mara de Moriya, les Keita du Séradu, autour des sources du Niger, conservaient seuls un certain prestige et parvenaient à s'imposer à quelques groupes Kisi (Soadu, Kooma).
Au-delà du Nyãdã, les Kurãnko orientaux avaient failli constituer un Empire puissant, vers 1750, quand leur Mãsa Mãntiko, qui refoula les Konyãnké derrière le Baulé, poussa les Toma dans le sud et vassalisa certains Kisi (Kosilã, Firawa, Banama). Cette lignée du clan Mara, connue sous le nom de Musagbèsi, ne manquait pas de vigueur car, après avoir donné quelques signes de faiblesse, elle s'était ressaisie dans le second quart du XIXm. siècle, du temps de Katsyãn-Tèrna.
Celui-ci reprit le contrôle des Kisi, s'imposa aux Kirka (= Traorè) du Falãnko, célèbres par leurs forgerons, et combattit avec succès les Konyãnké du Mãndu (circa 1835 ?). Tous ces chefs résidaient à Soghomaya, au pied des falaises du Lõngboroma, et ce village faisait alors figure de capitale politique. Kuliya, au contraire, au seuil de la forêt Kisi, n'était qu'un centre rituel, domaine d'un lignage plus ancien, celui des Faleyãsi. Un troisième lignage Mara, celui des Musafiñsi, occupait dans le nord le Kuudu, au contact du Sãnkarã, et ses prétentions à l'aînesse en faisaient un élément de perturbation. Les guerres civiles qu'il mena contre Soghomaya ne sont pas étrangères aux débuts de Samori. Les Kurãnko de l'Est étaient assez forts pour garder un contrôle effectif des villages dyula du Nyumamãndu alors que ceux de Nafadyi et Sãsãmbaya, au confluent Balé-Nyãndã, s'étaient presque entièrement soustraits à l'autorité coutumière des Kõndé.
Le Konyã et ses annexes, le Tukoro de Macenta et le Mau de Touba, nous retiendra davantage, car c'est la patrie de Samori. Eliminons tout de suite la partie orientale de ce pays, à l'est du Dyõ, où la plupart des kafu appartiennent au clan Kõndé (Koné) issu du Sãnkarã 7. Leur stabilité était aussi grande que celle du Torõ et du Wasulu et leur isolement leur avait évité toute secousse grave jusqu'au XIXme siècle.
On peut en dire autant du Haut Konyã qui abrite pourtant le berceau des Kamara Fèren-Kamãsi. Laissant ses « frères », tenir le Mau, sous le nom de Dyomãndé, leur ancêtre avait pris Musadugu comme capitale dans le courant du XVIme siècle et les douze lignées qui se réclament de lui, ont rayonné de ce point pour fonder les nombreux kafu des deux Konyã ainsi que ceux du Tukoro qui s'enfoncent en pleine Forêt vers la Côte Libérienne.
Les kafu du haut pays renoncèrent vite à refouler les Guerzé et reçurent au XVIIIme siècle d'innombrables Fula séduits par leurs savanes salubres. Le coeur du pays, autour de Musadugu, ne pouvait être l'apanage d'aucune lignée en raison de son rôle rituel. Il fut abandonné aux dyula qui reconnaissaient la prééminence du doyen des Mãsa Kamara, tout en jouissant d'une indépendance de fait. Ces kafu perdirent toute cohésion bien que la valeur guerrière des Kamara demeurât intacte comme le prouve l'aventure des Saburaka. Issue du Mahana, sur la frontière des Guerzé, cette lignée s'imposa en effet au XVIIIme siècle aux Dyomãndé du Mau. Elle poussa bientôt des colonnes jusqu'à Mãnkono et au Bãndama, où elle se heurta même un instant aux avant-gardes de Kong.
Le centre de gravité du Konyã, se trouvait cependant dans le bas pays, c'est-à-dire les vallées du Dyõ et du Milo, ainsi que dans les montagnes du Tukoro, en direction de la mer. La menace Kurãnko avait été grave au XVIIIme siècle, ce qui peut expliquer cette attirance de l'ouest, mieux que le commerce car celui-ci ne filtrait guère jusqu'à la Côte. La résistance contre les Musagbèsi était dirigée, au XVIIIme siècle, par le Kwã, dont la capitale, Sõndugu, est construite au pied de l'énorme pic du Tibè (1.504 m), d'où elle peut contrôler aisément les principaux côtés du Gben. Tel est le domaine des Fãnkolonisi qui s'imposèrent alors à tout le Konyã en écrasant certaines résistances, comme celle des Vamoysi. Ceux-ci, exilés du haut pays, descendirent dans la vallée du Dyani d'où ils expulsèrent les Toma et jetèrent à Bãnko les fondements du Buzyé. La richesse qu'ils tirèrent de cette conquête leur permit de secouer la prépondérance du Kwã, avec l'aide des Soghonésumãsi de la vallée du Dyõ. Vers 1790, les Vamoysi furent contraints de s'effacer. L'hégémonie se trouva dès lors partagée entre les maîtres de la vallée du Dyõ (Bãmbadugu, Simãndugu, Gbérèdugu) et ceux du Buzyé qui se consacraient désormais à la lutte contre les Toma.
Le morcellement du Konyã était désormais à son comble et personne ne s'imposa au-dessus du niveau des kafu jusqu'au jour où la menace des Sisé allait provoquer de nouvelles cristallisations. Le record de l'émiettement paraît détenu par les Feñséménési qui occupent les kafu du Haut Milo (Talikoro, Worodugu) et où chaque segment paraît avoir joui d'une indépendance de fait. Manyãmbaladugu, où naquit Samori, est l'un de leurs villages, mais il est construit sur l'autre versant du Gben, à la frontière du Bãmbadugu.
A l'extrême ouest, la pression des Kurãnko s'exerçait toujours sur les lignées du Konyãnké et du Mãndu, mais elle n'était pas assez forte pour les décider à s'unir de façon durable. Il semble bien que cette société, dans l'état où elle se trouvait au début du XIXme siècle, ne renonçait à l'émiettement que si une menace extérieure mettait en cause jusqu'à son existence.
Quand René Caillié traversa le pays, en 1827, il ne songea pas un instant qu'un danger pouvait naître des minorités musulmanes dont il observait les relations idylliques avec la « secte des Bambaras », c'est-à-dire leurs compatriotes animistes. Le bouleversement était pourtant tout proche et ses premiers grands rôles devaient déjà se trouver en scène en la personne de Mori-Ulé Sisé et de Vakaba Turé dont nous allons à présent retracer ou du moins évoquer la carrière.
Cette étude débute nécessairement par les Sisé, puisqu'ils eurent l'honneur de frapper les premiers coups et surtout parce que leur aventure est inséparable de celle de Samori, qui allait être à la fois leur contradicteur et leur continuateur. Sans eux, le conquérant n'eut sans doute pas fait carrière et l'armée dont nous allons étudier la genèse, poursuivra un jour la lutte sous ses ordres. L'entreprise des Turè est au contraire bien particulière et a toujours gardé sa personnalité malgré une longue conjonction avec celle de notre héros, aussi n'en sera-t-il question qu'assez brièvement.
Il est significatif que les Sisé, qui allaient bouleverser les pays du Sud, n'étaient pas originaires des riches colonies dyula de la zone préforestière, mais de la puissante métropole du Milo. Ils ne venaient d'ailleurs pas de la ville de Kankan, mais du village de Bakõngo, situé à 40 kilomètres plus au nord, sur la rive ouest de ce fleuve.
Sisé est un dyamu illustre qui fut porté initialement, selon la tradition Sarakholé, par les six premiers Mãnga du Wagadu, c'est-à-dire les Empereurs du Ghana 8. Beaucoup de ses lignées se transplantèrent très tôt, en compagnie d'autres Marka, dans les grands marchés riverains du Niger et particulièrement à Sansanding, puis à Dya du Masina. Leur islamisation précoce explique que leur nom ait été adopté par une grande partie des chérifs de Tombouctou à mesure qu'ils s'africanisaient. Une autre assimilation est encore plus glorieuse. Les Peuls ont admis en effet que Sisé était l'équivalent de Dyallo, si bien que Sheku Ahmadu et ses successeurs, les maîtres du Masina, s'en sont réclamés à partir de 1818.
Les nôtres sont cependant d'authentiques Sarakholé. Les Fofana et Sisé qui fondèrent Bakõngo seraient venus de Nara, au Sahel 9, à une date très ancienne puisque leur village est, avec Binko, l'un des plus anciens du Baté. Il remonte au moins au XVIme siècle car il est antérieur à Kankan. Ce fut très tôt un centre d'attraction pour des lignées Sisé de toute origine car les dyula se fixaient de préférence chez leurs contribules en arrivant sur le Haut Fleuve 10.
Bakongo paraît avoir joué un rôle important dans la dispersion des Sisé car la plupart des petites lignées commerçantes ou maraboutiques qui se réclament de ce nom, du Haut Niger jusqu'au Bãndama, en proviennent plus ou moins directement 11. Il aurait donc été naturel que notre Mori-Ulé quittât les horizons découverts du Baté pour chercher directement fortune dans les montagnes du Konyã. Les choses ne se passèrent pourtant pas ainsi.
Fils d'un certain Bakari, dont nous ne savons rien, le jeune homme, né sans doute vers la fin du XVIIIme siècle, avait poursuivi ses études islamiques aussi loin qu'il était possible à Kankan. Il entendit sans doute parler du célèbre Karamogho-Ba, « le grand professeur », c'est-à-dire de Ladyi Salimu Gasama, qui venait de fonder au cœur du Fuuta-Dyalõ, le centre intellectuel de Tuba 12. Il se rendit en tout cas chez lui et passa de nombreuses années à s'instruire dans la ville neuve des Dyakhãnké, cet îlot manding dont la culture islamique irradiait la dure société peule.
Mori-Ulé, qui paraît avoir atteint un haut niveau intellectuel, s'abreuva ainsi aux sources les plus pures de l'Islam Kadiri et Karamagho-Ba lui transmit le Wird de cette confrérie. Il est évident que sa carrière ne peut s'expliquer sans cette période studieuse où ses idées prirent forme. Le jeune savant découvrait un pays dont les maîtres animistes venaient d'être éliminés mais cela ne signifie pas qu'il ait déjà décidé de se lancer dans la « guerre sainte » (dyaadi). Celle-ci s'était éteinte au Fuuta-Dyalõ et la patrie de Mori-Ulé, qui venait de conquérir son indépendance grâce à l'appui des Peuls, se conduisait alors avec prudence. L'enthousiasme conquérant avait cédé partout la place à l'avidité d'une nouvelle aristocratie nantie que les savants de Tuba considéraient avec peu d'indulgence.
C'est donc en porteur des lumières de l'Islam, et non en conquérant, que Mori-Ulé quitta les hautes terres du Fuuta, au début du second quart du siècle et c'est par pur hasard qu'il se dirigea vers les montagnes du Konyã. Son meilleur camarade d'études était en effet Arafãn-Séku Swarè, originaire du village dyula de Nyõsomoridugu, qui tient l'un des cols du Fõ au-dessus de la vallée étouffante du Dyani. Koñyé-Morifiñ, frère aîné d'Arafãn-Séku, était le marabout le plus respecté du Konyã, même si sa science n'atteignait pas la norme des grands centres du Nord. Les savants ne manquaient pas à Kankan, aussi est-il naturel que Mori-Ulé ait suivi son ami dans son pays natal pour porter la culture aux musulmans peu éclairés du Sud.
Quand ces hommes quittèrent Tuba, ils n'étaient plus des étudiants mais des maîtres déjà célèbres, suivis de nombreux disciples (taalibu) dont ils devaient assurer la subsistance matérielle comme la vie spirituelle et qu'ils pensaient utiliser au rayonnement de leur influence.
Un si grand nombre d'hommes de religion était excessif pour Nyõsomoridugu et Mori-Ulé décida bientôt de continuer sa route, en laissant Arafãn-Séku, frère modeste, employer sa science au service de Morifiñ. Le maître et ses taalibu séjournèrent successivement à Musadugu et dans le Girila, puis escaladèrent le plateau du Farana, jusqu'au village dyula de Fwala. A chacune de ces étapes, Mori-Ulé avait rencontré parmi les musulmans des Sisé, mais issus de lignées étrangères à Bakõngo, car leurs ancêtres avaient accompagné jadis les conquérants païens. Ce voisinage ne lui agréa guère puisqu'il se transporta dans le village animiste de Karala, qui marque la limite traditionnelle du Konyã. Les cris du Komo lui furent bientôt insupportables et, après s'être querellé avec le chef Meãzè Koné, il s'éloigna vers le nord, pour s'arrêter dans le gros centre de Gbèlèba, sur le gué principal du Haut Sãnkarani (Gbãhala). Il se trouvait désormais dans le Torõ car cette région, connue sous le nom de Mbarèna, payait tribut au Mãsa du Kulay Ni-Gwala, qui était alors Mari Kuruma. Gbèlèba appartenait à des Traoré animistes, mais comptait un quartier musulman dirigé par les Sisé du Bankõngo, donc selon la classification Malinké, des « oncles » de Mori-Ulé. La rive gauche du fleuve était pratiquement déserte, comme elle l'est encore de nos jours et les immigrants décidèrent de s'y fixer pour s'adonner à la piété, loin de toute souillure animiste. Mori-Ulé se rendit à Karafiliya pour visiter Mari et obtint sans peine la cession des terres voisines du marigot Boya. Le Mãsa, inconscient de la menace, se félicitait sans doute de peupler son pays de savants magiciens dont l'art assurerait sa prospérité.
Mori-Ulé construisit donc un village à quelques kilomètres de ses cousins de Gbèlèba et comme il pensait avoir ainsi accompli son hégire, il lui donna le nom de Madina (circa 1830) 13.
Pendant un certain nombre d'années, l'agglomération grossit énormément, car Mori-Ulé accueillait tous ceux qu'attirait sa renommée de sainteté et étendait ses cultures dans la brousse avoisinante. L'importance commerciale de la place découlait exclusivement de son poids démographique, car elle était assez mal située, sur la piste secondaire unissant le vieux marché de Maninnyã à Fwala et au Haut-Konyã. La chasse à l'éléphant était particulièrement fructueuse dans ce désert. Mori-Ulé, de plus en plus riche, achetait de nombreux captifs, qu'il mettait à cultiver, ainsi que des fusils et quelques chevaux pour armer ses partisans. On aimerait savoir d'où provenaient ceux-ci, mais cette histoire est connue exclusivement par les traditions orales et celles-ci, pour une époque aussi ancienne, sont assez imprécises. La biographie des sofas qui se rallieront à Samori un demi-siècle plus tard, ne nous éclaire guère sur l'origine des premiers ralliés. Il est vraisemblable qu'autour d'un noyau d'hommes pieux on trouvait surtout des dyula pauvres et des animistes en rupture de ban qui cherchaient la sécurité auprès du nouveau venu.
Ces années obscures sont décisives puisqu'à leur issue, Mori-Ulé allait se montrer décidé à user de la force pour imposer l'Islam à ses hôtes et à invoquer la religion pour justifier son hégémonie politique. Il est possible qu'il ait nourri cette idée depuis longtemps et qu'il ait entrepris de la réaliser dès qu'il en eut les moyens. Puisqu'il n'a laissé aucune oeuvre écrite, nous ignorons cependant les cheminements d'une pensée dont les sources ne sont pas claires 14. Ses compatriotes de Kankan qui se trouvaient dans une situation bien plus favorable, n'allaient songer à la guerre saine (dyaadi) qu'après avoir reçu l'impact de la Tidyaniya. Son camarade Arafãn-Séku, repris par l'ambiance de la zone préforestière, en rejetait l'idée avec horreur. Bien plus tard, avant d'attaquer les Koné du Worodugu, Mori-Ulé allait envoyer une délégation à Morifiñ Swarè pour lui expliquer ses intentions et demander sa bénédiction pour la tâche qu'il entreprenait en faveur de l'Islam. Le vénérable marabout répondit en le maudissant s'il attaquait des animistes qui ne lui avaient rien fait et tout le monde allait y voir la cause de la catastrophe qui suivit 15.
La décision de recourir aux armes est donc bien le fruit des réflexions personnelles de Mori-Ulé. Elle est à confronter avec sa volonté évidente de se tenir à l'écart de l'Islam local, dont les grands centres l'avaient d'abord accueilli, et de regrouper ses fidèles dans un désert, en zone païenne, et où lui seul serait le maître. Il pouvait ainsi énoncer la volonté de Dieu sans tenir compte des préjugés et des corruptions des musulmans locaux. Cet étranger, sans aucune attache dans le pays, ne pouvait tabler que sur des individus en rupture avec leur milieu traditionnel et dénués de tout espoir en dehors d'un dévouement total à sa personne.
Il arriva à créer ainsi une ambiance de fièvre et d'exaltation dans la communauté close qu'il construisait. Les incidents inévitables qui en résultèrent, allaient servir de prétexte à la guerre dès que les musulmans se jugèrent prêts.
La révolution commença sans doute vers 1835 16, alors que Mori-Ulé avait quarante ans, l'âge parfait que la tradition musulmane attribue aux grands inspirés et même aux prophètes. Il choisit l'occasion d'un incident mesquin. Des femmes de Madina ayant été molestées sur le marché de Makunkã, le marabout se rendit, avec ses taalibu en armes, au village de Gbamani dont ce marché dépendait 17. Le chef l'ayant mal reçu, il prit la place d'assaut, la rasa, exécuta son adversaire et vendit les prisonniers. Mari Kuruma ayant demandé des explications, se heurta à un refus méprisant et apprit que Madina ne lui paierait plus tribut à moins qu'il ne se convertisse à l'Islam 18.
C'était là un défi étrange et sans précédent. Le Mãsa appela au secours son parent Nyumagbè-Sori, le chef du Sabadugu, et rassembla ses guerriers pour éliminer ces hôtes ingrats. Il mit le siège devant Madina avec une armée dont la supériorité numérique était écrasante. La place n'était défendue que par une palissade (sanyé) mais les musulmans avaient beaucoup plus de fusils que leurs adversaires et comptaient de nombreux chasseurs parmi eux. Ils repoussèrent donc tous les assauts si bien que les animistes finirent par s'avouer vaincus 19.
Ce premier succès n'était sans, doute pas décisif car Mori-Ulé évacua aussitôt Madina, difficile à défendre, et se retira sur la route du Konyã où il fortifia, en plein désert, le hameau de Kobala 20. Comme le Mãsa ne pouvait demeurer sur son échec, il forma l'année suivante une coalition encore plus puissante puisqu'elle incluait cette fois des Dyallo du Wasulu et des Konaté. Mari subit pourtant un véritable désastre et les musulmans le poursuivirent jusqu'à Karafiliya qui fut pris d'assaut. Mori-Ulé fit décapiter le vaincu et nomma à sa place un Mãsa fantoche, Musa Kuruma 21.
La victoire entraîna l'habituel cortège des ralliements spontanés. Le premier fut celui du chef du Mbarèna, Tarãmba-Férè Traorè, de Gbèlèba, dont les hommes allaient suivre jusqu'au bout les Sisé. La soumission du Badugula étendit bientôt la nouvelle hégémonie jusqu'aux rives du Dyõ et quelques petites guerres en élargirent aisément les frontières. C'est ainsi que Meãzen Koné, de Karala, dut rendre hommage à son ancien hôte et détruire le Komo qui l'avait tellement irrité. Son voisin Mãsa Koné qui commandait le Dyigilõ fut assiégé dans Gbona et finit par capituler. Enfin, à la demande de Gbèlèba” Mori-Ulé traversa le Sãnkarani et alla détruire Sizendugu 22, dans le Sèyla, pays vassal du Nafana (circa 1835-1837).
Le noyau du royaume était désormais constitué et il allait demeurer à peu près stable jusqu'au bout, tandis que variait sans cesse l'étendue des pays soumis à sa suzeraineté. Il prit de son fondateur le nom de Moriulédugu 23 et le conquérant adapta bientôt une politique plus souple car il était isolé loin de sa patrie et ne pouvait affronter l'hostilité universelle. Il ne paraît pas avoir insisté sur la conversion des vaincus, qui resta de pure forme, mais il leur imposa tribut et rechercha des alliances, sans lesquelles il n'aurait guère eu d'avenir. C'est ainsi que ses fils, Sérè-Burlay et Sérè-Brèma épousèrent des parentes de Musa Kuruma, qui adoptèrent l'Islam à cette occasion 24.
La forte personnalité de Mori-Ulé s'exprima surtout par ses efforts pour organiser un véritable Etat, en remaniant habilement des institutions anciennes. Pour commencer, il créa une capitale en reconstruisant Madina qu'il entoura de fortes palissades (sanyé ) et pourvut d'un tata central. Les captifs, qu'il posséda vite en grand nombre, en firent une énorme cité que d'innombrables hameaux de culture couvraient sur un rayon d'une dizaine de kilomètres .
Mori-Ulé islamisa le rituel du dègè qui garantissait en principe la fidélité des vaincus et il prit le titre belliqueux de Faama, indiquant ainsi que ses ambitions étaient plus politiques que religieuses. Il semble n'avoir jamais songé à se qualifier d'Almami, comme ses hôtes du Fuuta-Dyalõ, et encore moins de Commandeur des croyants. Il s'entoura d'un Conseil où des amis fidèles et des hommes de religion coudoyaient les principaux chefs militaires. Il affecta toujours de se plier à ses avis mais aucune spécialisation de type « ministériel » ne s'y manifesta et le territoire conquis ne fut jamais divisé en grands gouvernements. Chaque kafu ou gros village reçut un dugukuñnasigi, homme de confiance du maître, chargé de veiller au bon esprit des sujets et à la rentrée du tribut.
L'armée fut répartie dès le début en bolo d'une centaine d'hommes, et ceux-ci regroupés en kèlè, ou colonnes d'importance variable, sans égard à l'organisation traditionnelle des classes d'âge (kari). La principale innovation fut cependant d'ordre technique. Grâce à ses relations étroites avec les milieux dyula, Mori-Ulé put se procurer d'assez nombreux chevaux et pourvoir en fusils la plupart de ses hommes. C'était une révolution à une époque où les armes à feu demeuraient le privilège de quelques chasseurs. L'armée acquit ainsi une supériorité très marquée, bien que son infériorité numérique soit longtemps restée sensible. Quand ses colonnes n'étaient pas en campagne, elles stationnaient toutes à Madina, à la disposition du Faama.
Toute cette organisation sera détruite intégralement par Samori un demi-siècle plus tard, mais l'Almami lui devra beaucoup, surtout dans le domaine militaire. Il faut avouer que nous la connaissons fort mal, en raison de l'imprécision des traditions pour cette époque ancienne et surtout parce que nous sommes incapables de distinguer à une époque ultérieure ce qui vient de Mori-Ulé et ce qui est dû à Samori. Cette confusion est symbolisée par le destin de Madina dont toute la population allait être transférée à Bisandugu pour se fondre dans la foule rassemblée par le nouveau conquérant.
Après avoir ainsi posé les fondements de sa puissance, Mori-Ulé pouvait faire un tour d'horizon pour choisir le lieu où sa jeune force porterait ses coups. L'isolement où il se trouvait avait protégé ses débuts, mais il n'avait pas l'intention d'en rester là. Pour des raisons militaires, aussi bien que sociales et religieuses, le commerce était certainement son grand souci et le territoire conquis s'y prêtait fort mal. C'était un semi-désert, situé à l'écart des grandes pistes du colportage car celles-ci passaient soit dans l'Ouest, sur le Milo, soit au contraire dans l'Est, par Samatigila. Unissant le Konyã à Kankan, la première était aux mains de lignées Kamara et Konaté, morcelées en kafu minuscules, mais de réputation guerrière. La seconde montait du Mau ou du Worodugu vers Bamako à travers le puissant royaume du Nafana, centré sur Odienné et commandé par les redoutables Dyarasuba. Mori-Ulé hésita sans doute à s'engager dans des aventures dangereuses avant d'avoir accru ses forces. En négligeant ses flancs et en frappant au sud, il imposerait son autorité jusqu'aux limites de la Forêt. En se tournant vers le nord, il n'était séparé de Kankan, sa patrie, que par le Torõ anarchique et divisé entre Konaté et Kuruma. S'il faisait sauter ce verrou, il rejoignait la métropole dyula et obtenait le contrôle total d'une nouvelle route du kola où il pourrait attirer les colporteurs.
Tel est sans doute le calcul qu'il fit car il orienta ainsi ses premières grandes campagnes. En avant des montagnes du Haut Konyã la route du Sud était fermée par le Bèèla, qui occupe entre Dyõ et Sãnkarani un plateau hérissé de nombreux inselberge, comme le Kobobi-Kuru ou le Kõfin-Kuru. Ces reliefs sont abrupts et inaccessibles mais trop étroits pour nourrir une population importante. La lignée du clan Koné qui contrôle ce pays était alors sous les ordres du Mãsa Filakoro, de Fèrèdugu 25. Ce village fut détruit comme tous ceux de la plaine, et notamment Dyasadugu, dont le chef Koboro-Funu organisa la résistance du sommet du Kõfin-Kuru. Les assaillants l'y suivirent mais ils furent impuissants devant ces falaises abruptes. Ils subirent surtout des pertes du fait des sorties nocturnes des assiégés car ceux-ci avaient compris que les fusils à pierre perdaient toute efficacité dans l'obscurité et au corps à corps.
Mori-Ulé dut battre en retraite sur Madina, mais ses raids empêchaient toute vie agricole, si bien que les Koné acceptèrent un compromis. Contre la paix et la liberté religieuse, ils acceptèrent de payer tribut et de soutenir militairement les guerres des Sisé. Aucun dugukuñnasigi ne fut donc placé chez eux.
Mori-Ulé renonça à s'enfoncer dans les montagnes du Farana et se contenta de ce demi-succès. Il paraît avoir décidé d'ouvrir à tout prix la route de Kankan dont les dyula pourraient renforcer ses troupes et lui donner accès au commerce de la Côte. Cet effort venait cependant dix ans trop tôt car la métropole du Milo vivait encore sous la menace de Tãmba. Elle n'était pas mûre pour la guerre sainte et n'allait lui fournir aucune aide directe.
Mori-Ulé aurait pu réussir s'il s'était heurté à un ennemi divisé mais la menace qu'il faisait peser sur le Torõ suscita justement une forte réaction, comme on n'en avait pas vu depuis Kondé-Brèma. Le conquérant voulait faire sauter le verrou du Sabadugu, qui tenait le confluent du Dyõ et du Sãnkarani, et dont le Mãsa, Nyumagbé-Sori de Koma, avait été incapable de secourir Karafiliya. Ces Kuruma eurent alors la chance de trouver un grand chef de guerre dans la personne d'un jeune tõntigi, Koné Sira Komba 26. Celui-ci fortifia solidement Sana, qui couvrait le gué de Baranama, et reçut l'appui de Bãndyã-Fara Dyakité, le puissant chef Wasulunké du Dyétulu, l'homme qui prétendait à l'héritage de Kondé-Brèma. La plupart des kafu du Torõ, qu'ils fussent Konaté ou Kuruma, rallièrent les rangs des défenseurs, y compris le Kulay-Ni-Ulété, riverain du Milo, que le voisinage de Kankan inquiétait déjà 27.
Mori-Ulé avait mobilisé en masse ses sujets et fait appel à toue les dyula et musulmans de la région. Il obtint même l'alliance de ses voisins du nord, les Wasulunké du Sanãfula, que leurs dissensions internes allaient cependant rendre inefficace 28. Pendant six années successives, selon la tradition, l'armée du Sisé vint ravager le Sabadugu et mettre le siège devant Sana, mais sans aucun résultat 29. Elle fut incapable de passer le fleuve et se heurta partout à un adversaire supérieur en nombre, déjà en possession d'un certain nombre de fusils (circa 1837-1842).
Cette guerre stérile allait être décisive car elle brisa les ambitions du conquérant. La route de Kankan, qui se fermait ainsi devant lui, n'allait plus jamais s'ouvrir. El Hadj Omar visitait pourtant la métropole du Milo, à peu près à la même époque (1838), et il lui transmettait les germes de la guerre sainte, mais ceux-ci n'étaient pas encore mûrs. Quand les Kaba du Baté entreront en lice, les Sisé seront retenus dans le sud par des intérêts vitaux. La conjonction des deux forces aurait pu faire sauter le verrou animiste du Torõ, mais elle ne pourra jamais s'effectuer. Ces longues années de combat avaient d'ailleurs fait surgir un nouveau chef militaire dans les rangs des animistes, en la personne de Nãnténen-Famudu, le fils de Nyumagbè-Söri. Ce jeune homme allait bientôt acquérir une grande autorité et c'est sans doute dans les années 40 qu'il fit construire un puissant tata à Worokoro, pour écarter les Sisé des gués du fleuve. Kõmba mourut justement vers la même époque, des suites d'une vieille blessure, et Famudu éclipsa facilement un père âgé et sans personnalité 30. Il se joignit à Dyèri Sidibé dans sa lutte contre Kankan (circa 1850-1855) et prit le titre de Faama après la disparition du révolutionnaire Fula. Il était dés lors maître du Torõ, à l'exception des marches méridionales, et interdisait tout espoir de jonction aux Sisé et aux Kaba. Il est vrai que la puissance animiste qui surgissait ainsi entre Milo et Sãnkarani n'avait rien d'un Etat. Le souverain percevait bien un tribut et appelait au combat les guerriers levés dans le cadre des classes d'âge, mais il ne plaçait aucun agent dans les pays soumis. Ceux-ci s'étaient en effet ralliés de bon gré, sans être vaincus militairement 31 et les dugukuñnasigi demeuraient le monopole des conquérants militaires.
Famudu se fondait autant sur la tradition animiste que sur la force, mais sa légitimité coutumière se limitait au Sakodogu et les autres kafu ne suivaient qu'en raison de son prestige personnel. La menace grandissante des musulmans affermissait cependant son autorité et le Faama n'eut qu'assez rarement à user de rigueur 32. On ne saurait douter que cette construction occasionnelle se fût effondrée si le calme était revenu, ou si son chef avait disparu. En attendant, les animistes représentaient une force considérable et leur destruction était au-dessus de la force des Sisé. Les gens de Kankan allaient eux-mêmes s'y casser les dents et il faudra Samori pour en venir à bout.
Toujours est-il que Mori-Ulé s'inclina devant les faits car il fit la paix avec le Sabadugu un peu après 1840. Cet échec, malgré une longue et sanglante obstination, ébranlait certainement son prestige. Après avoir soufflé et reconstitué ses forces, il était donc naturel qu'il cherchât un nouveau terrain pour reprendre l'avantage et oublier cette humiliation. Il se tourna cette fois vers le sud-est, visant sans doute à contrôler l'accès au gros marché de Koro et au Mau, près du Haut Sassandra. On rencontrait de ce côté plusieurs petits kafu qui avaient échappé à la suzeraineté du Nafana. Les plus anciens, les plus proches aussi, occupaient le plateau du Worodugu et l'enclave montagneuse du Wonõ, sous les ordres de deux lignées Koné apparentées à celles du Bèèla. Plus au nord, le Torokoto groupait des villages assez hétérogènes sous l'autorité traditionnelle des Samaké de Tanentu 33. Ceux-ci s'inquiétaient de la puissance grandissante des musulmans de Togobala, gouvernés alors en fait sinon en droit, par une femme, une riche commerçante nommée Kango Komara. Il est remarquable que ces animistes se rallièrent à Mori-Ulé et que le héraut de l'Islam les aida à détruire Togobala. Le village fut rasé au sol, Kango tuée, et la population entière réduite en esclavage.
Le Faama somma alors le Worodugu de se soumettre, mais il essuya un refus catégorique de son chef, Moogbè-Suma, retranché dans le tata de Kurukoro, au sommet d'une montagne abrupte 34. Mori-Ulé apprit bientôt qu'un jeune dyula énergique et ambitieux, qui venait d'apprendre la guerre sous ses ordres, et qui avait récemment vaincu les païens du Torõ oriental, s'était installé à Kurukoro avec une petite troupe. La mère de ce Kaba Turé était native de ce village et il incitait ses « oncles maternels » à résister. Il dépêcha bientôt une ambassade à son ancien maître pour le supplier d'épargner le Worodugu mais Mori-Ulé repoussa cette démarche avec mépris et fit d'importants préparatifs de guerre. C'est alors qu'il demanda la bénédiction de Kouyé-Morifin, mais on a vu qu'elle lui fut sèchement refusée.
Les Sisé commencèrent par détruire sans grande peine les villages construits en plaine dans le Worodugu occidental, comme Worosya et Foromaro 35. Un assaut échoua devant Dyèmu, le foyer ancestral des Koné, mais la population évacua cette place pour rejoindre Kurukoro. Kaba Turè aurait alors fait une seconde démarche auprès des Sisé, mais avec aussi peu de succès que la précédente. Il passa bientôt aux représailles en envahissant le Bèèla et en détruisant le village Koné de Samarani 36, pourtant fort innocent des ambitions de ses maîtres.
Mori-Ulé, furieux, massa alors toute son armée et vint mettre le siège devant Kurukoro. Sa supériorité était écrasante, mais il paraît avoir manqué de sang froid en multipliant les assauts coûteux contre une montagne abrupte. Kaba Turè ayant eu un bras cassé fut évacué au hameau de Fèrégbèdu 37 et Mori-Ulé crut aussitôt qu'il pourrait enlever la place. Il s'exposa imprudemment, eut les deux jambes cassées en tombant de cheval et fut capturé par une sortie des défenseurs. Il mourut le jour même dans des circonstances obscures, sans doute exécuté sur l'ordre de Sanusi Turè qui commandait en l'absence de Kaba (circa 1848) 138).
Ainsi disparaissait de façon imprévisible le premier conquérant musulman du sud, alors encore jeune et plein d'ambition. Son oeuvre, mal consolidée, risquait de s'effondrer et c'est bien ce qui faillit se passer. Tout de suite après la catastrophe, les défenseurs brandirent sur leurs positions le boubou et le bonnet ensanglantés du mort. L'armée assaillante qui voyait se dérober la protection divine, sur laquelle elle comptait fermement, se débanda aussitôt. Beaucoup d'hommes désertèrent et les plus fidèles rentrèrent d'une traite à Madina. Tous les vassaux reprirent sans remords leur liberté puisque le serment du dègè ne les liait qu'à la personne du mort. Les Koné du Bèèla et du Dyigilõ expulsèrent les villages musulmans qu'ils jugeaient complices du Conquérant 39. Les Kuruma du Badugula et du Kulay-Ni-Gwala se soumirent à leurs parents du Sabadugu. Un peu partout, les dugukuñnasigi, qui s'étaient rendus impopulaires, furent mis à mort ou expulsés.
Cette construction fondée sur la force seule s'était donc écroulée comme un château de cartes. Le Moriulédugu se trouvait réduit à sa fraction islamisée, de Madina à Karala, ainsi qu'au Mbarèna que sa position géographique incitait à la fidélité. L'armée gardait cependant un noyau solide et bien armé, grâce aux taalibu que leurs convictions religieuses empêchaient de déserter. Dès leur retour à Madina, les fils du mort, Sérè-Burlay et Sérè-Bréma réunirent le Conseil de leur père pour dresser le bilan du désastre.
L'aîné eut l'audace de proposer une réconciliation avec Kaba Turè et il sut l'imposer à ses notables, réticents mais inquiets. Il savait que le vainqueur était embarrassé de son triomphe inespéré. Comme dyula et musulman, il était gêné d'avoir causé la mort d'un « saint », et qui plus est, son ancien maître. Il avait pleuré en voyant le corps et avait veillé à ses funérailles. Par ailleurs, ses forces demeuraient faibles et il se trouvait dans la dépendance de ses hôtes, les Koné. Bien que sa politique fût très différente de celle de Mori-Ulé et qu'il eût détendu « ses animiste », cette situation ne répondait certainement pas à ses ambitions. En se dévorant mutuellement, les musulmans ruinaient le dessein de conquête qu'ils venaient de former.
Kaba Turè accueillit donc chaleureusement le jeune Burlay et lui rendit les trophées sanglants du mort. Il promit d'épargner son héritage à condition que le reste de l'armée vaincue passât sous ses ordres. Burlay laissa alors une petite troupe à Madina, avec son frère Bréma, et il rejoignit les Turé à Kurukoro avec les autres combattants pour les aider à conquérir leur propre royaume.
Pendant quelques années, le Moriulédugu, réduit à sa plus simple expression, allait mener une vie ralentie, attentif à ne pas provoquer ses anciens sujets animistes. Ceux-ci ne l'épargnèrent sans doute qu'en raison de l'ombre menaçante des Turè qui grandissait alors dans l'est (circa 1845-1850).
Nous allons profiter de cette pause pour brosser un tableau rapide de cette nouvelle puissance, au moment où elle reprenait le flambeau de la « guerre sainte » (dyaadi), dans des conditions à vrai dire très différentes de celles qu'avait connues Mori-Ulé.
Le conquérant Sisé avait bouleversé une terre étrangère et avait débuté dans l'isolement d'une zone pauvre, à l'écart des grands courants commerciaux. La coloration religieuse de son oeuvre était donc très marquée tandis que son manque d'enracinement explique sa fragilité.
L'entreprise des Turè, qui allait se dérouler plus à l'est, sur la grande route kolatière du Mau à Bamako, était au contraire le fait de lignées établies de longue date dans le pays et unies aux autochtones par des liens anciens et solides. La diplomatie y eut donc autant de part que la force et la signification religieuse se trouva entièrement éclipsée par des soucis commerciaux et politiques. L'Etat qui en résulta allait montrer en conséquence un assez haut degré de cohésion et de stabilité.
Il est vrai que le futur domaine des Turè connaissait déjà une organisation politique assez élaborée, qui dépassait en tout cas le niveau du kafu. La région d'Odienné avait vu un lent recul du peuplement Sénufo, du XVIme au XVIIIme siècle, mais des mouvements de petits groupes familiaux, de part et d'autre de la frontière linguistique, sont à l'origine d'un métissage très étendu. En longeant cette limite, on discerne quelques nuances entre la zone Bambara au nord-est, caractérisée par un fort élément d'origine Sénufo avec des kafu aux lignées peu homogènes, et la zone Malinké qui répond aux normes classiques du Torõ et du Konyã. Le Torõ a fourni les Kuruma, Fani et Fõndyo qui dominent autour d'Odienné. Le Konyã garde des liens étroits avec les Kamara-Dyomandé, les Bamba et les Koné qui couvrent le Sud jusqu'au Mau.
Le colportage intense qui traverse le pays depuis des siècles y a semé des gros centres dyula peuplés de lignées issues du Niger et particulièrement des régions de Ségou, Bamako et Kankan. Les Kamaghaté, fondateurs d'Odienné, ainsi que les Kanté de Fèrèdugula et les Bagayogo de Koro sont les plus anciens car ils ont accompagné au XVIme siècle la vieille migration des Dyomãndé. Les Silla de Tyémé seraient venus du Moyen Niger vers la fin du XVIIme siècle et c'est sous leur égide que Samatigila a été fondée une centaine d'année plus tard. Les Kuruma en ont cédé la terre aux Dyabi dont le nom indique qu'ils sont issus de Dya, dans le Masina. L'hégémonie Dyomãndé avait couvert au XVIIme siècle tout le Pays Sénufo jusqu'au Bãndama mais elle fut suivie par une période d'anarchie qui facilita l'irruption des Dyarasuba au milieu du XVIIIme siècle (fondation du Nafana) 40.
Appelés par les Kamaghaté, ces Bambara, liés à Kong et à Ségou, repoussèrent les Sénufo dans le Nöölu où la frontière ethnique allait se stabiliser jusqu'au XXme siècle. Ils imposèrent leur autorité aux Malinké animistes (Kuruma, Fani, Fõndyo, Bãmba et Koné), de façon à contrôler tout l'Ouest du futur cercle d'Odienné, excepté le Folo de Maninnyã que les Wasulunké peuplaient alors en masse 41. Laissant Odienné aux musulmans, les conquérants avaient occupé toutes les hauteurs favorables à la défense, et leurs gros villages fortifiés dominaient de là, le pays. Le principal était Manuuna, situé en haut des falaises du Deñgélé (807 m.) et d'où l'on observe le toits d'Odienné à dix kilomètres dans l'est. Le Faama résidait cependant sur le plateau, à Tiyenfu, tout près de la ville moderne, et c'est de là qu'il gouvernait le pays au moyen de captifs guerriers et cultivateurs. Les hameaux de ceux-ci, au nombre de 177 selon la tradition, couvraient le pays, trente kilomètres à la ronde. Ce puissant royaume intervenait fréquemment dans les affaires du Wasulu avec lequel il entretenait des relations étroites, mais il était contenu au sud par la résistance énergique des Dyomãndé, dans les monts du Gbè et du Barala, et par celle, moins active mais tout aussi tenace, des Sénufo accrochés aux chaînes du Nöölu. Au début du XIXme siècle, cette hégémonie paraît cependant s'être assagie et stabilisée, jouissant en paix du pays conquis où elle se trouvait solidement enracinée. Cet apaisement était sans doute l'amorce d'une décadence, à la mode de l'ancienne Afrique. Il entraînait un relâchement du contrôle sur les vassaux Kuruma ou Fani, et des ennemis vigilants allaient en profiter au moment opportun
Le Nafana cessant d'assurer l'ordre, l'élément dyula se détournait progressivement de lui, au moment où les nouvelles des guerres saintes du Nord, particulièrement, celles du Masina, faisaient fermenter les esprits. L'exemple tout proche de Mori-Ulé servit sans doute de catalyseur. L'opposition des animistes risquait ici d'être plus cohérente mais l'Islam local pouvait fournir une base solide, à condition qu'on ménageât ses traditions.
L'agent de cette révolution fut effectivement un fils du pays, Kaba Turè, que nous appellerons désormais, avec respect, Vakaba. Il appartenait à une lignée dyula dont l'ascendance Sarakholé est évidente, mais dont l'implantation sur la route du Mau remontait à plusieurs générations. Ses traditions semi-légendaires évoquent la remontée du Niger jusqu'à Sidikila, un important village du bas Sãnkarani 42. Nous en parlerons plus loin puisque certains les attribuent également à la lignée de Samori qui serait étroitement liée à celle de Vakaba. Même si cette parenté ne doit pas être prise au pied de la lettre, il parait évident que les ancêtres des deux conquérants appartenaient au même milieu social et qu'ils séjournèrent à Sidikila. Ce village est d'ailleurs inséparable de Binko près de Kankan, qui serait encore plus ancien. Tous deux sont les berceaux des lignées Turé répandues dans le Sud, à l'exception de celles du Pays Sénufo qui seraient venues directement de Djenné.
Les ancêtres de Vakaba quittèrent Sidikila pour descendre vers le pays du kola en pratiquant le métier de tisserand. C'est ainsi que son arrière-grand-père, Kèni-Brèma, dit Ibraima-Dyã (« le long ») s'établit à Gbaralo, un gros marché étape sur la rive droite du Baulé, et qu'il mourut en voyage à Lenko, dans le Bas-Konyã 43. C'était sans doute l'un de ces tisserands nomades qui séjournent quelques semaines ou quelques mois dans les villages qui les réclament et dont les produits constituent une monnaie d'échange fort appréciée. Ils passent d'ailleurs du tissage au colportage du kola chaque fois que les cours paraissent favorables 44. Kèni-Brèma était sans doute un assez pauvre homme bien que les généalogies le rattachent directement au grand ancêtre Sidiki. Il est probable qu'il sillonnait les pistes depuis la Forêt jusqu'à Bamako ou Djenné comme allait le faire Vakaba lui-même.
A partir de son fils Fèrèmori, l'acquisition de la culture islamique contribua cependant à l'ascension de la famille. Si nous n'y trouvons pas des hommes de grand savoir, comme Mori-Ulé, qui avait passé des années en exil auprès de maîtres lointains, beaucoup de Turé furent assurément des Namutigi d'un niveau très honorable, selon les normes des pays du Sud. Fèrèmori se rendit à Samatigila pour étudier chez son homonyme, Fèrèmori Silla, qui le prit en amitié et, le voyant trop pauvre pour se marier, lui laissa à sa mort sa veuve Matyé Sisé 45. Cette alliance introduisait le jeune homme dans les milieux dyula les plus huppés de la zone intermédiaire. Il sut sans doute en profiter puisqu'il quitta Gbaralo pour Mafèlèba où il construisit un quartier musulman (Moriso) à l'écart des animistes et où il dirigea bientôt avec ses frères le travail de nombreux esclaves tisserands 46.
Son fils Matyèwa 47 le quitta, sans doute vers la fin du XVIIIme siècle, pour s'installer chez son demi-frère, Matyè-Karamogho Silla 48, qui commandait l'un des quartiers de Samatigila. Comme ce dernier gardait des relations étroites avec Tyèmè, son village d'origine, les Turè se trouvèrent fort bien placés auprès des chefs du Nafana. Matyèwa resta fidèle au commerce et c'est ainsi qu'il épousa, à Kurukoro du Worodugu, une fille de la seule lignée musulmane du village, Kaba-Sarã Kaba 49.
Celle-ci lui donna trois fils, Ibraima, Kaba et Karamogho. Ils apprirent le Coran chez le vénérable Karamogho-Sénéba Dyabi qui jouissait alors d'un renom de sainteté, mais les deux premiers montrèrent peu de goût pour l'étude et furent bientôt voués au colportage tandis que le cadet demeurait à la garde de leur père vieillissant.
Jusqu'ici cette histoire est très ordinaire. Elle nous montre l'insertion d'une lignée issue du Niger dans le milieu dyula de la zone intermédiaire. Ces Turè gardent les réflexes mobiles des colporteurs et ils ne s'assimilent pas à la masse animiste puisqu'ils s'installent dans des gros villages musulmans et se marient exclusivement chez des coreligionnaires 50. La fondation de Moriso et le choix de Kaba-Sarã sont à cet égard significatifs. Les Koné du Worodugu considéraient Vakaba comme leur « neveu maternel », mais il était seulement celui de « leurs marabouts ». Malgré d'étroites relations économiques et politiques, les dyula préservaient donc leur personnalité en vivant en marge des animistes, maîtres du pays. Cette position de dépendance froissait leur orgueil et on conçoit qu'ils l'aient mal accepté dès l'instant où il parut possible de la briser.
Vakaba fit en tout cas l'expérience des relations entre dyula et animistes durant la quinzaine d'années où il vécut de colportage en compagnie de son frère, Ibraima (circa 1825-1840) 51. La tradition lui prête des voyages immenses, bien plus lointains que ceux de Samori. Achetant des kola à Wanino du Mau ou à Koro, il les vendait à Djenné contre du sel et des cauris 52. De la, il remontait vers le Burè pour se procurer de l'or qui servait à se procurer des captifs au Fuuta-Dyalõ. Ces derniers étaient revendus en Sierra Leone contre les fusils et la poudre qu'il ramenait ensuite au Nafana. Ce tableau présente certaines difficultés. Son premier trait est vraisemblable puisque notre colporteur suivait l'itinéraire de Caillé. Le Fuuta-Dyalõ aura par contre, à la fin du siècle, une réputation d'acheteur et non d'exportateur de captifs. Il est vrai que nous connaissons mal son état à une époque où la féodalité peule commençait seulement à se figer et où les razzias continuaient sur toutes les frontières. Les captifs devaient être destinés à la traite clandestine qui sévira sur toutes les Rivières pendant une bonne moitié du siècle. Si Vakaba allait jusqu'à la mer, il fréquentait sans doute la côte de l'actuelle République de Guinée, plutôt que celle de la Colonie britannique.
On nous dit que Vakaba se lassa de voyager seul quand Ibraima décida de demeurer en compagnie de leur père à Samatigila. Comme il disposait d'un fusil, il s'engagea alors à plusieurs reprises dans les armées de Mori-Ulé qui commençait justement ses guerres. C'est ainsi qu'il participa à la plupart des campagnes contre le Sabadugu. Il y acquit l'expérience des nouvelles méthodes de combat et reçut un butin considérable car les marfatigi, propriétaires d'une arme à feu, étaient avantagés aux partages (circa 1835-1840).
Cette orientation vers la guerre nous donne un indice du caractère de Vakaba mais il ne paraît pas avoir été distingué par Mori-Ulé puisqu'il ne reçut aucun commandement bien qu'il fût son « neveu utérin » 53. Entre deux campagnes, il continuait son métier de colporteur, et il est certain qu'il s'enrichissait puisqu'il eut bientôt un âne et deux captifs. Il semble qu'il ait alors voulu renoncer aux armes car il quitta les Sisé pour s'établir comme négociant à Wogona dans le Sibirila 54 d'où il allait chaque année à Djenné (circa 1840). Il y était depuis deux ans quand un incident banal opposant les gens de Samatigila aux Fani du Torõ, leurs proches voisins, allait lui révéler sa vocation guerrière tout en ouvrant l'histoire du Kabasarana.
Une étude détaillée des débuts de Vakaba était nécessaire pour illustrer l'ambiance dans laquelle se préparait la révolution dyula. Elle permet d'opposer nettement le héros des Turé à Mori-Ulé, ce précurseur, qui voulait faire table rase sur un sol étranger. Nous avons donc deux termes de comparaisons pour aborder l'aventure de Samori, ce qui nous permettra de cerner l'originalité du héros principal. L'histoire politique et militaire du Kabasarana, qui commence vers 1849, peut être en revanche traitée de façon sommaire. Elle n'a eu en effet qu'une incidence indirecte sur l'objet de notre étude et les institutions du nouveau royaume se sont développées selon une logique particulière. Son destin est parallèle à celui de Samori et se confondra largement avec lui à partir de 1881, mais pour la période antérieure, il suffira d'en indiquer les grandes lignes.
Samatigila occupait des terres voisines du petit Torõ 55 dont le Mãsa, Numunõ Fani, qui résidait à Kañyaso, venait de rejeter la suzeraineté du Nafana et de repousser plusieurs attaques du Faama Dyõndo Dyarasuba. Va-Sénéba en profita pour empiéter sur le territoire de ce voisin et il en résulta une série d'incidents au cours desquels Karamogho Turè fut tué. Va-Sénéba fit alors appel à Vakaba dont on connaissait les exploits dans les rangs des Sisé. Notre dyula vint seul avec son cheval, un fusil et de la poudre, mais il sut organiser et galvaniser les jeunes gens de Samatigila. Ses relations commerciales, et particulièrement Kãngo, la grande commerçante de Togobala, l'aidèrent à les armer. Au cours d'une série de petites escarmouches, il réussit à détruire l'un après l'autre les villages du Torõ, et finit par prendre Numunõ que Va-Sénéba fit décapiter. Le vainqueur installa à Kañyaso un Mãsa fantoche, Kãmba Fani, qui allait désormais payer tribut aux musulmans (circa 1842-1843) 56.
L'équilibre traditionnel était ainsi renversé, ce qui aurait du inquiéter tous les animistes. Il n'en fut rien car les Dyarasuba se réjouirent au contraire de la chute des Fani. C'est ainsi que Dyõndo fit appel à Vakaba pour qu'il l'assiste dans une campagne contre le Kaladyãndugu, à l'est du Tyemba (Haut Sassandra). Le chef dyula constata à cette occasion que les gens du Nafana ignoraient les nouvelles méthodes de combat, et c'est alors, selon la tradition' qu'il décida de détruire leur hégémonie.
Va-Sénéba ne paraît pas avoir nourri de telles ambitions et il se montra vite inquiet de l'ambiance guerrière que son ancien élève faisait régner à Samatigila. Le Torõ soumis, il voulait en rester là et il craignait pour la prépondérance des Dyabi. Cette hostilité soudaine était dangereuse pour Vakaba car il ne disposait personnellement que de quelques hommes, des anciens compagnons de colportage ou bien des parents, comme l'énergique Sanusi Turè qu'il avait fait venir de Mafèlèba. S'il perdait le commandement des jeunes de Samatigila, toute sa puissance s'effondrait. Va-Sénéba l'invita justement à quitter le village parce qu'il ne convenait pas aux marabouts de faire sans cesse la guerre. La nouvelle de la destruction de Togobala et de la mort de Kãngo survenant au même moment, Vakaba annonça qu'il se rendrait au Worodugu pour aider ses amis et ses « oncles maternels ». Il espérait certainement emmener les jeunes Dyabi, mais il n'eut pas cette satisfaction. La tradition nous raconte longuement ses deux départs successifs, ses manoeuvres pour obtenir la bénédiction de Va-Sénéba, refusée puis accordée, enfin ses intrigues dans le petit monde de Samatigila où les Silla soutenaient naturellement leur cousin utérin. Le vieux marabout se serait alors opposé à l'assassinat de son ancien élève, préconisé par les Dyabi inquiets de voir tant de talents au service d'une telle ambition.
Vakaba partit finalement, après avoir évité de peu la rupture, mais il n'emmenait que 120 hommes dont 30 seulement avaient des fusils. Cette troupe était du moins fort homogène car elle ne comprenait que ses amis personnels et quelques jeunes Silla qui s'étaient portés volontaires. Les Dyarasuba lui interdirent de traverser le Nafana, si bien que le futur conquérant dut se faufiler discrètement à travers la vallée du Kurukélé. Trouvant Togobala en ruine, il s'installa chez ses « oncles » de Kurukoro, alors menacés par Mori-Ulé, et il s'employa à racheter les survivants qu'il enrôla aussitôt sous ses ordres (circa 1844)
On vient de voir comment son habileté, jointe à une chance insolente, lui permit d'ébranler la puissance déjà formidable des Sisé et de regrouper leurs débris sous sa bannière (circa 1845). Sa clémence était une suprême habileté. Cet homme dans la force de l'âge tirait un prestige immense de la mort de Mori-Ulé et la troupe de Burlay, avec ses nombreux fusils, lui donnait enfin les moyens d'une action vigoureuse. Il les employa au mieux et avec autant de promptitude que d'habileté.
Il ne contrôlait au départ que deux kafu Koné, ceux du Worodugu et du Wonõ (Kumandugu) qu'il avait sauvés de la destruction et qui allaient toujours lui rester fidèles. Afin d'élargir ce premier domaine, il se tourna d'abord vers le Torokoto où il détruisit Tanãndu et releva Togobala. Les ralliements affluèrent aussitôt et d'abord ceux de vassaux du Nafana, comme le Mãsa du Dyisana, Dyina-Ulé Fofana de Seydugu, et surtout Morityé Kuruma, de Farala, qui commandait alors le Sèyla. C'étaient d'anciens hôtes du colporteur et ils lui avaient fourni des volontaires contre les Sisé. Ils paraissent s'être affranchis avec plaisir des Dyarasuba.
Vakaba en profita pour réduire une tache de dissidence qui subsistait dans les hauteurs, sur les confins du Wonõ et du Torokoto. Les Samaké de Tanãndu avaient en effet trouvé asile chez Sadyã Sumauru, de Saghala, et il fallut détruire ce village ainsi que Fasyadugu et Bakokoro pour en venir à bout. Vakãmba Bãmba de Sanimbala, qui contrôlait les montagnes du Senzaba, se rallia alors de bon gré 57. La frontière méridionale du conquérant s'étendait ainsi jusqu'aux limites du Gbè où elle allait se stabiliser définitivement.
Sérè-Burlay s'était distingué à l'assaut de Fasyadugu et Vakaba, qui mobilisait et armait fiévreusement, disposait désormais d'une armée éprouvée. A moins de s'attaquer aux puissants Dyomandé du Sud, il ne pouvait l'employer qu'aux dépens du Nafana dont il bordait à présent la frontière occidentale. Ce vieux royaume Bambara paraissait encore redoutable mais ses dissensions allaient faciliter les choses. Le Faama Dyõndo venait de mourir et son frère, Misirigbè-Mori, n'était pas reconnu par Fèrèmori, qui commandait le village perché de Manuuna. Sanusi alla représenter Vakaba à Tiyenfu pour les funérailles de son ancien allié et il promit à ses hôtes l'aide du conquérant. Celui-ci accourut avec son armé et réussit à enlever Manuuna grâce à la trahison d'une femme Sisé qui indiqua un point d'escalade non gardé. Au lieu de remettre la place au nouveau Faama, Vakaba s'y fortifia en dévoilant ainsi son dessein. Misirigbè-Mori l'attaqua aussitôt, mais il fut tué au début du combat et le bruit courut parmi les Dyarasuba, consternés, que les Turè avaient « marabouté » Tiyenfu. On découvrit alors des amulettes (sébé) cachées dans tous les coins du village et le nouveau souverain, Señolo, complètement démoralisé, évacua le pays pour s'enfuir dans la zone déserte du Haut Sassandra où il fonda Kotyeni (circa 1846-1847)
Les autres Dyarasuba s'accrochèrent à leurs villages fortifiés, qu'il fallut réduire un par un, mais la partie était déjà gagnée et Vakaba put l'achever en toute tranquillité.
Volant au secours de la victoire, les Dyabi de Samatigila reconnurent alors leur enfant prodige tandis que les vassaux du Nafana se ralliaient. Les Kuruma du Masala avaient fourni des volontaires dès la marche sur Kurukoro mais certains restaient fidèles aux Dyarasuba et ils s'étaient regroupés chez Korofèrè, à Ndola, qu'il fallut détruire. Le ralliement de Dyomagã Fani, de Kerè 58, avec tout le Fènana, couvrit bientôt la frontière du conquérant au nord, face au Folo, marche avancée du Wasulu
Vakaba mit la fidélité de ses nouveaux sujets à l'épreuve en lançant tout le monde à l'assaut de Kodugu, où Mãya Dyarasuba résista près d'un an et céda seulement à la famine 69. La guerre se termina alors très vite. Les Dyarasuba trouvèrent asile à Bugoso chez Vasé Bãmba, mais ce village tomba aussitôt et le Bãmbala fut entièrement détruit. Les survivants se retirèrent à Kañyaso du Syenko, chez Sumadya Koné mais leurs vainqueurs les suivirent, enlevèrent la place et tuèrent leur hôte. Vasé but alors le dègè en compagnie de Koro-Famori Koné, le chef de Bako, et Vakaba autorisa la reconstruction des deux kafu. Plus au sud, Koné et Dyarasuba du Gwanãngala se rallièrent sans tirer un seul coup de feu 60. Ils ouvraient aux Turè la route du gros centre commercial de Koro dont le chef, Vasali Bagayago se plaça aussitôt sous leur protection. Leur kafu couvrait aussi la frontière méridionale du royaume, face aux Dyomandé, retranchés dans les montagnes du Barala, et aux Doso protégés par la forêt marécageuse de Borotu. Il fallait souffler avant de s'attaquer à de tels adversaires.
Vakaba croyait sans doute en avoir fini avec les Dyarasuba qui venaient de se soumettre. Ils s'étaient pourtant mis hors de portée dans les déserts du Haut-Tyenko. Le nom de Nafana allait être désormais réservé à ce pays de grande chasse où ils installèrent leurs nouveaux villages. Privés de leurs captifs et grandement réduits en nombre, ils y reconstruisirent une société assez démocratique, dans la tradition des Bambara. La chasse tenait un grand rôle dans leur économie et elle paraît leur avoir rendu les vertus martiales qu'ils avaient perdues. Des intermédiaires de Borõ et de Kong leur procuraient des fusils si bien qu'ils devinrent vite des adversaires redoutables. Ils allaient refuser le tribut dès la mort de Vakaba et ils soutiendront les Sénufo du Nöölu dans leur lutte contre Muktar. Désormais irréductibles, ils maintiendront un foyer de dissidence à cinquante kilomètres d'Odienné et il faudra l'intervention de Samori, en 1892, pour tirer cette épine du pied des Turé.
Vakaba ne pouvait prévoir de tels dangers quand il se trouva maître de l'ancien Nafana, un peu avant le milieu du siècle (circa 1848). Il entreprit d'organiser le pays conquis, qu'il rebaptisa Kabasarana en l'honneur de sa mère Kaba-Sarã, et dont il fit un Etat relativement centralisé et homogène. Il prit le titre de Faama et transféra sa résidence de Kurukoro au village musulman d'Odienné. Ses partisans y affluèrent, aux dépens des vieux villages dyula et particulièrement de Samatigila qui fut alors abandonné par la plupart des Turè et beaucoup d'autres lignées. Les Dusumorisi de Mafèlèba évacuèrent de leur côté le Wasulu pour rejoindre leur glorieux cousin.
Le Faama organisa une cour et se pourvut d'un Conseil où ses amis personnels, qui étaient presque tous des chefs militaires, voisinaient avec des marabouts respectés. La procédure était plus ou moins calquée sur celle des Sisé et il n'y eut jamais de division du travail entre les conseillers.
L'organisation territoriale était par contre beaucoup plus élaborée qu'au Moriulédugu. Le conquérant avait hérité les captifs des Dyarasuba et, loin de les disperser, il en accrut le nombre et en perfectionna l'organisation. Un vaste territoire centré sur Odienné, et dont l'étendue fut accrue à plusieurs reprises, leur était réservé. C'était le Sofadugu dont les hameaux unissaient les captifs de culture et les captifs militaires. Ceux-ci étaient constamment sur le qui-vive, sous des chefs nommés par le souverain, et ils se répartissaient en bolo en dehors du système traditionnel des classes d'âge (kari).
Au-delà de cette zone, vidée de sa population autochtone, les kafu traditionnels étaient respectés mais chaque gros centre était surveillé par un dugukuñnasigi. Ces vassaux devaient entretenir quatre grosses garnisons qui couvraient Odienné à distance, dans les directions les plus dangereuses : Farala du Sèyla, face au Wasulu (nord-ouest) Kanyasa du Torõ, face aux Bambara du Tudogu (nord-est) Kurõndugu et Lengéso enfin, dans le Syenko, entre le Barala et le nouveau Nafana (sud).
Vakaba s'efforça aussi d'installer ou de maintenir des lignées amies dans les points stratégiques importants. C'est ainsi que, selon la tradition, il envoya un même lundi les Dukurè fonder Sokurala dans le Worodugu et les Silla, ses parents, relever Tyémé sur la frontière Sénufo. Le premier village était ainsi créé de toutes pièces pour garder la route du Konyã. Il fut réservé aux dyula que les animistes du Bèèla avaient expulsés à la mort de Mori-Ulé.
L'antique marché de Tyémé, en revanche, avait été détruit par Tyãnga-Zyé Kèwo (= Koné), le chef du Nöölu, quand il avait appris l'attaque du Nafana. Dès que Vakaba eut les mains libres, il détruisit Ségèlo et tua Tyanga-Zyé, mais il renonça à l'énorme ambition d'écraser les Sénufo. Il conclut une paix solennelle avec leur nouveau chef, en s'engageant à renoncer à toute expansion vers l'est contre la permission de reconstruire Tyémé (circa 1848-1849) 61. Son fils Muktar allait malheureusement violer cette promesse moins de dixc ans plus tard et les Sénufo détruiront à nouveau Tyémé dont les habitants resteront cette fois vingt-trois ans en exil. La frontière orientale du Kabasarana se trouvera ainsi gravement découverte.
Face aux périls du nord, Vakaba construisit enfin deux grands villages militaires. Le premier Samaso, peuplé de captifs, gardait le principal gué du Kurukèlè, sur la piste de Madina (ouest). Le second, Sananfèrèdu, tenait le passage du Banifiñ sur la grande route de Bamako (nord). ll fut réservé aux Turè Dusumorisi et devait amorcer l'expansion du royaume vers les gros marchés de la zone intermédiaire. Le Faama s'en servit aussitôt pour écraser les Kuruma du Bodugu dont le Mãsa, Sabu-Tumana, de Kabãngbè 62, s'enfuit du Tudugu. Le conquérant n'y gagna cependant qu'un désert car la population se dispersa et elle n'allait se soumettre qu'à son fils Vabrèma, dans l'année qui suivit sa mort (circa 1849.1850).
Vers 1850, le Kabasarana avait pris corps et son fondateur paraît avoir marqué un temps d'arrêt. Il contrôlait la piste kolatière du Mau à Bamako sur plus de 200 kilomètres 63. La sécurité qu'il faisait régner, attirait les colporteurs, à la grande satisfaction des marchés d'étapes. Il favorisait partout l'Islam mais ne l'imposait nulle part, sinon dans le Sofadugu. Le calme qui allait suivre sa mort prouve que ses sujets animistes, modérément imposés, acceptaient généralement l'ordre nouveau.
A partir de 1848, la guerre sainte (dyaadi) d'El Hadj Omar avait commencé dans le nord et ses répercussions à Kankan avaient inquiété tout le monde animiste. L'étrange mouvement politique et religieux de Dyèri Sidibé, « la guerre des fils du rêve », galvanisa bientôt tout le Wasulu, y compris le Folo, fort proche d'Odienné. Cette croisade anti-musulmane inspira sans doute la prudence à Vakaba car il demeura en observation dans sa capitale. Une colonne de Dyèri, basée sur le Folo, menaça effectivement Kèrè, vers 1854, mais le Faama, secouru par les Sisé, réussit à la détruire. Peu après, quand Dyèri périt devant Kankan et quand son mouvement se disloqua, Vakaba en profita pour vaincre et tuer Lazèni Sangarè, le Mãsa du Folo, et pour vassaliser son neveu Lamini. Il stabilisait ainsi la frontière nord de son royaume, ce qui allait ultérieurement déterminer celle de la Côte d'Ivoire (circa 1888).
Ainsi libéré de toute menace, Vakaba décida sans doute d'ouvrir une nouvelle période d'expansion militaire. Il se tourna vers les pays du sud car il nourrissait sans doute l'intention de pousser ses frontières jusqu'à l'orée de la Forêt. Il réussit à soumettre les Dyomandé du Barala, mais ce fut au prix d'une campagne très dure à laquelle participèrent les Sisé à côté de ses nouveaux sujets du Folo. Il s'attaqua ensuite aux Dõnso du Fina dont la capitale, Borotu, enclavée près de la piste de Koro, gênait ses relations avec le Mau. Ce soldat heureux trouva là son premier échec car il dut se retirer après un siège interminable, poursuivi d'un hivernage à l'autre, et bien qu'il ait mis en oeuvre toute sa force militaire. Les Dyomandé du Gbè lui infligèrent peu après une défaite encore plus grave sous les murs de Gbèsoba (circa 1855-1858).
Ces dernières campagnes paraissent pénibles et peu fructueuses. L'expansion des Turè marquait ainsi le pas et il paraissait désormais difficile d'étendre davantage les frontières du royaume. Celles-ci étaient fixées de façon à peu près définitive depuis le rattachement du Barala et on allait en rester là. Les grandes campagnes qui rempliront la seconde moitié du siècle n'aboutiront qu'à des occupations éphémères et permettront à peine de conserver l'acquis.
Le Kabasarana s'était dès lors cristallisé et il est difficile de dire qu'il aurait eu une figure différente si son fondateur avait vécu plus longtemps. Quand il mourut, d'une plaie infectée pendant l'hivernage, sans doute vers l'année 1858 64, il avait assuré la prépondérance définitive de l'Islam dyula sur les hautes terres où se partagent les eaux du Sassandra et du Baulé. L'intervention de Samori et les péripéties de l'ère coloniale allaient consolider plutôt qu'ébranler cette oeuvre.
Avènement de Sérè-Burlay. L'Ascension de Vakaba Turé nous a détourné du Moriulédugu qui reste pourtant au coeur de cette enquête. Sous la direction du jeune Sérè-Brèma, il avait mené une vie discrète et prudente aussi longtemps que ses combattants, dirigés par Sérè-Burlay, servaient le Faama du Kabasarana. La tradition nous dit peu de chose de ces années où musulmans et dyula pliaient devant l'insolence des animiste. Les esclaves et les parts de prises gagnés au combat dans l'est s'accumulaient cependant à Madina et devaient entretenir l'espoir d'un avenir meilleur.
Vakaba libéra Sérè-Burlay et ses hommes après la prise de Ségèlo où le jeune Sisé s'était distingué (circa 1849 ?). Tyanga-Zyé avait en effet surpris les assiégeants campés au pied de la montagne et un désastre avait été évité grâce au courage des hommes de Madina qui tuèrent le chef Sénufo et couvrirent la retraite de l'armée.
Vakaba voyait l'ère des conquêtes s'achever, et il se trouvait à un tel niveau de puissance qu'il n'avait plus besoin du fils de son ancien chef, mais qu'il craignait au contraire son ambition. Il préféra donc l'éloigner. Après s'être félicité en Conseil d'avoir accepté la réconciliation, il annonça que son protégé pouvait rentrer chez lui avec les siens. Il le gratifia de cadeaux somptueux et l'accompagna en personne jusqu'à la rivière Karala qui allait désormais servir de frontière 65. Au cours d'adieux touchants, les deux hommes prêtèrent sur le Coran le serment solennel de se soutenir et de ne jamais se nuire. Des liens familiaux renforçaient cet engagement puisque Mãngbè-Amadu, troisième fils de Vakaba, avait épousé Ma-Borodyè Sisé, la première fille de Burlay. Il sera effectivement respecté aussi longtemps que ce dernier vivra et la participation militaire des Sisé aux campagnes du Barala et de Korumba sera très importante.
Il reste que l'histoire du Moriulédugu recouvra son autonomie dès l'instant où Sérè-Burlay rentra à Madina pour y reprendre le titre de Faama. L'ère du repliement venait de s'achever (circa 1849).
Le nouveau souverain, riche et bien armé, voulait rétablir l'héritage de son père et reprendre la conquête au point où sa mort l'avait arrêtée.
Le premier objectif fut aisément atteint. Sérè-Burlay avait épousé une soeur de Musa Kuruma, de Karafiliya, et ce Mãsa ramena de bon gré le Kulay-Ni-Gwala dans la mouvance des Sisé. Kõboro-Funu, qui commandait toujours le Bèèla, se rallia sans subir aucune représaille mais il dut recevoir cette fois des dugukuñnasigi et admettre dans son territoire les dyula qu'il avait expulsés 66. Seuls les riverains du Dyõ firent quelque opposition. Dans le Dyigilõ, il fallut assiéger Sésé pour amener à composition Morigbé Koné, mais le jeune Sooli Kuruma, de Kamaso, vint lui offrir peu après la soumission du Badugula 67. Tout cela ne prit sans doute pas plus de quelques mois, un peu avant 1850, et les Sisé songèrent bientôt à de nouvelles conquêtes. La présence de Vakaba leur fermait les pays de l'est, mais on peut se demander pourquoi ils n'ont pas frappé au nord puisque c'est à peu près au même moment qu'Alfa Mamudu, rentrant du siège de Tãmba, lançait Kankan dans la « guerre sainte ». Burlay respecta sans doute la volonté de son père, qui avait arrêté la guerre du Sabadugu par crainte qu'un nouvel échec ne ruinât sans remède sa puissance encore fragile. Nãnténen-Famudu était d'ailleurs un adversaire redoutable et il venait de s'allier à la puissante croisade anti-musulmane de Dyèri Sidibé. La prudence s'imposant de ce côté, le sud et l'ouest demeuraient seuls ouverts. Nous ignorons pourquoi le nouveau Faama ne se dirigea pas vers les hautes terres du Konyã méridional. Il semble qu'il n'y eût rencontré aucun adversaire dangereux avant le Karagwa, mais peut-être craignait-il de s'engager dans ce chaos de montagnes.
Une raison précise l'attirait par contre vers l'ouest où le cours du Dyõ avait jusque là arrêté les armes des Sisé Les Koné du Bas Konyã et surtout ceux du Blamana (Kofilakoro) avaient en effet manifesté leur hostilité en poussant ceux du Dyigilõ à la résistance. Cette région était en outre une proie tentante puisque la grande piste kolatière de Kankan la traversait. Les Sisé allaient l'intercepter s'ils poussaient leur frontière jusqu'au Milo et ils pourraient alors espérer que le Haut Konyã et les Malinké du Toma (Tukoro), coincés entre eux et la Forêt, se rallieraient aisément.
Dans cette perspective, il fallait faire vite car le morcellement traditionnel de ce pays paraissait sur le point de céder. La conjonction d'une lignée animiste ambitieuse et d'un noyau dyula bien enraciné plaçait justement le Torõ méridional au bord d'une révolution politique. Si on laissait faire, les choses pouvaient se présenter comme au Sabadugu où la menace de Mori-Ulé avait fait naître dix ans plus tôt une nouvelle puissance hostile et vigoureuse. Il est vraisemblable que Sérè-Burlay hâta son offensive au-delà du Dyõ pour empêcher les Bérété d'organiser un Etat militaire dans le Haut Torõ et le Bas Konyã.
Les dyula auxquels les Sisé se heurtaient dans l'Ouest montraient un degré d'intégration au milieu animiste beaucoup plus élevé que ceux de Samatigila.
Comme les dyamu des Sisé et des Turè, celui des Bèrèté est bien entendu d'origine Sarakholé et la légende du Wagadu indique leur ancêtre parmi les enfants de Dinga 68. La tradition ne leur donne pas le lustre des Sisé et ils sont relativement peu nombreux le long des vallées du Sénégal et du Niger qu'ils ont cependant parcourues comme dyula 69. Dans l'Ouest, où ils sont connus sous le nom de Savané, on les trouve parmi les Dyakhanké, répandus à travers le Fuuta-Dyalõ et jusqu'en Pays Kisi, comme on le verra bientôt. Ils paraissent absents du Masina, ce qui incite à les situer dans le courant dyula qui est descendu directement du Ghana chez les Malinké, à une très haute époque. Ils sont en tout cas étroitement liés au clan impérial du Mali. C'est en effet un Bèrèté, Tumané-Mãndyã, qui était le marabout de Sundyata-Kèita 70 et deux lignées, qui ont accompagné dans le Sud les grandes migrations Malinké, se réclament encore de lui. La première, issue de Kababèlé Bèrèté, aurait suivi Sèrèbori Kèita quand il descendit de Kita pour occuper le Dyuma. Ses descendants y ont fondé Sunkulun qui demeure jusqu'à présent leur centre principal. La seconde, dont l'ancêtre est Nanabèlè Bèrèté a suivi dans le Hamana de Kouroussa les Kèita de Mori-Habamã. Leurs villages s'égrènent le long du fleuve et ils se sont laissés absorber, en grande partie, par l'animisme ambiant 71.
Les Kababèlèsi, qui nous retiendront seuls, sont restés plus fidèles à l'Islam. Ils ont fourni les marabouts des Kamara, à l'époque de leur grande migration vers le Konyã, pendant le XVIme siècle. L'imam de la ville de Beyla, dont ils sont éponymes 72, est choisi jusqu'à présent parmi eux. Leurs frères de Sunkulun ont remonté peu à peu le Milo, à travers le Balimakhana (Dalaba, Fodèkaria). Ils se sont installés assez tard dans le Baté, à Kofilani, dont la terre leur a été donnée par les Fofana de Bakõngo vers le début du XVIIIme siècle 73.
Kofilani est le foyer de diffusion des lignées Bèrèté en zone préforestière, comme Bakõngo pour les Sisé, Binko pour les Turé et Soila pour les Dyané 74. Tous ces villages sont groupés dans le Baté, ce qui met en évidence le rôle historique du pays de Kankan. Les migrations qui en sont issues, n'ont pas toujours coulé dans le même sens puisque c'est de là que partirent les Kondé et Bèrèté qui ont fondé Nyamina, au pays de Ségou, vers le milieu du XVIIIme siècle.
C'est sans doute vers la même époque qu'un certain Soriba Bèrèté quitta Kofilani pour remonter le Milo et s'installer chez les Traoré du Mana, un petit kafu de la rive ouest qui jouissait d'un heureux isolement entre le Sãnkarã, le Torõ et le Konyã. On nous dit que c'était un homme de religion, ce qui est fort possible, mais ses descendants, isolés en milieu animiste et épousant des femmes du pays, abandonnèrent vite la culture musulmane. Son petit-fils, Mori-Sari n'était qu'un colporteur besogneux de Fakolakébaya 75 et il se trouvait en mauvais termes avec les gens du pays. Comme sa mère était une Konaté du Gundo, il traversa le fleuve pour s'installer chez ses « oncles » et choisit comme patron Siyadu, fils du Mãsa de Sanãnkoroni 76. Il sut se faire apprécier en lui procurant des fusils et la tradition ajoute, sans aucune précision, qu'il se distingua dans diverses guerres locales.
La fraction méridionale du Torõ, où cette famille allait s'enraciner, est remarquable par un fouillis de petites hauteurs qui s'opposent au plateau rectiligne de Kankan aussi bien qu'aux hautes montagnes du Konyã qui se dressent tout près dans le sud. Ce pays couvert de villages s'opposait aux solitudes situées à l'est du Dyõ mais il ne connaissait alors aucune unité politique. Les lignées souveraines y portaient partout le nom de Konaté mais leurs origines diverses opposaient les deux kafu qui se partageaient le pays Le Namusana, au nord-ouest, appartenait à des familles d'origine malinké qui se réclamaient de Dyèli Fãntaba Konaté comme toutes celles du Torõ nord, le Dyamoughosi excepté 77. Comme ce dernier, le Gundo, entre Milo et Dyõ, appartenait par contre à un groupe d'origine orientale, issu en l'occurrence des Bambara du Baninko 78, et métissé de Sénufo au cours d'une étape dans le Sibirila. Sa cohésion était d'ailleurs très faible car il éclatait en trois segments à la fois territoriaux et lignagers dont chacun tendait à se constituer en kafu. Le titre de Mãsa demeurait cependant aux Tyèulési, en amont du Dyõ, et particulièrement à ceux de Suluko et Sanãkoroni. Les Farabanisãsi , en aval, autour de Sèfunu et les Faraurisèsi , sur le Milo , jouissaient d'une indépendance de fait 79. Ces derniers avaient d'ailleurs essaimé dans le Bas Konyã pour y fonder le kafu du Sèsumala, autour de Booko, en amont du Dyõ. Mori-Sari avait lié son destin à ses « oncles », les Tyèulési et son fils aîné Kalogbè devint le chef de guerre (Kèlètigi) du Mãsa Sériba Konaté 80. Cette promotion d'un dyula peut surprendre, mais elle s'explique du fait qu'il était seul à pouvoir se procurer quelques fusils et qu'on voulait sans doute opposer un musulman à Mori-Ulé dont la menace planait déjà sur les terres de l'est. Bien qu'immergé en plein animisme, ce Bèrèté restait commerçant et gardait en conséquence un certain vernis d'Islam. Il avait épousé une musulmane d'Odienné, Konkè Sisé 81 et le fils qu'elle lui donna, Kõnkè-Mori, se consacra au colportage. Un peu avant le milieu du siècle, il voyagea en compagnie d'une jeune dyula originaire du Konyã tout proche, un certain Samori Turè dont les tantes étaient d'ailleurs mariées chez les Konaté.
Kalogbè est assurément le premier vrai guerrier de la famille. A une date indéterminée, il mena une série de petites campagnes contre Kagbè-Fèrè, qui dirigeait les. Faraurisèsi. C'est ainsi qu'il alla jusqu'au bord du Milo où il brûla Sinimoridugu (entre 1835 et 1845). A la mort du chef ennemi, il détruisit sa résidence, Farafina, et imposa la paix à son fils, Nyalè-Mori. Ce dernier se retira dans un village qui prit son nom, près de la frontière du Konyã, mais il ne contesta plus la suprématie des Tyèulési. Des liens matrimoniaux noués avec les lignées adverses empêchaient d'ailleurs ces crises internes de se transformer en vendettas. Nyalè-Mori s'était rapproché du Konyã parce que sa mère Nyalè Kamara en était issue et cette femme était justement la tante du jeune Samori. Sa cousine Fanta était la mère du chef Tèrè-Yara de Sèdugu, le meilleur lieutenant de Kalogbè. On n'a pas le sentiment que cette guerre entre parents ait été très féroce puisque la tradition affirme que les prisonniers étaient toujours rachetés et jamais exportés comme esclaves.
Elle affaiblissait cependant la capacité de résistance du Gundo, en cas d'attaque extérieure, et il est certain qu'un modeste Kèlètigi, comme Kalogbè, ne pouvait pas mobiliser de grandes forces. Il fit pourtant preuve de clairvoyance en essayant d'unir les autochtones quand la menace des Sisé se précisa. Un peu avant le milieu du siècle, il réussit à imposer la suprématie du Gundo, ou du moins son alliance à Sarãnkè-Mori, de Farãnkonédugu, qui commandait alors le Namusana. Il avait accepté, en contrepartie, que le grand marché hebdomadaire de Sèfunu soit transféré à Komodugu, sur la frontière des deux kafu. On comprend que Fèrèkuruni Konaté, le chef de Sèfunu, ait protesté violemment, mais les autres lignées refusèrent de l'écouter. Désespérés, les Farabanisãsi envoyèrent alors une délégation a Madina pour supplier les Sisé d'intervenir. Sérè-Burlay qui n'attendait qu'un prétexte, mobilisa aussitôt son armée, traversa le Dyõ à Kariñyana et prit d'assaut Sanãkoroni 82.
Le conquérant campa alors à Komodugu où tous les chefs du Gundo et du Namusana s'empressèrent pour boire le dègè. L'union des Konaté se réalisait donc seulement dans la servitude et les Sisé installèrent des dugukuñnasigi dans chaque gros .
Sérè-Burlay repassa le fleuve en amont, au gué de Morigbèdugu, après avoir soumis, sans tirer un seul coup de feu, les Kamara du Bãmbadugu 83 ainsi que les Koné du Blamana et ceux du Boñyana. Le Moriulédugu s'étendait ainsi sans coup férir jusqu'aux rives du Milo où il installa ses agents pour intercepter la piste du Konyã (un peu avant 1850).
Ce triomphe n'allait durer qu'un petit nombre d'années: deux exactement si nous nous fions à la tradition qui, pour une fois, nous propose un chiffre (circa 1849-1851).
L'esprit de résistance avait cédé devant ce désastre soudain, mais il couvait sous la cendre. Un fait en témoigne. Kalogbè et Sèriba moururent peu de temps après leur défaite. Or le Mãsa fut aussitôt remplacé par son jeune parent Tèrè-Yara Konaté, choisi, paraît-il, pour sa valeur militaire, en dépit de la tendance traditionnelle à céder le pas aux vieillards. De son côté, le Bèrèté ne laissa pas la place à son fils, dont la vocation commerciale s'était affirmée, mais à un neveu aussi jeune qu'énergique, Sarãswarè-Mori, qui s'était distingué dans les derniers combats 84. La tradition nous dit que l'on cacha des armes en brousse, surtout autour de Sèdugu, car ce village était moins surveillé. Il semble bien que la révolte ait été soigneusement préparée et que le complot ait uni tous les kafu situés sur la rive ouest du Dyõ.
Le fait n'est pas surprenant si l'on songe à la colère de ces hommes libres devant la présence insolente des agents du conquérant, qui ne se contentaient pas de lever des taxes mais espionnaient toute leur vie quotidienne. On n'avait jamais rien vu de tel. La crainte des Sisé aurait peut-être compensé leur indignation si la conjoncture n'avait pas semblé soudain menaçante pour les musulmans. L'offensive de Kankan avait en effet mal tourné, peu après le milieu du siècle et la « Guerre des Fils du Rêve » galvanisait alors tous les animistes. Elle explique sans doute la prudence du Sisé, qui ne paraît pas avoir bougé de Madina depuis sa campagne du Gundo. Dyèri venait de s'attacher Nãnténen-Famudu avec tout le Torõ du Nord, si bien que les comploteurs ne se sentaient pas isolés. Le trait le plus remarquable, dans cette affaire, est que les Bèrèté se soient absolument identifiés à leurs compatriotes animistes contre leurs coreligionnaires oppresseurs.
La révolte éclata en tout cas à une date fixée secrètement. Selon la tradition malinké, chacun des organisateurs avait reçu un petit sac de cauris dont il jetait une chaque jour. A la date prévue, en début de saison sèche, alors que la récolte venait d'être rentrée, les dugukuñnasigi des Sisé furent mis à mort ou expulsés en l'espace de quelques heures (circa 1851-1852).
Sérè-Burlay accourut aussitôt mais il trouva tout le pays riverain du Dyõ abandonné, la population s'étant concentrée dans quelques places fortes où les vivres étaient entassés. Les Koné s'étaient retranchés à Kofilakoro et les gens du Gundo oriental à Sèdugu, où Tèrè-Yara disposait d'assez nombreux fusils 85. C'est contre ceux-ci que marcha le Faama mais la défense lui infligea de telles pertes qu'il renonça à prendre la place d'assaut. Un blocus assez serré fut alors organisé tandis que des razzias à longue distance harcelaient la population des autres villages fortifiés et enlevaient leurs troupeaux 86. Malgré tout, l'hivernage revint avant qu'un succès décisif ait été acquis. En voyant le Dyõ submerger les gués, Sérè-Burlay se résigna à lever le siège et rentra à Madina.
Il revint dès la baisse des eaux, mais Sèdugu résista encore presque toute une saison 87. Les vivres s'y faisaient pourtant rares, malgré l'aide de régions éloignées, car on n'avait pas pu cultiver près du Dyõ depuis plus d'un an et le bétail avait disparu. Au cours du siège, où à la fin de celui-ci, les assaillants avaient d'ailleurs étendu leur emprise. C'est ainsi qu'ils détruisirent Manyãmbaladugu où ils capturèrent, entre autres la mère du jeune Samori Turè (88). Sèdugu tomba finalement, du fait de la famine. Tous les défenseurs pris les armes à la main furent paraît-il, exécutes, mais beaucoup purent s'enfuir, notamment Tèrè-Yara et Sarãswarè-Mori (Ca 1853).
Il fallut de nouveau accepter le joug. Sérè-Burlay pardonna aux rebelles mais il rasa au sol Sèdugu en interdisant de le reconstruire. Il détruisit les fortifications des villages et confisqua toutes les armes à feu qu'il put saisir, y compris celles des chasseurs. Le Namusana, qui n'avait tenu qu'un rôle secondaire dans l'insurrection, obtint cependant de conserver ses murailles.
Si nous nous fions à leurs traditions, les kafu Kamara du Milo (Talikoro, Worõndugu) comme ceux du Haut Dyõ (Simãndugu, Gbérèdugu) n'auraient pas payé tribut à cette occasion. Malgré les liens familiaux qui les unissaient aux Konaté, leur soutien à la révolte était sans doute resté discret. Ils n'étaient certainement pas en état de tenir tête au conquérant et s'il est exact qu'ils ont alors gardé leur chère liberté, c'est parce que les Sisé ne s'intéressaient pas encore au Haut Milo et leur accordaient un sursis. La domination de Madina était du moins solidement établie sur le Torõ méridional ainsi que sur une fraction du Bas Konyã, entre la chaîne du Gben et le Dyõ (Kamara du Bãmbadugu, Koné du Blamana et du Boñyana).
Parmi les vaincus, Tèrè-Yara devait renoncer à ses ambitions militaires, mais il gardait son rôle de chef coutumier. Les Bèrèté par contre n'avaient d'autre perspective que de revenir au colportage. Le jeune Sarãswarè-Mori ne s'y résigna pas. Il préféra s'éloigner et gagna le Baté, pays de ses ancêtres, où il s'engagea dans l'armée des Kaba. Après avoir lutté contre les musulmans, il allait ainsi s'employer contre les Wasulunké animistes. Il disparut donc pour quelques années de la scène du Haut Milo, mais il employa bien son temps car l'amitié d'Umaru-Ba qu'il acquit alors allait lui être précieuse.
Cette fois, les Sisé étaient vraiment les maîtres et ils purent se tourner vers les horizons du nord qui demeuraient menaçants. C'est sans doute pendant le siège de Sèdugu que Nãnténen-Famudu lança un raid, couronné de succès, contre le Moriulédugu. Traversant la zone déserte du Kulay, il surprit et détruisit Kobala à une dizaine de kilomètres de la capitale 89.
Débarrassé des Konaté, Sérè-Burlay usa de représailles et attaqua au moins une fois le Sabadugu, échouant d'ailleurs, comme son père, devant les murs de Worokoro. Peu de temps après, la colonne que Dyèri avait installée au Folo pour menacer le Kabasarana, s'en prit à Gbèlèba. Les Sisé la repoussèrent et ils envoyèrent bientôt à Vakaba des renforts pour écraser les envahisseurs à Dyãndégéla.
La mort de Dyèri et la dislocation de la « Guerre des Fils du Rêve » mit soudain fin à la crise, vers 1855. Le Moriulédugu et le Kabasarana pouvaient désormais s'organiser tranquillement et revenir à leurs projets d'expansion. Le Torõ du Nord restait uni autour de Nãntènen-Famudu mais celui-ci avait désormais fort à faire pour contenir l'offensive qu'Alfa Mamudu menait contre lui à partir de Kankan. Des années allaient s'écouler avant qu'il ne regardât à nouveau vers le sud.
Sérè-Burlay était au sommet de sa puissance et il la mit loyalement au service d'Odienné. On a vu qu'il aida Vakaba à soumettre le Barala, un peu après 1855. Samori qui servait sous ses ordres s'y distingua et devint alors chef d'un groupe de dix hommes séntigi ou kurutigi.
Cette alliance allait pourtant tourner mal. L'année de la mort de Vakaba, quand son successeur Vabrèma décida d'écraser les Fula de Korumba, Sérè-Burlay alla en personne l'assister. Dans la défaite sanglante qui suivit, le Faama du Kabasarana trouva la mort et un désastre total ne fut évité que par le calme et la bravoure des Sisé. Les musulmans n'en avaient pas moins perdu la face et il est remarquable que les sujets des Turè ne bougèrent pas. Il en alla autrement dans le Moriulédugu où le bruit avait couru que Sérè-Burlay était tué. Le conquérant dut rentrer en hâte à Madina pour affronter l'énorme révolte qui avait embrasé ses domaines à cette nouvelle (circa 1858).
Cette crise s'explique sans aucun doute par la politique qu'avaient suivie les Sisé durant les quatre ou cinq ans de répit dont ils venaient de disposer (circa 1853-1858). Croyant son pouvoir définitivement assis et écartant toute prudence, Sérè-Burlay avait imposé à ses sujets des règles conformes à l'idéal qu'il avait hérité de Mori-Ulé. Il faut bien avouer que c'était celui d'une théocratie musulmane camouflant mal une exploitation féroce des vaincus. Le discours anti-musulman, on du moins anti-Sisé que toutes les traditions mettent dans la bouche de Samori au moment du serment de Dyala nous éclaire à ce sujet. Sérè-Burlay avait à entretenir une armée considérable, peut-être aussi forte que celle d'Odienné, et à la fournir en chevaux et en armes. Ses exigences étaient nécessairement très lourdes pour les ressources d'un pays à moitié désert. La mise en place des dugukuñnasigi était une innovation sans précédent, humiliante pour les vaincus et la morgue de ces agents parut vite insupportable. Et voilà qu'après la chute de Sèdugu, les Sisé prétendirent en outre imposer la conversion à l'Islam et interdire tout culte animiste. Mori-Ulé n'avait jamais été aussi exigeant sauf dans des cas particuliers comme celui de Karala. Son fils se croyait tout permis au nom de l'Islam, mais ses sujets n'y virent qu'hypocrisie et prirent en haine la religion nu nom de laquelle on les pressurait.
Ils saisirent donc la première occasion pour secouer ce joug insupportable. Il semble bien que cette nouvelle révolte n'ait pas été soigneusement préparée comme celle des Konaté quelques années plus tôt. Il est significatif qu'elle n'éclata pas à l'ouest du Dyõ mais chez les Koné du Dyigilõ et du Bèèla qui n'avaient jamais vraiment été vaincus. Ils étaient demeurés fidèles depuis le retour de Burlay et ils s'en trouvaient mal récompensés.
Le vieux Mãsa Kõboro-Funu venait de disparaître et l'animateur du mouvement fut son fils Sériko Koné, chef de Dyasadugu. En apprenant le désastre de Korumba, il fit massacrer les dugukuñnasigi du Bèèla et Mãngoroba Koné en fit autant dans le Dyigilõ. L'insurrection s'organisa aussitôt sous l'impulsion de deux jeunes gens énergiques, Fawoni et Dugugbè Kaba, fils et neveu de Sériko 90. Ils reçurent bientôt de nombreux renforts car la fraction du Bas Konyã qui obéissait aux Sisé se révolta à son tour derrière le Dyõ. Les Koné du Blamana et du Moriyana le firent avec vigueur, par solidarité pour leurs frères du Bèèla. Les Kamara du Lambadugu, plus prudents, se contentèrent d'expulser de Lenko l'agent des Sisé et attendirent la suite des événements. Le Gundo ne bougea pas.
Vers le Sud, les Koné du Salagbala et du Farana, comme les Kamara du Girila, n'avaient jamais encore subi la domination de Madina, mais ils en redoutaient assez le voisinage pour soutenir Sèriko. Les deux premiers lui étaient d'ailleurs attachés par d'étroits liens familiaux et toue trois disposaient de montagnes inaccessibles où les Sisé ne pouvaient guère les poursuivre. Le Salagbala était, en outre, couvert par le Mõsoro, un affluent de droite du Dyõ, dont la traversée était difficile. Son chef, Dyaragbawe Koné, de Dofaso 91, entraîna d'ailleurs dans la guerre son voisin Dyènté Kamara qui commandait le Gbèrèdugu, sur l'autre rive du fleuve.
Avec de tels appuis, Sèriko espérait sans doute tenir à condition d'affronter l'ennemi sur un terrain favorable. Il fit évacuer les non combattants vers le sud, où les Koné du Salagbala et du Farana leur donnèrent asile. Les premiers disposaient du massif du Gbãnkundo et les seconds du haut plateau où se trouvait le vieux marché de Fwala, à côté de Kõvla, résidence de leur chef Kani-Basi. Si cette place tombait, ce dernier pourrait encore se réfugier en haut des falaises abruptes du Boronkènyi qui dominent vers le sud la plaine de Senko et les chaînes du Gbè (1.200 m.).
En avant de ces réduits, Sèriko concentra les défenseurs, avec des provisions abondantes dans un petit nombre de points fortifiés comme le tata de Gboda pour le Dyigilõ, et ceux de Waro, Fèrèdugu et Sisédugu pour le Bèèla. Ce dernier fut confié à Dugubè-Kaba, dont les captifs cultivaient déjà les alentours et qui couvrait ainsi le gros centre musulman de Tyawa. Plus au sud, les gens du Salagbala fortifièrent Samana pour surveiller les gués du Mõsoro, et fermer ainsi l'accès de leur pays 92.
Sèriko fit preuve d'une grande habileté en s'installant de son côté, tout au nord de son territoire, au sommet d'un inselberge particulièrement abrupt, le Kobobi-Kuru. Disposant d'une source et de vivres en abondance, il pouvait y tenir presque indéfiniment. Il était en outre assez près du Moriulédugu pour le menacer sérieusement et décourager les Sisé de s'enfoncer dans le Sud avant d'en avoir fini avec lui.
Quand Sérè-Burlay envahit le Bèèla, il trouva donc un pays désert et sans ressources et il songea d'abord à réduire les petits centres de résistance pour isoler Sèriko. Il marqua d'abord un point dans l'Ouest en enlevant Waro 93 dont le chef, Fabori Koné, fut tué. Mais les raids partis du Kobobi-Kuru gênaient son propre ravitaillement et il ne voulut pas s'éloigner en laissant cet ennemi agressif sur ses arrières. Il répondait ainsi à l'attente de son adversaire et n'allait plus connaître qu'une suite de déceptions. Les falaises du Kobobi-Kuru rendaient un assaut presque impossible et il eût fallu de longs mois pour épuiser les vivres des défenseurs, d'autant que tous leurs alliés du sud et de l'ouest s'efforçaient de les renouveler. La seule tactique possible consistait donc à établir un blocus étanche et à le maintenir aussi longtemps qu'il faudrait. Sérè-Burlay y recourut d'abord, mais c'était une imprudence car il dispersa ainsi ses hommes dans de nombreux petits sanyé tout autour de la montagne. Les assiégés réussirent à en détruire plusieurs au cours de sorties nocturnes, en descendant par des cordes le long des falaises. Les assiégeants se regroupèrent alors et le blocus ne fut maintenu que par la cavalerie qui sillonnait le plateau en donnant la chasse aux porteurs ennemis, dont beaucoup réussissaient d'ailleurs à passer pendant la nuit.
Dans de telles conditions, on ne pouvait guère aboutir. Après des mois d'attente, comme l'hivernage approchait, Sérè-Burlay décida d'en finir en lançant un assaut général, malgré la difficulté de l'escalade. Il en prit la tête en annonçant qu'il irait essayer son sabre sur les murs du tata mais il fut tué raide par une balle des défenseurs, bien avant d'avoir atteint le sommet.
Le siège fut aussitôt levé et l'armée, qui n'avait pourtant pas subi de grandes pertes, rentra d'une traite à Madina 94. Elle y intronisa Sérè-Brèma, le frère cadet du mort et les fils de ce dernier passèrent sous sa tutelle (circa 1859) 95.
Le nouveau Faama allait se révéler un grand homme de guerre, souvent plus heureux que son frère, alors qu'il s'était jusque là cantonné dans les affaires intérieures, en gardant Madina pendant les colonnes et présidant chaque jour le Conseil. Son premier souci fut de prendre le contrôle du pays, car la mort de Burlay ébranlait naturellement un pouvoir fondé sur la force. Il eut alors la chance qu'aucune nouvelle révolte n'éclatât. Nous verrons que son autorité ne pesait guère sur le Gundo, mais les Konaté évitèrent de rompre avec lui, demeurant ainsi dans l'expectative à un moment où leur intervention aurait pu être décisive.
Sérè-Bréma s'employa donc surtout à prendre en mains l'armée en éliminant les hommes de son frère. La fuite ou le renvoi de Samori à l'issue de la prochaine campagne allait illustrer cette politique.
Une fois son pouvoir bien assis, le nouveau Faama devait naturellement se hâter de venger Burlay car il n'avait aucun avenir s'il ne rétablissait pas au plus vite le prestige militaire des Sisé.
Au retour de la saison sèche, il partit donc pour le Bèèla et il débuta par un coup de maître, en enlevant presque aussitôt Kobobi-Kuru. Les traditions recueillies jusqu'ici sont peu explicites sur ce fait d'armes : elles parlent seulement d'une attaque subite de la colonne après une longue marche nocturne, contraire à toutes les traditions. Une trahison aurait alors facilité l'escalade. Sériko fut en tout cas pris et exécuté, tandis que Fawon; parvenait à fuir et rejoignait Dugugbè-Kaba.
Ce coup de tonnerre démoralisa l'insurrection. Fèrèdugu et Kumandugu furent évAcués et devaient n'être jamais reconstruits. Gbona et Sisédugu tombèrent après des sièges très courts tandis que Dugugbè-Kaba fuyait à Kõvla chez Kani-Basi Koné. Les Turé de Tyawa invoquèrent leur qualité de musulmans et furent épargnés mais les vainqueurs s'engagèrent sur le plateau du Farana où ils détruisirent Kõvla. Kani-Basi Koné s'était retranché avec les réfugiés au sommet du Boronkènyi, où il pouvait opposer une résistance durable, mais il refusa de poursuivre le combat. Sérè-Brèma, sans doute effrayé par cette citadelle montagnarde, se montra alors très conciliant. Il s'installa à Dyafunu, sur le plateau, et y reçut les chefs du Dyigilõ, du Bèèla et du Farana qui burent tous le dègè en sa présence 96. Des dugukuñnasigi furent placés dans les principaux centres, mais Sérè-Brèma n'imposa aucune conversion à l'Islam, ce qui montre que la leçon de la révolte n'avait pas été vaine.
Avant de rentrer à Madina, il traversa le Dyõ à Morigbèdugu pour détruire Kofilakoro et la plupart des villages du Blamana 97. Les Koné de ce kafu ainsi que Momo Kamara, le chef de Lenko, lui présentèrent aussitôt leur soumission (saison sèche 1858-1859).
Quand l'hivernage mit fin à la campagne, Sérè-Brèma devait être fort satisfait. En quelques mois, il avait vengé son frère et rétabli le prestige des Sisé, replacé tous les révoltés sous son autorité et même étendu celle-ci à des terres qui n'avaient jamais dépendu de Madina. En escaladant le Farana, il avait pris pied sur le Haut Konyã et élargi ses frontières jusqu'aux limites du Gbè qui était dans le champ d'expansion du Kabasarana. Le Moriulédugu sortait fortifié de la crise et pouvait revenir à ses projets de conquête.
Sérè-Bréma renonça à attaquer dans le nord où l'offensive de Kankan contre le Wasulu avait finalement échoué. Il n'avait sans doute aucune illusion sur les intentions des Konaté et des Bèrèté du Gundo, mais enfin ces sujets ne s'étaient pas ouvertement révoltés. Il se réservait sans doute de les châtier plus tard mais, dans l'immédiat, il décida de frapper vers le sud, en direction de la Forêt comme pour démontrer que toutes les hégémonies dyula visaient au contrôle des routes méridiennes du colportage. Sérè-Brèma disposait d'ailleurs d'un bon prétexte puisque tous ses voisins du sud avaient appuyé l'insurrection de Sèrito. En en prenant à eux, il ne faisait que compléter la vengeance de son frère.
Il frappa très tôt, dés la fin des pluies, alors que les récoltes n'étaient pas encore rentrées. Il écrasa d'abord à Moridu 98 le chef de guerre Morisoko, fils du Mãsa du Girila, et il ravagea les basses régions de ce kafu 99. Longeant alors vers l'ouest le pied du Gbãnkundo, il passa le Moroso près de sa source et prit à revers Samana, qu'il enleva. La défense du Salagbala s'effondra aussitôt et il détruisit soigneusement tous les villages du plateau 100 tandis que Dyaragbawe et ses sujets se retranchaient en haut de la montagne. Tout esprit de résistance s'éteignit alors vite chez eux car la révolte était entièrement tombée aux mains des envahisseurs. Dans leurs gîtes inaccessibles, ils ne songeaient plus qu'à négocier leur reddition aux meilleures conditions possibles.
Les gens du Girila s'adressèrent dans ce but à Sugba Dorè de Musadugu, tête de file des musulmans du Haut Konyã, que la coutume obligeait à intercéder comme « marabout » des Kamara. Ce chef envoya en effet son fils, Vãfiñ au devant du Faama qui le reçut très bien et qui promit d'épargner les vaincus s'ils acceptaient de lui payer tribut et de recevoir des dugukuñnasigi. Il fut convenu qu'une grande palabre se tiendrait à Musadugu et le conquérant s'y rendit avec une fraction de son armée, en contournant le Gbãnkundo par l'ouest 101. La soumission du Girila et du Salagbala y fut célébrée avec beaucoup d'éclat 102 mais elle était moins significative que celle des villages musulmans du Haut-Konyã, qui durent à leur religion d'être exemptés de tribut, mais promirent de combattre avec les Sisé. Nyõnsomoridugu demeura seul sur la réserve mais le Sisé ne le molesta pas en souvenir du compagnon de son père 103.
Sérè-Brèma comptait sur les Dorè pour attirer dans son parti l'ensemble des Kamara. Dans l'espoir de rendre sa domination acceptable, il jura en leur présence de respecter les fameuses « coutumes de Férèn-Kamã » et de laisser les vaincus pratiquer leur religion. Cet accord demeure célèbre dans le Konyã, mais il n'allait pas être durable et sa violation entraînera des polémiques passionnées. Pour en souligner l'esprit, qui parut un instant prévaloir, nous l'appellerons le compromis de Musadugu.
Le conquérant séjourna d'ailleurs longuement dans la capitale historique du Konyã. A la demande de ses hôtes, il intervint contre le principal chef du Gwana, Gwèla-Nyimu Kamara, qui avait dépouillé des colporteurs sur la piste du Mau malgré les démarches de leurs dyatigi. L'armée des Sisé, guidée par Vãfiñ, alla bientôt détruire Gwèla, puis poussa jusqu'à Misiboro, sur les confins du Gbè où les vaincus s'étaient réfugiés 104. Gwèla-Nyimu fut admis à boire le dègè mais l'hégémonie du kafu passa à son jeune rival, Masé-Tyègbana, fils du chef de Zèrèdu, qui allait se convertir et organiser un parti musulman 105. Le clivage qui naissait ainsi allait être durable et il suscitera des luttes violentes jusqu'à l'arrivée des Blancs.
Vãfiñ Dorè montrait une ardeur martiale fort étrangère à la tradition des dyula préforestiers. Sérè-Brèma lui donna en mariage sa fille Madiya et il paraît certain qu'il comptait sur ce gendre pour maintenir son influence dans le Sud. Jusqu'à la grande crise de 1868, il s'efforcera d'aller chaque année, après les pluies, passer quelques jours à Musadugu, dont Vãfiñ était devenu chef, sous prétexte de rendre visite à son enfant.
Il est donc évident qu'il attachait une importance particulière à cette frontière méridionale. Une campagne facile avait suffi pour mettre la main sur les terres riches et peuplées du Haut Konyã. Sérè-Brèma touchait déjà presque au pays Guerzé dont seuls les Kamara du Mahana le séparaient encore. Il est vrai que les vaincus rechignaient partout sous le joug. Les Koné avaient pris le goût des refuges montagnards où les conquérants les avaient investis sans y pénétrer. Ils réoccupaient leurs villages du plateau, mais ils gardaient désormais une grande partie de leurs richesses sur les sommets du Gbãnkundo et du Borõnkènyi. Le Faama espérait sans doute que la politique conciliante qu'il venait d'inaugurer les amènerait peu à peu à de meilleurs sentiments, mais le temps allait lui manquer pour en cueillir les fruits (saison sèche 1859-1860).
Les haines qu'avaient accumulées Mori-Ulé et Burlay ne pouvaient se dissiper en un jour. Toutes les précautions du Faama étaient impuissantes à faire oublier leur liberté aux vaincus. Les kafu du Haut Dyõ gardaient encore leur indépendance, particulièrement les Konaté du Sèsumala et les Kamara du Gbèrèdugu, mais ils se rendaient fort bien compte que leur nouveau voisin ne les laisserait pas longtemps en paix. Puisqu'ils n'étaient pas disposés à accepter le « compromis de Musadugu », ils avaient intérêt à le faire échouer et à soulever contre le conquérant les kafu de l'Est avant qu'ils n'aient pris l'habitude de la servitude. L'âme de cette agitation était naturellement Dyènté, le Mãsa du Gbèrèdugu, un homme de forte personnalité. Il faisait fortifier son village de Torigbèbaladugu et tentait de se réconcilier avec son voisin Nyama Kamara, le montagnard du Simãndugu. La rupture se produisit peu de mois après la campagne du Haut Konyã, quand un incident local opposa deux villages du Salagbala. Des Koné de Fuladu enlevèrent une fille de Dusumoridu et eurent gain de cause auprès du Mãsa, leur contribule. A la suite d'une bagarre, ils brûlèrent le village rival dont le chef alla se plaindre à Madina. Fort de ses droits de justicier, Sérè-Brèma envoya alors une petite troupe régler l'incident mais elle fut attaquée, se dégagea avec peine, et tout le Salagbala entra en insurrection. Le Faama se rendit aussitôt sur place et brûla à nouveau tous les villages du plateau mais cette fois sans obtenir aucune soumission. Dyèragbawè s'était retiré définitivement au sommet du Gbãnkundo, mis en état de défense et soigneusement approvisionné. Les Sisé renoncèrent à donner l'assaut à cette montagne inaccessible, sans se douter que le foyer de résistance qui s'y installait ne pourrait jamais être réduit, sinon par Samori, vingt-trois ans plus tard.
Sérè-Brèma pensa qu'il viendrait à bout des insurgés en les isolant et il savait parfaitement que leur principal atout était l'appui de Dyènté. Il décida donc de traverser le Dyõ pour écraser le Gbèrèdugu et il pensait certainement en profiter pour soumettre le Bas-Konyã, du moins jusqu'aux versants du Gben. Le Haut-Dyõ, dans ce secteur, ne présente cependant aucun gué et toutes les pirogues avaient été détruites. Les Sisé passèrent le fleuve à grand peine et trouvèrent un pays désert, car toute la population s'était repliée dans le Simãndugu où Nyama l'abritait dans les replis de la montagne. Les envahisseurs mirent le siège devant Torigbèbaladugu où Dyènté s'était enfermé avec ses guerriers et d'abondantes provisions. Ils n'arrivèrent cependant à rien et, après des semaines d'attente, comme la crue du Dyõ risquait de les isoler, Sérè Brèma décida de se retirer (saison sèche 1860-1861).
Il n'était pas question de rester sur cet échec, et le Faama pensait d'ailleurs avoir un nouvel atout dans son jeu. Le jeune Samori, son ancien sofa, venait en effet de commencer la guerre sur le Milo. Il agissait pour son propre compte mais il envoyait aux Sisé des messages pleins de déférence, avec la part de butin que la coutume réservait aux souverains. Il avait justement rompu avec Nyama, prenant ainsi à revers les ennemis du Faama. Malgré la hargne qu'il affectait envers un homme qu'il n'aimait pas, Sérè-Brèma était certainement heureux de cet appui inattendu.
Dès la baisse des eaux, il partit en campagne mais, pour tromper l'adversaire, il affecta de se détourner du Gbèrèdugu et mena ostensiblement son armée jusqu'à Musadugu. Des traîtres lui avaient en effet indiqué des passages praticables très en amont du Dyõ 106, si bien qu'il avait établi sa base dans la capitale du Konyã où il avait réuni des vivres. De là, il marcha soudain vers le nord, sur les deux rives du fleuve, saisit le pont de lianes de Manadara 107 et se porta en hâte sur Torigbèbaladugu. Il s'empara sans coup férir du village où on ne l'attendait pas car Dyènté, croyant que le danger s'éloignait, se trouvait justement en visite chez Nyama. Il accourut aussitôt pour reprendre la place, mais les fusils des Sisé eurent raison de ses gens. Capturé, il fut décapité et toute résistance cessa aussitôt. Ses guerriers rejoignirent alors les réfugiés dans les cavernes du Gben (début de 1862).
Le Faama ne s'attarda pourtant pas dans le Konyã car il venait de s'entendre avec Kankan pour tenter un ultime effort contre Nãnténen-Famudu. Croyant la résistance de l'ennemi brisée et son hégémonie assurée dans le sud, il rentra donc à Madina pour préparer la campagne du Sabadugu. Il ne laissait qu'une petite garnison à Torigbèbaladugu pour garder la rive gauche du Dyõ.
Sérè-Brèma avait sous-estimé ses ennemis. Dès le retour des pluies, le nouveau chef de guerre du Gbèrèdugu, Makura-Dyara Kamara, aidé par les gens de Nyama, attaqua le village occupé et massacra la troupe ennemie. Il s'y fortifia aussitôt, tandis que son lieutenant Kaba Koné relevait le gros marché de Sanãkoroni, et qu'un jeune neveu du mort, Saghãdyigi Kamara, qui venait à peine d'être circoncis, s'installait à Sinimoridugu pou surveiller les gués d'amont 108. Ces chefs prirent aussitôt contact avec les insurgés du Gbãnkundo.
Tout était donc à refaire, mais pendant la saison suivante (1862-1863) le Faama fut retenu dans le nord par la guerre du Sabadugu qui menaça un instant Madina. Il laissa les affaires du Konyã aux bons soins de Samori et celui-ci, après bien des échecs, réussit à détruire le Gbèrèdugu et le Sèsumala. Ce succès ne régla d'ailleurs rien puisque les vaincus trouvèrent asile sur le Gbãnkundo où nous verrons Saghãdyigi construire une puissance redoutable. Sérè-Brèma dut en outre s'inquiéter de voir Samori mettre la main sur tous les pays situés à l'ouest du Dyõ. Le jeune Murutigi devenait un personnage inquiétant dont l'entrée en scène compliquait encore une situation passablement confuse. Il est vrai qu'il affectait le plus grand respect pour son maître et qu'il dénonçait avec véhémence d'autres vassaux, les Bérété du Gundo, dont l'attitude était incontestablement suspecte.
L'année suivante fut calme sur le plan militaire, mais marquée par une véritable révolution d'ordre politique. Sérè-Brèma, abandonnant l'alliance de Kankan, se réconcilia en effet avec le vieil ennemi de sa famille, le champion de l'animisme, bref Nãnténen-Famudu (1863-1864). Ce renversement s'explique par la maladresse de la politique des Kaba mais il est vraisemblable que l'évolution de la situation du Konyã y était aussi pour quelque chose. Il est impossible que le Faama n'ait pas senti que de nouvelles forces étaient au travail et qu'il allait en perdre le contrôle s'il se détournait plus longtemps du sud. Il ne s'inquiétait peut-être pas de Samori, mais il devait constater que les Bèrèté l'avaient discrètement évincé du Gundo pour y construire un petit Etat militaire et il était urgent d'en finir avec eux avant qu'ils soient devenus trop puissants. Il est probable qu'il songeait à eux en concluant la paix avec Nãntènen-Famudu, et qu'il lui soumit aussitôt leur cas.
Nous avons laissé le jeune Sarãswarè-Mori à Kankan où il s'était réfugié, écoeuré par le triomphe des Sisé. Nous savons qu'il participa aux campagnes des Kaba contre la « Guerre des Fils du Rêve », puis contre les héritiers de Dyèri au Wasulu, et enfin contre Nãntènen-Famudu. Il y gagna la renommée d'un combattant valeureux, et surtout, avec de nombreux captifs, l'amitié indéfectible de son chef, Umaru-Ba (circa 1852-1857).
Il est probable qu'il ne rentra au pays qu'après le désastre de Korumba et la révolte de Sèriko mais il était désormais riche et respecté. C'est à la tête de dix sofas armés de fusils qu'il se présenta, dit-on, à Sanãkoroni, devant son ancien compagnon, Tèrè-Yara. Les deux hommes parurent d'abord s'entendre. Ils s'engagèrent par le serment le plus solennel qui fut, passant tour à tour entre les moitiés d'une chèvre coupée en deux. Le Bèrèté revenait avec une grande expérience de la guerre et sa présence donnait aux Konaté l'espoir de se libérer et de surmonter la crise qui s'annonçait. De son côté, il n'avait pas les moyens d'agir seul, ses compatriotes animistes refusaient de le suivre. Tèrè-Yara le chargea donc d'organiser ses guerriers et le jeune dyula en profita pour se constituer une petite troupe bien armée, toute à sa dévotion.
Sanãkoroni où le chef Konaté vivait depuis la destruction de Sèdugu, était cependant un centre traditionaliste où un dyula, même bien intégré au milieu, se heurtait sans cesse à des obstacles coutumiers. Sarãswarè-Mori était venu libérer son pays des Sisé, mais il comptait bien imposer son autorité à l'occasion des bouleversements en cours. Il est probable qu'il déconseilla une révolte immédiate car le Gundo, dont Burlay avait confisqué les armes et rasé les fortifications, n'était guère en état de combattre. Ce calcul, apparemment sage, était sans doute faux à longue échéance, car l'occasion d'abattre le Moriulédugu qui se présentait alors n'allait pas se renouveler.
Le Bèrèté profita en tout cas du délai pour faire reconstruire les sanyé et il réussit une admirable manoeuvre politique dont son partenaire ne comprit pas tout de suite la portée. Puisqu'il fallait s'attendre à une attaque venant de l'Est, il convainquit Tèrè-Yara de s'écarter du Dyõ et de construire une forteresse solide dans l'Ouest du kafu. Leur choix tomba sur le village de Sirãmbadugu, situé dans la région de collines accidentées qui marque la frontière du Namusana 109. Il appartenait à des Traorè, qui sont les maîtres de la terre pour les Konaté Faraurisèsi. De ce lieu situé sur la grande piste de Bèyla à Kankan, il était facile de surveiller le commerce de la Forêt ainsi que les gués du Milo menant vers le Sãnkarã et le Kisi. Les Traorè accédèrent bien entendu aux désirs du Mãsa et on entoura leur village d'un puissant tata que le site accidenté rendait facile à défendre (côte 661). Comme les fonctions coutumières de Tèrè-Yara le retenaient généralement à Sanãkoroni, Sarãswarè-Mori se conduisit bientôt comme le seul maître de la nouvelle forteresse.
Tout en sauvegardant les apparences pour ménager les Konaté. Le dyula entreprit d'étendre son influence sur les kafu voisins (ca, 1857-1858). Il n'exigeait ni soumission ni tribut, et il n'était par question d'installer des dugukuñnasigi, mais il entendait qu'on lui fournisse des combattants. Il s'agissait en somme d'une alliance inégale, ce qui était supportable pour l'orgueil des animistes en raison des dangers du moment. Le Bèrèté se contenta sagement du titre modeste de kèlètigi. Il n'eut aucune difficulté dans le Namusana tout proche, que les Sisé avaient séparé du Gundo, mais où Sarãnkè-Mori, de Farãnkonédu, accepta de faire bloc contre l'ennemi commun. Sarãswarè-Mori réussit ensuite à s'imposer derrière le fleuve, dans le Mana, où sa famille gardait des attaches, et où la menace des Sisé était également ressentie 110. Enfin, vers le sud, il s'empressa, non sans succès, auprès des Kamara du Bas Konyã, sur chaque versant du Gben. Musamori de Mãnsõndu, pour le Talikoro, et Kirasèsori de Sanãkoro, pour le Worodugu, entrèrent dans son alliance et il multiplia les amabilités auprès des gens du Bãmbadugu, plus ou moins, liés aux insurgés du Bèèla. Il visitait justement leur chef, Momo Kamara, pour assister à des grandes funérailles, quand il rencontra le jeune Samori Turè qui venait de quitter les Sisé. Il n'ignorait pas la valeur militaire de ce garçon et il l'engagea aussitôt dans sa troupe (circa 1858-1859)
La chute du Bèèla allait bientôt replacer le Bãmbadugu sous la coupe de Sérè-Brèma, mais le Bèrèté restait le maître dans la vallée du Milo. Il se gardait bien, à vrai dire, de rompre avec les Sisé, mais il ne nourrissait certainement aucune illusion sur leurs sentiments à son égard. Il s'employait donc de son mieux à étendre son pouvoir et à accroître ses moyens pour être en état d'affronter l'orage inévitable. La priorité accordée par Sérè-Brèma à l'expansion vers la Forêt allait ainsi lui valoir un répit précieux.
Les campagnes du Bèrèté auxquelles participa Samori seront étudiées plus loin et il suffit ici d'en faire une brève mention. Sa frontière nord étant fermée par le grand royaume de Nãnténen-Famudu et celle de l'ouest par le fameux chef des Kurãnko, Denda-Soghoma. Sarãswarè-Mori voulut naturellement s'étendre aux dépens des pays du Sud. Une première colonne, dirigée initialement contre les Kamara du Toma, fut détournée au dernier moment. Contre ceux du Konyãnko et du Mãndu (1858-1859). L'année suivante, au moment précis où Sérè Brèma soumettait le Haut Konyã, le Bèrèté se rendit dans le Kurãnko oriental pour aider Denda-Soghoma à écraser une révolte. C'est chez lui, à Soghomaya, que le drame éclata. Tèrè Yara que la puissance croissante de son hôte inquiétait certainement, fut accusé de trahison et mis à mort par surprise. Son petit-neveu, Samori, s'éloigna aussitôt mais il voulut travailler à son compte sur le Haut Milo. Il y fut bientôt arrêté mais il réussit à s'enfuir. Là-dessus, l'insolence des Bèrèté les mit finalement en conflit avec les Kurãnko et, malgré une nette victoire militaire, ils retournèrent en hâte à Sirãmbadugu (1859-1860). Samori rentra alors en scène et réussit assez vite à s'imposer aux Kamara du Haut Milo, tout en se réclamant hautement des Sisé (1860-l861).
Sarãswarè-Mori avait voulu aller trop vite pour les moyens dont il disposait et il avait compromis irrémédiablement sa cause. Il demeurait maître du Gundo, du Namusana et du Mana, mais son autorité déclinait. Les menaces montaient de tous côtés.
Pour venger quelques raids frontaliers sur Bananko, où son frère tenait garnison, Nãnténen-Famudu envoya une colonne qui ravagea les cultures de Gboodu et ébranla la fidélité du Namusana.
Dans le Sud, dès que Samori eut écrasé les opposants Kamara, il devint agressif et se mit à razzier le Gundo et le Mana (1863-1864). Le vrai drame des Bèrèté était cependant une crise intérieure. En tuant Tèrè-Yara, Sarãswarè-Mori s'était attiré la haine des Tyèulési et les Faraurisèsi de Nyalè-Mori se cantonnaient dans une réserve hostile. Les lignées qui assuraient depuis un demi-siècle la fortune des Bèrèté se retournaient donc contre leur descendant ingrat. Le nouveau Mãsa, Dyanka-Tèrè 111, s'était retiré à Sanãkoroni où il intriguait, tandis que Nyamori, le frère du mort, reconstruisait et fortifiait l'ancien village de Sèdugu. Tous ces gens avaient combattu contre les Sisé mais ils se retournaient soudain vers Sérè-Brèma dans l'espoir de venger leur parent. On apprit ainsi un beau jour qu'un conseiller du Faama s'était présenté avec des vêtements d'honneur et avait investi Dyãnka-Tèrè du commandement du Gundo au nom de son maître (ca, 1863-1864) 112.
C'était la rupture et tout l'Est du kafu rentra alors officiellement dans l'orbite des Sisé. Les Konaté n'étaient pas en mesure de déloger les Bèrèté de leur forteresse, mais ceux-ci n'osèrent pas réagir de peur d'attirer sur eux la foudre. Sarãswarè-Mori passa donc ces dernières années dans l'immobilité en se fortifiant frénétiquement et en approvisionnant massivement Sirãmbadugu (1860-1864). Ce manque d'initiative ne pouvait le mener qu'à sa perte.
Samori à qui il fermait la route du nord multipliait les déclarations de loyalisme aux Sisé et les appels à châtier la trahison des Bèrèté. Le dénouement vint finalement pendant la saison sèche de 1864-1865. Sérè-Brèma, qui ne demandait qu'à se laisser convaincre se décida alors à en finir. Il donna rendez-vous devant la place forte aux armées de Samori et à son nouvel allié, Nãnténen-Famudu. Après un long siège qui sera étudié plus loin, Sirãmbadugu tomba, mettant un point final à la carrière politique de Sarãswarè-Mori. Nous verrons que le vaincu sera sauvé par les Kaba et qu'après un long exil dans le Baté, il finira par enlever aux Konaté le village de Tinti-Ulé où la bénévolence de Samori allait le tolérer jusqu'au bout. Il y mourra nonagénaire, sinon centenaire, en 1920, en pleine ère coloniale.
Il n'en reste pas moins que sa vie publique s'acheva en 1865 quand ses domaines furent partagés. Nãnténen-Famudu reçut l'hégémonie sur le Namusana et le Manaã. Sérè-Bréma garda le Gundo où Dyanka-Tèrè allait lui être fidèle jusqu'à la mort. Quant à Samori, ce pauvre hère, il n'obtint rien. Il regretta sans doute alors d'avoir échangé le voisinage d'un faible ennemi contre celui d'un puissant seigneur et il ne devait pas oublier la leçon.
Dès l'année suivante, en 1865-1866, le Sisé attaqua d'ailleurs Samori, ce vassal douteux, et écrasa complètement ses parents, les Kamara, à l'issue du siège de Lenko. La population, affolée par la brutalité de l'envahisseur, s'enfuit alors en masse vers les refuges montagneux et les lisières de la Forêt. Plutôt que de risquer une catastrophe dans un combat inégal, Samori en fit autant et alla demander asile au Konõnkoro, dans le nord du pays toma. Le Faama de Madina ne rencontra pas d'autre opposition, mais le pays dont il resta le maître était presque désert.
Après avoir installé des dugukuñnasigi sur les deux versants du Gben, dans la vallée du Milo comme dans celle du Dyõ, Sérè-Brèma gagna au début de 1866 sa base de Musadugu. Il reçut cette fois la soumission de Dyigiba Dõzo, le chef de Nyõnsomoridugu, qui s'employait à asservir les réfugiés venus du nord. La malédiction de Koñyé-Morifiñ commençait à s'estomper, depuis la mort de son auteur, et le Faama mettait ainsi la main sur les cols qui donnent accès à la vallée forestière du Dyani.
Les derniers kafu du Haut Konyã vinrent à leur tour boire le dègè : ce fut le cas du minuscule Kwisu 113 mais aussi du Mahana. Ce pays ouvrait au conquérant les portes du pays Guerzé et nous aurons à reparler de ses chefs, Naka-Nyamã Kamara de Nyauléndugu et Kura-Nyamã Kamara de Soba, qui étaient des familiers des barbares du Sud 114.
La colonne traversa leur domaine sans combattre, descendit le revers du Haut Konyã et fit son entrée à Boola, le premier marché kolatier du Pays Guerzé. Sérè-Bréma y reçut l'hommage du chef barbare du Bèro (Wenzu) et surtout celle de Nyama Kamara qui venait de s'installer avec ses réfugiés à Fooma, au pied des falaises du Fõ. Le Mãsa du Simãndugu acceptait de plier devant le Faama, mais à condition de demeurer dans sa retraite forestière et de ne recevoir aucun dugukuñnasigi 115.
Le conquérant paraît avoir songé sérieusement à pénétrer en Forêt. Il voulait combattre les barbares comme allié des Konyãnké et avait demandé à Vãfiñ Doré de pressentir Kaman-Kyèkura, le Mãsa de Kwõnkã. Ce jeune homme, qui venait de remplacer son père, Dyaka-Kamã, à la tête du Buzyé, opposa cependant un refus très net aux Sisé, et entraîna avec lui tous les Kamara du Tukoro. Ceux du Karagwa, enfoncés dans la Forêt du Haut Gwa, adoptèrent la même attitude.
Comme les pluies approchaient, Sérè-Brèma reprit la route de Madina. Malgré une ultime rebuffade, il avait tout lieu d'être satisfait. Il avait étendu ses frontières méridionales jusqu'au coeur de la Forêt et son autorité s'exerçait sur plus de 200 kilomètres dans l'axe des méridiens. Il tenait tout le Haut Konyã avec les Marches du Guerzé ainsi qu'une fraction du Torõ méridional. Son pouvoir n'était borné à l'est que par le Mau et le Gbè qu'il abandonnait aux Turé d'Odienné. Dans l'ouest, Samori s'était effacé après la disparition des Bèrèté. Nãnténen-Famudu fermait toujours la route de Kankan, mais les Sisé venaient de se réconcilier avec lui. Il est vrai qu'une partie de la population des pays conquis avait fui, mais elle rentrerait sans doute quand elle comprendrait que la nouvelle hégémonie était bien établie. Il est vrai aussi que les rochers inaccessibles du Gbãnduko abritaient un îlot de dissidents en plein coeur de l'empire Sisé. Sérè-Bréma renonçait à les poursuivre dans un terrain aussi difficile, mais il espérait certainement que ces partisans de Saghãdyigi se rallieraient pour recouvrer leurs terres, quand ils verraient que l'emprise du conquérant sur les bas pays était définitive.
C'est à ce moment sans aucun doute, vers le milieu de 1866, que se place l'apogée du Moriulédugu. Cette construction politique devait paraître gigantesque aux contemporains dont la mémoire n'évoquait rien de semblable. Elle était pourtant d'une fragilité extrême. Les dugukuñnasigi étaient dispersés à travers un immense territoire mais ils ne disposaient d'aucune force. L'armée, quand elle n'était pas en colonne, demeurait concentrée à Madina et ne pouvait donc intervenir qu'avec un fâcheux retard dans les districts éloignés. Cette absence d'organisation territoriale était une aberration pour un Etat fondé sur la violence et dont les souverains étaient considérés comme des dominateurs étrangers. L'Empire de Sérè-Bréma allait en effet s'effondrer comme un château de cartes. Il n'était sans doute pas viable, mais une erreur de son chef allait hâter sa chute. Le Faama venait d'inaugurer une politique conciliante qui demandait du temps pour porter ses fruits. Il aurait dû garder ses forces disponibles pour contrôler une population rétive au lieu de se lancer dans des aventures lointaines. En l'absence de tout soutien sérieux chez ses sujets animistes, il eut aussi été préférable de ne pas se heurter aux autres puissances musulmanes dans des luttes fratricides comme celle qui avait coûté la vie à son père. Il est vrai que le Faama vieillissant paraît avoir perdu quelque peu le contrôle de son appareil militaire. Ses neveux, et surtout l'aîné, Morlay, allaient désormais jouer les foudres de guerre, et l'inciter sans cesse à de nouvelles expéditions dont ils espéraient gloire et profit. La plupart des colonnes seront désormais leur affaire tandis que l'oncle fatigué les attendra à Madina.
Son incursion en Forêt l'avait d'ailleurs convaincu qu'il n'avait plus d'ennemis à craindre dans le sud. Ayant poussé ses frontières de ce côté aussi loin qu'un homme de la savane pouvait l'espérer, il était naturel qu'il se tournât vers le nord. De ce côté il venait de se réconcilier plus ou moins sincèrement avec Nãntènen-Famudu, si bien que le Wasulu demeurait seul ouvert à son ambition. Les divisions qui déchiraient ce pays y attiraient justement les Turè d'Odienné dont les forces se trouvaient disponibles après quelques échecs vers la Forêt. Au lieu de chercher un compromis avec ces musulmans, Sérè-Brèma allait se lancer à corps perdu contre eux comme s'il voulait reprendre la vendetta suspendue vingt ans plus tôt. En 1867 et 1868, les Sisé useront ainsi leur force au Wasulu tout en perdant la plupart de leurs possessions dans le Sud et dans l'Ouest .
Profitant de l'hivernage de 1867, Samori allait expulser du Bas Konyã les faibles forces des Sisé et s'installer en maître entre Dyõ et Milo. L'année suivante, il commença à harceler le Haut Konyã mais un troisième larron entra aussitôt en scène. Le jeune Saghãdyigi descendit en effet du Gbãnkundo où il accumulait dans l'ombre une force redoutable et beaucoup de Kamara voyaient en lui le meilleur défenseur des traditions animistes. Sérè-Brèma dont les troupes étaient engagées au Wasulu se trouva incapable de l'affronter et la campagne de Musadugu tourna mal pour lui, comme on le verra (1868). A ce moment, les Doré, écœurés, rompirent avec Madina et tout le Haut Konyã se rallia au Mãsa de Gbãnkundo. Le Faama dut alors s'incliner et accepter une paix désastreuse qui ne lui laissa que les Konè du Dyigilõ, du Bèèla et du Farana (1868-1869). En l'espace de deux ans, Samori allait alors envahir le Gundo, en expulser Dyãnka-Tèrè et enlever le Namusana à Nãnténen-Famudu qui sera repoussé dans ses anciennes frontières (1868-1870) 116.
En 1869, une fois la situation stabilisée au Wasulu, Sérè-Brèma pourra dresser le bilan d'un échec. Pour maintenir son influence au Sanãfula, il s'était fâché à mort avec les Turé d'Odienné et il avait établi au Wasulu la prépondérance d'Adyigbè Dyakité, un ami de Nãnténen-Famudu. Il avait donc travaillé pour les autres tandis que ses frontières occidentales se trouvaient ramenées en deçà du Dyõ et des montagnes du Haut-Konyã.
Nous verrons que, pour sortir de l'isolement tragique où il se trouvait, le Faama se rapprocha alors du jeune Samori et fit son jeu en l'aidant à écraser Nãnténen-Famudu (1873-1874). Le seul bénéfice qu'il en retira fut une maigre part des domaines du vaincu, la fraction du Sabadugu située à l'est du Dyõ, cette rivière étant choisie frontière définitive depuis le Haut Konyã jusqu'au confluent Sãnkarani. Le vieillard désabusé allait désormais observer sans illusions la montée irrésistible de son ancien sofa. Son armée, toujours puissante, enrageait d'une telle passivité et Sérè-Brèma finira par céder à l'impatience de ses neveux. Ceux-ci se lanceront alors dans la folle guerre du Sãnkarã (1870-1880) qui entraînera l'effondrement du Moriulédugu et son annexion par Samori.
Ce bref résumé était nécessaire pour tracer dès maintenant la courbe du destin des Sisé. Il reste que leur histoire à partir de 1861, est inséparable de celle de Samori, si l'on excepte l'aventure du Wasulu. Loin d'être détruite en 1880, leur armée allait s'intégrer à celle du nouveau conquérant et poursuivre la lutte sous ses ordres jusqu'en 1898. Leur entreprise n'aura donc pas été entièrement vaine et Samori allait être, en un sens, leur continuateur. Mais il en était aussi le négateur, dans la mesure où ce fils du pays allait fonder solidement son Empire sur le consentement de ses compatriotes.
Il convient à présent de reprendre l'histoire du Kabasarana que nous avons abandonnée à la mort de son fondateur. Comme elle se déroule en marge de celle de Samori et qu'elle la rejoindra seulement en 1881, nous nous bornerons à en indiquer rapidement les grandes lignes.
Ce royaume dyula avait remarquablement bien supporté la disparition de son fondateur et de son successeur immédiat. Celui-ci, Va-Brèma, avait voulu impressionner ses voisins en attaquant les Bambara du Tudogu sans attendre la publication de la mort de son père. Il soumit effectivement ce pays et en rapatria les réfugiés du Bodugu qui s'y trouvaient encore. Ses nouveaux sujets l'entraînèrent aussitôt dans leurs querelles contre le Fuladugu et le Faama appela à l'aide les Sisé pour attaquer la forteresse montagnarde de Korumba. On a vu qu'il y trouva la mort après quelques mois de règne (ca, 1857-1858).
Il fut remplacé par son frère Va-Muktar, qui s'était distingué du temps de leur père et qui allait être le souverain le plus belliqueux, sinon le plus heureux, qui ait régné à Odienné. Bien qu'il fût brillamment secondé par les meilleurs lieutenants de Va-Kaba, comme ses cousins Sanusi et Bintu-Mamadu, bien qu'il ait su former lui-même d'excellents chefs de guerre comme Vakuru Bãmba ou Séku-Tègèrè, bien qu'il ait joui d'une certaine popularité parmi les sofas et les dyula, ce Faama allait laisser derrière lui un fort mauvais souvenir. Sa piété n'était pas édifiante du point de vue des musulmans et ses sujets se plaignaient du fardeau écrasant que des guerres continuelles faisaient peser sur eux. Dès son avènement, pour venger son frère et laver la honte de la défaite, il rompit la paix jurée avec le Nöölu, dont les Sénufo avaient aidé Korumba. Un raid poussé jusqu'au Zona 117 tourna pourtant mal ainsi que le siège de Syensoba qui suivit, si bien que les gens du Nöölu détruisirent Tyémé et razzièrent les environs d'Odienné avec l'aide du Nafana. Le Faama dut alors conclure une trêve précaire qui laissa sa capitale découverte vers l'est (ca, 1858-1860). Se détournant d'un terrain aussi difficile, il voulut ensuite employer le Tudugu à étendre son autorité vers le nord-est, en direction du grand marché de Tengrèla et des frontières du Kénédugu. Il réussit effectivement à mettre la main sur le Vãdugu mais ses attaques contre les Bambara du Sibirila et du Yorobadugu échouèrent et il subit bientôt un échec grave, à Mahalé, de la main des Sénufo du Nyené (Ca. 1860-1862) 118.
Son prestige était dès lors ébranlé et le Tudugu se révolta sur ses arrières, le contraignant à une retraite précipitée vers Odienné. Les Koné belliqueux qui commandaient ce kafu surent utiliser leurs montagnes pour en faire des citadelles inexpugnables et mirent ainsi les Turé en échec. Le Tudugu était ainsi définitivement perdu pour le Kabasarana qui allait finalement reconnaître sa liberté. De ce côté, le Faama devra, dès lors se contenter des frontières établies par son père (entre 1860 et 1865).
Après ces mauvais débuts, Va-Muktar se détourna des terres ingrates du nord et revint à l'idée d'élargir ses frontières vers la Forêt, là où son père avait échoué. Vers 1865, il intervint dans une guerre civile qui déchirait le Mau et s'efforça d'écraser les Kamara Sakuraka pour remettre en selle, comme vassaux, les vieux Dyomandé issus de Kõnsaba 119. Là encore, après une longue lutte assez décousue, il fallut accepter un compromis. Muktar échoua devant le gros marché de Wanino 120 et dut reconnaître comme Mãsa un Sakuraka, Vasè Dyomãndé, tout en proclamant une alliance qui excluait toute vassalité. Il évacua Sokurala qui lui servait de base et où il avait campé une bonne année, mais il pouvait finalement se targuer d'un demi-succès. Tout en accentuant leur politique de pénétration de la Forêt, en Pays Dã, les gens du Mau allaient désormais lui fournir des renforts pour ses guerres et Samuka, fils de Vasè, combattit six ans sous ses ordres (circa. 1865-1866).
La prépondérance des Turè dans le Mau ne pouvait cependant se consolider tant que subsisterait l'enclave des Dõso du Fina, qui s'accrochaient obstinément entre Odienné et Koro. Va-Muktar se tourna donc de ce côté et, comme son père, alla mettre le siège devant Borotu. Une fois de plus, l'affaire traîna en longueur, malgré les raids dirigés contre le Gbè qui soutenait les assiégés. En dépit d'une longue obstination, le Faama dut finalement s'avouer vaincu et rentrer à Odienné (Ca. 1866-1867).
Après ces déboires dans le sud, on pouvait prévoir que l'effort d'Odienné se porterait vers le nord, selon le mouvement de pendule propre aux impérialismes dyula. C'est bien ce qui se produisit, mais Va-Muktar, sans doute mécontent de ses échecs militaires, resta cette fois dans la capitale pour gérer son royaume. Quand il reçut une demande pressante d'intervenir dans les guerres civiles du Wasulu, il s'en déchargea sur son cousin, Bintu-Mamadu 121, qui paraît avoir été impatient de se tailler un domaine personnel. Ces affaires méritent, selon nous, quelques détails en raison de l'incidence qu'elles allaient avoir sur les débuts de Samori.
Caillié exagère sans doute le côté idyllique de la vie rurale des Wasulunké, telles qu'il la découvrit en 1828, mais ce pays de cultivateurs éleveurs était certainement prospère 122. Sa forte personnalité ethnique, marquée par un habitat dispersé, sauf en périodes de crise, et par un dialecte original, lui donnait une place à part dans l'ensemble manding. Malgré leurs vastes kafu, ces Fula se laissaient volontiers aller au morcellement mais, face à un danger extérieur, l'ethnie tout entière montrait une aptitude remarquable au regroupement 123. Il n'existait aucun centre musulman important parmi ces animistes endurcis et les grandes routes du colportage contournaient leur territoire par l'ouest ou par l'est. Bintu Mamadu, paraît-il, voulait s'y tailler un royaume personnel, qui prolongerait celui d'Odienné sur la route de Bamako, mais il ne pouvait réussir qu'en jouant sur les divisions locales, bref en s'identifiant à l'un des partis qui se disputaient le Wasulu.
Il abordait ce pays dix ans après l'échec de Dyèri Sidibé qui l'avait unifié un instant contre la menace musulmane, entre 1850 et 1855. Au terme de ce grand effort, le Wasulu était retombé dans la division, mais diverses forces étaient déjà au travail pour combler le vide ainsi créé. Parmi les chefs qui avaient soutenu la « Guerre des Fils du Rêve », Bãndyã-Fara Dyakité dont l'autorité était grande dans le Dyétulu, disparut presque aussitôt. Son neveu, Numãdyã, de Dyasaba 124 se heurta à l'opposition d'un jeune homme qui s'était distingué au siège de Kankan, Adyigbè, chef de Dyarakuru 125. Dans la guerre civile qui suivit, Adyigbè fut soutenu par les partisans les plus résolus de Dyèri, et particulièrement Bãndya-Nyumori de Musadugu, un petit-fils du fameux Kondé-Brèma. Numãdyã n'hésita pas à faire appel aux gens du Dyalõfula commandés par Asa-Dyumè Sidibé, de Komisana, puis à Kundyã-Dyémori, le chef du Sakodugu, et celui-ci entraîna dans la lutte Alfa-Mamudu Kaba avec l'armée de Kankan. Cette puissante coalition ravagea le Dyétulu et mit le siège devant Dãndèla où la situation d'Adyigbè fut un moment critique 126. La division des Wasulunké les livrait ainsi à leurs ennemis musulmans. Nãnténen-Famudu qui n'était pas moins menacé, accourut à leur secours avec les guerriers du Torõ, et Kõdyé-Sori Dyallo, le chef du Lensoro, se joignit à lui avec les Wasulunké du Sanãfula. L'envahisseur fut alors rejeté derrière le Sãnkarani et Adyigbè en profita pour imposer son autorité au Dyalõfula tandis que Numãdyã faisait sa soumission (Ca. 1855-1860) 127.
Mis en selle grâce à Kõdyé-Sori, Adyigbè ne contestait pas la prépondérance de ce guerrier éprouvé, qui avait débuté comme lieutenant de Sori-Ulé Tumani Dyallo, l'ancien Mãsa de Wurala 128. Ce dernier avait imposé son hégémonie au Sanãfula, dix ou quinze ans plus tôt, au prix d'une longue guerre civile, couronnée par l'expulsion d es Dyakité de Sidikuru, et avait soutenu un moment Mori-Ulé contre le Sabadugu. Toutes ces dissensions avaient été oubliées pendant la « Guerre des Fils du Rêve » et la mort de Sori-Ulé Tumani avait laissé la place libre à Kõdyé-Sori. Celui-ci se trouva maître du Wasulu occidental dès que son protégé, Adyigbè, eut pris en main le Dyétulu (circa 1860).
L'association des deux chefs était trop fructueuse pour qu'ils en restassent là. Ils ne tardèrent pas à se lancer à la conquête du Wasulu oriental, où chaque kafu avait repris sa liberté, dès la mort de Dyèri.
Le Ba-Sidibé, commandé alors par Awa-Musa-Numunyè 129, de Yanfolila, se rallia de bon gré. Dans le Gbãndyagha, en amont du Balé, les conquérants s'appuyèrent sur les Dyakité de Dalagbè, mais ils durent mater l'opposition de Solomini Sidibé, de Solomanina 130. Plus à l'est, dans le Gwanã, où des lignées Dyakité et Dyallo sont traditionnellement en équilibre, Kõdyé-Sori eut recours à un contribule, Fènko-Tumani, de Bèrèté qu'il soutint contre Koniba-Solomani Dyakité, le chef de Faraba 131. Les Sangarè du Kusã et les Sidibé du Nyénédugu disent qu'ils se rallièrent alors de bon gré.
Dans le nord, Adyigbè écrasa son homonyme Adyi-Koroni Sangarè, le Mãsa du Bolu et, dans les ruines de Koloni, il recueillit un enfant d'une dizaine d'années, un petit-fils du vaincu qui allait devenir célèbre sous le nom de Bolu-Mamudu. Il razzia ensuite le Kurulamini jusqu'aux abords de Ntèntu, sans parvenir à soumettre les Bambara (entre 1860 et 1865). Adyigbè allait demeurer ensuite dans l'Ouest pour affronter, sur le Sãnkarani, les offensives répétées des Sako de Kundyã, soutenus par l'armée musulmane de Kankan. C'est à cette époque qu'il établit des liens étroits avec Nãnténen-Famudu car le Faama du Torõ combattait les mêmes ennemis que lui (Ca. 1865).
Couvert ainsi par le chef du Dyétulu, Kõdyé-Sori n'hésita pas à traverser le Baulé et à s'enfoncer profondément dans l'est, en pays bambara 132. Le centre dyula de Gbaralo s'étant rallié, il s'imposa facilement au Tyèmmala, à la faveur d'une guerre civile opposant Kologo à Dyiné 133. Les Fula du Bilituma 134 se soumirent alors et il étendit un moment son hégémonie aux Bambara du Sibirila. Leur chef, Dyoloko Koné, de Bãnzana 135 venait justement de tenir tête à Muktar Turè et il entraîna son nouveau maître dans le duel qui l'opposait à ses voisins du Yiridugu. Deux campagnes successives ne vinrent pourtant pas à bout de ceux-ci dont le chef, Koriko-Musa Koné, retranché dans le tata d'Urumpana 136, était fortement appuyé par ses voisins du Zana et du Tyendugu (Kébila) (Ca. 1865-1866) 137.
Le Mãsa de Lensoro avait pratiquement reconstitué à son profit le domaine de Dyèri Sidibé, mais sans l'ambiance de mysticisme fiévreux qui imprégnait la « Guerre des Fils du Rêve ». Il est vrai qu'il n'était pas le seul maître car tout reposait en fait sur la bonne volonté d'Adyigbè, attentif à s'effacer devant son ancien patron. Kõdyé-Sori avait su se faire respecter mais il n'avait nullement construit un Etat et comme il n'en avait sans doute même pas l'idée, son oeuvre ne pouvait guère lui survivre.
Nous admettrons qu'il vivait encore pendant la première guerre du Wasulu, bien que certaines traditions se contredisent sur ce point. Dans ce cas, il est évident que son hégémonie allait traverser une crise grave, provoquée peut-être par les échecs du Yiridugu qu'il venait juste de subir 138.
Toujours est-il que les Dyakité du Gwanã, ainsi que les Sidibé du Gbãndyagha et les Sangarè du Kusã, décidèrent de se révolter contre Lensoro. Ils étaient certainement mécontents de voir leur seigneur s'appuyer sur des lignées rivales, les Dyallo dans le Gwanã, et les Dyakité dans le Gbãndyagha. Il est probable qu'ils guettaient depuis longtemps la première occasion favorable.
Conscients de leur faiblesse, ils n'hésitaient pas à faire appel aux musulmans, en l'occurrence aux Turè d'Odienné, de même que Numãdyã avait sollicité dix ans plus tôt les gens de Kankan. La conjoncture se trouvait favorable puisque Muktar, depuis la fin des guerres du sud, s'intéressait à la route de Bamako. On nous dit que le chef du Bodugu, Molamini Kuruma, s'était plaint à lui des voleurs de Sãndugula, le village frontalier du Kusã, et que les dyula de Sokoro et Madina, dans le Folo, réclamaient également des représailles contre ces gens. Il parait certain que Modya-Lamini Sãngarè, le chef de Sãndugula, pillait régulièrement les colporteurs qui empruntaient son territoire. Le Faama aurait cependant refusé, en raison du pacte de sang qu'avait juré son père avec certains Wasulunké et particulièrement Kulumba Sidibé de Bãndyala, dans le Gbãndyagha.
Il usa du même prétexte pour se dérober quand il reçut des délégués de Maha-Tyèkoro Sangarè, pour le Kusã et ceux de Namakaro Dyakité, pour le Gwanã, qui venaient lui demander de l'aide contre les amis de Kõdyé-Sori 139. Va-Muktar refusa mais il déclara que Bintu-Mamudu, comme il n'était pas Faama, pouvait les suivre sans violer la parole de son père 140. Ce Kèlètigi recruta alors une armée privée parmi ses anciens compagnons de combat dont certains étaient des chefs remarquables comme Séku-Tègèrè, un Fula du Folo, et son frère Koro-Zyé.
Si la première guerre du Wasulu a bien duré deux ans, comme l'atteste la tradition, elle commença durant la saison sèche (1866-1867). Elle paraît s'être ouverte par la destruction du village frontalier de Sãndugula qui fut suivie d'un massacre mémorable 141. Le reste du Kusã étant acquis aux Turè, ils s'installèrent à Sãngarédyi chez leur allié Maba-Tyèkuro 142. Les Dyakité qui tenaient la moitié orientale du Gwanã formèrent alors une colonne pour assister les conquérants. Le chef Namakoro la confia à un jeune cousin, Faraba-Lay, qui allait se convertir à l'Islam et que nous allons retrouver souvent. Les alliés détruisirent alors Bèrèlè, résidence de Fenko-Lamini, le chef des Dyallo, et ceux-ci se retirèrent dans l'ouest où ils se retranchèrent à Yorõntyéna et Fulabuula 143.
Ainsi renforcé, Bintu-Mamudu détruisit sans peine les villages hostiles du Gbãndyagha 144. Kulumba, l'ancien dyatigi de Vakaba, et Solomini-Sãmba de Solomanina, l'aidèrent dans cette tâche. si bien que les Sidibé se trouvèrent maîtres du kafu.
Les Turè, qui ne disposaient sans doute au début que d'une petite troupe bien armée et bien entraînée, se trouvèrent désormais à la tête d'une énorme masse de partisans Wasulunké. Ils se lancèrent alors à l'attaque du Sanãfula dont ils venaient de rogner les domaines. Ils détruisirent d'abord Bugula 145 puis réussirent à enlever Lensoro et presque tout le pays tomba entre leurs mains, à l'exception de Nyako à l'extrême ouest, et de Dyifwa dans le sud 146. Kõdyé-Sori s'y était retranché , adossé au Sãnkarani et il réclamait désespérément l'aide des Sisé .
En quelques mois de campagne, Bintu-Mamudu s'était donc rendu maître d'une bonne moitié du Wasulu et Adyigbè, qui tenait encore dans le Nord, ne paraissait pas en état de le chasser. Les envahisseurs disposaient d'ailleurs d'une forte clientèle autochtone et ils s'apprêtaient certainement à organiser leurs conquêtes.
L'intervention de Sérè-Brèma allait briser ces espoirs. L'alliance des Turé et des Sisè était en sommeil depuis l'affaire de Korumba et les échecs répétés de Muktar avaient nui au prestige du Kabasarana. Sérè-Bréma, qui rentrait de sa campagne en Forêt, était alors maître de tout le Konyã, et il considérait certainement les Turè avec condescendance. Il ne pouvait pas les laisser annexer le Wasulu et lui fermer la route de Bamako. Une amitié ancienne liait d'ailleurs sa famille aux gens du Sanãfula qui avaient aidé son père contre les Kuruma.
L'armée de Madina traversa donc le Sãnkarani et sa supériorité s'imposa aussitôt. Bintu-Mamudu perdit successivement Tindila, Saladu, Yarauléna 147, et finalement Lensoro où Sérè-Bréma réinstalla Kõdyé-Sori.
Le Sanãfula libéré, l'hivernage suivant fut employé à des intrigues, complexes, tandis que les Turè se reconstituaient à Sãngarédyi. Une fois leur vendetta satisfaite, leurs amis avaient ressenti la dure poigne des musulmans et le patriotisme des Wasulunké paraît avoir joué, comme chaque fois qu'un danger sérieux se concrétisait. La victoire des Sisé les convainquit sans doute qu'ils n'avaient pas misé sur la nonne carte et le parti de Bintu-Mamudu se mit à fondre rapidement. Le fait principal fut la défection du Gbãndyagha que Sãmba Sidibé ramena dans la mouvance de Lensoro au moment où la crue du Balé le mettait provisoirement à l'abri des représailles.
Après ces revers, les Turé ne contrôlaient plus que le Kusã et les villages Dyakité du Gwanã. A la fin des pluies, Bintu-Mamudu décida d'aider ceux ci à en finir avec leurs ennemis Dyallo, et de rétablir ainsi un prestige qui s'effritait. Il marcha donc contre Fenko-Lamini qui s'était retranché avec ses meilleurs combattants dans le tata de Yorõntyéné. Incapable de prendre cette place d'assaut, les Turé se fortifièrent à Kalifaladyi d'où ils sortirent chaque jour pour harceler l'adversaire 148.
Cette offensive provoqua une mobilisation générale des Wasulunké. Adyigbè accourut avec les gens du Dyétulu en s'arrêtant au parage à Solomanina pour lever ceux du Gbãndyagha Le chef du Ba-Sidibé, Awa-Musa Numuntyè, quitta alors Yanfolila pour le rejoindre à Yorõntyéné et Kõdyé-Sori arriva enfin en compagnie d'une fraction de l'armée des Sisé, commandée par le jeune Morlay.
Dès lors, il était sans doute impossible à Bintu-Mamadu de vaincre et il eût été sage de battre en retraite vers Odienné. Mais il était trop tard. En apprenant l'arrivée des Sisé, le Kusã avait abandonné la cause des envahisseurs et Namakoro Dyakité lui même ne tarda pas à en faire autant, sachant qu'on lui demanderait compte d'avoir appelé les musulmans, s'il attendait leur défaite.
La situation se trouva ainsi vite retournée. Bintu-Mamadu, avec une petite armée de fidèles, était assiégé à son tour au coeur du Wasulu, loin de tout secours et incapable de battre en retraite. L'investissement de Kalifaladyi aurait duré, selon la tradition une « année » entière, c'est-à-dire toute une saison sèche jusqu'au retour des pluies (début de 1868). La situation des Turè était désespérée mais ils restaient redoutables 149. Conformément à l'art traditionnel de la guerre, les insurgés voulaient d'ailleurs se débarrasser d'eux plutôt que les détruire Quand Bintu-Mamadu entra en pourparlers avec les assiégeants, ceux-ci exigèrent seulement qu'il évacuât entièrement le Wasulu et retournât sans délai à Odienné. La tradition ajoute qu'il fut épargné à la demande de Kõdyé-Sori, mais il est évident que l'influence des Sisé jouait dans le même sens. Une fois le danger écarté, la solidarité musulmane reprenait ses droits et Sérè-Brèma avait certainement hâte d'en finir avec une guerre qui venait d'ébranler son Empire encore fragile.
Bien que les Turé n'aient pas connu un désastre total, cette première guerre du Wasulu marque un tournant décisif dans l'histoire des pays du sud. L'offensive de Bintu-Mamadu, en attirant Sérè-Brèma dans le Sanãfula, avait en effet permis à Samori de revenir dans le Bas Konyã. L'année suivante, le siège de Kalifaladyi bloqua dans le nord une grande partie de l'armée de Madina et mit le Faama dans l'incapacité d'arrêter l'offensive de Gbãnkundo Saghãdyigi à travers le Haut-Konyã. Tous les pays du sud échappaient ainsi à Sérè-Brèma et cette perte allait s'avérer irrémédiable. Un an plus tard, quand il se porta sur Gbãnkundo avec toutes ses forces, il n'aboutit à rien et c'est sans doute alors que Samori en profita pour lui enlever le Gundo (1868-1869) 150. L'Empire des Sisé était définitivement mutilé, réduit à des frontières à peine plus larges qu'au temps de Mori-Ulé et cela compromettait sans remède son avenir malgré la force que gardait son armée. La puissance grandissante de Samori et celle de Saghãdyigi allaient désormais menacer ses frontières méridionales.
La guerre du Wasulu n'était pourtant pas entièrement stérile puisqu'elle avait empêché la naissance d'un nouveau royaume Turè dans le Nord. Elle permit en outre à Sérè-Bréma de placer le Sanãfula dans son orbite, ce qui représentait un gain appréciable en hommes et en vivres. Kõdyé-Sori mourut en effet peu après la guerre, selon la plupart des traditions. Comme on pouvait s'y attendre, l'hégémonie de Lensoro, qui était liée à sa personne, se dissipa aussitôt. Son fils, Malédyã Dyallo était un homme assez effacé et son ambition se limitait à garder en main le Sanãfula. Il y parvint grâce au soutien constant des Sisé à qui il allait rester fidèle jusqu'en 1881.
Il existait, à vrai dire, un candidat à la domination du Wasulu, en la personne d'Adyigbè. Celui-ci parvint assez bien à ses fins, en gardant en main tout le pays qui se trouve à l'ouest du Baulé, à l'exception du Kusã et des Dyakité de Namakoro. Ceux-ci se replièrent sur eux-mêmes après s'être fait pardonner leur trahison au prix d'un retournement tardif. Adyigbè aurait sans doute pu étendre son pouvoir vers l'est mais les événements se précipitèrent alors sur le Milo où Samori grandissait très vite et le nouveau maître du Wasulu fut contraint de se tourner à son tour de ce côté. Même s'il n'était pas directement menacé, il lui était difficile de ne pas secourir Nãnténen-Famudu qui l'avait sauvé jadis, lors du siège de Dãndèla. Dès le début de 1871, Samori avait justement enlevé le Namusana au Faama du Sabadugu et les Sisé paraissaient se rapprocher de leur ancien sofa. Un conflit décisif était donc imminent.
Il éclata à la fin de 1871, quand Samori envahit le Basãndo et nous verrons la part qu'y prirent les Wasulunké. Adyigbè était cependant trop réaliste pour s'accrocher à une cause perdue. Comme aucun intérêt vital ne l'opposait à Samori, il négocia avec lui la trahison qui provoqua la chute de Nãnténen-Famudu au début de 1874.
Il est probable qu'il fut poussé à ce reniement par la nécessité de retourner dans l'est où renaissait au même moment la menace des Turè.
Bintu-Mamadu 151, rentré à Odienné après avoir évité le pire, n'avait certainement pas digéré son échec, et tous les Turè s'étaient sentis humiliés comme lui. Bien que les pertes subies furent somme toute légères et que la puissance militaire du Kabasarana demeurât intacte, les années suivantes furent remarquablement vides, sur le plan des entreprises guerrières. L'histoire d'Odienné ne connaît aucune période de calme qui soit comparable à celle-là. Les échecs répétés de Muktar, puis celui de son cousin avaient sans doute calmé l'ardeur des Turè qui paraissaient renoncer pour la première fois à agrandir leurs domaines.
Comme cette attitude était inspirée par la prudence et non, bien entendu, par un dégoût profond des armes, il était naturel qu'ils s'en départirent à la première occasion. Celle-ci fut sans doute fournie par la crise qui grandissait sur le Milo et qui détournait vers l'ouest l'attention des Sisé et des Wasulunké. Quand Bintu-Mamadu reçut un nouvel appel de Namakoro Dyakité, sans doute au début de 1873, il était probablement convaincu que ses adversaires les plus redoutables seraient trop occupés par Samori pour se mettre en travers de sa route. Namakoro partageait certainement ce point de vue, sans quoi il aurait jugé impossible de reprendre sa vieille querelle contre les Dyallo.
La déception fut immédiate. Le secret ne pouvait pas être gardé et quand le Wasulu apprit qu'une nouvelle invasion le menaçait, la peur et la colère furent telles que Namakoro dut s'exiler au Dyalõfula. Il n'en reviendra, bien des années plus tard, que pour être aussitôt assassiné 151. Son neveu, Faraba-Lay, qui le remplaça aussitôt, fit savoir à Bintu-Mamadu qu'il ne serait pas le bienvenu et qu'on lui demandait de rester chez lui. Le chef du Gwanã, qui était depuis peu Budyã Dyallo, s'employait de son côté à fortifier le nouveau village de Yorobugula où il venait de s'installer, et lançait des appels au secours jusque chez Adyigbè.
Il était pourtant trop tard. Les Turè avaient déjà rassemblé une nouvelle armée, sans doute beaucoup plus forte que celle de 1866. Comme Bintu-Mamadu ne pouvait la débander sans se ridiculiser, il décida de passer outre. En 1873, dès la fin des pluies, la catastrophe s'abattit sur le Wasulu oriental. La colonne de Bintu-Mamadu s'enfonça dans le Kusã et enleva Basaribèdyi, résidence de son ancien allié Maba-Tyékoro. Comme une tornade, elle poursuivit sa route à travers le Gwanã, jusqu'à Kãndyirila où elle s'installa 152. Elle isolait ainsi Yorobugula, où se concentrait la défense des Dyallo, de Kanibogula où Faraba-Lay demeurait dans l'expectative. De là, Bintu Mamadu razzia vers le nord, à travers le Ba-Sidibé, où il s'empara de Ntomorola et de Magadala. Les destructions furent certainement effroyables, bien plus grandes qu'à l'occasion de la première guerre. Quand Samori occupera le pays, huit ans plus tard, le Gwanã et Kusã seront encore réduits à l'état de se semi-désert, avec une faible population concentrée dans les rares villages qui avaient pu résister aux Turé.
Cette guerre fraîche et joyeuse ne devait pas durer. Dès la mort de Nãnténen-Famudu, Adyigbè, couvert vers l'ouest par son accord avec Samori , accourut au secours de ses compatriotes (début 1874). Sa puissante cavalerie surclassait certainement celle de Bintu-Mamadu, tandis que les gens du Kusã, a peine remis du choc, s'employaient à fermer la route d'Odienné aux envahisseurs.
C'est sans doute pourquoi, à l'approche d'Adyigbè, l'armée des Turé, au lieu de tenter une percée vers le sud, s'enfonça dans le nord, en envahissant le Ba-Sidibé. Comme Awa-Musa-Numuntyè s'était retranché à Bununko pour barrer la route de Yãnfolila, les envahisseurs s'installèrent face à lui dans le tata de Dyégénina et c'est là qu'Adyigbé vint les attaquer 153. Le Faama du Dyétulu était alors comblé dans son ambition car il faisait vraiment figure de chef national. Son armée n'était composée que de Wasulunké, et tous les kafu y étaient représentés. Les Sisé étaient absents, mais leur allié Malèdyã accourait de Lensoro avec les gens du Sanãfula 154.
L'attaque lancée par les Fula contre Dyégénina leur coûta fort cher. Le chef de Yãnfolila, fut tué d'un coup de hache alors qu'il était démonté, et par Bintu-Mamadu en personne. La victoire revint cependant aux Fula puisque l'armée d'Odienné se retira en Pays Bambara et battit en retraite à travers le Kurulamini qu'elle avait déjà razzié. Harcelée par les Wasulunké, elle se dirigea vers le nord, en ravageant le Danu, mais elle échoua à l'assaut de Turakoro que Dyula Faama Bagayogo défendait vigoureusement. Les Turè obliquèrent enfin vers l'est et traversèrent le Kèlèyadugu et le Dyalakadugu, pour terminer cette véritable Anabase à Siratogo, dans le Satanã, un peu au nord de Bougouni 155. L'alliance d'un chef local, Masira-Moriba Traorè leur permit alors de s'approvisionner en vue d'un long siège.
Adyigbè, lancé à leurs trousses, les rejoignit d'ailleurs bientôt avec toute son armée. Il établit un blocus étroit de Siratogo avec l'aide des souverains de la région, principalement celle de Kumba-Midyã Dyakité, de Bougouni, alors Mãsa du Banimonotyé.
Une fois de plus, la guerre dégénéra en un siège interminable qui occupa tout un hivernage et le début de la saison sèche 1874. Bintu-Mamadu avait sans doute abandonné ses rêves de conquêtes et aurait accepté de rentrer librement chez lui, comme en 1868. Mais cette fois, les Wasulunké, enragés par la destruction de leur pays, exigeaient qu'il se rendît sans condition. Les assiégés n'avaient donc pas le choix et ils résistèrent obstinément. Ils avaient encore l'espoir d'être délivrés car Va-Muktar, averti de leur position, avait annoncé qu'il volait à leur secours avec l'armée d'Odienné. Par ailleurs, à Siratogo, ils se trouvaient sur la frontière des Toucouleurs de Ségou, qui levaient un tribut intermittent à Wolosébogu et dans le Banã tout proche. Les dyula d'Odienné visitaient constamment la capitale du Niger et le fils d'El Hadj Omar entretenait des rapports amicaux et assez réguliers avec le Faama d'Odienné 156.
Au début de la saison sèche, deux événements tragiques dénouèrent soudain cette situation sans issue. On apprit d'abord que Va-Muktar était mort et que l'armée du Kabasarana, dont les avant-gardes étaient déjà toutes proches, avait repris la route d'Odienné. Alors que tout espoir de délivrance se dissipait ainsi, la chance servit soudain Bintu-Mamadu, ou plutôt, selon la tradition, sa science du maraboutage 157. Grâce à ses manipulations magiques, une balle en bois de ntaba tua en effet Adyigbè et l'armée du Wasulu, découragée, rentra dans ses foyers.
Malgré cette ultime revanche, la route du retour demeurait fermée. Bintu-Mamadu fit alors appel au Sultan Amadu qui envoya une colonne de Toucouleurs, à travers le Banã pour dégager les assiégés et les ramener à Ségou (fin 1874 ou début 1875). Le neveu de Vakaba voulait sans doute y terminer ses jours car, honteux de ses échecs, il ne souhaitait plus revoir sa patrie C'est seulement après la défaite des Toucouleurs, en 1894, qu'il se décidera à rejoindre ses parents, chez Samori. Quelques-uns de ses compagnons rentreront individuellement à Odienné, mais la plupart serviront sous les ordres d'Amadu ou se lanceront dans une nouvelle carrière de dyula. Samori retrouvera Korozyé, devenu un riche commerçant, sur les confins du Lobi en 1897. Une forte armée, comprenant les hommes les plus hardis du Kabasarana était ainsi définitivement perdue pour les Faama d'Odienné.
Le bilan de l'entreprise apparaît vraiment désastreux si l'on considère en outre que Bintu-Mamadu s'est trouvé à l'origine de la mort de Muktar et de la crise terrible qui faillit aussitôt détruire le royaume de Vakaba. Par ailleurs, en tuant Adyigbè, il avait voué le Wasulu à une anarchie qui en faisait la proie du premier venu, en l'occurrence de Samori. « Adyigbè est mort, aurait déclaré celui-ci, le seul bonnet qui coiffait le Wasulu est tombé. C'est à moi de le ramasser ».
Va Muktar qui ne bougeait plus depuis le malheureux siège de Borotu, avait décidé de reprendre les armes en apprenant que Bintu-Mamadu, menacé par Adyigbè. se retirait vers le nord. Il rassembla une forte armée pour marcher en hâte à son secours, malgré l'approche de l'hivernage. Pour éviter le Wasulu en armes, elle devait s'orienter à l'est du Baulé, par la grande piste des colporteurs remontant vers Bamako. Malgré toutes les assurances que prodigua alors Va-Muktar, les chefs du Sibirila et du Nyénédugu s'opposèrent cependant à son passage et il fallut se résigner à en découdre. Le Faama se dirigea donc contre le Nyénédugu, cette marche orientale du Wasulu d'où son grand-père était venu. L'annexion de ce pays au Kabasarana aurait d'ailleurs paru une ambition raisonnable, si cette guerre n'avait pas été imposée par une situation exceptionnelle.
Vers le début des pluies, l'armée d'Odienné vint mettre le siège devant Mafèlèba où s'enferma le Mãsa, Kuluba-Damã Sidibé. Il fallut cinq mois d'investissement, c'est-à-dire toute la durée des pluies pour que la famine fasse tomber la place 158. Dans les derniers jours du siège, le Faama avait été légèrement blessé à la tête, mais il n'y prêta pas attention et, comme toute résistance s'effondrait, il poussa vigoureusement son armée en avant. Après avoir submergé le Nyénédugu, il envahit le Tyèmmala où les musulmans de Gbaralo se rallièrent. Il fallut, par contre, prendre d'assaut Kologo dont le chef, Fèrèmori Sangarè s'enfuit chez Kumba-Midyã. Il ne restait plus alors qu'à traverser le fleuve et à réduire Bougouni pour rejoindre Bintu-Mamadu. Les avant gardes de l'armée d'Odienné étaient déjà dans le Syankadogu où elles subirent un revers mineur à Faradyé.
Mais la blessure de Muktar s'était infectée et sa tête enflait rapidement. Il décida bientôt de rentrer se soigner à Odienné, en laissant l'armée à son frère Amadu, mais il mourut, à peine en chemin, à Bofagha, dans le Tyèmmala. Son corps, embaumé dans du miel, descendit en pirogue le Baulé jusqu'à Marina, le premier village musulman du Folo, où ses funérailles eurent lieu (fin de 1874, début de 1875). Il y repose jusqu'à présent.
Son frère cadet, Mãngbè-Amadu ou Vamadu, arrêta aussitôt la campagne et ramena l'armée en hâte pour se faire introniser à Odienné. Il n'était plus question de secourir Bintu-Mamadu ni même d'annexer le Nyénédugu.
Le nouveau Faama fut accepté facilement par les Turè, mais non par l'armée et encore moins par les sujets du Kabasarana. Son frère avait placé des hommes à lui à tous les commandements militaires importants et il savait se rendre populaire. Amadu, qui passait au contraire pour dissimulé et brutal, était cordialement détestée par les principaux kèlètigi.
Quant aux sujets surtout animistes, ils avaient payé le prix des guerres de Muktar et beaucoup avaient pris l'hégémonie des Turé en grippe. La peur les contenait encore, mais l'échec de Bintu-Mamadu et la mort du Faama donnaient l'impression que la force abandonnait les maîtres. Les violences d'Amadu suffirent à mettre le feu aux poudres quand il fit massacrer les notables du Sèyla à Ndola et même, un peu plus tard, les délégués de Tyémé qui négociaient avec les Sénufo la reconstruction de leur village.
Cet esprit soupçonneux, qui voyait des complots partout, se trouva soudain en face d'une insurrection furieuse alors que les chefs militaires n'avaient guère envie de combattre pour lui. La tradition déclare qu'il fallut six ans pour en venir à bout et les recoupements dont nous disposons permettent cette fois de lui faire confiance. Les révoltes, en Afrique, commencent généralement en fin d'année, au moment où la récolte vient d'être rentrée et où il va falloir payer le tribut. Celle-ci ne fit pas exception et il est à peu près certain qu'elle éclata à la fin de 1875 alors qu'Amadu avait déjà eu le temps de se rendre odieux. Il en aura à peine fini avec elle quand il s'intégrera à l'Empire de Samori, en 1881.
Cette insurrection est d'autant plus remarquable que son foyer principal était le Sèyla, qui s'était rallié très tôt à Vakaba, avant la chute du Nafana, et avait fait preuve depuis d'une constante fidélité. Le massacre de ses notables à Ndola était venu à bout de sa patience. Animée par Dyétyé Fõndyo, le chef de Nyamana 159, la révolte ne s'étendit d'abord qu'à un territoire restreint, mais elle gênait les communications d'Odienné avec Madina et menaçait le territoire des villages sofa, dont le Sèyla est frontalier. Après l'échec d'un premier siège, Amadu envoya Vakuru Bãmba, l'un des meilleurs lieutenants de Muktar, recruter des hommes dans son pays natal, le Barala. Vakuru, qui avait pris en haine son nouveau maître, refusa de rentrer et préféra organiser sa propre armée. Il poussa ses compatriotes dans l'insurrection à laquelle se rallia bientôt le Bãmbala voisin (Ca. 1877-1878). L'abcès qui naissait ainsi allait ronger le Kabasarana jusqu'à sa réduction par Samori, en 1892. Tout l'Ouest du royaume échappait au Fanma, tandis que dans le Nord, le Folo et le Bodugu, sans rompre ouvertement, refusaient de fournir des troupes. Pendant quelque temps, l'autorité d'Amadu se trouva réduite, à peu de chose près, au noyau du Sofadugu et aux principaux villages musulmans. On doit lui accorder qu'il lutta avec acharnement, en reconstruisant peu à peu une nouvelle armée d'où les hommes de Muktar allaient être écartés.
Le Faama reprit lentement le dessus, en écrasant d'abord le Bãmbala puis en reconquérant le Barala au prix de campagnes très dures, Il fut cependant incapable de pousser plus loin pour éliminer Vakuru qui avait BU s'attacher les irréductibles Dozo de Borotu et disposait de leur territoire. De ce côté, Vamadu dut se contenter de rétablir son autorité sur ses vassaux hésitants, vers 1879.1880, Enfin, au prix d'un siège interminable, il réussit à enlever Nyamana, qu'il fit détruire et qui allait demeurer en ruines jusqu'à l'ère coloniale (Ca. 1880-1881).
Le Kabasarana se reconstituait donc, après avoir failli périr. Un destin favorable avait voulu qu'aucun ennemi extérieur ne soit en état de profiter de cette longue crise. Les grandes puissances de l'Ouest, Samori, Saghãdyigi et les Sisé étaient alors absorbés par leurs conflits tandis que la mort d'Adyigbè avait laissé le Wasulu dans un état de morcellement qui frisait l'anarchie.
Malgré sa victoire finale, le Kabasarana se trouva d'ailleurs profondément ébranlé et exsangue. Quatre frères ou neveux du Faama avaient péri dans la révolte et avec eux un nombre considérable de combattants qualifiés. Les meilleurs chefs militaires du règne précédent refusaient de servir le nouveau Faama quand ils n'avaient pas disparu avec Bintu-Mamadu ou déserté avec Vakuru.
On comprend donc très bien qu'Amadu ait accepté avec empressement d'entrer dans l'Empire de Samori, quand les troupes du conquérant atteignirent sa frontière, en 1881. Le Kabasarana conservait d'ailleurs la plus large autonomie et, sous la protection du nouveau venu, qui devenait beau-père du Faama, sa sécurité parut assurée. Il allait même se risquer un instant à reprendre l'expansion territoriale, suspendue depuis la mort de Vakaba. Personne ne pouvait alors prévoir que l'impérialisme français viendrait troubler cette fructueuse association en éliminant le protecteur.
Nous arrêtons naturellement à cette date notre esquisse du Kabasarana car les événements postérieurs à 1881, qui sont du ressort de l'histoire de Samori, vont être exposés en détail plus loin.
Les hégémonies du Sud, qui viennent d'être étudiées, méritent le nom de Révolution dyula parce qu'elles ont ébranlé pour la première fois le monopole politique des vieilles lignées animistes. Ces trois entreprises constituent un groupe homogène, bien délimité dans le temps et dans l'espace, puisque, durant une trentaine d'années, elles n'ont pas débordé d'un territoire restreint, limité aux hautes terres du Konyã et d'Odienné, entre les cours supérieurs du Milo et du Baulé. Elles sont caractéristiques de la zone intermédiaire et ne s'étendront à la zone préforestière qu'avec un certain retard. Elles sont le fait d'un groupe social bien déterminé, les dyula, commerçants ou hommes de religion, dont la diversité n'est pas niable, comme nous l'avons déjà souligné, mais dont la forte personnalité assurait la cohésion face à l'animisme ambiant. Les trois mouvements que nous avons passés en revue, se distinguent assez nettement de celui dont Kankan était le centre, et se différencient dans leurs relations avec les sociétés autochtones, mais leur air de famille ne trompe pas. Ceux des Sisé et des Bérété sont imbriqués si étroitement qu'on ne peut décrire l'un sans l'autre, ni exclure celui de Samori qui en est issu. Celui des Turé d'Odienné, bien qu'il soit né dans un territoire contigu, présente plus d'originalité et suit un rythme propre. Il n'est pourtant pas étranger aux deux autres puisque nous y trouvons des institutions analogues, qui proviennent également d'une combinaison des traditions autochtones avec des idées soudanaises.
Cette cohésion des révolutions du Sud permet d'aborder la recherche de leurs causes, mais ce travail nous suggère de tenir compte de deux autres mouvements qui se sont déroulés dans un contexte ethnique et social assez différent. Nous croyons qu'après les bouleversements du Konyã, qui forment l'introduction nécessaire à l'histoire de Samori, il convient de décrire ici ces deux aventures qui se situent plus à l'ouest et une trentaine d'années plus tard, mais qui ressemblent étrangement aux précédentes et se sont fondues à leur tour dans l'Empire de Samori. Nous voulons parler des guerres de Mori-Sulémani Savané en Pays Kisi et de celles de Fodé Dramé dans le Sãnkarã occidental.
Une troisième entreprise, dirigée par Mori Turè, allait débuter encore plus tard, et très loin dans l'est, sur le Bãndama. Nous la réservons pour une autre partie de ce travail car elle s'est déroulée dans un milieu ethnique entièrement différent et elle ne se conjuguera avec Samori que pendant les cinq dernières années de sa vie active.
Les conquêtes de Mori-Sulémani Savané 160 méritent la première place en raison de leur relative stabilité, et surtout de leur proximité géographique du Konyã. Leur physionomie est d'ailleurs bien originale car elles se sont déroulées en pleine zone préforestière, voire même en Forêt, et aux dépens d'une ethnie absolument étrangère aux Mandé, celle des Kisi du Haut Nyãdã.
Ce peuple original occupait, on l'a vu, une place particulière dans le monde commercial du Soudan occidental. Il avait reculé lentement devant les grandes migrations Malinké, entre Niger en Nyãdã, et la plus récente d'entre elles, celle des Kurãnko, n'avait pas réussi à le refouler entièrement en Forêt. Il gardait donc, avec une langue à classes de la famille mèl, une structure sociale caractéristique, à la fois égalitaire et morcelée à l'extrême. Les villages, très petits, ne comptant parfois qu'une seule lignée, se cachent jusqu'à présent dans des anneaux de forêt et utilisent au mieux les sites défensifs que leur offrent les reliefs tourmentés de la Dorsale. Ils sont groupés en alliances de faible étendue et de structure fort lâche, entre lesquelles des conflits saisonniers se déroulaient, en suivant un rituel si précis qu'on peut y voir une forme régulière des relations sociales. Ces fausses guerres visaient à rétablir un équilibre et nullement à conquérir. Les prisonniers qui en provenaient étaient généralement exportés assurément pour leur ôter tout espoir de fuite, mais aussi parce que cette société égalitaire n'admettait qu'un petit nombre de captifs, vite assimilés aux hommes libres. Les esclaves Kisi faisaient d'ailleurs prime sur les marchés du Nord en raison de leur robustesse et de leur ardeur au travail. Au début du XIXme siècle, ils étaient échangés surtout contre du sel mais aussi de la poudre et des fusils, bien que de telles armes fussent encore rares alors.
Le Pays Kisi était donc particulièrement favorable au commerce des esclaves, et celui du kola ne tenant ici que la seconde place, contrairement au cas des Toma. Le développement de ces échanges était d'ailleurs entravé par des coutumes aberrantes pour les Malinké, car les Kisi ignoraient l'institution du marché. Les colporteurs devaient donc faire du porte à porte, et se livrer à d'innombrables petites opérations au prix d'une grande perte de temps et dans des conditions de sécurité déplorables. A l'exception de Mara, que nous allons étudier, les marchés apparaîtront seulement chez les Kisi du Sud, et pas avant le dernier quart du siècle. Des unités politiques importantes se formeront au même moment grâce aux armes à feu importées de la Côte.
Les Kisi du Nord restaient peu abordables, malgré le voisinage séculaire des Manding, et ils savaient se défendre à l'occasion, en dépit de leur extrême morcellement. Ils jouaient admirablement des montagnes et des îlots forestiers, de leur pays et ils savaient filtrer les influences des cultures étrangères pour les adapter à leur structure sociale. Bien que leur pays soit à cheval sur les versants de l'Atlantique et du Niger, et que des fleuves importants comme le Nyãdã ou le Makhona y prennent leur source, aucune route commerciale ne le traversait avant l'ère coloniale.
Il n'est pas douteux que la société Kisi était remarquablement close mais il ne faut pas en tirer des conséquences abusives. Le monde malinké, représenté ici par les Kurãnko, la serrait de fort près. Le tracé tourmenté de la frontière linguistique en porte témoignage. A l'est du Nyãdã, les Kisi ont su se défendre, en reculant pied à pied, alors que les Toma ont cédé brusquement durant le XVIIIme siècle. A l'ouest, par contre, un effondrement a dû se produire vers la fin du XVIIme siècle, car les Kurãnko ont pu traverser le Haut Nyãdã et déboucher plus au sud, sur le versant atlantique, dans la vallée de la Mafintsa.
Malgré quelques épisodes guerriers, cette poussée ne fut jamais continue et il était impossible que deux peuples s'imbriquent aussi étroitement sans donner lieu à un profond métissage. L'anthropologie des Kurãnko en porte témoignage et l'exemple des Lélé l'illustre parfaitement . Ces derniers tiennent la vallée de la Mafintsa et ce sont linguistiquement des Kurãnko, mais leur culture matérielle comme leur organisation sociale est identique à celle des Kisi du Nord 161. On a déjà signalé que ceux-ci ont adopté la circoncision et le Komo en suivant un rituel très proche des Kurãnko. Sur le plan des structures politiques également, on doit considérer ces Kisi comme acculturés car on trouve chez eux de véritables commandements territoriaux qui, malgré leur exiguïté, évoquent les kafu. C'est le cas du Firawa, vassal depuis longtemps des puissants Mãsa de Soghomaya. C'est surtout le cas du Farmaya qui occupe la boucle du Nyãdã, autour du site de la ville moderne de Kissidougou.
Les lignées qui dominent ce pays sont de langue et de culture Kisi, mais elles se réclament d'une lointaine ascendance malinké. C'est là le processus inverse de celui qui donna naissance aux Lélé : des éléments d'origine septentrionale se sont assimilés au pays, mais non sans en modifier la culture. La tradition Kurãnko attribue à Sosowali Mara une tentative de conquête du Kisi nord qui avorta vers le début du XVIIIme siècle 162 . Sur le terrain ainsi préparé, Fadaka Kèita dont le dyamu fut bientôt remplacé par un équivalent Kisi, celui de Lèno, fonda un peu plus tard la chefferie du Farmaya 163. Malgré l'appui des Kurãnko du Dyémèrèdu, il ne parvint pas à contrôler toute la boucle du Nyãdã dont l'Est, connu sous le nom de Sagbè, demeura aux mains de lignées autochtones. A partir du troisième chef, Famisa, les habitudes Kisi paraissent avoir triomphé. Chaque segment du lignage s'implanta en effet dans un village et reprit son autonomie. Mara, la résidence de Fadaka, ne conservait plus qu'un rôle rituel. Le quatrième Mãsa, Sépé, qui commanda, dit on, très longtemps, demeurait à Korodu et ne visitait le village ancestral qu'à l'occasion des grandes fêtes. Son frère, Bura 164, qui gardait des liens étroits avec les Kurãnko et paraît avoir rêvé d'une chefferie guerrière, l'accusait d'ailleurs d'inertie et d'incapacité. Les deux partis qui naissaient ainsi allaient s'affronter les armes à la main, une génération plus tard, quand leurs leaders respectifs furent le fils de Sépé, Esana, et le neveu de Bura, Kaba Lèno. Ce dernier, célèbre sous le nom de Kisi Kaba, s'imposera en jouant la carte des commerçants musulmans. Il sera considéré comme fils adoptif de Mori-Sulémani.
La cristallisation du Farmaya le transforma en carrefour commercial. Un modeste marché naquit à Mara, le seul sans doute qui existât dans le Kisi Nord. De là divergeaient des pistes de colportage, en direction de Kankan par le nord-est, à travers le Kurãnko oriental, ou bien vers Kouroussa ou Farana et le Fuuta-Dyalõ, par le nord-ouest, à travers le Kurãnko central. Par leur canal, les influences malinké filtraient désormais assez régulièrement. En l'absence de tout marché Kisi, c'est parmi les Kurãnko animistes que s'étaient fixés les courtiers de la zone préforestière et leurs gros villages jalonnaient bien entendu ces itinéraires commerciaux.
La plus grosse concentration de dyula se trouvait chez les Kurãnko de l'Est, dans ce Nyumamãndu qui était la première étape des produits du Kisi oriental quand ils montaient vers Kankan. Dans cette zone, le kola l'emportait nettement sur les esclaves et les produits du Farmaya n'y tenaient qu'une faible place. Cette région appartient au monde du Milo qui nous est déjà familier.
A l'ouest du Nyãdã, dans le Kurãnko central, les îlots dyula étaient plus rares, les principaux se trouvant à Albadariya, dans le Mankwadu, sur la piste de Kouroussa, et à Sãngardo, dans le Dyémèrèdu, sur celle du Fuuta-Dyalõ. Ici, bien entendu, quelle que fût la place du commerce du kola, celui des esclaves s'avérait prépondérant. Une forte proportion des négociants étaient les fameux Bunduka qui en avaient fait leur spécialité et dont nous avons signalé le rôle sur la Côte des Rivières.
Mori-Sulémani était l'un d'eux et il venait tout naturellement s'insérer dans le milieu que nous venons de peindre. Il sera pourtant le premier à rompre avec les routines établies en quittant la zone courtière pour s'installer parmi les producteurs et finalement à recourir aux armes pour leur imposer sa morale commerciale.
Mori-Sulémani portait le dyamu de Savané qui est l'équivalent de Bèrèté chez les Dyakhãnké, c'est-à-dire les dyula du Haut Sénégal et du Fuuta-Dyalõ. Il n'appartenait pourtant pas à ce peuple, car Savané est aussi la traduction du nom Toucouleur de Si que porte la lignée des Almami du Bhundu 165. Cette terre sénégalaise, pépinière de hardis commerçants nourrit en effet une population assez hétérogène. Elle est à la charnière de deux ethnies mãndé puisque les Malinké du Bambuk commencent à sa frontière orientale, sur l'autre rive de la Falémé, et les Sarakholé de Bakel sur ses marches du nord. Les autochtones du Bhundu se réclament de ces deux souches mais des lignées peules et toucouleures les submergent. C'est de Swima, près de Podor, sur le bas fleuve que vint au milieu du XVIIme siècle un certain Maliki Si qui fondit dans un cadre politique solide la mosaïque ethnique occupant alors le pays de la Falémé au Ferlo 166. Il était peut-être musulman mais ses descendants revinrent au paganisme, car l'islamisation ne s'opéra, sous l'influence des deux Fuuta, qu'à la fin du XVIIIme siècle.
C'est de cet illustre ancêtre que se réclamait Mori-Sulèmani et rien ne permet de douter qu'il se rattachât à la lignée des Almami du Bhundu. Il se disait fils de Gisifu, fils lui-même de « Malikisi ». Celui-ci pourrait être le fondateur, si nous admettons un télescopage de la généalogie, mais il semble bien que ce nom illustre ait très tôt servi de prénom, comme c'est encore le cas dans le Farmaya. Notre homme naquit en tout cas à Sénudèbu, résidence des Almami, dans le premier quart du XIXme siècle 167. Sa langue maternelle devait être le pular mais il parlait aussi le soninké (sarakholé) que l'influence de Bakèl a maintenu dans le Bhundu. Sur ses vieux jours, il ne fera usage que du malinké et du kisiyé qui sont les seuls parlers connus de ses descendants.
Ce changement de langue illustre un déracinement. Musulman bien entendu et, dit-on, lettré en arabe, Mori-Sulèmani ne se consacra pas à la religion mais au commerce à longue distance, et particulièrement à celui des esclaves, ce qui était fort naturel de la part d'un Bunduka. Ceci l'amena dans le Fuuta-Dyalõ, grand acheteur de captifs, et, de là, vers les terres du Haut Niger où il vendait de la poudre aux Kisi. Il semble bien qu'il n'ait pas négligé le commerce des boeufs et du kola, mais seulement comme accessoire. Il aurait fréquenté dans sa jeunesse les Français de Bakèl où il se procurait des tissus et des armes, mais aucune tradition ne le signale sur la Côte des Rivières ou en Sierra Leone. Les installations successives qu'on lui prête montrent qu'il se rapprochait peu à peu du pays des esclaves.
C'est ainsi qu'après avoir vécu chez les Almami de Timbo, il s'établit un moment à Banko, dans le Wulada, qui était au début du XIXme siècle le plus gros marché de bétail des frontières du Fuuta. Franchissant ensuite le Niger, il demeura quelque temps dans le Sãnkarã, au village de Sèrèkoro qui marque l'entrée du Kõndédu 168.
C' est de là qu'il partit pour la zone courtière, chez les Kurãnko du centre, mais au lieu de se fixer dans un foyer dyula, comme Albadariya, il choisit l'antique village de Marèna-Ba, dans le Wasamandu, avant de s'attacher au souverain animiste du Mankwadu, Ti-Brèma Mara. Les succès militaires de ce chef avaient établi sa prépondérance et sa résidence, Moriya, prenait de l'importance. Ce village possédait un petit quartier dyula et une mosquée mais on ne peut le considérer comme un centre musulman (Ca. l855) 169.
Ce n'était d'ailleurs là qu'une étape. Notre homme sut cultiver l'amitié de Ti-Brèma et surtout celle de son belliqueux neveu, Kurani-Sori, qu'il pourvoyait en armes. Son trafic renforçait l'hégémonie militaire de ses hôtes, mais il songeait surtout à employer leur influence sur le Farmaya pour étendre en terre Kisi son activité commerciale.
En raison de l'état social des « barbares », il n'était pas question de traiter au hasard, mais seulement en quelques points où des alliances garantissaient la sûreté du négociant. Au-delà de Moriya, il fallait renoncer aux petits ânes du Soudan et se fier exclusivement au portage humain. Mori-Sulèmani, qui était déjà un gros négociant, installa des gîtes d'étapes rapprochés dans les villages qui acceptaient son amitié. Son réseau s'étendit vite vers le sud, à travers les montagnes de la Dorsale, et finit par déboucher sur le versant atlantique, dans la vallée supérieure de la Wau. Dans les principales étapes, il construisit bientôt des magasins ou de véritables factoreries que géraient ses parents ou amis. Les principaux se trouvaient à Bãmbaya, chez les Kurãnko du Wöri, vassaux de Kurani-Sori, à Mara, capitale historique du Farmaya, et enfin à Buyé, Walto et Tinkéa, au coeur du morcellement Kisi.
Ce monde étrange s'ouvrait à Mori. On raconte qu'à son premier voyage, notre Toucouleur se présenta avec 38 porteurs chargés de poudre et que Famisa Lèno, qui n'avait jamais vu autant d'étrangers à la fois et ne pouvait pas les nourrir, les envoya chez son parent Fawuri, le chef de Kõngola. dans le Sagbè. C'est pourtant avec Famisa, dont il épousa la fille, que l'étranger noua les plus étroites relations. A la mort de son beau-père, il se fixa définitivement à Mara où le nouveau chef, Bura, lui assigna comme hôte son frère Silimani. Ces deux homonymes nouèrent bientôt une telle amitié qu'ils décidèrent d'échanger leurs enfants, Silimani confiant au Toucouleur son fils Kaba et prenant en charge le jeune Sumaila, le premier des nombreux Savané mis au monde par des mères Kisi.
Au-delà du Haut Nyãdã, Mori-Sulèmani se lia également par mariage avec Kafi Millimuno, le chef de Buyé, et le commandement de ce village échut bientôt à Kyokyure, le beau-père de l'étranger.
Plus au sud, l'influence des Malinké devenait imperceptible chez les groupements Kisi qui pratiquent l'initiation Sandoa. Le Toucouleur trouva un hôte À Walto, chez le notable Yoma et il fournit ses premiers fusils au chef Lasimõ Wèndéno qui allait en profiter pour imposer son hégémonie à ses voisins 170.
Mori-Sulèmani arrêtait généralement ses voyages à Tinkéa dont les chefs furent successivement Kandé Kunduno et son fils Wiyamano. Une alliance matrimoniale consolida cette amitié d'une façon plus efficace que les services rendus à Walto.
Notre négociant ne s'avançait plus loin au sud qu'occasionnellement, mais nous savons, qu'il vendit des fusils à Yabelo Yõmbuno, chef de Gbèlo et allié des Kunduwa. Ici encore, il en découla bientôt la cristallisation d'une chefferie guerrière sur la Haute Wau.
Mori-Sulèmani circulait sans arrêt sur cet itinéraire tandis que ses hommes de confiance allaient à Banko vendre les captifs et en ramener bétail, armes et tissus. Jusqu'à la fin de sa carrière commerciale, cet homme puissant et respecté s'appliqua à visiter Tinkéa à chaque saison sèche pour contrôler l'action de ses agents.
La constitution de ce réseau s'étale certainement sur de nombreuses années, mais les traditions ne permettent pas d'en dater les étapes. On nous dit cependant à Tinkéa que le Bunduka y serait venu quinze années de suite, ce qui couvrirait une grande partie de sa vie commerciale, depuis son arrivée à Moriya, sans doute voisine de 1855, jusqu'au début des guerres qui ont commencé, selon nous, vers 1875 171.
Le fait significatif fut évidemment l'établissement du Bunduka en Pays Kisi (Ca., 1860 ?). Kurani-Sori exigea pour l'y autoriser qu'il laissât à Moriya une partie de ses gens. Il n'y eut donc pas rupture, mais une fois acquise, l'installation à Mara allait être définitive 172. Notre commerçant s'enracina profondément dans le Farmaya, la langue maternelle de ses fils fut le kisiyé et leurs mères entraînaient nécessairement leur époux dans les querelles intestines des Lèa 173.
Cette assimilation au milieu animiste ne saurait tromper. Ce musulman lettré était tolérant, sinon tiède, assurément étranger à tout prosélytisme. S'il recrutait des coreligionnaires, c'était uniquement pour la bonne marche de son entreprise. Les caravanes de ce marchand d'esclaves étaient certainement armées, mais il s'agissait de protéger ses biens et non de préparer la guerre. Pendant un bon quart de siècle, notre Toucouleur paraît n'avoir eu d'autre but que d'étendre ses affaires, et non d'imposer sa religion, encore moins d'asservir ses voisins à la façon de Mori-Ulé ou de ce Fodé Dramé dont nous parlerons bientôt.
Il reste à expliquer pourquoi cet homme d'âge mûr, ce négociant solidement établi, changea soudain d'attitude et recourut un beau jour aux armes, vers l'année 1875. L'affaire de créances irrecouvrées qu'il invoqua à cette occasion n'est pas convaincante car ce n'était certainement pas son premier mécompte depuis qu'il travaillait dans la région, et il n'avait jamais réagi de la sorte.
Les troubles du Haut Milo me paraissent fournir la seule explication raisonnable. Il est vrai que la « guerre sainte » de Mori-Ulé datait déjà d'une quarantaine d'années et Mori-Sulémani en avait évidemment entendu parler. Mais c'est seulement en 1871 , avec l'irruption de Samori au Basãndo, que le danger frappa à la porte des Kisi. Le ralliement au nouveau conquérant de Denda-Soghoma, le puissant Mãsa du Kurãnko oriental, fit certainement alors une impression profonde. Samori affectait, on le verra, de ne pas diriger une guerre religieuse, mais il diffusait déjà le thème de l'ouverture des routes aux dyula. Ce fut certainement une révélation pour ceux ci, car ils acceptaient jusque là les brimades des chefs animistes comme un mal inévitable. On peut penser que Mori-Sulémani y fut particulièrement sensible s'il est exact qu'il connaissait personnellement Samori. Grâce à son prestige maraboutique et à ses stocks d'armes, il avait sans doute les moyens d'agir, d'autant plus que, dans leur morcellement général, les Kisi ne pouvaient lui opposer que des adversaires particulièrement faibles.
Les idées venues de l'est n'auraient pourtant pas suffi à notre avis, si elles n'avaient pas coïncidé avec de fortes suggestions d'origine locale. L'enracinement de Mori-Sulémani en Pays Kisi paraît avoir joué un rôle décisif car il l'incita à intervenir dans les querelles autochtones au côté des parents de ses femmes. Ceux-ci comptaient visiblement sur son prestige et son habileté pour régler à leur profit les conflits en cours, mais, de son côté, sans leur aide, le Toucouleur n'aurait rien pu faire. Avant l'intervention des Samoriens, ses guerres furent menées presque exclusivement au moyen de partisans Kisi, car les dyula ou Bunduka lui fournissaient seulement quelques cadres. Contrairement à Mori-Ulé ou à Fodé Dramé, il ne tenta jamais de détruire l'ordre coutumier et de s'emparer du pouvoir, car il se contentait d'un contrôle indirect sur les autorités traditionnelles. Son entreprise n'eut donc rien d'une guerre de conquête et on pourrait la définir comme un faciès Kisi de la révolution dyula.
La crise éclata dans la région de Walto en 1874 ou 1875. Mori-Sulémani avait l'habitude de donner sa poudre crédit en allant à Tinkéa et de prendre les esclaves en paiement quelques semaines plus tard, lors du voyage de retour. Deux villages n'honorèrent pas leurs engagements : Badãngba, dans le groupe de Bèlyan, et Solõnto dans celui de Walto 174.
L'affaire de Badãngba serait la plus ancienne. Mori-Sulémani voulait y acheter un captif pour le compte de Kurani-Sori, mais le chef Tõnkélé-Mamari Wèndéno refusa de le livrer comme convenu. Mori-Sulèmani rendit compte à Moriya, constitua une troupe à laquelle que joignirent les compagnons de son « fils » Kaba, et alla brûler le village (avant 1875).
Nous avons plus de détails sur la guerre de Solõnto dont les conséquences furent considérables. Ici encore, le chef Famèsa Tolno avait pris de la poudre à crédit et promis deux esclaves en paiement. Au retour de Mori-Sulémani, il n'en fournit qu'un seul. Notre commerçant alla se plaindre à Walto, puisque Solõnto en dépendait théoriquement, mais Lasimõ s'avoua incapable d'imposer son arbitrage aux Tolla, avec qui il était en mauvais termes 175. Mori-Sulémani rentra alors à Mara où un conseil de famille présidé par Bura décida de le soutenir, puis à Moriya où Kurani-Sori lui donna une troupe. Ce rassemblement de Kisi et de Kurãnko détruisit Solõnto sans difficulté. Famèsa fut pris et égorgé à Bendu, dans le Nyamãndu, où les alliés s'installèrent 176. Au lieu de disloquer sa colonne, une fois l'affaire terminée, Mori-Sulèmani parait avoir voulu profiter de ces premiers succès pour imposer sa loi commerciale à toute région. Les exécutions auxquelles il venait de procéder avaient en effet rempli les Kisi de crainte et de colère, si bien que les groupes de Kosã et de Yèndé-Lãñ qui contrôlaient la route de Tinkéa venaient de lui fermer leurs frontières. Le Toucouleur exigeait en outre réparation du chef de Walto qui n'avait pas rempli, selon lui, ses devoirs d'hôte. Ce dernier s'indignait au contraire de la prétention nouvelle de ces commerçants qui refusaient de rester à leur place. Lasimõ, comme la plupart de ses voisins, n'était pas prêt à s'incliner devant cette outrecuidance, si bien qu'il décida de rompre avec les dyula et prit bientôt figure de chef de la résistance (Ca., 1875).
La parole était donc aux armes et Mori-Sulémani fit appel à ses alliés Kisi et Kurãnko, en l'absence d'un peuplement dyula ou d'un rassemblement de disciples assez fort pour le soutenir 177. Pour payer l'appui de ses amis, il était dès lors contraint d'épouser leurs querelles et il ne pouvait élargir sa zone d'influence qu'en les aidant à écraser leurs ennemis.
Walto fermant la route de Tinkéa, le plus urgent était d'ouvrir un autre itinéraire qui mènerait vers les pays du Sud en contournant ce village. Tel sera jusqu'à la fin le fil directeur de la politique de Mori-Sulèmani. Il semble qu'il ait d'abord voulu se frayer une route parmi les groupes très morcelés qui tenaient la chaîne tourmentée du Kõñba à l'est de Walto et la vallée de la Koku en direction de Bardu 178. Cela explique qu'il ait établi sa première hase à Bèndu où il avait des partisans. De là, il pouvait surveiller les réfugiés de Solõnto installés à Lèla, sans trop s'éloigner de ses alliés de Mara et Buyé. Il attira dans son camp les Dyalla de Gbãngadu qu'une lointaine ascendance peule rendait moins hostiles aux influences exotiques 179.
Le Toucouleur ne pouvait pourtant pas s'enfoncer dans le Sud sans assurer ses arrières. C'est dans ce but qu'il épousa la querelle de Buyé contre Fèrmèsadu-Pompo et Wènde-Lãñ 180 au sujet des rizières de la Nay. Les chefs adverses, Amari et Falé Tinkéano commirent l'imprudence d'accepter une réunion d'arbitrage à Bèndu où ils furent saisis et égorgés. Ce ne fut qu'un demi-succès. Fabindi, frère d'Amari, se soumit aussitôt, mais Yèdi, annonça à Wènde-Lãñ qu'il vengerait son frère Falè et s'enferma dans une position d'hostilité sans compromis (Ca., 1876).
Mori-Sulèmani se transporta alors à Buyé et se consacra à la prise en main du Farmaya, sans l'aide duquel il eût vite été à bout de ressources (Ca. 1877). Kaba Lèno qui animait les partisans de Bura, était en effet seul à lui fournir quelque assistance. Sépé, le Mãsa titulaire, n'avait pas bougé de Korodu et cachait mal son hostilité. La collusion du Toucouleur avec son vieux rival, Bura, le faisait enrager et toute réconciliation était impossible puis que leurs enfants reprenaient la querelle à leur compte avec une ardeur accrue. Kaba, auquel nous donnerons désormais le nom illustre de Kisi-Kaba, disputait à Esana, fils de Sépé, le titre de Kuntilãñba, ou chef des jeunes gens, pour tout le Farmaya. Le prestige de son père adoptif lui avait donné l'avantage mais son adversaire ne se résignait pas, si bien que les Lèa étaient mûrs pour la guerre civile. Sépé sera accusé, avec vraisemblance, d'avoir excité Fèrmèsadu et Wènde-Lãñ contre Mori-Sulèmani. Celui-ci ne pouvait tirer du pays les ressources nécessaires à son grand dessein que si cette querelle de famille était d'abord tranchée au profit de Bura et de son lignage.
L'affaire s'annonçait difficile. Kisi-Kaba s'efforçait de déconsidérer Sépé, mais il ne pouvait contester sa légitimité comme héritier de Fadaka 181. Les partisans du vieux chef étaient, il est vrai, fâcheusement dispersés. Il ne tenait solidement que le Sud du Farmaya, où il était pris à revers par Mori-Sulèmani, tandis que ses amis de Bérèndu et du Lundi étaient paralysés par une guerre interminable contre les Kurãnko de Dèmbayara 182. Kisi Kaba allait jouer habilement de cette situation en bloquant Korodu entre ses gens concentrés à Mara, et ceux de son père adoptif, basés sur Buyé. Quand les hostilités commencèrent 183, les deux alliés se montrèrent pourtant incapables d'aboutir et s'enfoncèrent dans une interminable guérilla. Les appel, qu'ils lancèrent à Kurani-Sori n'eurent aucune suite car le chef Kurãnko avait justement besoin de toutes ses forces contre les Sisé qui submergeaient alors le Sãnkarã (1878-1879). Une fois ce danger dissipé, en 1880, les Kurãnko ne seront toujours pas disponibles car Samori les convoquera, avec les Sãnkaranké de Dala-Ularè-Mori, pour l'aider à assiéger Kankan.
Pendant trois longues années, la petite guerre du Farmaya se poursuivit donc, Mori-Sulèmani et Kaba, livrés à leurs seules forces, n'arrivant pas à éliminer les partisans de Sépé. La tradition nous permet de deviner une série de trêves, de trahisons et de ruptures, car, bien entendu, on ne se battait pas sans relâche.
Cette affaire d'apparence mesquine n'est pourtant pas dénuée d'intérêt car c'est elle qui allait déclencher l'intervention des Samoriens, qui donnera un nouvel essor aux ambitions de Mori-Sulèmani.
Le Toucouleur passa ces années à Buyé où ses vassaux du Sud pouvaient le rejoindre en quelques heures et d'où il surveillait aisément Sépé dont l'autorité était désormais limitée à trois malheureux villages. Notre homme affectait la plus grande modération, répétant à qui voulait l'entendre qu'il était seulement le « gendre » des Lèa et qu'il souhaitait arbitrer leur querelle. Pendant les premières années du conflit, il demeura immobile tandis que Kaba lançait contre Korodu trois assauts qui échouèrent tous (Ca., 1877-1879). Sépé avait construit des sanyé pour renforcer la défense naturelle de la forêt et ses partisans de Sõngbo et Fèro accouraient au premier appel. Durant cette guerre fratricide, on trouvait le moyen de cultiver et la trêve n'était rompue chaque année qu'après la récolte, quand la saison sèche donnait enfin le loisir de se battre.
C'est sans doute vers 1880 que Mori-Sulèmani, ayant épuisé une longue patience, se décida à intervenir. Franchissant le Nyãdã, il détruisit sans peine Fèro 184 et se retrancha dans un sanyé à l'orée de la forêt de Korodu 185. Au mépris de la coutume, il organisa un véritable blocus, et refusa l'honnête trêve de l'hivernage. Ce coup de force intimida Kènèma Põmpo et Kèrèdu qui abandonnèrent leur neutralité et prirent parti contre Sépé 186. Celui-ci tenait pourtant bon et le Toucouleur se trouva dans une situation difficile quand un village sujet, Dopè, près de Bendu, se révolta sur l'autre rive du fleuve.
Il se décida alors à appeler Samori au secours, lui offrit sa fille en mariage et la fit présenter au Faama par son fils Sumaila. Samori qui assiégeait alors Kankan (1880-1881) expliqua à son nouveau beau-frère qu'il ne pouvait rien faire tant que la ville tenait, mais qu'il enverrait de l'aide après l'avoir prise 187.
Dès la chute de la métropole dyula, au début de 1881, il dirigea en effet sur le Kisi, le chef du Sãnkarã, Dala-Ularè-Mori, et celui ci régla l'affaire très rapidement, cassant Sõngbo, puis enlevant Korodu en un seul jour d'assaut (1881-1882) 188. Esana ayant trouvé la mort, Sépé chercha asile à Kofodu puis chez ses « oncles » de Balya dans le Sagbè. Il obtiendra son pardon et sera réintégré un an plus tard dans ses fonctions rituelles en laissant Mori-Sulémani maître du pays par le truchement de Bura et de Kisi Kaba.
Le vieux commerçant allait donc réussir à se transformer en chef de guerre et il disposera désormais d'une base solide. Il n'y parviendra pourtant qu'en s'intégrant au projet samorien qui se déroulait à un tout autre niveau. La politique active dont il aura enfin les moyens, ne sera plus l'expression d'un dessein particulier, mais un élément dans un ensemble plus vaste et nous l'étudierons dans ce cadre.
Il convient cependant de souligner son originalité. Loin de ruiner les structures traditionnelles de la société Kisi, il allait les rénover et les assouplir, bref, les préparer à s'insérer dans l'Empire de Samori. Cette oeuvre sera solide parce qu'il la léguera aux autochtones, en la personne de son fils adoptif Kaba, et que celui-ci saura la poursuivre pour son propre compte, sous la tutelle de l'Almami puis sous celle des colonisateurs. La volonté de domination absolue des Français la brisera finalement en 1897, mais il en restera quelque chose dans la personnalité du Farmaya, qui occupe une place à part au sein du monde Kisi.
Fodé Dramé, qui ferme notre galerie de portraits, nous ramène en pleine terre manding, mais sur les lointaines marches de l'ouest dont la personnalité est marquée par le voisinage du Fuuta-Dyalõ et les effluves de la mer. Ce personnage ne se rattache pas à la tradition dyula mais à celle de l'Islam Dyakhãnké, comme Mori-Sulèmani. Son action s'oppose d'ailleurs en tout à celle de ce dernier. Le facteur, ou du moins le prétexte religieux, retrouve ici toute l'importance que nous avons observée chez les Sisé. Le mépris du milieu humain étant encore plus marqué que chez ceux-ci, l'entreprise que nous allons décrire peut se caractériser comme un véritable viol de la société à laquelle elle s'est attaquée.
Le théâtre de cette action est le Ularédu, cette frange occidentale du Sãkarã qui s'étire sur la rive droite du Niger de part et d'autre de Farana. De l'autre côté du fleuve s'étend le Firiya où les Dyalõnké ont su garder jusqu'à présent leur personnalité. Les Ularè, qui paraissent stabilisés au moins depuis le XVIme siècle, sont divisés en trois lignées dont chacune contrôle un territoire particulier. Les Dyèunasi de Sékorèa prétendent être les aînés et exercent les fonctions de maîtres de la terre, mais ils sont faibles et peu nombreux. Les Tankulèlasi tiennent le sud du pays où d'antiques conflits frontaliers les opposent aux Kurãnko. Les Kono, venus des montagnes du Sud et actuellement en Sierra Leone, ont souvent menacé cette région et leur dernière attaque, lancée en 1869-1870 189 avait été repoussée par un jeune chef énergique dont nous parlerons souvent, Marin-Karanin Ularè, qui résidait à Tiro.
Dans ces circonstances graves, il avait reçu l'aide de la troisième lignée, celle des Tinyonikosi, qui occupent le nord du Ularèdu, et ont pris la première place depuis le XVme siècle grâce à leur lutte énergique contre les Peuls du Fuuta-Dyalõ. Au XIXme siècle, leur chef, Nönaförè avait quitté le vieux village de Gbirisa pour s'installer à Farana (ou Farabana) qui contrôle le principal gué du Niger, face aux attaques venant de l'ouest. Il est vrai que les troubles du Fuuta-Dyalõ détournait déjà ce pays des entreprises lointaines et que la révolution Hubbu mit un moment en danger les Almami de Timbo. Mais après leur échec, vers le milieu du siècle, ces niveleurs s'étaient justement retirés dans les solitudes du Fitaba, près des sources du Tenkiso, au seuil du Firiya et à portée du Sãnkarã. Le danger peul renaissait donc, sous cette forme nouvelle et virulente. Kõmbafolo, fils de Nönaförè s'allia à Kutufriki Camara, le chef du Firiya méridional pour affronter les Hubbu et, occasionnellement, le Solimana. Posté à Farana, tandis que son père finissait ses jours à Gbirisa, il repoussa plusieurs attaques dans le troisième quart du siècle et sa prépondérance n'était pas discutée dans le Ularèdu.
On est frappé par la faiblesse de l'Islam dans cette région, comme dans tout le Sãnkarã, qui est ainsi bien caractéristique de la zone intermédiaire. Farana se trouve pourtant au carrefour de deux axes commerciaux importants qui traversent le Fleuve et se croisent en ce point. Le premier correspond à la plus méridionale des pistes qui unissent le Haut Niger à la mer, ou plus précisément à Kankan à la Sierra Leone. Elle traverse le Solimana par Falaba mais n'a jamais eu l'importance de l'itinéraire septentrional par Kouroussa et le Fuuta-Dyalõ. La menace Hubbu avait en outre réduit son rôle durant la seconde moitié du siècle.
Le second axe va du Fuuta-Dyalõ au Pays Kisi, car c'est la route des esclaves et du kola dans un sens, du sel, des boeufs, des armes et des tissus dans l'autre. Les armées peules l'ont empruntée un moment au XVIIIme siècle et on ne saurait en surestimer l'importance. C'est à elle que l'on doit les seuls noyaux d'Islam dignes d'être mentionnés, comme Banyã, sur la frontière du Kurãnko. Une bretelle en partait d'ailleurs, qui traversait le Haut Niger à Mafindi-Kabaya pour rejoindre vers Falaba la route de la Sierra Leone.
Dans ce pays d'animistes solidement enracinés et très capables de se défendre, l'Islam dyula ne pouvait nourrir aucune ambition politique et les colporteurs devaient se plier aux exigences des souverains autochtones, quels que fussent leurs sentiments.
Un bouleversement ne pouvait donc se produire que par l'effet d'influences et de forces extérieures. C'est bien ainsi que les choses se passèrent, mais tardivement et avec un succès médiocre. La révolution dyula allait avorter ici parce qu'elle s'identifiait à une invasion étrangère, mais la société autochtone sera la grande perdante car elle sortira de la crise exsangue et ébranlée jusque dans ses fondements.
Le coupable est fort mal connu, bien que les archives européennes fassent mention de lui plus souvent que des autres personnages étudiés, ci-dessus. Il est mort trop tôt et son oeuvre n'a pas survécu, si bien que les traditions qui le concernent sont généralement rares et pauvres.
Fodé Dramé est issu d'une lignée originaire du Bhundu, comme Mori-Sulémani, mais il s'agit cette fois d'un véritable Dyakhãnké et non d'un Toucouleur à prétentions nobiliaires. Il est donc l'un de ces dyula de l'Ouest qui ont marqué la vie intellectuelle du Fuuta-Dyalõ, grâce au rayonnement de Tuba, et qui ont contrôlé sa vie économique dans le domaine essentiel du commerce des esclaves. Nous avons déjà signalé leur influence dans la formation de Mori-Ulé Sisé. Le clan Dramé, comme tous ceux que nous avons étudiés jusqu'ici, est incontestablement d'origine sarakholé et il figurait dans l'ancien Ghana parmi les nobles (Wago) sinon parmi les descendants de Dinga 191. Ce dyamu n'est pas très courant et se trouve même rarement sur le Niger à l'exception du Baté. On le rencontre assez souvent vers Nioro et le Haut Sénégal d'où les Bunduka l'ont diffusé dans l'ouest. Mamadu Dramé, dit Fodé, c'est-à-dire « le savant » 192, serait né à Timbo dans une famille d'hommes de religion attachés à l'aristocratie peule, et cette tradition n'est pas suspecte car la capitale du Fuuta-Dyalõ a toujours abrité une forte colonie manding. Nous ignorons la date de sa naissance mais elle se place sans doute dans le second quart du siècle puisqu'on nous le peint dans la force de l'âge au moment de sa mort, en 1884.
Entre les deux voies qui s'ouvraient à un jeune Dyakhãnké, Fodé préféra les sciences religieuses au commerce, ce qui suppose des études prolongées jusqu'à la trentaine, mais nous ignorons où il les fit. Il parait d'ailleurs s'être orienté très tôt vers le maraboutage et la fabrication des amulettes, occupations fort rentables qui n'excluent pas nécessairement un esprit tourné vers la mystique. On pourrait aussi penser qu'il était porté à la violence et au non conformisme puisqu'il paraît acquis qu'il quitta le Fuuta-Dyalõ pour se joindre aux Hubbu du Fitaba et qu'il passa plusieurs années dans l'entourage de leur chef, Karamogho Abal, jusqu'au jour où celui-ci l'éloigna, par crainte de son ambition. On peut se demander si le mysticisme fiévreux qui imprégnait cette communauté lui répugnait ou au contraire s'il l'a marqué et explique en partie son action.
Il était en tout cas maître d'un grand troupeau et accompagné de plusieurs disciples (taalibu) quand il se présenta au gué de Farana et reçut de Nönaförè la permission de s'installer à Gbirisa. Après un séjour assez court, trois ans selon la tradition, il réclama un terrain à part, car il ne pouvait supporter le voisinage du Komo dont les cris l'empêchaient de dormir. Cette première manifestation d'intolérance aurait dû inquiéter les animistes et on nous dit effectivement que Kõmbafolo était partisan de renvoyer l'étranger. Son frère Kundu-Ulé s'y opposa en arguant de la protection magique que sa science assurait au pays. On lui concéda donc une brousse inhabitée sur la rivière Koa, à mi-chemin de Dalafulani et de Sékorèa, et il y construisit le village de Bèrèburiya (Ca. 1865 ?) 193.
La suite des événements rappelle étonnamment les débuts des Sisé à Madina, Bèrèburiya n'était d'abord qu'un petit hameau où résidaient la famille et les disciples du maître. Il grandit vite car la réputation de sainteté et de richesse du marabout attirait autour de lui aussi bien des hommes pieux que les dyula ruinés et les aventuriers sans emploi qui abondaient sur les pistes du colportage. Avec de vastes troupeaux et des esclaves de plus en plus nombreux qui cultivaient les alentours, Fodé Dramé devint bientôt une puissance au sein du Sãnkarã. Il vivait pourtant très à l'écart des animistes dont il évitait le contact et la foule qui se pressait autour de lui ne comptait guère d'autochtones. C'était une mixture de toutes les ethnies où dominaient cependant les dyula malinké.
Le marabout utilisa naturellement l'Islam pour structurer cette masse et sa religion était fort orthodoxe. Comme presque tous les Dyakhãnké et un certain nombre de Peuls, il était Qadiri de la branche Fadèliya. La Shadiliya introduite au XVIIIme siècle, par le célèbre Ali Sufi, et qui a toujours marqué au Fuuta-Dyalõ une tendance à l'exaltation, lui était étrangère, mais le ralliement massif de l'aristocratie à la Tidyaniya avait donné une valeur révolutionnaire à l'intégrisme qadiri des Hubbu. Fodé Dramé imposa en tout cas à ceux qui le ralliaient un entraînement religieux intense, et particulièrement la récitation des litanies interminables du vieil ordre. La discipline religieuse ainsi acquise les préparait à d'autres combats.
Au bout de quelques années, Bèrèburiya était devenu une énorme agglomération enkystée dans le Sãnkarã, auquel elle restait étrangère, mais à qui elle fournissait d'excellentes teintures à l'indigo. Fodé Dramé se risqua alors à entourer la place d'une enceinte en bois vif (dyasa) et les Ularè, après une protestation de principe, ne réagirent pas (vers 1870 ?) 194.
Les musulmans regroupèrent alors dans leur nouvelle capitale les hameaux du voisinage et y rassemblèrent de nombreux forgerons. Ces préparatifs montrent que Fodé Dramé préméditait déjà une guerre sainte (dyaadi).
Il est probable qu'il y songeait depuis longtemps, comme jadis Mori-Ulé, et qu'il attendait seulement de disposer des forces nécessaires. Ce moment venu, n'importe quel prétexte permettrait de saisir une conjoncture favorable. Les échecs des Kaba dans le Sãnkarã oriental, vers 1873, ont sans doute retardé l'événement et il est vraisemblable que les dernières hésitations ont été levées par l'offensive de Samori contre Kumbã (1875) 195.
Le prétexte fut la construction d'une mosquée du Vendredi, que la tradition nous peint de couleurs épiques 196. Les Ularè n'ayant pas été avertis, c'était une manifestation de souveraineté et Fodé la confirma aussitôt en défiant la justice coutumière du Mãsa. En fin d'hivernage, comme la récolte approchait le boeufs de Bèrèburiya envahirent les rizières de la rivière Biri que cultivait une « soeur » de Nönaförè, mariée à un Traorè de Manyã. Ce dernier plaça dans le champ un gardien armé qui tua une bête quand le fait se reproduisit. Fodé fit aussitôt saisir et décapiter le malheureux. Selon la tradition, cette provocation n'était pas la première car des cultivateurs isolés avaient déjà été saisis et vendus comme esclaves. Les animistes ne pouvaient plus croire à la bonne foi de « leurs musulmans » et ils se décidèrent enfin à réagir.
Kõmbafolo mobilisa le Ularèdu et lança contre Bèrèburiya un assaut désordonné qui échoua sous le tir des armes à feu 197. Les musulmans étaient pourtant peu nombreux et on pouvait espérer les écraser sous la masse. Le Mãsa réclama de l'aide aux Firyanké de son ami Kutufriki, et aux Kondé du Sãnkarã central. Il reçut en outre l'assistance des survivants de Kumbã, commandés par les frères de Baro-Kyémogho, qui venaient de faire l'expérience de la guerre dyula 198.
Une attaque à découvert contre un ennemi bien retranché et bien armé restait cependant hasardeuse. Les Ularè étaient conscients de l'enjeu puisque le vieux Nönaförè sortit de sa retraite et planta face à l'entrée du dyasa les idoles qu'il allait prier pendant la bataille pour les prendre à témoin qu'on voulait lui enlever sa terre. Les combats auraient duré sept jours, chiffre rituel, pendant lesquels les Sãnkarãnké donnèrent l'assaut chaque matin à l'aube. Tous les efforts furent vains. Décimés par les défenseurs, ils s'enfuirent quand une balle perdue eut tué Nönaförè. Les assiégés les poursuivirent et en prirent un grand nombre dont les frères de Baro, qui furent décapités comme animistes (1876)
Les musulmans n'eurent alors aucune peine à détruire Bãntu, Mañyã et Gbirisa, enfin Soko réa, résidence du Maître de la Terre. Ils se trouvaient en possession du nord du Ularèdu, depuis le Niger jusqu'au Tirè qui marque la frontière des Kõndé, mais ce domaine n'était plus qu'un désert, car toute la population l'avait évacué.
Kõmbafolo n'était pourtant pas éliminé et ne renonçait pas à la lutte. Il s'était retranché à Farana où il restait maître des gués du fleuve et où Kutufriki pouvait le rejoindre très vite avec les gens du Firiya. Il pouvait aussi compter sur l'aide de Marin-Karanin car le Ularèdu méridional restait intact.
Fodé Dramé s'était montré inexpugnable mais il avait trop peu de monde pour s'éloigner de Bèrèburiya. Passant outre à ses préjugés, il chercha donc des alliés animistes en jouant habilement sur les divisions traditionnelles de ses ennemis et en usant du prestige de sa première victoire. Il sut ainsi rallier les Kurãnko de la rive gauche, c'est-à-dire ceux du Mafindi et du Simyã, qu'une rivalité séculaire opposait aux Ularè. Leurs chefs respectifs, Finabala Kamara, de Sõngoya, et Simitiförè Mara, de Sokurala, lui donnèrent chacun une fille en mariage. Kolomãndyo Mara, chef du Tomboro, sur la rive droite, repoussa par contre toutes ses avances.
Fodé Dramé s'adressa aussi aux Dyalõnké du Firiya qui lui fermaient la route du Fuuta-Dyalõ et qui auraient pu prendre Farana à revers. Mais ce pays, affreusement ravagé par les Hubbu, manquait d'unité et la lignée Kamara auquel il appartient était divisée en deux segments hostiles. Les Mabirisi qui tiennent la frontière du Fuuta-Dyalõ depuis le Ulada jusqu'aux sources du Tenkiso, avaient collaboré ouvertement avec les Almami de Timbo, puis, plus récemment, avec les Hubbus qui les menaçaient 199. Les Téneñwalisi au contraire, séparés des précédents par une zone déserte 200, avaient résisté farouchement aux Peuls avec l'aide des Samura du Solimana et surtout des Ularè de Farana. Leurs villages s'égaillaient depuis les rives du Niger jusqu'au revers montagneux du Solimana, vers Kaliya. Ils s'étaient à leur tour segmentés en deux partis devant la menace Hubbu. Les villages de l'ouest s'étaient ralliés aux gens d'Abal, sous l'influence d'un chef converti à l'Islam, Karfa, Kamara de Dãnda. Ceux de l'est, au contraire, demeuraient fidèles aux Ularè avec Kutufriki de Sulémaniya et ils poursuivaient contre les Hubbu la lutte commencée contre les Almami. Ils venaient même d'appuyer Farana dans une guerre contre le Solimana.
Il était clair que ces derniers ne trahiraient jamais les Ularè. Fodé Dramé obtint par contre l'alliance du chef des Mabirisi, Sofisana de Tumaniya 201. Cela ne suffisait pas pour isoler Farana et le conquérant chercha à se réconcilier avec son ancien hôte Abal en l'invitant à oublier ses vieux griefs au nom de la solidarité des musulmane.
Avec le concours des Hubbu, Fodé Dramé réussit enfin à assiéger Farana. Kõmbafolo, dit-on, tint bon quatre mois, mais il finit par évacuer la place en proie à la famine. Il restait dangereux puisqu'il trouva asile à Tindo, chez Marin Karanin, que les alliés Kurãnko des musulmans n'avaient jusque là guère troublé (fin de 1876 ?).
Le chef de Bèrèburiya demeurait maître d'un désert et il se détourna un moment de cet adversaire obstiné. Il voulait sans, doute l'isoler en écrasant d'abord son allié du Firiya, ce que la maîtrise du gué de Farana rendait possible. Avec l'aide des Hubbu et d'une colonne Kurãnko, il alla détruire Makãndiya 202 et assiéger Sulémaniya qui finit par tomber. Kutufriki s'échappa cependant et se retrancha à Kabéléya, sur sa frontière méridionale et à portée de Tindo 203 . Il fut sauvé par la défection d'Abal qui craignait sans doute d'accroître la puissance de son ancien hôte et qui ramena les Hubbu au Fibata (1877 ?).
Fodé Dramé réduit à l'alliance des seuls Kurãnko risqua alors une attaque contre Tindo mais il échoua complètement (fin de 1877 ?).
Sa situation devenait dès lors critique car ses succès étaient dus en grande partie à la terreur qu'il inspirait. Il ne commandait encore qu'une bien petite troupe et s'il contrôlait tout le nord du Ularèdu, la seule agglomération qui y subsistât, était l'énorme village de Bèrèburiya où s'entassaient captifs et guerriers.
Isolé dans ce désert et entouré d'une haine universelle, Fodé Dramé risquait de s'effondrer s'il arrêtait le cours de ses victoires et laissait les vaincus se ressaisir. L'offensive de Samori sur le Niger qui se déroulait justement entre 1876 et 1878, fut pour lui une bénédiction car elle empêcha les animistes de se coaliser contre lui. Nous ignorons s'il fit appel au Faama durant ces années critiques, mais Samori n'était certainement pas en état de lui répondre aussi longtemps que les Kaba et les Sisé contestaient son hégémonie 204.
Il est en tout cas évident que Fodé Dramé était prêt à accueillir toute aide qui lui permettrait de sortir de l'impasse où il s'était placé. Si le salut venait en outre d'une grande puissance ayant des conceptions sociales et religieuses proches des siennes, il était sans doute prêt à accepter un rôle de subalterne. Il s'empressa donc de se rallier aux Sisé quand ceux-ci franchirent le Nyãdã vers la fin de 1878, pour écraser les Kõndé du Sãnkarã central.
L'histoire de Fodé Dramé allait dès lors se confondre avec celle des grandes hégémonies dyula. Le destin l'avait desservi en le plaçant dans l'orbite des Sisé, car il allait être entraîné dans leur défaite dès 1881. Comme la plupart de leurs hommes, il sera pourtant épargné et se retrouvera dans les rangs des vainqueurs. La vengeance de ses ennemis le frappera en 1884, mais ses partisans poursuivront la lutte sous les ordres de Samori pour une dizaine d'années encore. Ils devront finalement émigrer, fuyant la haine des autochtones, et il ne restera rien de leur aventure sinon un souvenir de sang et de violence.
Les cinq mouvements que nous venons de décrire ont ouvert une ère nouvelle dans les pays du Sud, depuis le Haut Niger jusqu'au Haut Sassandra. Pour la première fois le monopole de la vie politique et de son expression guerrière a ainsi échappé aux vieilles lignées animistes. C'est une société nouvelle qui tentait de s'imposer par la force, mais elle variait dans le choix de ses agents et de ses méthodes, voire dans les buts qu'elle se fixait et ces différences significatives méritent un examen attentif.
Origine des dirigeants. Les dirigeants de ces mouvements sont tous issus à des degrés divers, de la minorité commerçante et musulmane qu'on qualifie de Dyakhanké ou Bunduka dans l'Ouest et simplement de dyula dans l'Est. Ce trait les oppose en bloc aux chefs animistes d'autres entreprises, comme Dyèri Sidibé, Nãnténen-Famudu ou Adyigbè. Les efforts de ceux-ci ont visé en effet au maintien de l'ordre ancien, même quand ils employaient, comme le premier d'entre eux, des méthodes violemment révolutionnaires. Au-delà de cette unité profonde, des divergences appréciables distinguent cependant ces hommes. Nous n'insisterons pas sur l'opposition entre les Dyakhãnké comme Mori-Sulémani ou Fodé Dramé, et les vrais dyula insérés dans l'ethnie Malinké, comme les Sisé, Bérèté ou Turé. Il est certain que la tradition culturelle des premiers, orientée vers le Fuuta et le Haut Sénégal, n'est pas identique à celle des autres, mais cette dernière, encore qu'assez marquée, ne met pas en cause l'unité de l'Islam manding. L'exemple de Mori-Ulé, ce dyula du Milo qui fit ses études chez les Dyakhanké, démontre s'il en était besoin, qu'aucun fossé ne les séparait.
Bien plus remarquables sont les différents degrés d'enracinement de ces gens par rapport aux milieux qu'ils ont brassés. Ils avaient tous des ascendances exotiques mais le fait n'est pas significatif car il ne faut jamais remonter bien loin pour en trouver en milieu dyula. La qualité d'étrangers doit donc être réservée à ceux qui arrivent à l'âge d'homme, et leur formation déjà achevée, sur le théâtre de leurs exploits. Tel est le cas de Mori-Ulé Sisé, comme de Mori-Sulèmani et de Fodé Dramé et ces trois conquérants s'opposent ainsi nettement aux Turè et aux Bérété, qui étaient des fils du pays. Cette expression ne doit pas nous tromper car les Turè étaient encore à peine stabilisés et s'enfermaient volontairement dans les ghettos des gros villages ou quartiers musulmans. Seuls, les Bérèté, ces minces seigneurs, et les ancêtres de Samori, dont nous parlerons bientôt, appartenaient à des petites lignées isolées que les mariages mixtes menaçaient de fondre dans la masse animiste. Il est donc évident que ces bouleversements ont été dirigés par des étrangers ou du moins par des minoritaires encore mal assimilés.
Au niveau des exécutants, le tableau est bien diffèrent. Deux personnages font bande à part, Mori-Ulé et Fodé Dramé, qui ont dirigé des troupes d'hommes de toute origine, captifs, disciples ou aventuriers, sans attaches dans le pays et unis seulement par la fidélité à leurs personnes. Mais l'entreprise du second n'a pas eu le temps de se développer et celle du premier a vite changé de caractère. Sans attendre la mort de Mori-Ulé, l'armée des Sisé a recruté un nombre croissant d'hommes issus des villages sujets et ceux-ci allaient fournir le gros des troupes du temps de ses fils. Le même trait a caractérisé les Turé, dès l'origine, au point que les combattants d'ascendance musulmane furent toujours minoritaires chez eux. Le fait est encore plus net chez les Bérèté, qui ont recruté presque exclusivement dans le Torõ méridional, et chez Mori-Sulèmani dont la plupart des hommes étaient Kisi ou Kurãnko. On notera cependant que le gros des troupes permanentes était fait de captifs et que les autres combattants n'étaient mobilisés qu'épisodiquement, sauf chez les Bèrèté. Ces méthodes étaient d'ailleurs conformes à la tradition animiste et la seule innovation était la forte proportion des éléments privés de liberté.
Un autre facteur de différenciation est l'importance relative du commerce et de l'Islam dans leurs préoccupations. Tous les hommes dont nous parlons appartiennent par définition à la religion du Prophète, mais à des degrés très différents. Nous avons signalé la culture exceptionnelle de Mori-Ulé et celle sans doute honorable de Mori-Sulémani ou de Fodé Dramé. Vakaba Turè, au contraire, connaissait à peine le Coran et Sarãswarè-Mori parait avoir été illettré. Les motivations religieuses ne coïncidaient d'ailleurs pas exactement avec cette échelle culturelle. Seuls Mori-Ulé et Fodé Dramé paraissent avoir invoqué la guerre sainte (dyaadi) et recherché la conversion ou la destruction des animistes. Ce n'est pas par hasard que ces deux hommes s'établirent dans des brousses désertes, loin des gros centres dyula, et rassemblèrent des hommes de toute origine en s'isolant soigneusement des autochtones. Les descendants de Mori-Ulé abandonnèrent vite cette attitude, sous la pression des réalités, et leur culture ne tarda pas à dégénérer. Quant à Mori-Sulèmani, qu'on dit fin lettré, il n'a visiblement agi que dans l'intérêt de son commerce. Pour les Turè et les Bèrèté, la conversion des infidèles n'a jamais figuré à leur programme. Il semble donc bien que les motivations religieuses ont pu donner çà et là une impulsion, mais qu'elles n'expliquent nullement l'étendue et la durée du mouvement.
La même opposition se retrouve au niveau des méthodes car seuls les chefs mettant l'Islam en vedette ont recouru de préférence à la force et en ont usé sans aucun ménagement. Les autres sont toujours, restés au contact de la société autochtone et ont généralement essayé d'aboutir par l'intrigue et la négociation avant de recourir aux armes. Les Sisé et même Fodé Dramé n'ont pas tardé à en faire autant, tant était forte la contrainte des faits. Leur souvenir demeure pourtant entouré d'un halo de terreur et de réprobation qui est étranger aux Turè d'Odienné, et à plus forte raison aux Bérèté ou à Mori-Sulémani.
Nous avons donc initialement deux types de mouvements. Le premier, invoquant des valeurs absolues est le fait d'étrangers qui méprisent et ignorent volontairement le milieu autochtone contre lequel ils se livrent à une agression violente et dont ils envisagent la destruction pure et simple (début des Sisé, Fodé Dramé). Le second est généralement le fait de minoritaires plus ou moins enracinées qui se laissent guider par les ambitions mondaines fort étrangères au domaine de l'absolu. Ils agissent en fonction d'un milieu qu'ils connaissent bien et qu'ils veulent transformer à leur profit plutôt que détruire. Ils savent jouer de ses faiblesses et leur modération relative n'a rien de surprenant. Les nouvelles structures qu'ils mettent en place, vont s'avérer durables dans la mesure où leurs auteurs n'ont pas fait table rase mais les ont au contraire édifiées en combinant heureusement des éléments de l'ancienne société. Le Kabasarana en est le plus bel exemple mais on doit penser aussi à Mori-Sulèmani qui a construit un véritable royaume Kisi, non pas à son profit, mais à celui des Lèa du Farmaya.
Les mouvements du second type paraissent donc seuls aptes à assurer leur propre perpétuation. La pression du réel amène alors les premiers à se transformer spontanément : le Moriulédugu n'a pris corps qu'après la mort de son fondateur, quand ses fils se sont mis à l'école des Turè.
Si cette opinion est juste, il y a là un contraste frappant avec les hégémonies du Nord où l'appel à la guerre sainte a entraîné la formation de vastes Etats. C'est sans doute que la conversion massive des Peuls accompagnait et justifiait leur révolte. Dans le Sud au contraire, les dyula qui inspiraient le mouvement étaient convertis de longue date mais ils étaient minoritaires. La poursuite des buts économiques et politiques qu'ils s'étaient fixés excluait leur subordination à des fins religieuses qui auraient focalisé contre eux les animistes comme sut le faire en dernier lieu Dyèri Sidibé.
Cette typologie serait sans grand intérêt si elle ne débouchait pas sur une tentative d'explication. Car enfin, dyula et animistes coexistaient depuis longtemps au sein de la même société globale, et ils respectaient les règles d'un jeu déjà séculaire quand l'ère des bouleversements a commencé. Cette brutalité du phénomène nous autorise à parler de Révolution dyula, mais il reste à comprendre pourquoi celle-ci a eu lieu, pourquoi la minorité commerçante et musulmane ne s'est plus contentée de la place qui lui était faite et quelles sont les forces qui lui ont permis de transformer l'ordre établi.
En dépit des réserves que nous venons d'émettre sur les motivations religieuses des dyula, l'importance du facteur musulman ne doit pas être sous-estimée. L'idée que la minorité musulmane pouvait imposer par la guerre sa prépondérance, ne pouvait naître dans les terres du Sud. Si elle est venue du Nord, ses deux sources possibles sont les Peuls du Fuuta-Dyalõ et ceux du Masina. On aurait tendance à choisir la seconde puisque Mori-Ulé lança son mouvement moins de vingt ans après Séku Amadu, alors que les Almami de Timbo existaient déjà depuis plus d'un siècle. La réalité n'est cependant pas aussi claire. Les dyula du Sud n'ignoraient certes pas les événements du Masina, ni même ceux, plus anciens, du Sokoto. Les colporteurs d'Odienné fréquentaient régulièrement Djenné et avaient donc une expérience directe de la théocratie peule, ce qui a pu modifier leur état d'esprit. Tel fut sans doute le cas de Vakaba Turé. Les biographies des fondateurs que nous avons esquissées, mettent cependant en valeur une sorte de réaction en chaîne. Les Sisé ont ouvert la série et Vakaba, comme les Bèrèté, et surtout ; comme Samori, ne s'explique pas sans eux. Par ailleurs, Samori a dû avoir une influence indirecte sur les débuts de Mori-Sulèmani et de Fodé Dramé. Or, Mori-Ulé a été formé au Fuuta-Dyalõ par l'Islam Dyakhãnké dont se réclament plus ou moins directement ces deux derniers chefs. Les cas de Mori-Ulé ne fait qu'illustrer le rôle des Peuls dans l'ascension de Kankan, et par conséquent leur influence sur l'ensemble de l'Islam dyula. Il paraît donc peu discutable que l'idée de « guerre sainte », soit venue de là. Il est vrai que le jeune Sisé vécut parmi les savants de Tuba, très à l'écart de l'aristocratie peule et que celle-ci, une fois nantie, se consacrait à ses querelles intestines au lieu d'étendre par les armes les domaines de la religion. Il est également vrai que les Peuls s'étaient emparés du Fuuta alors qu'ils y formaient déjà une fraction considérable de la population, tandis que les dyula n'étaient qu'une faible minorité sur les routes de la Forêt. Il ne suffisait donc pas de fréquenter le Fuuta-Dyalõ pour décider de bouleverser les pays du Sud et nous avons mis en valeur le cas d'Arafã Swarè qui refusa toujours la guerre sainte bien qu'il fût compagnon d'études de Mori-Ulé. Il est cependant évident que ce dernier a dû être frappé par le spectacle d'une société musulmane triomphante et que son esprit en a été marqué.
Cet homme de religion était ainsi préparé à provoquer la guerre sainte dès qu'il rencontrerait une conjoncture favorable. Il reste à savoir comment s'est formée celle-ci et pourquoi le mouvement, une fois lancé, a fait si vite tache d'huile.
La solution doit être évidemment cherchée dans une rupture d'équilibre entre la minorité dyula et la société globale malinké. La croissance de Kankan, à la fin du XVIIIme siècle, nous parait à cet égard, l'indice le plus significatif. Il est vrai que la patrie de Mori-Ulé n'a pas donné le signal du bouleversement. Elle n'a suivi le mouvement qu'avec une quinzaine d'années de retard, et grâce à une impulsion nouvelle, celle de la Tidyaniya Omarienne. Le développement de cette métropole, au carrefour des routes des savanes, de la Forêt et de la mer, n'en est pas moins un fait capital car il prouve que les pays du Sud cessaient d'être un cul-de-sac, adossé à la grande sylve et ne se contentaient plus de fournir des captifs ou des kolas, à destination de la zone soudanaise.
La cité du Milo s'est développée parce que la naissance du Fuuta-Dyalõ et l'ouverture de la route des Rivières a soudain rapproché les comptoirs maritimes et le Haut Niger au début du XVIIIme siècle. Nous avons vu que le sel marin y rencontra désormais le sel gemme du désert. Auparavant, les rivages de l'Océan paraissaient infiniment lointains aux pays du Sud, puisque le commerce régulier devait remonter vers Siguiri ou Bamako et contourner les montagnes pour déboucher en Sénégambie. Ce fait est donc aussi important que la formation de l'Empire de Kong, qui a établi la sécurité à la même époque sur les pistes de Djenné au Golfe de Guinée.
L'impact de la traite négrière sera désormais beaucoup plus fort sur cette région, jusqu'au milieu du XIXme siècle, tandis que les marchandises européennes y tiendront une place croissante. Ce n'était plus seulement du sel ou du bétail que les dyula menaient d'un pas pressé vers la zone courtière, mais des tissus, de la quincaillerie et surtout des armes à feu avec leurs munitions. Même si l'économie de subsistance poursuivait sa vie tranquille, le commerce à longue distance s'en trouvait profondément transformé.
Les classes riches, si j'ose m'exprimer ainsi c'est-à-dire le milieu des dirigeants politiques comme celui des marabouts et gros commerçants, éprouvèrent alors un besoin croissant de produits manufacturés et il est vraisemblable que le nombre des dyula s'est accru pour les satisfaire à la fin du XVIIIme et au début du XIXme siècles. La tradition fixe à cette époque la fondation d'un assez grand nombre de villages ou de quartiers musulmans, dont le plus illustre est Samatigila sur le Haut Milo et le Dyõ, la plupart de ces lignées nouvelles sont issues de Kankan, ou du moins du Baté. La métropole grandissante a établi ainsi son influence sur les communautés du Sud qui reprenaient contact, grâce à elle, avec l'Islam soudanais dont elles étaient isolées depuis des siècles.
Ces communautés grandissaient donc, tout en restant minoritaires, et le niveau de leur culture musulmane tendait à se relever. Il est assez naturel qu'elles aient vu d'un oeil nouveau leurs relations avec les animistes. Il est logique que cette révision ait été particulièrement marquée dans la zone intermédiaire, celle du colportage, où les innombrables droits de passage imposés par les chefs animistes, avaient toujours mécontenté les caravaniers. C'est effectivement dans cette zone que se produisirent les premiers chocs, ainsi qu'on vient de le voir.
Les dyula devenaient donc remuants et dangereux au moment précis où la classe politique ne pouvait plus se passer d'eux. Elle en dépendait en effet pour l'exportation des captifs pris à la guerre et l'approvisionnement traditionnel en sel, mais surtout pour l'importation des tissus européens dont ses membres usaient de plus en plus, ainsi que celle des armes à feu qui tenaient une place grandissante dans l'art militaire.
Ce dernier point me parait décisif. Le domaine préforestier qui nous occupe est en effet l'un des derniers qui fut touché par la diffusion des armes à feu, issues soit de la côte, soit de la zone soudanaise. Jusqu'au début du XIXme siècle, elles y demeuraient rares, si l'on excepte l'entourage des chefs ou quelques confréries de chasseurs, et leur importation se faisait à partir des Rivières, par Kankan et le Burè. Nous verrons que les vieux fusils à pierre n'assuraient pas une suprématie absolue sur les armes traditionnelles, mais on ne peut leur contes ter certains avantages car leur effet psychologique était considérable. Leur emploi systématique transforma donc les conditions de la guerre et bientôt tout chef prévoyant dut s'en procurer, pour la défense ou pour l'attaque. Le dyula marchand de fusils devint alors un personnage essentiel pour chaque petite Cour.
Il est assez compréhensible que ces hommes, mieux placés que quiconque pour se procurer ces armes redoutables, se soient lassés d'en fournir aux animistes dont ils pensaient avoir à se plaindre, et aient songé à les employer pour se débarrasser de contraintes odieuses et imposer leur propre loi.
Telles sont, selon nous, les racines de la Révolution dyula. Celle-ci a partout été marquée par un bouleversement dans l'art de la guerre dont l'emploi systématique des fusils a été l'élément le plus important. La tradition ne rapporte-t-elle pas que Vakaba décida de détruire le Nafana après avoir accompagné son armée contre le Kaladyãndugu où il observa son inefficacité Nous verrons que des informations analogues concernent les relations de Samori avec le Basãndo et le Sãnkarã.
Cet avantage technique compensait en partie l'infériorité numérique des dyula. Ils n'auraient cependant jamais pu triompher d'une coalition générale des animistes, mais la structure politique de ceux-ci restait figée et ils paraissaient incapables de transcender le cadre étriqué du kafu. Ils n'étaient nullement passifs devant le nouveau danger mais leurs réactions les plus violentes n'étaient guère durables car elles étaient subordonnées à l'autorité d'un homme comme Dyèri ou Nãnténen-Famudu. Elles ne suscitaient jamais la mise en place de structures nouvelles, comme la construction véritable d'un Etat.
La société animiste paraissait dès lors incapable d'affronter cette crise car elle était en quelque sorte gelée. Elle ne pouvait se détacher des habitudes qui entravaient le commerce à longue distance, désormais indispensable, et qui empêchaient une défense efficace à l'heure où une agression menaçait.
Les dirigeants des guerres dyula, quand le fanatisme ne l'emportait pas sur le sens politique, pouvaient alors jouer habilement des divisions profondes et des contradictions de leurs adversaires Leur succès était assuré du moment qu'ils tenaient compte de leur petit nombre et qu'au lieu de vouloir détruire radicalement la société adverse, ils acceptaient d'en utiliser les éléments pour une construction nouvelle.
Ceci nous ramène au clivage majeur qui s'est imposé à nous en décrivant les révolutions dyula. Les masses animistes ne pouvaient se résigner au nivelage et à la destruction totale de leurs traditions comme elles en étaient menacées par les chefs qui se réclament ouvertement de la « guerre sainte ». Elles devaient sentir obscurément qu'elles disposaient des forces nécessaires pour survivre mais qu'elles seraient incapables de les mobiliser et de les utiliser efficacement si elles s'enfermaient dans leurs vieilles routines. Il fallait adopter les méthodes de l'adversaire et par conséquent transformer la vieille société si on voulait en sauver quelque chose. Si l'ordre ancien ne pouvait subsister, il était préférable que son bouleversement soit le fait des fils du pays, plutôt que d'un envahisseur brutal. Les agents de cette révolution salutaire ne pouvaient guère se trouver dans les vieilles lignées animistes, enfoncées dans leurs traditions et leurs privilèges. Il était naturel qu'on les cherchât parmi les dyula du pays, nécessairement ouverts au monde extérieur mais suffisamment liés aux autochtones pour ne pas les traiter en ennemis a détruire. Leurs chances d'entraîner leurs compatriotes étaient naturellement proportionnelle à leur assimilation au milieu local. Celle-ci n'était pas très poussée pour Vakaba. Il sut pourtant défendre contre les Sisé les animistes du Worodugu et il se rendit supportable aux autochtones en substituant simplement son hégémonie musulmane à celle du Nafana païen. Le cas des Bèrèté est encore plus net puisqu'ils identifiaient leur cause à celle des animistes Konaté en lutte contre la théocratie des Sisé. Quand ils voulurent transformer cette association en domination, leur chute ne tarda guère. On a le sentiment que les gens du Haut Milo cherchaient ainsi une solution qui ne serait ni la défense impossible d'une tradition périmée, ni la soumission à des oppresseurs sans scrupule, mais la prise en charge du bouleversement nécessaire par un homme sorti de leurs rangs.
Il reste à savoir si Samori, issu d'une lignée profondément assimilée au Konyã animiste, s'est situé dans cette perspective, du moins au début de sa carrière, et si l'ampleur de son triomphe n'en est pas la récompense.
Le décor étant ainsi posé, le moment est en effet venu pour le premier rôle de faire son entrée.
Notes
1. L'immigration des Kaba du Baté paraît dater du XVIme siècle. mais leur plus vieux villages est Kabala, situé à 15 kilomètres au nord-ouest de Kankan. Ce dernier fut fondé par un petit-fils du premier ancêtre Muramani ( = Abduramani) [81, 82).
2. Les seules fractions du Sãnkarã qui lui payèrent tribut furent le Gbérèdugu et le Kurulamini (Kumbã) [86]. Les Dyalõnké du Baleya se soumirent. On montre toujours à Kouroussa l'arbre auquel Daa aurait attaché son cheval [194, 195].
3. L'autorité de Tãmba s'étendait en effet aux Kuruma du Balimakhana (Fodékaria), aux portes du Baté qui étaient même ses plus fidèles sujets [85].
4. Cette danse est encore pratiquée dans le Gbãndyagha (Rép. du Mali) sous le nom de dèri-sumu (1962) [353]
5. Avant la fondation du Nafana, la région était contrôlée, depuis des siècles par des Kuruma parents de ceux du Torõ et tombés comme ceux-ci dans un état d'extrême division [333].
6. Kuruma :
La Balimakhana du Bas Milo est issu de la même migration :
Tous ces kafu se succèdent du nord au sud, entre Milo et Dyõ jusqu'à la limite du Bas Konyã.
7. Dyigilõ, Bèèla, Farana, Worodugu.
8. Ch. Monteil (1953)), p. 373-599 Les Sisé descendent de Dinga, l'ancêtre mythique des Sarakholé et de Khatana Bali, la troisième des filles du « diable » de Buru (Kingi) qu'il aurait épousée Les Sisé historiques seraient issus de Dyabé Sisé, leur fils aîné, et premier Manga du Wadugu. Son premier fils, Sora Sadya Modu aurait engendré Mara, ancêtre des Sisé du Mandé, et Dyabé Tugune, ancêtre de ceux de Sansanding et du Pays Wolof. Le second fils, Sangana Kandyala, serait à l'origine de ceux du Sahel et du Haut Sénégal (Dyafunu. Dyõmbokho, Gidimakha). Le septième Manga porte seul un autre dyamu, celui de Turè.
Les Tunkara seraient les descendants des captifs des captifs du souverain (Tunka).
9. Selon d'autres, les ancêtres de Mori-Ulé seraient venus de Dya. Les Sisé de Dya (Masina) sont eux-mêmes issus de Sansanding, mais ils ne jouent dans cette ville qu'un rôle assez secondaire et rien ne permet d'établir à quelle époque ils s'y fixèrent (Dieterlen, 1959, p. 127).
Il n'a pas été possible d'enquêter à Bakõngo pour vérifier ces informations.
10. Les Sisé de Kankan et du Konyã ont pour tana, l'oiseau-trompette (non identifié) Leur nom honorable est Karisi, Sèiba pour les femmes. (Humblot, 1919, p. 57). Ils sont en relations de parenté à plaisanterie avec les Kèita, les Bèrèté et les Shérifu (Humblot, p. 532). La tradition islamisante du Tarikh de Tèliko les fait naturellement descendre d'un Arabe illustre, en l'occurrence le Kalife Omar, fils d'Al-Kattab (Humblot, p. 538).
11. C'est le cas à Odienné, Gbèlèba, Fwala et Folo-Sokoro.
12. Le Tuba des Dyakhanké, comme ses homonymes du Sahel ou du Mau, est nommé d'après l'arbre du Paradis dont l'ombre est si vaste qu'un cavalier au galop met cinq cents ans pour la franchir (Marty, 1921, 126). Cette légende islamique, qui évoque un caravanier accablé de soleil, a suggéré aux saints fondateurs d'installer leurs disciples dans un Tuba terrestre on attendant celui des Cieux.
Sur l'oeuvre de Karamogho-Ba et sur l'histoire complexe des Gasama dans le Haut Sénégal, depuis le XVIIme siècle, on se reportera à Marty (1921), pp. 104-158). Nous retrouverons une branche de ce clan, les Yama, au Konyã.
13. Le village de Madina-Kura où demeurent encore les descendants de Mori-Ulé qui n'ont pas émigré à Odienné, a été construit sous les Français. Le Madina historique, dont les ruines sont encore visibles, s'élevait au kilomètre 8 de la piste Gbèlèba-Kobala, par 9° 33' N et 8° 12' W. Ce site est resté désert depuis sa destruction par Samori en 1881 [44, 392].
14. Sa culture lui aurait sans doute permis d'écrire des oeuvres religieuses, mais ses descendants n'en ont gardé aucun souvenir. Ils m'avaient affirmé à Odienné, en 1962, qu'ils détenaient une histoire (tarikh) de leur famille. Ce document, examiné par V. Monteil, n'a révélé qu'un fatras de commentaires coraniques entièrement dénués d'originalité [392].
15. Toutes les traditions recueillies parlent de l'hostilité de Morifiñ, mais la situent à divers moments soit à la chute de Karafiliya [19, 392] soit, de façon plus vraisemblable, à l'attaque de Kokoro [44].
16. Voir Appendice I Chronologie.
17. Gbamani et Makunka n'existent plus. Ils se trouvaient au nord de Madina, sur la piste de Karafiliya, mais il n'a pas été possible d'en déterminer l'emplacement exact.
18. Sur ce point, les traditions divergent quelque peu. Selon Sanasi Dukurè [44], les Sisé payaient un tribut en boeufs et Mori-Ulé ne s'était pas encore acquitté. L'envoyé de Mari se vit alors dire que les musulmans ne donneraient plus de bétail aux païens car Dieu l'interdisait.
19. Sanasi Dukurè [44] attribue ces opérations à Bãndyugu-Fèrè Kuruma. C'est une confusion. Ce dernier, grand-père de Nyumagbè Sori, assista Kõndé-Bréma au XVIIIme siècle dans ses attaques contre le Fuuta-Dyalõ.
Les lignées Kuruma, souveraines dans les deux Kulay, le Sabadugu et la région d'Odienné, remontent certainement au XVIme siècle, mais des généalogies télescopées ne nous permettent pas de suivre leur histoire de façon continue avant la fin du XVIIme siècle
20. Kobala. 309 habitants en 1956, 9°31'N, 8°15' W.
21. Père du futur chef de canton Musa-Kaba (1908-1915).
22. Cercle d Odienné. Côte d'Ivoire. Ce village disparu appartenait au clan Fõndyo. Il n'a pu être localisé.
23. Au sens le plus étroit, le Moriulédugu se limite aux pays de Madina et de Karala. On y inclut habituellement le Kulay-Ni-Gwala, le Badugula et le Mbarèna (Gbèlèba) mais non le Dyigilõ (Gbona) riverain du Dyõ.
Entendant parler de cette terre, patrie du maître de Samori, Galliéni la localisa sur le Niger, dans le Basãndo de Dugura, où Samori avait séjourné longuement, peu avant le passage de la mission. Ce nom, déformé en Moribèlèdugu va se promener curieusement durant une dizaine d'années sur les frontières du Fuuta-Dyalõ, avant de disparaître sans que personne ait compris la source de la confusion (Galliéni, 1885, p. 599).
24. Burlay = Abdulay, Bréma = Ibraima. Leur mère, Sérè Sisé, était native de Bakõngo mais issue sans doute d'une autre lignée que Mori-Ulé [32].
Les formes pleines de ces noms sont, en malinké, Abudulay et Ibraima. Quand ils suivent le préfixe Va, ou quand ils sont accolés à un nom paternel ou maternel, ils se contractent respectivement en Burulay, puis en Burlay et en Burèma puis en Bréma. On a ainsi Va-Burlay et Va-Brèma. Telles sont les formes usuelles du Konyã que nous avons conservées.
Il est possible que ces mariages aient eu lieu assez longtemps après la chute de Karafiliya, et nous ignorons l'âge exact qu'avaient alors ces jeunes gens.
25. Fèrèdugu, village disparu, s'élevait par 9°11'N et 8°21'W. Il ne sera pas reconstruit. La lignée s'établissant après la guerre à Samanira, qui se trouvait par 9°18'N et 8°23' W. Parmi les villages détruits, la tradition cite Worofila, mais il doit s'agir d'une confusion avec les guerres de Burlay [44].
26. Koné-Sira-Kãmba était Kuruma d'une autre lignée, fils du chef de village de Sana, Didu-Marani. Sana, qui a disparu, se trouvait sur la rive droite du Dyõ, 4 kilomètres à l'est de Baranama où la population demeure actuellement [78, 79].
27. Signalons la fidélité des Fula du Folonigbè (ou du Basãndo, c'est-à-dire « de l'amont », région de Konyãmba, sur la rive est du Dyõ, au sud du 10° parallèle) qui prirent une grande part aux combats contre les Sisé. Ils ne se départiront pas de cette attitude jusqu'en 1873 quand Samori leur donnera asile sur le Haut Milo (Worõdogu, Sãnkarani) 15].
En dehors des Fula du Wasulu, voici les membres de cette coalition qui figurent dans les traditions recueillies jusqu'ici [76, 77, 78]:
Seuls les kafu du Torõ méridional restèrent à l'écart : le Numusana (Boodugu) et le Gundo (chef: Sana Konaté, fondateur de Sanãnkoroni) [69, 70, 71].
28. Le Mãsa du Sanãfula était alors Sori-Ulé-Tumani Dyallo de Wurala. Il se heurtait à l'opposition de Sériyamogho Dyakité de Sidikuru (disparu, 10 kilomètres nord-ouest de Wurala). Il finira par détruire ce village, mais en attendant les moyens étaient faibles. Il aurait lancé, sans attendre Mori-Ulé, une attaque de Nyako sur Sana, qui échoua complètement. Le chef de Lensoro, Ködyé-Söri Dyallo combattait déjà sous ses ordres, mais n'atteindra à la célébrité que beaucoup plus tard. A partir des années 50, c'est lui qui aura l'hégémonie dans le Sanãfula [44, 392, 351].
Une enquête sur place serait nécessaire pour vérifier ces données qui proviennent d'informateurs étrangers au Sanãfula. Malheureusement, il ne m'a pas été possible de me rendre dans cette partie de la République de Guinée.
29. Les six ans de la tradition s'écartant du chiffre actuel de 7 que nous attendions là, il est possible que cette donnée ait quelque valeur [44, 78].
30. La date de la disparition de ce Kèlètigi, comme toutes les autres, est incertaine. Il ne mourut pas au combat, mais, selon la tradition, des suites de ses blessures, ce qui peut signifier des mois ou des années après la guerre. Le pouvoir de facto de Famudu part de là.
31. Le royaume de Famudu comprenait
Pendant quelques années, de la mort de Mori-Ulè au retour de Burlay (ca, 1845-1849) il s'y ajoutera le Kulay-Ni-Gwala et Bãdugula. Enfin, profitant de la chute des Bèrèté, Famudu annexera en 1865 le Namusana et, sur la rive gauche du Milo, le Manã qu'il gardera jusqu'à l'attaque de Samori (1872) [78, 79, 93].
32. Le « règne » de Famudu comme Mãsa débute à la mort de son père, mais nous ignorons quand ce vieillard effacé disparut, sans doute dans les années 50. Le titre de Faama fut adopté à la mort de Dyèri, donc vers 1855-1856.
C'est un peu plus tard, après l'échec des Kaba, donc vers 1860, que Famudu dirigea une guerre contre un de ses parents, Naroma Kuruma, qui s'était taillé un fief dans le Dyamaghosi méridional, à Banãnko (9° 12' N 9° 02' W) patrie de ses « oncles maternels ». Il avait enlevé une fille du chef Kurãnko Denda-Soghoma alors qu'elle se rendait à Worokoro pour épouser le Faama. Aucune autre révolte n'est connue par la tradition et on ne peut rendre un meilleur hommage à cet ennemi des musulmans [78, 79, 102].
33. Les gens de Tanantu étaient venus de Ntèntu, près de Bougouni, vers le début du XVIIIme siècle. Les deux villages portent le même nom, avec une légère variante phonétique. Les Komara se disent venus de Ségou.
34. Kurukoro, 9° 12' N, 8° 02' W. Eviter la confusion avec Kolõnkorono, très ancien village Bãmba du Torokoto, qui n'est guère éloigné : 9° 14' N, 7° 58' W.
35. Certaines traditions [44, 392] parlent de Woro, dans le Bèèla, confondant évidemment avec les campagnes de Sèré-Burlay. Worosya par 9°11'N et 8°13'W. Foromaro par 9°09'N et 8°08'W. Ces villages appartiennent à deux lignées Koné cadettes, Wonablèmasi et Vasèysi. Dyèmu est à la lignée Silési et son chef était alors Koti Koné.
36. Samarani, 9° 12' N, 8° 20' W.
37. Ferègbèdu, 9° 05' N, 8° 03' W.
38. Lea traditions se contredisent. Selon l'une, Mori-Ulé était gravement blessé et mourut en litière alors qu'on le menait auprès de Kaba. Selon l'autre, sans doute plus vraisemblable, les Koné craignaient l'indulgence de leur « neveu » pour son ancien maître et auraient persuadé Sanusi de le faire décapiter sans attendre. Möri-Ulé fut enterré à Kurukoro mais son bras droit momifié est encore conservé à Dyèmu parmi les souvenirs glorieux du Worokoro [44, 386, 390].
39. Selon Sanasi Dukurè [44], la révolte du Bèèla fut immédiate et ses guerriers auraient harcelé les débris de l'armée en retraite sur Madina.
40. Les généalogies placent vers 1720, la naissance des frères Sire-Zã et Sirã-Nkomã qui conquirent le pays sous les ordres de leur père Kunãndri. Celui-ci serait mort à Fulalaba (Bougouni) alors que ses fils avaient déjà établi leur première capitale à Ndèu [412, 473, 414].
41. L'influence du Nafana s'étendit un moment fort loin vers Séguéla et il fonda non loin de là le Nafana-Ni (Bobi-Duala) [412, 584, 587].
42. La tradition présente Vakaba comme un descendant direct de l'illustre Sidiki Turè, éponyme de ce village qui aurait engendré Zumana Dyã, père de Mãmmi, père de Laafiya, père de Kèmè-Brèma. Tous ces personnages auraient vécu à Sidikila [376, 379, 390].
43. Vakaba naquit sans doute entre 1800 et 1810. Si nous admettons une moyenne de 30 ans par génération, ce qui est assez élevé pour un milieu islamique, on doit admettre que Kèmè-Brèma serait né vers 1710 et se serait établi à Gbaralo avant le milieu du siècle.
Gbaralo et Mafélé-Ba se trouvent tous deux dans le cercle de Bougouni (Rép. du Mali)
44. Ils firent ainsi souche en divers points. Les Turè de Fwala (Farana, Konyã oriental) se disent issus de la lignée d'Odienné sans pouvoir préciser leur connexion généalogique [42].
45. Matyè Sisé, fille de Solõmvéré, de Sokoro à l'extrême nord du Folo (cercle d'Odienné). Cette lignée avait quitté Bakõngo (Baté) vers la fin du XVIIme siècle et n'était donc que lointainement apparentée à celle de Mori-Ulé. La mère de Fèrèmori aurait été une Savané (= Bèrèté) de Marina (Madina), dans le Folo [351].
46. Avant Maféléba, il aurait vécu quelques années à Marèmugula près de Solabugula (7°34' W. 10°39'N) [376, 390].
47. Matyèwa dont le véritable nom était Bakari, est connu dans la tradition par de nombreux surnoms comme Baawa, Korowa ou Karamaghowa. (« le père Wa, le vieux Wa, le savant Wa »). Wa, comme Sidiki, est un équivalent de Bakari, comme prénom, de Sumauru ou de Kantè, comme dyamu.
48. Son véritable nom était Fèrèmori mais l'usage courant y substituait Karomogho : « le savant » par respect pour l'êponyme.
49. Lignée originaire du Booba (Basãndo, au sud de Kankan). Kaba-Sarã mourut lépreuse [390].
50. Presque tous les mariages de Vakaba confirment cette règle. Parmi ses fils, les quatre aînés, ceux qui régneront, avaient des mères musulmanes.
Va-Brèma était fils de Tonyen Kamaghaté, issue de la plus ancienne famille d'Odienné Va-Muktar de Matata Dukurè, de Dorèla (Dyigilõ) dont les parents se fixeront bientôt à Sokurala (Worudugu) Mangbè Amadu (ou Vaamadu) de Mangbè Saganogo, de Mafélèni dans le Fènana Va-Moriba de Madyõ Silla, de Tyémè [376, 390]
51. On partait généralement en colportage avec un parent ou un ami plus âgé, à l'âge de 15 ou 16 ans. La généalogie suggère que Vakaba naquit vers 1800-1810. Il est difficile de dire dans quelle mesure ses activités guerrières le détournèrent du commerce à partir de ca. 1835 [376, 390].
52. Il se rendait généralement à Djenné par Tengrèla où ses activités de dyula restent présentes à la mémoire. Il y vendait souvent les tissus fabriqués par ses parents. On le signale également chez les Turè de Koto, dans le Nyènè (subdivision de Boundiali) [376, 379].
53. Par Matyè Sisé, à la mode malinké.
54. Wogona (Ogana). 10° 20' N, 7° 17' W (Cercle de Bougouni, Rép. du Mali).
55. Le territoire de Samatigila appartenait initialement aux Kuruma du Masala qui resteront généralement fidèles aux Dyarasuba [383].
56. Une chronologie précise parait impossible La révolte du Torõ aurait éclaté à la mort du Faama Nãnã dont le règne aurait été extrêmement long. C'était en effet le fils du fondateur Sirazã. Dyõndo accédait au pouvoir très vieux et régna peu de temps ; ses funérailles allaient marquer la chute du Nafana [412, 413, 414].
57. Saghala du Torokoto (9°12'N-7°57'W) est souvent appelé Saghalam-Ba par opposition à Saghala-Ni, dans le Bambala voisin. Cela fait confusion avec Saghalamba du Byélu (Mankono). Fasyadugu se trouve 4 km. plus au sud-est, Bakokoro, 5 km. au sud. Domaine des clans Sumauru, Bamba et Mãsarè. Sanimbala = 9° 02' N. 7° 57' W [43, 44, 45].
58. Ndola, 9° 44' N, 7° 39' W Kèrè 9° 47' N, 7° 43' W.
59. Après Manuuna et Tiyènfu, le conquérant enleva successivement Bérèsa sur la route de Boundyali , Ndola, Kodugu et Nègèla.
La plupart des anciens villages Dyarasuba subsistent jusqu'à ce jour comme hameaux de captifs. C'est ainsi que Kodugu se trouve par 7° 41' W et 9° 26' N et Népèla 7 kilomètres plus loin. Manuuna, qui a disparu, s'élevait sur le versant ouest du Dyengèlè au voisinage de la cote 806 (7° 40' W, 9° 31' N) La présence d'une source abondante rendait la position imprenable.
Tiyenfu a également disparu (7 kilomètres au nord-est d'Odienné, environ 7° 28' W, 9° 32' N), mais une fraction de sa population s'est soumise aux Turè et s'est transportée dans la nouvelle capitale pour y former le quartier Dyarasuba [390 et 412 à 414].
60. Le Mãsa était alors Nyènèzã Koné de Sokorodogu [410].
61. Cette paix fut jurée dans les conditions les plus solennelles, les contractants passant entre les moitiés d'un bœuf coupé en deux. La cérémonie avait lieu au gué de Bèlèdugu, à mi-chemin de Tyémé et d'Odienné, sur la frontière traditionnelle entre Sénufo et Malinké. Les colonnes d'Odienné ne devant pas dépasser ce point, la zone de Tyémé se trouvait en quelque sorte démilitarisée [390, 415].
62. Kabangba, 7° 33' W, 10° 08' N.
63. 220 à vol d'oiseau du gué du Fèréduguba à celui du Dègu.
64. Pour la chronologie, voir Appendice l. Vaka serait mort de complications consécutives à une morsure de fourmis manyã [390].
65. Quatre femmes qu'il répudiait à cet effet, douze chevaux, vingt sofas avec leurs fusils. Enfin une quantité d'or que les traditions ne précisent pas [390, 44].
La Karala est sans doute la Karatuko, 7 kilomètres à l'est de Gbèlèba.
66. La plupart n'en profitèrent d'ailleurs pas puisqu'ils s'établirent à Sokurala [441].
67. Sésé : 9° 23' N, 8° 34' W - Kamaso : 9° 33' N, 8° 36' W.
68. Leur ancêtre Lampakhé Mamadu Budamburé serait fils de Dyangana Boli, l'ainée des « filles de Diable » qui épousa Dinga au Kingi. Parmi ses frères utérins on relève les ancêtres des Tringa, des Sokhona cordonniers, des Dyané, des Sénaga et des Dyabi. Les Dyané et les Dyabi sont seuls représentés dans les régions étudiées (Monteil, 1953, pp. 373, 375),
Bèrèté signifierait selon Delafosse : « qui a exercé la bienfaisance » (Béré) (1955, p. 50) On l'explique populairement par « pas de sac » (bérè tè). Pour trouver une explication valable, il faudrait évidemment chercher en fonction de la langue soninké et non du malinké.
Savané, souvent Sawané ou Swané, signifierait « serpent (sa) à chair (wa) comestible (né) (Delafosse, 1955, p. 605).
69. Bèrèté est le dyamu des chefs des Girgãnké du Sahel de Nioro ( Marty, 1920, p. 133) Il paraît s'agir de Sarakholé, assimilés par les Maures comme le prouve le dialecte Azèr que quelques uns parlent encore.
70. Ils auraient résidé dans l'ancien Mali à Koyrumuriya, non identifié. Tumané est la forme malinké d'Usman [8, 11].
71. Cercle de Kouroussa : Dyarakura et Manfara dans le Basãndo, Dyerani dans le Hamana. Cercle de Siguiri : Damisa-Kura et Bãfélé (Kolunkalã).
72. Beyla est une contraction de Bèrèté-La.
73. Sunkulun: 11° 01' N, 9° 11' W, Kofilani (« les deux petites rivières », 10° 46' N, 9° 13' W). La date est inférée de la généalogie de Kofilani [75, 82].
74. Les Kababèlèsi marchaient initialement on compagnie des Dyané, dont le centre de diffusion est Dyaliba-Koro, du Dyuma. Les Dyané et leurs « parents utérins » Kõndé, ont fondé Soïla, dans le Baté, à 4 kilomètres de Kofilani [82, 75].
75. 9° 36' N, 9° 09' W sur la rive ouest du Milo.
76. Sarãswarè-Mori ayant à peu près le même âge que Samori a dû naître vers 1830, ce qui placerait à 30 ans par génération, la naissance de Soriba vers 1710. Nous ne savons rien de son fils Dyumãnka. Ce mot, qui signifie « le bâtard », est curieusement devenu un prénom assez fréquent au Torõ et au Konyã. Il se peut qu'il ait signifié initialement « originaire de Dya » mais ce sens n'est plus compris. Dyãnka Mori est employé parfois au lieu de Mori Sari. Sari désigne un enfant dont une dent était déjà sortie à la naissance. Si Mori-Sari est bien né vers 1770, son installation dans le Torõ doit dater des dernières années du siècle. Le Mãsa Sana, qui le reçut, venait de quitter le vieux village de Suluko pour fonder Sanãkoroni (9°37'N, 8°52'W). Le village ne doit pas être confondu avec le Sanãnkoroni du Manã ou celui de Gbérèdugu et encore moins avec le Sanãnkoro de Samori [69, 70, 71, 82].
77. Ces Namusasi se divisaient eux-mêmes en Sirimãsi, Fairasi et Biranmasi dont les principaux villages étaient Gboodu, Farãnkonédugu et Fabala. Le plus âgé des trois chefs des villages portait le titre de Mãsa [69. 70].
78. Ils seraient issus de Klé-Klé, dans la subdivision de Dioila [71].
79. Répartition des principaux villages (du sud-est au nord-ouest).
Tyèulési : Siramadugu, Sédugu (Sokura), Nemendugu, Kamfaradugu, Suluko, Kasyadugu, Sanãkoroni |
Farabanisãsi : Sefunu, Farabadugu. |
Faraurisési : Kariñyana (isolé), Manima, Mãndyarédu, Dyaradogu, Nyalèmoridugu, Farãfina, Farandugu, Sinimoridugu |
D'autres villages appartiennent à des clans dépendants: Traorè, Koné, etc.
80. Sèriba était frère aîné de Siyadu, l'hôte des Bèrèté. La nomination de Kalogbè ne peut être datée, mais il n'est guère concevable qu'elle soit antérieure à 1830, car il aurait été trop jeune. La menace des Sisé parait exclure qu'elle soit postérieure à 1840 [70].
81. Kõnke Sisé était originaire de Fèrèfugula, gros village musulman voisin d'Odienné. Sa lignée venait de Sokoro (Folo) et auparavant de Bakõngo [82].
82. Itinéraire de l'armée: Karinyana, Numendu, Kasyadugu, Sanãnkoroni [70].
83. Ceux du Talikoro et du Worodugu qui nous intéressent au premier chef, nient absolument s'être soumis, ce qui est surprenant vu leur proximité. Dans le silence des traditions Sisé, nous leur accordons le bénéfice du doute [1, 2, 15].
84. Nasu-Dyãnka, père de ce neveu, était mort avant son frère et les traditions ne connaissent que son nom. Celui-ci est formé d'après sa mère Nasu, c'est-a-dire « calamité », qui était une Konaté [82].
La mère de Sarãswaré-Mori était par contre une musulmane, Sara Swarè de Munun, dans le Torõ nord (8°59' W, 9°48'N). Ces Swarè sont les « marabouts » des Konatè du Dyamõ dont la capitale est Tèrè, village célèbre pour ses forgerons. Les Swarè ou Sèmbasi seraient, selon certains, dérivés des Sisé, mais ceci est contredit par la légende du Wagadu qui en fait des frères utérins des Turè, enfants de Dinga-Gille-Bune-Kuso, la cinquième épouse de Dinga, troisième fille des « diables » du Kingi (Monteil, 1953, p. 373-75). Ceux qui nous intéressent ici, sont venus de Dya par l'intermédiaire du Baté.
Il est remarquable que tous les documents européens désignent Sarãswarè-Mori sous le nom de Bitikyè que la tradition orale ignore absolument. Il s'agit à vrai dire d'un surnom issu de la racine Biri = voûte, courbure et qui désignerait selon Delafosse, non pas un homme voûté, mais un enfant dont la mère a accouché seule et sans soins, en se courbant (1955, II, p. 59). Les traditions recueillies ignorent ce détail. Sarãswarè-Mori est mort extrêmement âgé en 1920 à Tintiulé. Comme on lui donne généralement le même âge qu'à Samori, il doit être né vers 1830.
85. Kofilakoro, 9° 24' N, 8° 42' W.
Sèdugu (actuellement Sokura) : 9° 30' N. 8° 43' W.
86. C'est sans doute alors qu'il faut placer l'épisode des troupeaux de Manyãmbaladugu sauvés par Samori (voir chap. 2-8).
87. Pour cette période ancienne, les traditions [70, 71] sont encore schématiques et nous donnent seulement la ligne générale des événements. Les Konaté auraient concentré à Sèdugu la population, ou du moins les combattants de Kariñyana, Numendu, Kãmfarãndu. Les Koné de Kofilakoro et les Kamara de Lenko et Manyãmbaladugu se retranchèrent dans leurs villages mais envoyèrent une partie de leurs guerriers à Sèdugu.
Aucune estimation numérique n'est ici possible. Les forces en présence ne dépassaient certainement pas quelques milliers d'hommes.
88. Un seul de nos informateurs, Nakésa-Woni [71], attribue la destruction de Manyãmbaladugu à une troisième campagne menée une saison après le siège. Il y rattache la destruction de Sékamãndugu = Siramãndugu (8° 41' W, 9° 31' N). Il est tout à fait invraisemblable que ce village, situé près du gué de Kariñyana, n'ait pas été évacué dès la première attaque contre Sèdugu. Il doit s'agir d'une confusion.
89. Certains prétendent que Dyina-Mãsa, le futur chef du Gwana dirigeait cette attaque [356]. Il a pu effectivement y participer mais ce n'était alors qu'un jeune homme et il ne pouvait avoir un commandement important.
90. Dugugbè-Kaba était son neveu classificatoire, en fait un petit neveu de Koboro-Funu.
91. DoFaso « village de la caverne » a disparu. 9° 02' N, 8° 36' W. Ce site est dominé au sud par une très haute falaise et les cavités que l'on trouve en hauteur lui ont valu ce nom.
92. Fèrèdugu (disparu): 9° 10' N, 8° 22' W.
Gbona, 8° 30' W, 9°19' N Kobobi-Kuru, 8° 26' W, 9° 15' N.
Samana. 8° 34' W, 9° 07' N Sèsèdugu, 8° 24' W, 9° 06' N.
93. Waro, 9° 11' N, 8° 31' W.
94. Au cours de la retraite précipitée, le corps de Burlay aurait été enterré dans le lit du marigot Nyinniya (non identifié) [44].
95. Sèrè-Brèma n'avait eu qu'un fils, mort jeune, et une fille, Masiya, qui épousa le chef de Musadugu. Son frère laissait au contraire une bande de solides garçons dont nous aurons à parler souvent : Morlay, futur gendre de Samori, Filasarã-Brèma, Manikaba-Amara, Kani-Mori qui allait suivre fidèlement l'Almami jusqu'en 1898 et sera fusillé par les Français, enfin Karamogho-Samã qui sera exécuté sur l'ordre de Samori [44, 392]
96. Dyafunu (disparu: 8° 15' W, 9° 02 N)).
Principaux chefs Koné présents à cette palabre : Mãngoroba de Gbona (Dyigilõ), Masa-Kamã de Kamandugu Sabila-Fèrè de Fèrèdugu Fawonin de Dyasodugu (Kobobi-Kuru), Dugugbèkaba de Sèsèdugu [Dyasodugu), Kanin-Basi de Kõvia (Farana nord), Numanu do Senko (Farana sud).
Les Fofana de Fwala et les Turè de Tyema envoyèrent des délégués particuliers [5, 37, 42. 44]
97. Certains informateurs placent cette campagne l'année suivante, avant ou après la soumission du Salagbala [5, 18].
La tradition signale la destruction de Kofilakoro, Forono, Mãnsèydugu, Talenko, Dugbèla. Sèimandugu et Brohila, c'est-à-dire de la totalité du Blamana. Le Boñyana et le Bãmbadugu étaient sans doute moins compromis [4, 5, 18].
98. Moridugu: 8° 59' N, 8° 27' W.
99. Son père, Dyomã Kamara demeurait à Lãnseydugu (8° 31' W, 8° 54' N), de l'autre côté du Gbankundo et les envahisseurs n'y pénétrèrent pas [34]
100. Villages du Salagbala dont la destruction est attestée par la tradition : Dofaso, Dyobadu (non identifié) Dusumoridu (9° 01' N, 8° 38' W) Fuladu (9° 01' N, 8° 41 W) Vabodu (8° 38' W, 9° 07' N) [5, 18, 34].
101. Itinéraire : Katokoro (Famoëla), Dyaboodugu [5, 18, 22].
102. Morisoko représentait son père, mais d'autres chef de lignées du Girila étaient présents, par exemple Wau Kamara de Sokurala dont le fils Masagbori nous occupera plus loin [34].
103. Les villages musulmans reconnaissent l'hégémonie des Dorè de Musadugu qui étaient Nyala, Turèla, Dyakolidugu et Beyla. Nyõsomoridugu a toujours vécu assez à part [5, 20, 21, 22].
104. Gwela (disparu): 8° 31' W 8° 38' N.
Misiboro: 8° 23' W — 8° 46' N.
Gwèla-Nyimu était d'une lignée assez obscure. Le Mãsa du Gwana était alors Gwaka Kamara de Kwèikonu (disparu, 8° 23' W — 8° 38' N) qui manquait de prestige et dont le rôle sera passif [30, 31, 32, 33].
105. Zerédu : 8° 46' N 8° 25' W. Son père Tãnta-Silè Kamara y demeurait encore mais lui-même s'était fixé à Kubedugu, berceau de la lignée (8° 31' W 8° 42' N) [32, 33].
106. Sèrè-Brèma, pour ne pas inquiéter les Kamara, avaient gagné Musadugu par la route de ses visites annuelles qui contournait le Gbankundo par l'est, à travers le Girila: Tyawè, Monsoro, Suello et Wanino [5, 18].
Selon [5] il s'agirait de deux jeunes gens de Torigbeladugu qui voulaient se venger de leurs oncles, lesquels avaient refusé de payer la dot de leurs fiancées, conformément à la coutume.
107. Manadara, 8° 46' W 8° 58' N.
108. Sanãnkoroni, 8° 49' W 9° 06' N.
Sinimoridugu, 8° 46' W 9° 02' N.
109. 9° 35' N 9° 03' W, sur la route de Kerwané à Kankan.
110. Son chef était alors Kumalé Traorè de Mamurudugu [93]
111. Neveu de l'ancien Faama Sériba. Dyãnka-Tèrè était selon la terminologie européenne un cousin germain issu de Tèrè Yara, donc un « frère » [69, 70].
112. Rien ne permet de fixer la date de cette démarche qui eut lieu entre le retour de Soghomaya (hivernage 1860) et le siège de Sirembadu (1864-1865). J'opterais assez volontiers pour la chute de Torigbèbaladugu (1861-1862) quand Sèrè-Brèma pensa on avoir terminé dans le sud [69, 70, 75]
113. Le Kwisu, chef Kwè Kamara, de Banankoro (8° 44' W 8° 36' N) se trouvait alors en butte aux razzias des gens du Buzyé [23]
114. Nyauléndugu, 8°27' N 8°37' W, lignée Fãndyarasi.
Soba (disparu), 8° 30' N 8° 28' W, lignée Kasèèmãsi.
Tous ces Kamara sont des Vasudyãsi.
115. Son nouveau domaine commençait à la frontière orientale du Buzyè, traversait la frontière Toma-Guerzé et s'étendait jusqu aux abords de Boola [5, 26, 27].
116. C'est du moins l'une des interprétations possibles des traditions mais la chronologie absolue n'est pas sûre. [70, 71]. Voir Annexe I.
117. Zona, canton de la subdivision de Boundiali (Rép. de Côte d'Ivoire) [390, 552].
118. Sibirila et Yorobadugu, au sud des cercles de Bougouni et de Kolondyéba (Rép du Mali [310, 331].
Mahalé, 6° 34' W 10° 07' N (Subd. de Boundyali]. [543, 544]
119. Les Sakuraka sont des Ferenkamãsi venus au XVIIIme siècle du Mahana (Haut Konyã) Les Kõñsabasi du Mau et du Gbè descendent statutairement du frère aîné de leur ancêtre éponyme. La guerre civile opposait Syafa Dyomandé de Mandugu (7° 48' W 8° 11' N) à Vasé de Gwèka (7° 50' W 8° 03' N). C'est le premier qui fit appel aux Turè [13, 449],
120. Wanino, 7° 51 W 8° 14 N), Sokurala, 7° 31' W 8° 18' N.
121. Bintu-Mamadu, que certains appellent Bunu-Maméri était fils de Brèma (Ibraima) frère aîné de Vakaba. Il devait être un peu plus âgé que Muktar et acceptait mal son autorité [376, 390].
122. Les guerres du Wasulu n'ont jamais été étudiées et ne sont, à notre connaissance, signalées dans aucune publication. Nous les avons reconstituées grâce aux traditions orales du Wasulu oriental, d'Odienné et des Sisé qui concordent généralement de façon très satisfaisante. Nous confessons cependant une grave lacune dans notre information. La situation politique ne nous a pas permis d'enquêter dans le Wasulu oriental, présentement en territoire guinéen, comme nous l'avons fait dans le reste du cercle de Kankan. Notre reconstruction sera nécessairement provisoire tant que cette confrontation avec les traditions du Dyétulu et du Sanãfula demeurera impossible [44, 340, 342, 346, 348, 352, 356, 386, 389, 390, 392].
123. Caillié, 1, pp. 442-451. Le tableau de Galliéni (1885, pp. 597-599) est peut-être, au contraire excessivement pessimiste, mais il traite d'une période malheureuse, à la suite des guerres dont nous allons esquisser l'histoire.
Ces luttes intestines ont encore pour résultat de multiplier les razzias de captifs et on peut dire que le Ouassoulou est devenu le principal pourvoyeur des marchés d'esclaves de la région. On voit ainsi les faits les plus monstrueux. Les chefs vendent leurs sujets, les pères de famille en temps de disette emmènent leurs enfants au marché, les frères enlèvent leurs propres soeurs pour les vendre... » (p. 598).
Il exagère la richesse naturelle du pays qui ne possède, par exemple, aucune des mines d'or qu'il lui attribue. Sa description de la situation politique, avec trois centres principaux : le Dyétulu, le Sanãfula (Lensoro) et le Gwana des Dyakité, est à peu près juste, mais ses renseignements, recueillis en 1880 à Nango, ne sont pas très à jour. C'est ainsi qu'il connaît Adama Tumani, frère et successeur d'Adyigbè, mais qu'il parle encore de Ködyé-Söri, mort depuis longtemps. Enfin, la renommée infamante de Namakoro est bien parvenue jusqu'à lui, mais il croit que ce chef règne encore, alors qu'il était de son temps en exil à Dyalõfula.
124. Dyasaba, qui garde deux gués du Sãnkarani, est à moins de deux kilomètres de Falama, résidence de Bãndya-Farã. (8° 38' W — 10° 44' N).
125. Il est souvent désigné sous le nom de Dyamuradyi. Son père Dauda était simple chef de village. Dyarakuru (10° 89' N 8° 31' W), Dãndéla (10° 54' N 8° 23' W).
126. En dehors de Dãndéla, étroitement assiégé, Dyerakuru et Kangwèla (10° 50' N 8° 36' W) ont tenu jusqu'au bout pour Adyigbè.
127. Il s'empara de Komisana (8° 38' W 11° 04' N). Après la victoire d'Adyigbè, l'hégémonie du Dyalõfula passa à Burã-Sidibé de Gwèleninkoro (8° 31' W 11° 09' N) [340, 342].
128.
De même que, pour la tradition, l'hégémonie de Dyèri est la « guerre des fils du rêve » (Sungo-Den-Kèlè), celle de Ködyé-Söri, est la guerre des Peul (Fula-Kèlè).
129. Numuntyé. « Forgeron » est le nom donné à un enfant quand une forgeronne a assisté sa mère durant l'accouchement.
130. Dalagbè, 10° 44' N 8° 15' W. Solomanina. 10° 42 N 8° 12' W. Ce village ne porte pas le nom de ce chef, mais d'un de ses ancêtres homonyme de la fin du XVIIme siècle (cinq générations plus tôt [352].
131. Bèrèlè, 7° 58' W 7° 47' N.
Faraba, disparu et dont la population s'est transportée à Madina, se trouvait par 10° 53' N et 7° 49' W. A pas confondre avec le Faraba du Kusã. [356].
132. Les campagnes de l'est étaient menées par ses principaux lieutenants Dyãnazã et Amadu [342, 356, 304].
133. Gbaralo, 11° 00' N 7° 26' W) Kologo, 11° 14' N, 7° 29' W Dyiné, 11° 09' N 7° 23' W [301, 303, 304].
134. Chef Kèlifadyã Sangarè de Fulalaba (10° 41' N 7° 22 W [307].
135. Bãnzana, 10° 32' N 7° 15' W.
Le Kurusigila, plus à l'est, aurait également fait sa soumission [310].
136. Il s'agissait de razzias plus que d'une guerre de conquête car Urumpana (10° 54' N 7° 09' W) ne fut pas attaqué. Durant la première campagne, les Fula ne réussirent pas à enlever Blala (10° 49' N 7° 06' W) Durant la seconde ils ne purent enlever Tyékaro (10° 52' N 7° 02' W) mais surprirent Farabalé et réduisirent en esclavage toute la population (10° 46' N 7° 16' W). [304, 305, 306].
137. Zana, capitale Dãfina (11°02' N 7° 9' W) — Tyendugu, capitale Kèbila (11° 18' N 7° O2' W)
138. La date de sa mort est déterminée d'après le début de la première guerre du Wasulu. Voir Appendice 1.
Seuls, à vrai dire, nos informateurs du Gbãndyagha ignorent la présence de Ködyé-Söri à la première guerre du Wasulu et en attribuent le commandement, comme celui de la seconde, à Adyigbè [352] Ce dernier étant présent aux deux et sa renommée ayant vite éclipsée celle de son prédécesseur, la confusion est concevable.
Nous avons donc suivi les traditions des Sisé d'Odienné, qui concordent avec tous les autres informateurs du Wasulu. Une enquête très brève en territoire guinéen devrait trancher définitivement ce problème [390, 392)
Si Ködyè-Söri était vraiment mort avant la guerre, le conflit entre Dyallo et Dyakité du Gwanã qui en a été l'occasion, serait évidemment une séquelle de sa succession.
139. Le chef de l'ambassade était Alama Dyakitè, jeune frère de Namakaro [356].
140. Dans la jeunesse de Vakaba, alors qu'il était tisserand nomade, un Dyakité animiste du Gbãndyagha qui savait lire dans la main, lui aurait prédit la puissance et lui aurait recommandé d'épargner ses descendants. L'appel des Sidibé du même kafu gênait donc beaucoup Muktar [390, 389].
141. Sandugula: 7° 51' W 10° 15' N.
Certains informateurs placent la destruction de Sandugula au début de la seconde guerre du Wasulu, ce qui peut paraître logique puisque les Turè étaient appelés à la première par les gens du Kusã, alors qu'ils se présenteront huit ans plus tard en ennemis [348, 352].
Tous les informateurs déclarent cependant, sans souci de se contredire, que les gens de Sandugula se réfugièrent a Yorotyéné, ce qui nous oblige à placer cet épisode lors de la première guerre [356, 359 et pour les Turè, 386, 390].
Sãndugula était un village de brigands que fuyaient les dyula aussi bien que les gardiens de troupeaux et qui vivait à l'écart du reste du Kusã. Il est donc très possible que le chef de Sangarèdyi ait abandonné ces mauvais sujets à son allié.
Le siège aurait duré deux semaines. Dès le début des chasseurs abattirent deux jumeaux, petit-fils de Vakaba alors que Bintu-Mamadu essayait de négocier. Celui-ci, furieux de cette traîtrise, aurait alors ordonné de tuer tous les êtres vivants du village, . y compris les rats ..
Il y eut pourtant des survivants, dont le chef Modya-Lamini Sangarè. La massacre ne fut pas total puisqu'on connaît à Odienné des descendants de femmes réduites en captivité à cette occasion. Les combattants capturés furent, par contre, certainement mis à mort. Le village ne sera relevé qu'en 1895, sous l'occupation française.
142. Sãngarèdyi, 7. 56' W 10° 33' N.
143. Bèrèlè, 10. 57' N 7° 58' W.
Yorñntyènè, 8° 00' W 10- 52' N Fulabula, 8° 08' W 10°58 N.
144. Villages détruits : Dalagbè, 10° 43' N 8° 14' W Adyila, 10° 33' N 8° 11' W Kõfara Manñnkuru, 10° 29. N 8° 13' W. Le Mãsa du Gbãndyagha était alors Buradyã Sidibé de Badogo, à l'extrême nord du kafu (11° 02' N 8° 13' W) [351, 352, 353]
145. Bugula, 10° 17' N 8° 09' W.
146. Nyako : 10° 20' N 8° 33' W, Dyifwa: 10° 10' N 23' W.
Ces villages gardent les principaux gués du Sãnkarani, le premier vers l'ouest, face au Toro et à Kankan, le second vers le sud face au Moriulédugu.
147. Tindila: 10° 16' N 8° 15' W, Saladu : 10° 16' N 8° 20' W, Yaraulèna: 10° 22' N 8° 27' W.
148. Yorõntyènè: 10° 52' N 8° 00' W, Kalifaladyi: 10. 56' N — 8° 02' W. Le village de Yorobogula n'existait pas à l'époque de cette guerre.
149. C'est ainsi que Banyã-Numori, le petit-fils de Kõndé-Brèma fut tué au combat de la main de Sintu-Hamadu [352, 386, 390].
150. C'est du moins notre interprétation. Cf. Appendice 1.
151. Il y a des contradictions sur la date de l'assassinat de Namakoro. Les meilleurs informateurs le situent immédiatement après la soumission à Samori donc vers 1882-1883 [352, 356].
152. Principaux villages détruits: Kãndyimamurula: 10° 40' N — 7° 54' W. Moriyãforèla : 10° 42' N 7° 52' W. Kokun : 10° 44' N — 7° 52' W. Bèrèlè était resté en ruines depuis la première guerre [348, 352, 356].
153. Bununko: 8° 02' W 11° 11' N Dyégénina: 8° 00' W 11° 12' N.
154. Voici la liste traditionnelle des chefs présents :
La tradition [352, 356] ajoute Bintu-Tyékoro de Kologo mais les gens du Tyemmala nient absolument s'être mêlés de cette guerre.
D'autres attribuent cette liste au siège de Yorötyéné où la plupart de ces chefs étaient effectivement [342].
155. Tuba-Koro : 8° 00' W 11° 25' N. Siratogo : 7° 33' W ? 11° 35' N
Nous résumons à l'extrême les traditions abondantes relatives à la « grande marche » de Va-Muktar [12, 292, 293, 294, 296, 342, 348. 352, 356, etc...J.
156. Un Finè de l'entourage d'Amadu étant venu commercer a Odienné s'était lié à Sanusi Turé qui l'avait pris dans sa suite. Amadu le croyant captif avait protesté puis, détrompé, avait envoyé trois femmes comme cadeau d'excuses. L'une d'elles, Sèguka-Tènè épousa Muktar à qui elle donna deux fils, Sèguka-Madu et Sèguka-Drisa [386].
157. Le « maraboutage » en question mérite d'être décrit pour son pittoresque. Bintu-Mamadu aurait lavé une très belle captive et un morceau de bois de Taba avec le même nasi (eau de lavage des tablettes coraniques).
Il envoya la femme au chef ennemi avec un sofa qui prétendit avoir deserté en l'emmenant. Adyigbè, méfiant fit exécuter le sofa, mais il ne put s'empêcher, malgré son entourage, d'avoir des relations avec la fille. Il était dès lors vulnérable et le bilakoro qui avait la balle n'eut qu'à tirer dans sa direction pour le toucher [342, 390]
158. Pendant le siège de Mafélèba, des raids profonds avaient été lancés contre le Bilãntuma et le Yiribugu. Des traditions précises ont été recueillies sur ces événements mais n'ont pas leur place ici [303, 304, 305, 307. 308, 390, etc...].
159. Nyamana : 7° 53 W 9° 36' N.
Ici encore, nous résumons à l'extrême l'histoire de cette révolte qui est importante pour comprendre l'équilibre interne du Kabasarana [389, 390, 398 à 403]
160. Nous écrirons toujours Sulémani qui est la malinkisation de l'arabe Sulayman. La forme kisi est Silimani et nous la réservons aux membres de cette ethnie. Mori-Sulèmani est d'ailleurs connu de la tradition kisi sous le nom de Mori-Fèrè.
Le dyamu de Savané est nettement prononcé avec un v en pays Kurãnko, mais sa réalisation tend parfois au bilabial. Vers Kankan, le nom devient Sawané et même Swané au Torõ.
161. A la limite orientale du Lélé, on trouve un groupe de villages où la langue kisiyé parait n'avoir cédé au Kurãnko que durant le XIXm. siècle. Cette sous-ethnie porte le nom de Lundi et un chef qui en est issu, Fasèndé Tolno libérera au début du siècle les Kisi de Béréndu qui subissaient la domination des Kurãnko de Forèa. Il tiendra tête à ceux-ci grâce à l alliance des Kurãnko de Dèmbayara. Le petit Etat qu'il avait fondé connaîtra un instant de puissance avant d'être laminé entre le Farmaya et les Kurãnko du Mãmburdu (ca., 1860). Sépé Léno lui portera des coups très graves une quinzaine d'années avant la « guerre de sept ans » dont il sera question plus loin [143, 144, 150, 151, 177, 178]
162. Ce chef légendaire avait traversé la boucle du Nyãdã et poussé des raids par Walto jusqu'à la haute vallée de la Wau, sur le versant Atlantique. Cet itinéraire est exactement celui de la route commerciale de Mori-Sulèmani [117, 118, 119].
163. Cette lignée paraît apparentée aux Mãsaré qui commandent les Kurãnko du Séradu, peut-être depuis le XVIme siècle. C'est à ceux-ci que s'appliquaient initialement les traditions d'origine évoquant Mãsa Dãngalãñtuma, frère aîné de Sundyata [144, 145, 147].
Lèno (Pl.: Lèa) est l'équivalent kisi du nom malinké de Kèita ou Mãsarè. Des segments de la lignée fondatrice du Farmaya essaimeront en Pays Lélé ainsi qu'à Dãndu-Lè, chez les Kisi de l'est (rive droite du Nyãdã).
En dehors de ces Malinké, divers clans soudanais s'enracineront en Pays Kisi, comme les Peul Dyallo de Gbãngadu. La force de la culture kisi était telle qu'elles les absorba intégralement [163].
164. Bura Lèno était frère utérin de Silimani et leur mère, Yalfada Mãsarè était une Kurãnko de Folakoro Démbayara. Bura vivait à Soryadu, quatre kilomètres au nord de Mara [144].
165. Le Bundu est la région du Sénégal la plus négligée d'un point de vue ethnographique et historique. La seule étude sérieuse qui lui ait été consacrée est à ma connaissance celle du Capitaine Roux (Notice historique sur le Boundou. Saint Louis. Imprimerie du Gouvernement. 1893). En dernier lieu, Brigaud, Histoire traditionnelle du Sénégal. Saint Louis, 1962, pp. 205-223.
166. Si est l'un des principaux noms de clan chez les Toucouleurs. Cf. à ce sujet, Delafosse et Gaden, 1913, p. 296, et Leriche In B.l.F.AN., 1956, p. 175. Nous avons vu par contre que les Savané, dans la mesure où ils sont dérivés des Bèrèté, figurent dans la légende du Wagadu et sont donc issus des Sarakholé de l'ancien Ghana (Monteil, 1953, p. 373-375 ; ci-dessus, notes 68 et 69).
167. La tradition [142] le dit « beaucoup plus âgé » que Samori, ce qui incite à situer sa naissance vers 1820. Sa mort, survenue en 1890 paraît due à la vieillesse mais il était encore en pleine vigueur dix ans plus tôt quand il menait ses guerres.
Son frère aîné, Ismaïla, aurait été chef du village de Sènudèbu. Nous n'avons malheureusement pas pu visiter le Bundu pour contrôler ces renseignements [142, 144].
168. Sèrèkaro : 10° 25' W 10° 08' N.
169. Le quartier dyula de Möriya ne comptait en 1955 qu'une trentaine d'habitants. Le groupement Sarakholé de Mara atteindra à la même date le chiffre de 416, mais la plupart de ses ressortissants sont en fait des Kisi musulmans. Cette agglomération n'a d'ailleurs pris de l'importance qu'après 1880, durent les grandes guerres de Mori-Sulèmani [112].
170. Les fusils du Toucouleur lui auraient permis d'écraser Masauri, chef de Lèla et d'imposer une paix humiliante à Gbangba Dyallo, du Gbãngadu. Lasimö aurait ensuite vaincu Yoromãdu [155, 161, 163, 165].
Les traditions de Walto nous ont paru confuses et difficiles à recueillir. Certains informateurs affirment que Mori-Sulèmani y séjourna deux ans et y ouvrit un école coranique [155]. Cela parait tout à fait impossible. Il est par contre certain que le Toucouleur plaça un moment un dyula à Walto. On montre encore sa case à l'orée de la forêt, mais personne n'a pu en donner le nom. Ce « facteur » a très bien pu enseigner le Coran à quelques enfants et la tradition l'aura confondu avec son patron.
171. Les premières guerres de Mori-Sulémani sont connues par des traditions bien conservées et recoupées par les interventions de Dala-Ularè-Mori, liées elles-mêmes à l'invasion Sisé et au siège de Kankan. Ce n'est donc pas arbitrairement que je fixe l'affaire de Solonto vers 1875, tandis que celle de Badangba lui est un peu antérieure [112, 142, 155, 162, 169].
La durée de la carrière commerciale de notre Bunduka est difficile a apprécier. Aucun recoupement n'est ici possible et la tradition nous donne ici des chiffres suspects. Cette période fut certainement longue. Si Möri-Sulémani fit vraiment 15 voyages successifs à Tinkéa et séjourna huit ans à Moriya [142], on peut admettre qu'il arriva chez Ti-Brèma avant 1855. Son intégration au milieu kisi, poussé jusqu'à l'adoption de sa langue, et l'âge de ses enfants, nés de femmes indigènes, lors du siège de Sikasso, tout mène à la même date.
Mais alors que faut-il penser des traditions presque unanimes qui nous montrent le jeune Samori fréquentant Mori-Sulèmani alors qu'il commerçait à Mara ? [1, 2, 3, 142]. Il n'y a pas lieu de douter qu'il ait fréquenté Mara vers 1850, du temps de Famisa Lèno, car le village était déjà un centre commercial. Il est difficile qu'il y ait trouvé les Savané.
Il parait pourtant établi que Möri-Sulèmani invoqua ses anciennes relations avec Samori quand il fit appel lui en 1881. La contradiction est-elle insoluble ?
Je crois qu'il faut distinguer deux faits : Mori-Sulèmani, assurément plus âgé que Samori, était déjà commerçant vers 1850 et nous savons qu'il a séjourné à Banko dans le Ulada. Comme Samori fréquentait régulièrement ce gros marché de bétail, il est vraisemblable que c'est là qu'il a connu le Bunduka. Dans ce cas, il n'est pas surprenant que les traditions aient confondu le souvenir de ces anciennes relations avec celui de séjours à Mara antérieurs à la venue des Savané.
172. Mömöri Mara, frère de Kurani-Söri suivit le Toucouleur à Mara et le servit jusqu'à sa mort. Il s'était naturellement converti à l'lslam [112].
173. Malgré leur assimilation au milieu Kisi, les descendants de Mori-Sulèmani sont restés fidèles à l'lslam mais seulement dans ses formes extérieures. On peut donc observer la naissance d'un véritable Islam Kisi qui gagnera à l'ère coloniale une fraction notable du Farmaya. Le fait est remarquable car il s'oppose à la tradition dyula pleine de mépris pour les peuples et les langues barbares et dont l'lslam particulier exige l'assimilation totale du néophyte, c'est-à-dire un véritable reniement ethnique s'il n'appartient pas déjà à la famille manding.
174. Badãngba se trouve 5 kilomètres au nord-est de Walto, sur la route Kissidougou-Guékédou (10° 05' W 10° 05 N). Les traditions ne permettent pas de préciser combien de temps s'écoula entre ces deux affaires [155, 160, 161, 162].
175. Lasimõ se plaignait que Famèsa voulut le supplanter: « Rentre chez toi: Je ne puis rien faire ». Möri-Sulémani se rendit alors à Buyé où Kyokyurè lui promit son appui, ce qui était peu de chose. Le Bunduka, soucieux des formes, réunit alors à Moriya douze marabouts Sarakholé. Il les emmena à Walto et enjoignit à Laaimõ, en leur présence, de lui rendre justice. Il déclara qu'il tenait à le prévenir avant de brûler un village dépendant de lui. Le chef Kisi l'éconduisit encore: « Je ne m'entends pas avec ces gens et je veux bien que tu leur fasses la guerre. Si tu gagnes, je t'approuverai. sinon, ne reviens pas devant moi ». Dès le lendemain, les musulmans détruisirent Solonto [153, 155, 162].
176. Bèndu était un village assez récent, fondé comme Nyamãndu par des lignées issues de la vallée de la Wau qui s'étaient imposées grâce à l'alliance de Gbãngdu. Le Maître de la Terre, Bõmbalé Milllimuno et le chef politique Dobè Wamuno accueillirent froidement Mori-Sulèmani mais leur neveu utérin, Masauri Mano s'enrôla dans la colonne. Il allait suivre fidèlement le Toucouleur jusqu'à sa mort [137, 153. 154].
Ce Masauri était issu d'une lignée d'origine Lélé. Ses ancêtres étaient établis à Yõmbu, dans le groupe Wèndè-Lãñ où ils étaient devenus Kisi et avaient traduit leur nom de Mara en Mano. Masauri lui-même s'était fixé à Bèndu, patrie de sa mère et venait de se distinguer dans des guerres locales livrées par ses « oncles » à leurs voisins [154 et Yèlimani Mano, chef de Yõmbu].
177. Durant cette première phase, la colonne de Möri-Sulèmani groupait quatre éléments :
178. Les groupes Kisi très indépendants qui occupent la ligne de partage des eaux à l'est de Walto sont désignés par les noms de leurs villages principaux :
Chaque groupe comprend quatre ou cinq agglomérations et excède rarement un millier d'habitants. [134, 151, 164, 165, 167].
179. C'était là un retournement des alliances car Löndé Dyallo, chef de Gbãngadu, venait de livrer deux guerres successives à Buyé [153. 163].
180. Ces deux groupes étaient diriges par des segments d'une même lignée, qui se réclame d'une ascendance Kurãnko. Leur culture est cependant purement Kisi [154].
181. Ses propagandistes reprochaient surtout à Sépé d'avoir renoncé à soumettre le Sagbé d'où sa mère était issue. Celle-ci était en effet une tante de Tãmfufun-Mamo, chef de Bailyã. Peu de temps avant la guerre, les gens de Nõngoa (Sagbè) avaient enlevé et rançonné Bamba Lèno, chef de Kènèma Pompo (quartier central de Kissidougou). Ce dernier s'adressa à Sépé, doyen du lignage, pour obtenir réparation, mais le vieillard ne bougea pas. Bamba visita alors Bura à qui il offrit 10.000 kolas et un bœuf. Ce geste était très grave, car Sépé n'avait été intronisé que grâce au désistement de Tãmbasõndo, père de Bãmba. Il perdait ainsi l'appui de Kenéma-Pompo bien que des liens étroits l'aient uni à ce village. Bãmba restera neutre pendant la guerre [144, 145, 147, 148].
182. Une guerre qui aurait duré sept ans opposait les Kuranko du Kundu (Foréa) et du Maninkadu à ceux de Démbayera unis aux Kisi de Bérèndu. Dèmbayara, assiégé un moment, ne put être réduit. Quand Dala-Ularè-Mori s'y installera, abandonnant le Sãnkarã aux Sisé (1879), les parties en conflit s'inquiéteront de ses intentions mais il prétendra à la neutralité et offrira son arbitrage. Il réunira en palabre Finasõngo Kuruma de Foréa et Nyalènkarfa Mãsarè de Mèrmèriya (Mãnkoadu). Bérèndu acceptera ses conclusions [120, 121, 122, 123, 150].
183. Les combats éclatèrent à la suite d'un incident très caractéristique. Des funérailles avaient réuni à Kèrèdu lea partisans d'Esana et ceux de Kaba. Dans l'ivresse de ces agapes, les ennemis de Kaba l'empêcheront de prendre la parole et une bagarre s'ensuivit. Pour rentrer chez son père adoptif, à Buyé, le jeune homme devait passer à l'orée de la forêt de Korodu. Les gens d'Esana, qui étaient partis s'armer, l'attendaient près de l'actuelle gendarmerie. L'échauffourée qui suivit fit six morts et la guerre commença [144, 145, 147, 146].
184. Fèro était un village d'immigrés récents venus de Fermésadu et installés par Sépè à qui ils servaient d'intermédiaires pour intriguer sur la rive droite. Le village détruit, son chef Siiki Tinkéano se réfugia à Korudu où il mourut avant la fin de la guerre. Le relèvement de Féro sera effectué par son frère Funay [148].
185. L'anneau de forêt, religieusement respecté, qui entoure Korodu comme tout village Kisi, peut servir de protection s'il est défendu avec énergie. Mori-Sulèmani construisit un premier sanyé sur l'actuelle pépinière du service de l'Agriculture. Une sortie l'ayant détruit, il se reporta plus à l'ouest, à Gbamèy, soit à mi-chemin du terrain d'aviation [144, 148].
186. Bãmba Lèno, une fois rallié, restera fidèle à Kaba. Son frère et successeur Suruku sera l'un des principaux lieutenants du chef de Farmaya et mourra en 1940 à un âge très avancé.
Dawo Lèno, chef de Kerédu deviendra un brillant homme de guerre sous les ordres de Mori-Sulèmani, puis de Kaba. Il sera tué en 1894, dans les rangs des Français au combat de Yèndé.
187. Dans cette ambassade, Bãndyu-Karanké Silla, notable de Kènèma-Bõmba accompagnait Sumaila pour représenter les autochtones du Farmaya. Les informateurs de ce village affirment que c'est à Sanãnkoro et non Bisandugu que Samori les reçut [144, 146].
188. Sukuru Lèno, chef de Sõngbo sera capturé à la chute de son village, et se soumettra à son tour [144].
Lèa Lundi de Masakuñdu envoyèrent une colonne secourir Sépé sous les ordres do Kasagba Kamara [177].
189. Cette date est attestée par Winwood-Reade (1870) car c'est cette guerre qui l'empêcha de visiter les sources du Niger lors de son passage à Farana en 1869.
190. Je n'ai malheureusement pu enquêter qu'indirectement sur Födé-Dramé. Il est probable que des traditions plus précises et détaillées que celles que j'utilise, subsistent à Madina-Sokurala (Firiya) et Sormorèa (Sãnkarã) où se trouvent les descendants de Fodé Dramé et de ses compagnons. L'existence de documents écrits n'est pas exclue dans ce milieu très islamisé. Il m'a malheureusement été impossible de me rendre dans ces villages d'accès très difficile.
191. Dramé = Daramé, est arbitrairement assimilé à Dyabi et Kãndyé sur le Haut-Niger. (Monteil, 1952, p. 402). Les ancêtres du clan seraient Bara Nyakané de qui descendraient les Dramé-Wakané du Tringa (région de Kayes) et Sa-Wakané pour les Dramé-Kãndyi. Fodé Dramé se rattacherait au premier groupe. A côté des Dramé Wago, d'autres étaient griots (gèserè) parmi les Karo (Monteil, 1952, p. 406).
Le clan a donné son nom à un village du Kamara sur le Haut Sénégal (Marty, 1920, IV, p. 16)
Comme tous les clans islamisés, celui-ci s'est pourvu d'une légende orientalisante : « qui peut dire « Je suis Daramé », c'est le nom d un cavalier puissant. Il est de la branche d'Othman, fils de Mat'oun » (Humblot. 1918, P 538).
Delafosse (1955) a tort d'accueillir les légendes qui font venir ces gens du Dra (Sud-Marocain).
Mamadu Lamin, l'adversaire des Français sur le Haut Sénégal était aussi un Dramé.
192. Fodé, selon Delafosse, vient de l'arabe fetwa, décision juridique (1955, p. 215).
Fodé est un terme en usage dans les régions Peules ou Sarakholé et il correspond au Mori des Malinké. Il n'a rien de commun avec le «. Férè » des animistes qui signifie « cri éclatant » et fait allusion aux circonstances de la naissance. La confusion est cependant possible.
193. Bérèburiya est un nom typiquement Dyakãnké, inexplicable par les dialectes Malinké: Bérè: bienfaisance, Buru = chef (Wolof: Bur)?> « chez le chef bienfaisant ». On dit souvent Dramaya. La carte au 1/200.000me
porte à sa place le hameau de Burã [10° 11' N 10° 34' W].
194. La tradition explique l'imprévoyance des Ularé par les maraboutages de l'ennemi. Fodé Dramé aurait disposé en permanence d'une pirogue pleine de nasi (= eau de lavage des tablettes coraniques). Comme il fournissait la région en indigo, il aurait mélangé cette eau bénite a la teinture des vêtements destinés aux animistes.
195. Les débuts de Fodé Dramé sont difficiles à dater, du moins à l'aide des traditions actuellement recueillies [210, 211]. Il aurait passé « quelques années » à Gbirisa, puis « sept » à Dramèya, avant de fortifier son village et trois avant la construction de la mosquée du vendredi qui marqua le début de la guerre. Ces dix années seraient vraisemblables si sept n'était pas un chiffre symbolique.
La guerre est en tout cas postérieure aux voyages de Winwood-Reade (1869) et de Williams (1873) qui n'en parlent pas. L échec du siège de Bérèburiya se situe peu après le début des hostilités. Comme les frères de Baro-Kyémagho participaient à cette affaire, celle-ci est postérieure au siège de Kumbã qui occupe l'année 1875. L'invasion de Sisé survenant au début de 1879, la marge est étroite. Nous admettrons donc que Fodé Dramé a pris les armes vers 1875-1876. La nouvelle du siège de Kumbã, qui annonçait le crépuscule des animistes, l'a sans doute encouragé et explique l'outrecuidance qui provoqua la rupture.
196. Il s'agissait de planter le poteau central de la Mosquée, alors que Fodé n'avait demandé aucune permission aux Ularè et qu'aucun sacrifice n'avait été fait aux divinités du terroir. Celles-ci réagirent en rendant le sol impénétrable. Pendant toute une journée, on travailla en vain, au milieu des marabouts en prière. A la nuit, le poteau s'enfonça brusquement, marquant le triomphe de la religion nouvelle dans le village en fête.
197. Les balles de Fodé Dramé, aspergées de nasi, tiraient à coup sûr, alors que les projectiles des adversaires étaient déviées par les amulettes des défenseurs. Il semble surtout que ceux-ci aient été tous armés de fusils alors que beaucoup d'assaillants possédaient seulement des arcs.
198. Parmi ces alliés venus du Kondédu, la tradition signale Dyãnka, chef de Dyinkuraro [193].
Les frères de Baro-Tyémogho étaient Famburu et Dyara [86, 87, 211].
199. Les marches orientales du Fuuta-Dyalõ et particulièrement le diiwal de Fodé-Hadyi ont à vrai dire été conquises sur le Firiya. On y trouve toujours d'antiques villages Dyalõnké comme Kambaya illustré par le passage de René Caillié. Quand les Peuls établirent leur frontière sur le Tènkiso, vers le milieu du XVIIIme siècle, ils colonisèrent le pays en y appelant des musulmans Dabo venus du Torõ. Ce sont les éponymes de Dabola.
L'expansion Peul continue de nos jours. Le Tenkiso formait encore leur frontière lors de l'occupation française, mais les colonisateurs ont bientôt voulu complaire à l'Almami Soriya installé à Dabola et dont ils utilisaient le prestige coutumier. En 1924, ils ont placé sous son autorité une large bande sur la rive droite de Tenkiso, rognant ainsi le Firiya.
200. Les rivières Shèz et Tõmboli séparent approximativement les Mabirisi des autres Firiyanké [213].
201. Tumaniya (10° 25' N 10° 47' W) [212]. A ne pas confondre avec le vieux village dyalõnké du Tenkiso (10° 57 N 10° 48' W) qui s'émancipa de la tutelle Peule vers 1850, grâce à l'appui d'El Hadj Omar.
202. Makãndiya (9° 59' N 10° 53' W), Maraya sur la carte au 1/200.000me. (Kissidougou)
203. Kabéléya (9° 55' N 10° 48'W). Ce point porte le nom de Sõnkoniya sur la carte au 1/200000me (Kissidougou). Il y a confusion car Sõnkoniya existe bien, mais quelques kilomètres plus au sud.
204. Les traditions sont en effet muettes sur ce point. Elles ne signalent de relations entre Samori et Födé Dramé qu'après la chute des Sisé en 1880 [211, 1, 8]
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