Mémoires de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire. N° 80
Dakar. 1968, 1970, 1975. Trois Tomes. 2377 pages
L'association étroite du commerce à longue distance et de l'Islam est caractéristique du monde des savanes qui s'oppose ainsi une fois de plus aux pays du Golfe de Guinée. Les deux domaines ne se recouvrent pas entièrement, puisque tous les musulmans ne sont pas des commerçants professionnels mais, en revanche, tous les dyula sont musulmans, au moins de nom, et il s'agit là d'un fait ancien. Cela n'a rien de surprenant si l'on songe à la faveur qu'a toujours accordée au commerce la religion fondée par un négociant de la tribu de Quraysh. Maxime Rodinson vient justement de rappeler que l'orthodoxie musulmane voit dans le commerce une façon privilégiée de gagner sa vie. Le Prophète n'aurait-il pas dit : « les marchands sont les courtiers de ce monde et les curateurs fidèles de Dieu sur la terre ». Le commerce honnête est assimilé au Djihad, effort vers la sainteté, et « on rapportait avec attendrissement le goût des affaires qui avait caractérisé le Prophète et les saints califes, ses premiers successeurs » 1.
Les dyula et l'lslam — La vie commerciale du Ghana étant née au contact du trafic transsaharien, il était naturel que cette révolution économique aille de pair avec une révolution religieuse. Les souverains étaient cependant responsables des cultes qui régissaient la fécondité du pays ils restèrent longtemps animistes. Ceux du Ghana, ne s'effacèrent qu'à la conquête Almoravide tandis que l'islamisation des Empereurs du Mali fut reniée par leurs descendants après le XVIme siècle. A Djenné même, l'un des principaux berceaux des dyula, le chef ne passa à l'Islam qu'aux environs, de 1300 2. La conversion des négociants autochtones est cependant bien plus ancienne et elle peut être aussi vieille que le commerce à longue distance car il n'est pas sûr qu'il y ait jamais eu, en pays Sarakholé, des dyula animistes.
Les cultes traditionnels, liés à un terroir étroit, paraissent en effet peu compatibles avec une vie faite de déplacement. Les premiers commerçants ouest-africains ont certainement éprouvé le besoin d'une religion universelle pour fonder le droit des gens en dehors de leur pays natal et justifier la solidarité et l'hospitalité réciproque des dyula. L'institution des dyatigi n'était guère concevable sans cela et la même nécessité allait déclencher l'islamisation rapide des masses arrachées par le colonialisme à leur enracinement séculaire. Elle a certainement joué, dès l'origine, dans la mesure où se constituait une classe de commerçants professionnels.
Bien qu'il soit impossible d'en dater les étapes, cette révolution parait achevée dès le XIIIme siècle. Ce sont des commerçants « Wangara », c'est-à-dire des dyula, qui introduisent pour la première fois l'Islam en pays Hausa, vers le milieu du XIVme siècle 3. C'est bien entendu avec leurs confrères de race noire que s'alliaient les négociants maghrébins qui se fixaient dans le pays. Cet apport de sang blanc parait avoir été très faible, mais constant, particulièrement au long de la frange sahélienne et sur l'axe commercial du fleuve. Sa plus grande intensité se situe en amont de Tombouctou aux XVIIme et XVIIIme siècles , c'est-à-dire à l'époque du pachalik marocain .
Ces éléments allogènes ont été entièrement absorbés, racialement et culturellement, comme le montre l'exemple des Arma 4. Ils rendent compte cependant des traditions d'origine orientale qu'on rencontre si fréquemment chez les Marka et les Dyula. Sans les prendre au pied de la lettre, il ne faut pas les rejeter purement et simplement. Commerçants ou religieux, les quelques étrangers qui se fixaient dans le pays sans esprit de retour, et s'y mariaient, ne pouvaient s'intégrer complètement à la société manding qu'en adaptant un dyamu, avec tout le complexe socio-religieux qu'il implique (tanna, sénanku, etc...). Ils choisissaient naturellement ceux de lignées qui les avaient accueillis, selon la tradition suivie de tout temps par les hôtes ou les captifs. Leurs descendants, bientôt de pure race noire, se fondaient dans le milieu des commerçants fortement islamisés dont les dyamu allaient vite caractériser l'ensemble du groupe social. Nous verrons que ce sera le cas des Turè.
Une fois la religion semée dans le sillon du commerce, la fonction cléricale tendait à se séparer du négoce et les caravaniers du Maghreb étaient rejoints par un flot de saints personnages et de chérifs douteux qui se fondaient également dans la masse africaine et, le snobisme jouant, multipliaient les traditions orientalisantes. Il arrivait parfois que l'immigrant, tirant parti de ses origines prestigieuses, refusa d'adopter un nom autochtone . Il n'échappait pourtant pas au système car il inaugurait alors un nouveau dyamu, propre à satisfaire son orgueil. Tel fut le cas des nombreuses lignées de Shérifu, descendants peu authentiques du Prophète, et particulièrement des Haïdara dont nous pouvons situer l'origine avec certitude, à la fin du XVIIme siècle 5.
Musulmans et Animistes — Partant des rives du désert, l'Islam s'est donc étendu vers la lisière de la Forêt en suivant les pistes du commerce à longue distance, ses agents furent exclusivement les dyula, qui conservèrent en pays malinké, bambara ou voltaïque les antiques traditions des Sarakholé, mêlées d'éléments importés du Maghreb. L'Islam politique, tel qu'il paraît avoir été pratiqué à la Cour du Mali, était trop superficiel pour agir sur les masses et l'autorité de cet Empire ne s'étendait qu'à une fraction du pays que nous étudions. Le peuple restait partout animiste, mais les nécessités du commerce lui faisaient admettre dans son sein des noyaux musulmans dont il ne pouvait plus se passer.
Le mori, ou marabout professionnel, était désormais aussi nécessaire que le dyala. S'il n'avait pas les pouvoirs fécondants des prêtres du terroir, auxquels il ne s'opposait d'ailleurs nullement, il avait la clef d'une technique mystérieuse, symbolisée par l'écriture, et certainement efficace pour agir sur la destinée des hommes. Cette interprétation magique de l'IsIam était évidemment le fait des animistes, mais on a l'impression que bien des musulmans finissaient par l'accepter. Elle leur assurait en tout cas un rôle de spécialistes grassement rémunérés.
Le marabout est désormais fabricant d'amulettes, il organise des rituels de protection ou de prospérité, et il fait office de guérisseur, à côté des spécialistes païens. Si les musulmans sont nombreux, le culte s'organise, des mosquées se construisent et des écoles coraniques sont ouvertes. Ailleurs, des marabouts itinérants visitent périodiquement des clients animistes qui ne peuvent plus se passer d'eux. Chaque chef important a ses marabouts comme il a ses dyula. Il écoute volontiers leurs conseils qu'il juge inspirés par une sagesse mystérieuse et prestigieuse.
Une situation bien équilibrée finit par s'établir. Hommes de commerce ou de religion, les musulmans, minoritaires, sont parfaitement intégrés à une société animiste qui leur réserve des fonctions spécialisées et, dans ces limites, les apprécie hautement. Leur genre de vie et leurs coutumes, inspirées de l'orthodoxie islamique, les isolent de la société globale, mais c'est au même titre que d'autres spécialistes, comme les griots ou les forgerons, que leur caste met à l'écart. Les musulmans parlent la même langue que les païens, participent à la même culture fondamentale et ne subissent même pas la ségrégation sexuelle des Nyamakala. Leur prestige est très grand malgré leur faible nombre, mais le pouvoir politique leur échappe, même au niveau du village, à une ou deux exceptions près.
Malgré les difficultés des colporteurs, cette situation était généralement satisfaisante pour la communauté musulmane. Prise dans son ensemble, son niveau de vie était supérieur à celui des animistes. Des liens nombreux, de voisinage, d'amitié et même de mariage, l'unissaient à ceux-ci, si bien que l'idée d'une guerre sainte (dyaadi) pour les convertir était profondément étrangère au vieil Islam malinké. Nous verrons qu'elle indignait de nombreux marabouts, parmi les plus instruits. Ils étaient en effet convaincus que l'équilibre entre musulmans et animistes était dans l'ordre naturel voulu par Dieu et qu'il aurait été sacrilège de troubler cette harmonie. Il en résulte que la minorité musulmane, soucieuse de conserver le monopole de sa religion prestigieuse, était généralement opposée à la conversion de ses voisins. De nombreuses anecdotes du pays kuranko, du Konyã et du Worodugu évoquent des marabouts qui s'employaient à dissuader énergiquement les Mãsa, leurs patrons, chaque fois que ceux-ci voulaient délaisser l'animisme pour les prestiges de la prière publique. Le moindre trouble social ou naturel était alors invoqué comme preuve de la colère d'Allah pour ceux qui contestaient l'ordre établi par lui.
Cet équilibre est fort ancien. Il était certainement acquis avant les migrations qui mirent en place les Malinké du sud, du XVme au XVIIIme siècle. Il triompha dans le vieux Mandé après la désislamisation des Kèita, et il persista du Haut Niger au Bãndama, sur toute la frange forestière, jusqu'aux révolutions du XIXme siècle.
Dans de telles conditions, l'expansion de l'Islam se limitait à la croissance naturelle des lignées musulmanes, grossies de nombreux esclaves, et à l'immigration de nouveaux dyula. Ceux-ci accouraient d'ailleurs partout où le commerce prospérait et leurs marchés attiraient des foules sur les nouvelles routes de la Forêt.
Les animistes passaient cette frontière culturelle quand ils adoptaient une profession islamisante, mais de telles aventures se rencontraient rarement. Elles étaient le fait de fortes personnalités, de déviants en rupture avec la tradition animiste, car la conversion en masse de villages ou même de lignées était inconcevable. Eût-elle été possible qu'elle eût soulevé un tollé général.
Il n'y a pas lieu de brosser ici un tableau de l'Islam ouest-africain. En moins de dix ans quatre synthèses importantes ont mis un certain ordre dans cette matière touffue 6. Il est remarquable qu'elles aient généralement négligé l'Islam dyula dont l'absence surprenait déjà dans le vieux livre de Marty 7. Nous nous contenterons donc de décrire rapidement les caractères qui assurent une certaine originalité aux musulmans du Haut Niger et de la zone préforestière. Nous insisterons sur les interférences entre cette foi universelle et l'animisme malinké qui l'entoure.
Théologie et mythologie.? Le dogme de l'Islam, et sa loi, connue exclusivement par ici selon la tradition malékite, étaient évidemment familière aux principaux lettrés, à vrai dire peu nombreux. Quant aux musulmans ordinaires, avant les conversions massives de l'ère coloniale, ils appartenaient presque tous à des lignées islamisées de longue date, si bien que leurs croyances étaient assez homogènes, ce qui ne veut pas dire éclairées.
Au-dessous d'Allah, Unique et Inconnaissable, le musulman dyula connaît l'existence des Anges (Mèlèèghè) dont les principaux sont :
Il croit aussi aux Dyina, démons redoutables dispersés dans le terroir, qui sont visiblement les esprits locaux de l'animisme, rebaptisés pour la circonstance. Il est exclu qu'un musulman leur fasse sacrifice mais il laisse ce soin à des voisins païens qu'il soudoie volontiers dans ce but. Il porte en tout cas les mêmes amulettes qu'eux pour se protéger (sébé = papier).
Mamadu, c'est-à-dire Mahomet 8, est un homme que Dieu a envoyé sur terre pour présenter à ses frères le Coran et leur apprendre à distinguer ce qui est défendu (haramu) et ce qui est permis (sobè).
Le corps de l'homme, tombé en putréfaction à la mort, ressuscitera au jugement dernier, quand le Messie et le Mahdi (Maasida ani Mahadiyu) auront détruit toute vie sur terre. Guidé par Mamadu et son affranchi Bilali, les musulmans justes gagneront alors le Paradis (Ardyana) tandis que les autres hommes tomberont en enfer (Dyandama). On décrit le paradis comme un lieu où les justifiés, éternellement jeunes, mangeront des fruits succulents et boiront à des rivières de lait, mais aussi ? fait remarquable ? de dolo, cette bière de mil dont l'usage sera assimilé à l'idolâtrie par les rigoristes des XIXme et XXme siècles.
Il n'est pas moins surprenant que, pour les dyula, tous les hommes justes soient appelés au salut, y compris les animistes. Si ceux-ci violent par ignorance la loi de Dieu, il leur sera pardonné à condition qu'ils aient été bons pour leurs semblables et surtout pour les musulmans. Au jugement dernier, ils seront alors envoyés dans une espèce de purgatoire, le Tabakoroni (vieux petit taba) 9 où on leur enseignera l'Islam avant de les admettre au Paradis. Cet étrange développement doctrinal, inconcevable dans une ambiance de guerre sainte, s'explique fort bien sur le Haut Niger, chez les riches notables qui jouissaient de la faveur des chefs animistes, et prospéraient aux dépens de la masse paysanne.
Les piliers. ? Comme beaucoup de musulmans, les dyula, sans négliger le dogme, donnent la première place à la Loi et au Rite. Celui-ci était naturellement essentiel pour la masse des croyants soucieuse avant tout de respect humain, mais qui observait les cinq « piliers » de l'Islam de façon très inégale. La profession de foi (duana dyira) et les cinq prières (sali) toujours dites en arabe ne sont jamais omises 10. Elles distinguent le musulman de l'animiste islamisant, mais seuls les lettrés ajoutent aux rekaa légales des prières surérogatoires et, à l'occasion, le dikr de leur confrérie. Par contre, de nombreux hommes du peuple, après avoir clos leur prière prononcent des formules magiques de protection, en malinké ou en arabe.
L'aumône (saraka) était pratiquée fort irrégulièrement quand elle ne servait pas à camoufler des sacrifices très païens. Les dyula lui assimilaient l'hospitalité gracieuse offerte aux personnages religieux et les cadeaux présentés à la clôture de chaque Ramadan à l'Imam de leur village. Le tribut aux chefs animistes leur était évidemment étranger et il faudra l'avènement d'un pouvoir politique musulman pour que l'aumône se voit intégrée à un système fiscal sous forme de dîme (dyaka) .
Le jeûne (sun) était pratiqué ostensiblement dès l'ouverture du Ramadan mais la tradition affirme que les manquements étaient nombreux, sauf dans les familles de lettrés. Par respect humain, les coupables ne se relâchaient d'ailleurs qu'au fond de leurs concessions. Les dyula, en bons colporteurs, admettaient d'ailleurs très facilement que le voyageur rompît le jeune, à condition de rattraper les journées perdues dès qu'il séjournerait quelque part. Il a fallu l'ère coloniale pour que certains rigoristes contestent ces facilités.
Le pèlerinage (hidyi) était presque inusité avant la fin du XIXme siècle. Le contraste est ici très fort entre son absence des pays du Sud et la zone soudanaise où il était relativement fréquent. Les quelques personnages que la tradition désigne comme ayant visité la Mecque, sont des saints à demi-légendaires, comme les « 12 marabouts » du Worodugu, compagnons de Musa Bagayogo (fin du XVIIme siècle). Dans ces familles, le titre de pèlerin, malinkisé en Ladyi, était devenu un prénom qu'on se transmettait pieusement de grand-père à petit-fils.
La guerre sainte enfin (dyaadi) était interprétée jusqu'au début du XIXme, siècle comme un effort pour mener honnêtement son commerce ou une lutte contre sa tendance au péché. Cette conception ne doit pas surprendre, puisque El Hadj Omar (Ladyi Umaru) lui-même, conformément à la tradition, opposait le petit Djihad, celui qu'il menait les armes à la main, au grand que livrait chaque croyant dans son coeur pour se plier aux exigences de Dieu.
Mosquées. ? Dans ce cadre doctrinal et légaliste, il faut bien avouer que les dyula organisaient un culte dont les pompes spectaculaires. flatteuses pour leur souci du respect humain, comptaient plus que l'esprit. Si plusieurs musulmans résidaient dans le même village, la tradition leur imposait de renoncer à la prière individuelle au moins une fois par semaine, et d'installer un lieu de culte collectif et public. Dès que la communauté en avait les moyens, elle s'employait à construire une mosquée (misiri) dont le faste éclipsait tous les temples des païens 11.
Les plus pauvres se contentaient d'un simple enclos de pierres, le makala, dont le centre est souvent marqué par un oranger. Les noyaux musulmans isolés au coeur d'une masse païenne se contentent généralement d'une grande case ronde, très propre, dont le mur oriental est marqué par un berceau voûté servant de mihrab (miraabu).
Partout où ils en avaient les moyens, les musulmans dyula ont cependant construit des mosquées en banko dans ce style soudanais qui s'oppose fortement aux grandes paillotes circulaires des missidi peules et a été popularisée par les célèbres constructions de Djenné. Sans atteindre à de telles proportions, les mosquées du Vendredi (Dyuma Misiri) sont parfois très vastes, jusqu'à 25 mètres de long sur 20 de large, comme celle de Kankan, Ce sont des bâtiments rectangulaires massifs couverts de terrasses à deux plans légèrement inclinés et entourées d'un mur assez élevé (sãnkãso). Sur un angle, une tourelle conique couvre l'escalier (yelèdyã) qui donne accès à la terrasse et dans l'angle opposé, sur le côté est, une tourelle symétrique et un peu plus haute sert de minaret (bõgbõ). Des gargouilles en bois évacuent la pluie de la terrasse, et toutes les façades sont hérissées de pieux qui servent d'appuis aux maçons, car ceux-ci les réparent après chaque hivernage, selon la tradition soudanaise. Des nids d'autruche les couronnent. La salle unique qui s'ouvre par deux portes, à l'ouest et à l'est, est basse et encombrée d'énormes colonnes en terre (sãmasé, « pied d'éléphant ») ou en bois fourchus (karima). Un vaste miraabu s'ouvre à côté de la porte orientale.
Le mobilier se réduit à quelques nattes (saliinaka), chaque fidèle apportant son tapis à prière, généralement une peau de chèvre (sali-gbolo). On y trouve aussi d'énormes vases pleins d'eau (dyifana) où l'on puise avec des calebasses (dyilafè) pour remplir les canaris à ablutions (sumi). Le bâtiment n'est pas éclairé, chaque fidèle apportant une lampe à huile (fitimalida) pour les cérémonies nocturnes.
Ces mosquées attestent l'origine soudanaise de l'Islam. On les trouve, invariablement fidèles à ce modèle jusqu'au seuil de la grande Forêt, dans les villages du Nyumamãndu, ou du Haut Konyã à Touba, au Mau et jusqu'à Séguéla ou Mankono. Elles sont pourtant si peu adaptées aux fortes pluies de ces régions qu'elles nécessitent un entretien constant et, selon la tradition, une reconstruction complète tous les trente ans 12. Telles quelles, elles incarnent l'Islam, souvent avec beauté, et aucune communauté n'est satisfaite avant d'en avoir construite une. Le fait est d'autant plus remarquable que les dyula ont entièrement oublié les maisons à terrasses du nord et que, pour leurs besoins personnels, ils se contentent depuis des siècles de cases rondes identiques à celles de leurs voisins animistes.
Si des notables pieux fréquentent chaque jour la mosquée à l'heure du Fitiri, elle ne joue vraiment son rôle qu'à la grande prière, l'Asara du vendredi. Celle-ci est marquée d'une ferveur extrême et s'abstenir d'y paraître sans empêchement majeur passe pour un péché grave. La communauté (umma) se retrempe alors dans le sentiment de son unité car il ne doit y avoir à ce moment qu'un seul lieu de prière à la « Mosquée cathédrale ». Si des querelles rituelles divisent les croyants, elles éclatent à cette occasion dégénèrent facilement en rixes et les conséquences peuvent en être très graves 13.
Les jours des grandes fêtes, toute la région s'y rend, s'il s'agit d'un sanctuaire célèbre, Ceci explique que la mosquée soit presque toujours construite à l'est d'une place ombragée (saladiya) où les fidèles en surnombre peuvent s'installer, face à la Mecque 14. Le marché est généralement tout proche, de façon que les commerçants puissent veiller à leur salut sans perdre trop de temps.
Clergé. ? La Mosquée, symbole et orgueil d'une communauté, était sous le contrôle d'un homme, l'Imam (Almami) qu'on choisissait en principe pour sa science et sa justice. En fait, chez les Malinké du Sud, la Mosquée était toujours construite à l'initiative d'une famille pieuse et riche, chez qui la charge d'Imam se transmettait héréditairement avec celle de fa.
C'est ainsi que la principale mosquée de Kankan resta toujours aux mains du chef de la famille Kaba bien que le prestige et la science religieuse des Shérifu aient prévalu dès le début du XIXme siècle. Dans les centres importants, où chaque quartier avait sa mosquée, sans parler des oratoires privés, on considérait comme Imam le responsable du lieu de culte le plus ancien. C'est celui-ci qui était qualifié de Mosquée du Vendredi et qui attirait tous les fidèles lors des grandes fêtes. Les mosquées de certains centres historiques comme Kankan, Ko Nafadyi dans le Kuranko, ou Musadugu au Konyã voyaient même accourir deux ou trois fois par an des musulmans venant de cinquante ou cent kilomètres à la ronde. L'influence spirituelle de leur Islam pouvait alors se transformer en un véritable pouvoir politique.
L'Imam prie naturellement au premier rang. A chacune des grandes fêtes et certains vendredis, surtout pendant le jeûne, il prononce en outre un prône (hotuba) rappelant les fidèles au respect de la loi. Selon une coutume particulière aux Malinké, mais antique car Ibn Battuta la signale déjà, il descend ensuite de sa chaire, choisit un verset du Coran qu'il lit en arabe, puis commente longuement dans la langue des fidèles (l.B., IV, p. 410).
Quand un Imam âgé devient incapable de remplir sa charge, il se fait remplacer par son héritier ou par un disciple de confiance.
Seule la Mosquée du Vendredi avait un muezzin (wélélaala) rétribué par l'Imam. C'était généralement un captif et il prenait alors, obligatoirement, le nom de Bilaali. Dans les petites mosquées, en l'absence de ce fonctionnaire, c'est le premier fidèle arrivé qui fait l'appel à la prière.
Le nettoyage de la mosquée était assuré, gracieusement, par les vieilles femmes et sa réparation par les hommes de la communauté que l'Imam nourrissait généralement pendant les travaux. Aucun spécialiste chargé d'appliquer le droit musulman n'existait dans les pays du Sud. Les Cadi du Mali médiéval étaient entièrement oubliés et il faudra les révolutions politiques du XIXme siècle pour les faire revivre en quelques points, à l'imitation du Fuuta-Dyalõ (Alkaali). Les chefs animistes laissaient cependant les dyula suivre leur coutume particulière, fortement influencée par la tradition malékite. Les notables musulmans jugeaient comme chefs de village ou de quartier, et percevaient des cadeaux et amendes à la façon de leurs collègues animistes
Pour désigner tous ces personnages, nous employons le terme de marabout, qui s'est imposé dans l'usage ouest africain pour traduire le mot mori 15. Ce nom malinké, issu de l'arabe, signifie à vrai dire musulman, au même titre que silama, plus courant dans l'Est, Mori-ba ou « grand musulman » désigne un homme éminent par la piété ou le savoir, qu'il occupe ou non une fonction officielle. Tel est le sens très vague que nous donnerons au mot marabout, en excluant l'idée d'affiliation confrérique qu'il suggère au Maghreb et même au Sénégal. Les chefs des confréries sont en effet des sheikh et ce titre, malinkisé sous la forme de Séku, est employé couramment. à côté de Karamogho 16, comme substitut d'un prénom vénéré qu'on ne peut pas prononcer. Le terme de Fodé désigne ici un marabout de science supérieure, appartenant généralement à la catégorie des Namutigi qui possèdent parfaitement les Hadith et la jurisprudence. On les reconnaît à leur turban blanc enroulé sur une chéchia rouge et à leurs manteaux rouges et or 17. Le terme d'Alfa enfin, qui en est l'équivalent chez les Peul, comme Modi chez les Sarakholé, est généralement inconnu des Malinké. Il apparaît cependant à Kankan pour désigner les personnages particulièrement respectés, mais c'est là un indice de l'influence du Fuuta-Dyalõ. L'illustre Alfa Kaabinè, par exemple, y avait passé de longues années.
Ecoles et culture. ? Nous avons négligé jusqu'ici le Karamogho, ou maître d'école, qui ne cède le pas qu'à l'Almami et, à vrai dire, se confond d'habitude avec lui, dans les petites communautés. La possession d'une culture fondée sur l'écriture, la seule qu'ait connue l'Ouest africain avant le XIXme siècle, nourrissait le sentiment de supériorité des dyula. C'était évidemment une technique précieuse pour des commerçants, mais surtout une ouverture sur le monde conforme à l'esprit d'une société mobile et détachée des traditions du terroir. Sans tenter d'y accéder, les animistes y voyaient une emprise efficace sur les forces de l'Invisible et en respectaient les détenteurs.
Les dyula n'ont cependant jamais atteint le niveau culturel du Fuuta-Dyalõ, où une proportion très forte des enfants, sans doute plus du quart, était scolarisée selon les normes traditionnelles avant les secousses de l'ère coloniale. La mobilité des colporteurs ne s'y prêtait pas et la plupart étaient parfaitement illettrés. Par ailleurs, la qualité de l'enseignement était moins élevée et l'ambiance sociale beaucoup moins favorable. Il est caractéristique que l'alphabet arabe ait servi couramment à écrire le pular, alors que les documents rédigés en malinké sont très rares. Sans qu'une interdiction formelle ait été portée, les dyula considéraient l'écriture comme trop sacrée pour transcrire une autre langue que celle du Coran, bien qu'ils connussent celle-ci fort mal. Les documents provenant de la chancellerie de Samori ont révélé au professeur Monteil une pauvreté désolante et une syntaxe si médiocre que la traduction en est parfois incertaine. Nous sommes en effet dans une région où l'arabe n'était jamais parlé, même dans les milieux lettrés, mais seulement psalmodié dans la lecture des livres saints. La langue du Coran (Larabu-kã) était conçue comme exclusivement écrite, si bien que le Suraka-kã, parler des Maures, était considéré comme un idiome différent. La prononciation de la langue sacrée était déterminée selon des normes arbitraires, variant selon les langues maternelles des enseignants, et éliminant systématiquement les sons sémitiques inconnus d'eux 18.
L'écriture, ainsi séparée du parler, voyait limiter sa valeur culturelle et tendait fatalement à la technique magique. Les spéculations orientales sur les lettres et les nombres trouvaient d'ailleurs un terrain bien préparé par la mythologie mandingue 19 et elles ont connu une popularité extrême chez les dyula, à tel point que pour beaucoup, l'alphabet ne servait plus qu'à confectionner des amulettes ou de l'eau sainte (nasi).
Cette sclérose culturelle n'est pas niable, et elle était particulièrement marquée dans la zone préforestière, en raison de l'éloignement des grands foyers du Nord et du manque de mobilité des courtiers que leurs affaires enracinaient au contact des animistes. Il ne faut pourtant pas être injuste. Dans les cantons les plus reculés du monde dyula, on a toujours trouvé de fortes personnalités qui n'hésitaient pas à s'exiler de longues années pour chercher la lumière au Masina ou au Fuuta-Dyalõ. Grâce à eux, la culture islamique vacillante ne s'est jamais éteinte même au Worodugu ou au Mau, au contact des barbares Guro ou Dã. Musadugu dans le Haut Konyã et Sumatigila sur le cours supérieur du Baulé ont également entretenu la flamme.
Dans cette lutte pour la vie d'une culture minoritaire, pressée et pénétrée par les flots serrés de l'animisme, Kankan a joué un rôle immense en servant de relais aux influences du Nord. C'est le seul point de notre domaine où la culture islamique a fait preuve constamment de vigueur et de dynamisme, ce qui s'explique naturellement par sa position de carrefour, à l'extrémité de l'axe soudanais, et au point de départ des routes de la Côte par le Fuuta-Dyalõ. Ce dernier rayonne depuis le XVIIIme siècle comme un centre majeur de civilisation et Kankan a subi fortement son influence culturelle et politique. Beaucoup de ses savants allaient se former à Timbo et c'est grâce à ce voisinage que la métropole dyula fut autre chose qu'une cité de négociants. C'est aussi pour cette raison que l'Islam du Haut Niger n'est pas un simple reflet de celui de Djenné ou du Sahel. On y décèle un apport peul et ce syncrétisme fait l'intérêt d'une religion par ailleurs assez médiocre.
En dépit de ses faiblesses, l'enseignement coranique était partout présent dans le monde dyula. On pensait en effet qu'un homme cultivé devait faire profiter de sa science ceux qui le désiraient. De nombreux notables, même peu lettrés, ouvraient des écoles, pour cinq ou six enfants et leur apprenaient quelques versets du livre saint. Le maître n'était pas payé mais les élèves lui apportaient chaque vendredi des cadeaux et il les faisait travailler sur ses champs en dehors des quatre heures quotidiennes de classe que fixait la tradition 20.
Malgré son individualisme, cet enseignement, dépourvu de tout contrôle, respectait pourtant certaines normes, ce qui permet d'en préciser le déroulement. On peut distinguer trois cycles successifs dont
Le Duguma ne comprend que la Faatiha et les dernières sourates du Coran, les plus courtes, à partir de celle de Mariama, tandis que le Sãndo couvre le reste du livre sacré. Le texte est recopié sur des planchettes qui seront lavées après usage, et on l'apprend par coeur. A l'issue de ces deux cycles, l'élève sait à peu près lire et écrire, ce qui ne veut pas dire qu'il ait une maîtrise sérieuse de la langue arabe. Les filles ordinairement ne dépassent pas la Duguma. A la fin des deux premiers cycles, le maître organise une récitation publique et les parents, s'ils en ont les moyens, lui offrent un boeuf. Ils célèbrent en tout cas une fête (byètyè) marquée par des distributions de riz et de kola, et une procession qui escorte l'élève de l'école à son domicile.
L'immense majorité des dyula n'a jamais dépassé ce niveau. Les sujets doués qui veulent poursuivre leurs études doivent trouver des maîtres compétents, et ceux-ci sont rares. Il faut donc s'exiler, sinon dans les pays lointains du Nord, du moins à Samatigila, Musadugu ou Kankan. Dans cette ville, les Shérifu attirent les étudiants de tout le Haut Niger depuis la fin du XVIIIme siècle.
Le cycle supérieur ou Lõmba, fondé sur l'étude des Hadith, comprend l'enseignement de la grammaire, de la loi (Fannu) et de la théologie, celle-ci pratiquement limitée au Tawhid ou doctrine de l'unité divine 21. Les élèves sont dès lors en très petit nombre et vivent dans l'intimité du maître dont ils sont bientôt les disciples. Les liens d'affection et d'estime noués durant ces années studieuses durent généralement jusqu'à la mort et sont parfois renforcés par des alliances matrimoniales. A l'issue de ce cycle, l'étudiant connaît une dizaine d'ouvrages classiques et possède une bonne pratique de l'arabe écrit. Il a une ouverture sur le monde islamique et son histoire, mais la liste de ses lectures indique toujours certaines lacunes. C'est ainsi que ses connaissances sont limitées aux auteurs de rite Malékite et qu'en dehors de l'âge d'or de l'Islam elles concernent exclusivement des ouvrages maghrébins. Pour les derniers siècles, aucun auteur du proche Orient n'est pratiqué, la littérature de Sokoto est elle-même mal connue et les oeuvres d'El Hadj Omar ne sont lues qu'en milieu Tidyani 22.
Presque tous les étudiants ajoutent par contre à ces oeuvres orthodoxes des traités de magie musulmane qui leur permettront de confectionner des amulettes puissantes, d'opérer comme devins et d'établir ainsi leur influence en milieu animiste.
Cultes et fêtes — Le culte que dirigeaient ces hommes, ne s'écartait guère de la norme, mais certains rites originaux révèlent un antique ajustement de l'Islam au milieu malinké.
Le fait est évident dès que l'on considère la mesure du temps, qu'aucune religion n'a le droit de négliger. Nous avons vu que la semaine de sept jours, avec ses noms sémitiques, est certainement d'origine musulmane, mais elle s'est imposée depuis des siècles à tous les animistes du Haut Niger et même aux populations de la Forêt. Soucieux de la périodicité des marchés, ces cultivateurs ont même adopté le repos du vendredi, inauguré sans aucun doute par les dyula. Ceux-ci ont cependant conservé les vieux noms manding des mois solaires, mais ils ont eu l'idée bizarre de les appliquer au calendrier lunaire de l'Islam 23. Le point de départ a été le sunkaro, mois du jeûne qui désigne chez les animistes septembre, moment de la soudure, et qui été assimilée au Ramadã. Il en a résulté une étrange discordance destinée à durer aussi longtemps que l'animisme Malinké. Dans un village mixte, le même nom désigne en effet le mois fixe des païens, accordé au rythme naturel des saisons, et le mois mobile des musulmans. Le Dyõmbérèn-Sali qui marque le Nouvel An est célébré chaque année par les premiers quelques jours après le solstice d'hiver et par les seconds à la date où leurs lettrés fixent l'Ashura, d'après le début du Moharem des Arabes.
La symbiose des deux communautés était cependant telle qu'elles ne pouvaient s'ignorer. Si les musulmans se tenaient généralement à l'écart des fêtes païennes, les animistes admiraient trop leurs voisins pour ignorer celles de l'Islam et ils furent généralement admis à y participer dans une certaine mesure. Les chefs puissants ne s'en privèrent pas et ils paraissent avoir souvent établi une cérémonie païenne dont la date coïncidait avec celle des musulmans. Tout le village communiait ainsi dans une même ambiance de fête, sans souci des différences religieuses 24. Cela explique sans doute les intrusions animistes incontestables que l'on relève dans le déroulement qu'imposent les dyula à certaines festivités musulmanes. On sait que celles-ci sont au nombre de quatre :
Le Nouvel An (Dyõmbèrèn-Sali, Tankarè ou Ashura) est fêté le 10ème jour du mois de Dyombèrè (Moharem) 25. On y mange les têtes et les jambes des animaux sacrifiés à la dernière Tabaski. Dans la nuit précédant la fête, les femmes vont puiser au fleuve l'eau qui sera consommée le lendemain : il y a en effet renouvellement de la nature et particulièrement, croit-on, des astres. Alors que les ablutions et les prières publiques du lendemain sont bien islamiques, ce trait est une survivance de l'animisme malinké. On peut en dire autant des batailles pour rire auxquelles se livrent pendant la fête les lignées en position de sèñankuya 26.
Le Mulud des Arabes, l'anniversaire du Prophète, Dõmbama, « jour de la grande danse » ou Anabidõ, « danse du prophète » a lieu le 12 du mois de Dõmba (Rabi‘ el Awal). Dans toute l'Afrique, les notables se réunissent simplement pour prier et la fête en reste là. Les dyula ont curieusement innové en organisant une grande danse des nouveaux circoncis qui sortent en armes, sous prétexte de défendre le prophète. C'est la danse des salves (murudõ) durant laquelle les filles peuvent, dans une certaine mesure, choisir leur mari 27.
Le déroulement du Ramadan (Sunkaari) demeure plus classique sur le Haut Niger, mais chez les dyula de l'Est, il donne lieu à d'étranges divertissements. C'est alors le Kurabi, ou fête des jeunes filles qui se déroule dans la nuit du quatorzième jour, puis durant celles qui tombent du 27 jusqu'à la fin du mois. Autour de quelques filles, le corps peint en blanc, portant sur la tête des graviers et de l'eau bénie par les marabouts, les danseuses improvisent jusqu'au matin des chansons satiriques. Cette fête aurait été instituée par Séku Watara pour présenter des épouses à ses guerriers, mais on ne saurait douter de son caractère païen 28.
La Korité ou rupture du jeûne (Aïd el Seghir), le premier du mois de Minkaro (Shawwal) connaît un déroulement majestueux et assez uniforme. La grande prière (Asara) n'a pas lieu à la mosquée, mais dans le Musalla, une enceinte située hors de la ville. A son issue, l'Imam monte, sur une estrade, qui est recouverte comme d'un dais par les manteaux que tendent les notables, et il psalmodie ainsi le Coran pendant une demi-heure. C'est là une coutume particulière aux Manding.
La Tabaski, ou fête du mouton (Aïd el Kebir, 12ème jour de Dõnki, Dhul-hijja) suit exactement le même déroulement que la Korité. Elle est par ailleurs conforme à la norme islamique.
En dehors de ces grands événements collectifs et des processions qu'on organise en cas de sécheresse ou de calamité grave, le culte musulman se réduit aux grandes prières du vendredi avec ou sans prône de l'Imam.
L'absence de pèlerinage et de cultes des saints est en effet l'une des caractéristiques les plus remarquables de l'Islam ouest africain. Celui des dyula n'y fait pas exception. C'est là un fait surprenant si l'on considère l'importance de ces phénomènes dans l'Islam Maghrébin, qui est la source de celui du Soudan. et surtout dans la piété des Maures tout proches. Il faut sans doute l'expliquer à la fois par l'influence du substrat animiste et par une réaction contre celui-ci. Dans la tradition Manding le culte des ancêtres est en effet le fait de chaque lignage et jamais de la communauté villageoise. A plus forte raison, le culte d'un saint homme ne pourrait incomber qu'à ses descendants et non à ceux qui suivent sa voie. Mais le musulman dyula , s'il compte sur ses voisins païens pour sacrifier aux esprits du terroir, ne peut évidemment avoir recours à eux pour le culte des ancêtres. Il est remarquable qu'il refuse farouchement de les imiter. Le désir de se distinguer des « folles coutumes » des animistes a pu cristalliser sur ce plan, en raison de la mobilité ancienne des petites lignées dyula qui, faute de stabilité, n'avaient guère de tombes à révérer. Le fait est en tout cas incontestable. L'lslam dyula, plus qu'aucun autre, insiste sur la nécessité de prier Dieu pour le salut des morts, mais considère qu'il est sacrilège de prier les morts d'intercéder auprès de Dieu. C'est dans ces limites qu'il faut interpréter le culte dont sont, malgré tout, l'objet les tombes de certains saints, comme Alfa Kaabinè à Kankan ou Musa Bagayogo à Koro, sur le Haut Sassandra. Le musulman moyen s'imagine sans doute qu'elles répandent certaines bénédictions (barika), mais il est remarquable qu'elles n'aient jamais attiré aucun pèlerinage. C'est seulement chez les musulmans revenus presque intégralement à l'animisme que de tels lieux font l'objet de sacrifices, déguisés d'ailleurs sous le nom de saraka (aumône).
Ce refus du culte des saints s'accorde assez bien avec l'insignifiance des confréries religieuses, du moins jusqu'au début du XIXme siècle. Alors que les grandes Tariqa s'implantaient assez tôt chez les Maures, elles ne pénétraient guère chez les Noirs, et seulement dans le monde peul et toucouleur. Les dyula ne les ont connues qu'indirectement et elles n'ont pris de l'importance qu'en s'identifiant à des révolutions politiques.
[Elle] n'a pris pied qu'au Fuuta-Dyalõ, les voies illustres de la Kadiriya et de la Tidyaniya étaient à vrai dire les seules en présence dans notre domaine.
Il ne faut pas s'exagérer leur place dans la société dyula. La masse ignore entièrement le mysticisme des sufi et l'adhésion à une voie n'est pour elle qu'une étiquette, la garantie d'une science et d'une piété particulièrement exemplaires. Jusqu'au XIXme siècle, les adhérents étaient trop peu nombreux pour que leur influence politique fût sensible. Le Séku était un personnage lointain et légendaire, ses Kalfa (Kalifa) ne jouissaient pas toujours d'un grand prestige et les taalibu restaient dispersés en petits groupes. L'idée d'organiser une Zawiya ne pouvait venir à personne.
La Kadiriya était naturellement la plus ancienne, et pourtant il est douteux qu'elle ait atteint Kankan avant le XVIIIme siècle. Sa branche Bekkaïya était la seule connue et elle avait eu son heure de gloire puisqu'elle avait inspiré au XVIIIme siècle la guerre sainte du Fuuta-Dyalõ, et au début du XIXme siècle celles du Sokoto et du Masina. Le Wird avait été transmis de Timbo aux Shérifu de Kankan, qui l'avaient ensuite conféré à quelques marabouts de la zone préforestière. D'autres, comme les Swarè de Nyõsomoridugu ou les Sisé de Madina l'avaient obtenu directement du Masina. Nous verrons qu'un certain esprit de guerre sainte allait peut-être filtrer par cette voie, mais ce fait ne doit pas être généralisé. Malgré l'ardeur de leurs taalibu peuls, la modération des Séku de Tombouctou était notoire, et elle répondait trop à l'attente de l'Islam dyula pour ne pas s'imposer chez lui. La Kadiriya resta donc le privilège d'un petit nombre d'hommes exceptionnellement pieux et cultivés, mais aussi riches et pondérés. La confrérie se caractérise en effet par un rituel très lourd, avec des répétitions interminables du Dhikr qui lui est propre, restreignant ainsi sa pratique à des notables disposant de loisirs considérables. Cette confrérie ne paraissait donc pas susceptible de troubler le moins du monde la routine des dyula et elle était seule en scène jusqu'au second quart du XIXme siècle.
Ce calme tableau fut bouleversé par l'irruption soudaine de la Tidyaniya sous la forme très spéciale que lui avait donnée El Hadj Omar, Ladyi Umaru pour les dyula. Nous aurons à parler souvent de cette voie illustre que le grand Toucouleur orienta vers un rituel simple, accessible à tous, dans un esprit d'ascèse et de détachement du monde, mais surtout vers la ferveur de la guerre sainte. Fondée sur des visions personnelles qui l'on fait souvent taxer d'hétérodoxie, la Tidyaniya a été caractérisée, un instant du moins au sud du Sahara, par son ardeur extrême et son esprit démocratique. Ces promesses ne survécurent pas aux triomphes d'El Hadj Oumar car ceux-ci ont déclenché, comme il était prévisible, des processus de sclérose et de compromission au profit des grands de ce monde. La secousse avait cependant été profonde. Pendant une ou deux décennies, tous les mécontents, tous les ennemis de l'ordre établi, qu'ils fussent inspirés par un impératif moral ou par une frustration fort temporelle, se rallièrent à la Tidyaniya, au point que l'orgueilleux établissement de la Kadiriya s'en trouve bientôt ébranlé. Il est cependant remarquable qu'au moment où la doctrine nouvelle parcourait triomphalement les savanes du Nord, elle mordait à peine vers la Forêt. Le commerce du kola ne s'accommodait guère de ces bouleversements et les quelques entreprises de conquête que menaient alors des dyula, comme les Sisé du Torõ, ou les Turè du Kabasarana, restèrent étrangères à la nouvelle doctrine.
El Hadj Omar avait cependant converti les chefs de Kankan quand il visita cette ville en 1838, mais il semble que des soucis politiques avaient inspiré ceux-ci plus que l'appel du mysticisme. C'est alors en effet que la métropole dyula voulut transformer son hégémonie commerciale en domination politique et elle comptait y parvenir grâce à l'appui du Kalifa des Tidyani. La puissance militaire du conquérant se trouva bien établie dès 1852, mais sa carrière allait l'orienter vers d'autres cieux, ce qui vouait à la ruine l'ambition excessive des Kaba. Nous aurons à revenir sur l'entreprise de ceux-ci car c'est elle qui a détruit sans remède l'antique équilibre des païens et des musulmans sur le Haut Niger. Elle révélait un clivage profond au sein de l'Umma car cette nouvelle attitude, comme la voie qui l'inspirait, n'avait conquis que la classe politique de Kankan.
L'élément religieux s'avérait plus conservateur et il se regroupait autour des Shérifu, fidèles à la voie Kadiri, et dont l'influence demeurait souveraine jusqu'aux lisières de la Forêt.
Bornons-nous pour l'instant à marquer que le troisième quart du XIXme siècle, qui est pour nous une période décisive, a vu l'Islam dyula se diviser profondément, pour la première fois de son histoire, et que la rivalité des confréries a symbolisé cette rupture même si elle n'en fut pas la cause.
L'ouverture sur le monde et la solidarité communautaire que la pratique d'une religion universelle assure aux dyula, jouent donc dans le même sens que la vie nomade imposée par le commerce à longue distance. L'individualisme de nos gens va de pair avec un particularisme orgueilleux qui les oppose nettement aux païens sédentaires.
On peut l'observer tout au long de leur vie. C'est ainsi qu'une semaine après sa naissance, le dyula reçoit un prénom typiquement musulman, bien qu'on respecte encore des traditions animistes dans des cas exceptionnels, comme le baptême des jumeaux 30. Ces noms sont naturellement modelés depuis des siècles par la phonétique du malinké, mais ils s'opposent radicalement à ceux des païens. L'inverse n'est pas vrai, car ceux-ci ont souvent adopté certains noms musulmans (Brèma, Bakari) à l'imitation de leurs amis dyula et ils abandonnent toujours leurs anciens togho en se convertissant.
Le mariage dyula se distinguait de celui des animistes par la faiblesse de la dot (furu-saru), qui était versée aux parents de la femme, en kolas et monnaie, plutôt qu'en bétail, et par la constitution d'un douaire à son profit (furu-fen). Il était aussi beaucoup plus instable. La répudiation islamique permettait au mari de divorcée, d'autant plus aisément qu'il avait peu à rembourser. Ces moeurs s'accordent bien à une vie mobile de colporteur et il est significatif que les veuves n'étaient pas tenues de demeurer dans la lignée de leur mari. Elles constituaient fréquemment dans les grands centres comme Kankan le noyau des prostituées.
Ces moeurs relâchées étaient évidemment réprouvées par les marabouts, mais aussi par les païens, dont la discipline familiale était beaucoup plus stricte. Il reste que la liberté extrême des femmes, jamais voilées, jamais cloîtrées dans un harem, gérant leurs propres biens et dirigeant à l'occasion un négoce personnel, s'oppose radicalement à la tradition arabe. Il faut mettre cet affranchissement au crédit de l'africanisme de l'Islam.
Le contraste le plus marqué se situait naturellement au niveau de la structure du lignage. L'influence du droit orthodoxe (sariya) sur la coutume dyula renforçait ici l'effet de la mobilité naturelle des colporteurs. Le partage des biens meubles entre les fils du mort, sans oublier la portion réservée aux filles, faisaient constamment éclater les lignées en petits éléments peu différents de la famille nucléaire. L'individualisme qui en résultait ne doit cependant pas nous dissimuler la force que gardait l'esprit de clan (dyamu, tanaa, sénãnkuya). C'est elle qui nourrissait l'institution des dyatigi, indispensable au commerce.
Cette mobilité explique la facilité avec laquelle les dyula se détachèrent des cultes du terroir, sans cesser tout à fait d'y croire, mais en déléguant ce soin aux animistes Et surtout, comment ils supprimèrent radicalement le culte des ancêtres, dont bien peu étaient enterrés au lieu de leur résidence. Encore, sur ce dernier point, ne faut-il pas être trop formel. Le saraka est un sacrifice accompagné de la prière d'un marabout, qui est offert à Dieu en faveur du mort, et non à ce dernier pour demander son intercession. Il n'en permet pas moins d'habiles transitions entre la tradition animiste et les refus d'un Islam doctrinaire.
L'individualisme des dyula ressort de l'opposition entre l'enseignement coranique, destiné à enrichir la personnalité de chaque croyant, et les initiations animistes dont le but est de modeler de bons citoyens. Ici encore, il faut se garder de généraliser. La circoncision et l'excision, considérées cette fois comme des traditions musulmanes, étaient pratiquées par les dyula. Bien qu'elles ne soient pas connues de tous les Noirs, on peut admettre qu'il s'agit là d'une coutume autochtone ancienne que l'influence sémitique est seulement venue renforcer. Il est donc remarquable que les dyula l'aient pratiquée selon les mêmes rites que les païens, et souvent en mêlant leurs enfants aux leurs. C'est ainsi que la cérémonie est toujours confiée aux forgerons, qui régissent par ailleurs le Komo, alors que les musulmans se tenaient à l'écart de cette société, et l'excluaient même des villages purement dyula. Les exceptions sont, il est vrai, nombreuses. Partout où des petites communautés de commerçants se trouvaient isolées en pays animistes, la plupart de leurs membres s'initiaient au Komo afin d'établir avec leurs voisins une solidarité favorable aux affaires. Là où de gros noyaux dyula se trouvaient sédentarises de longue date, comme les courtiers de la zone préforestière, ou encore les tisserands du pays sénufo, ils finissaient presque toujours par calquer les institutions de leurs voisins. C'est ainsi que beaucoup de leurs villages possédaient un Komo à l'ouest du Sassandra. Plus à l'est , et en pays Sénufo, ils organisaient leur propre société d'initiation, le lo qui ne se distinguait du Porõ des animistes que par quelques détails rituels. Un exemple montrera que leur rôle n'était nullement passif. Le petit masque facial des Sénufo, le kpèligè, paraît être issu, si l'on considère sa structure, sinon sa fonction, d'un masque du Ntomo Bambara 31. Bochet (1960) a même émis l'hypothèse qu'il a été introduit dans les terres du Bandama par l'intermédiaire du lo des dyula. Nous sommes ici en pleine ambiguïté. Des communautés qui ont renoncé largement à leur mobilité ancestrales, pratiquent des cultes païens car ils les apprécient pour leur force de cohésion sociale, mais ils ne renient pas la religion universelle qui leur procuré une ouverture sur le monde.
Cette ambiguïté fait place au syncrétisme pur et simple si nous considérons la fonction magique que la société animiste reconnaît aux dyula, à côté de leur fonction commerciale. Dans ce domaine voilé de mystère et de secret, il était inévitable que la technique traditionnelle des païens contaminât celle de l'Islam (dabarè). Cette dernière est fondée sur l'usage de papiers (sébé) que l'on décore avec certains versets de l'Ecriture, des formules cabalistiques et des combinaisons de lettres et de chiffres (carré des nombres). Elle emploie en outre l'eau sainte (nèsi) obtenue en lavant l'encre des textes coraniques écrits sur les tablettes de bois des karamogho. Les premiers forment l'essentiel des amulettes que chacun porte souvent en grand nombre, pour sa protection personnelle, ou qu'on place sur les constructions ou les champs à préserver. La seconde sert à d'innombrables opérations, depuis la préparation des marchandises, dont la bonne vente sera ainsi assurée 32, jusqu'aux soins médicaux où elle introduit un élément rituel à côté d'une pharmacopée souvent riche. Elle scelle aussi des serments inviolables, car elle entre dans la composition du dègè réservé aux rituels de soumission.
Le marabout fabricant de charmes ou le marabout guérisseur se met ainsi en concurrence avec des spécialistes animistes et il ne les éclipse pas toujours, malgré le prestige de l'écriture. Dans les zones où la culture musulmane est la plus faible, sa force magique passe au premier plan, mais des contaminations sont alors inévitables. C'est ainsi que des éléments animaux ou végétaux (cornes, herbes) se mêlent au sébé et du sang sacrificiel au nèsi. C'est ainsi que des traditions solides nous montrent en plusieurs endroits des marabouts recommandant des sacrifices humains à des chefs animistes, lors de la fondation d'un village, ou pour parer à des crises graves.
Le phénomène est particulièrement net si nous considérons la divination. Les dyula ou des gens de caste islamisés comme les Koroko ont acquis dans ce domaine une réputation remarquable, au point de refouler en brousse les devins animistes. Ils ont pourtant repris à leur compte la quasi totalité des procédés de leurs rivaux, en y ajoutant seulement des pratiques musulmanes comme la lecture au hasard du Coran, la saisie d'un grain du chapelet, et surtout la technique complexe de la géomancie, cette vieille tradition orientale qui fait leur fierté. Tout cela coexiste avec l'étude des mouvements des oiseaux et de certains animaux, l'examen des entrailles des bêtes sacrifiées, enfin divers jeux de kolas et de cauris. La seule science qui soit purement musulmane, pratiquée à l'exclusion de toute autre par les hommes de religion, est l'interprétation des rêves d'après des textes classiques comme Ibn Sirin ou Al-Nabulsi. Elle interfère naturellement avec d'autres interprétations traditionnelles, issues cette fois du milieu animiste.
Nous avons jusqu'ici considéré la magie protectrice, qui est naturellement légitime. Mais l'Islam dyula ne pouvait se préserver de la sorcellerie qui jouait un si grand rôle dans les craintes quotidiennes de ses voisins païens. Bien que les savants les plus éclairés aient proscrit le siiri, à moins qu'il ne soit destiné à vaincre un ennemi de la communauté (Umma), les lettrés pratiquaient cette magie noire avec une efficacité reconnue par les animistes 33. On comptait naturellement sur eux pour en combattre les effets car les chasseurs de sorciers animistes ne sont pas utilisables contre les techniques islamisantes.
L'étude des facteurs commerciaux et religieux fait donc ressortir la relation dialectique qui unit dyula et cultivateurs, comme musulmans et animistes, au sein de la société malinké. Un groupe minoritaire dynamique et mobile a ainsi développé une culture particulière fondée sur un certain individualisme et sur la référence à des valeurs universelles. Il participe pourtant à la civilisation globale, non seulement par les techniques matérielles, mais par le respect des valeurs sociales fondamentales, comme le clan et le lignage, même s'il a de celui-ci une conception restrictive.
Les animistes restent dominants mais ils ne peuvent plus se passer de cette minorité active car elle procure une certaine ouverture sur le monde à leur économie de subsistance et leur assure un certain contrôle des forces surnaturelles. Il en résulte que les musulmans détiennent une influence disproportionnée à leur nombre, bien qu'ils ne prétendent nulle part à l'autorité politique, à une ou deux exceptions près (Kankan, Koyaradugu).
Parce qu'ils forment un groupe de spécialistes, les dyula se sont trouvés en relations étroites avec les castes d'artisans, bien qu'ils ne soient pas soumis comme eux à la ségrégation sexuelle. Cette situation a renforcé leur individualisme et leur tendance à considérer la valeur personnelle d'un homme plutôt que sa position lignagère. La place considérable qu'ils accordaient à l'esclavage est caractéristique. Alors qu'ils traitaient les captifs de traite, généralement païens, avec la pire dureté, un captif de caste, nécessairement islamisé, était assimilé très vite à la famille. En deux générations, il accédait au statut d'homme libre alors que les animistes en exigeaient quatre. S'il faisait la preuve de ses capacités, il finissait par gérer la fortune de son maître, servait de tuteur aux enfants après sa mort. Puis reprenait son indépendance et inaugurait une nouvelle lignée. Un fils d'esclave pouvait ainsi accéder au sommet de la société et, s'il acquérait la science religieuse, il obtenait aisément le respect de tous.
Le seul élément de cohésion de la société dyula est donc la religion car elle justifie sa supériorité sur les animistes qui l'entourent. Il s'agit cependant d'un groupe ouvert, qui accueille assez facilement les apports les plus divers et admet les compétitions les plus vives entre ses membres. La hiérarchie des fortunes qui en résulte permet presque de parler de classes sociales. La rivalité des confréries religieuses, qui est d'ailleurs récente, achève de compromettre l'unité d'une société qui ne prend conscience d'elle-même que dans la mesure où elle s'oppose aux païens.
Sa principale faiblesse était d'ordre politique, ce qui découlait de sa situation de minoritaire, mais elle exploitait efficacement sa position d'intermédiaire car elle était irremplaçable, sur le plan du commerce comme celui de la magie. Ce qu'elle gagnait globalement aux dépens de la masse animiste, elle le perdait cependant en partie par sa soumission aux volontés des chefs païens.
Bien que les animistes et les dyula se jugeassent réciproquement nécessaires, leur équilibre demeurait instable. On a vu pourquoi l'Islam s'est accru très lentement pendant des siècles, alors qu'il pouvait assez facilement se désagréger. Si le dynamisme et l'orgueil consolidaient la personnalité du groupe minoritaire, son manque de cohésion la menaçait sans cesse.
Le sentiment de supériorité qu'éprouve tout musulman rendait une conversion à l'animisme inconcevable. Nous venons cependant de passer en revue de nombreuses contaminations de l'Islam par des coutumes païennes. Elles étaient relativement rares dans les grands centres culturels et partout où les dyula, regroupés en gros villages, pouvaient fermer la porte à l'influence de leurs voisins. En revanche, chaque fois que nos gens se dispersaient en petits groupes, comme magiciens ou guérisseurs, ou comme détaillants sur les petits marchés, les habitudes et les idées animistes les imprégnaient. Les alliances matrimoniales jouaient alors un rôle décisif. Les musulmans donnent rarement leurs filles aux païens, mais ils épousent volontiers les leurs, et prennent souvent des concubines parmi les captives. Dans le cas des gros villages, où l'ambiance culturelle de la communauté est tonique, ces allogènes sont vite assimilés et l'école coranique est là pour modeler leurs enfants. Il en va autrement dans les zones païennes où s'isolent quelques lignages dyula, si bien que ceux-ci perdent leur personnalité en peu de générations. La connaissance de l'écriture disparaît la première. Puis la plupart des pratiques religieuses, à l'exception des prières, tandis que les initiations animistes soudent les individus à la société globale. Ils participent bien tôt aux rites du terroir, et plus tard ils cessent de prier, donnent des noms païens à leurs enfants, inaugurent enfin un culte des ancêtres. Le dyamu seul, s'il est d'origine Sarakholé, marque pour les générations futures que l'Islam est passé par là. On nous raconte souvent dans la zone préforestière comment les descendants d'un Ladyi célèbre ont transformé le Coran de leur ancêtre, acheté à la Mecque, en un « fétiche » sur lequel ils sacrifiaient très régulièrement.
Le culte des ancêtres couronne le processus de paganisation, ce qui prouve que le facteur essentiel est ici l'enracinement. Une lignée fidèle à la profession de colporteur n'est jamais perdue pour l'Islam, si isolée qu'elle soit, si totale que soit l'ignorance de ses membres. Ceux-ci ont besoin de prier pour trouver des dyatigi et leurs voyages les amènent nécessairement au contact d'autres musulmans. Au contraire, si un marabout guérisseur ou un tisserand se fixe dans un village animiste et s'y marie, s'il cultive chaque année les terres prêtées par ses beaux-parents et acquiert du bétail, il cesse de voyager et perd de plus en plus contact avec l'Umma. Après trois ou quatre générations, ses descendants ne peuvent plus se distinguer des autochtones et perdent par incompétence leur fonction spécialisée. Tel fut le sort des ancêtres de Samori, alors que les Turè du Kabasarana, des tisserands établis dans des gros centres musulmans et attachés au commerce du kola, se sont généralement mariés dans l'Umma et sont restés fidèles à leur foi ancestrale.
Cet équilibre de l'Islam et du paganisme est donc avant tout un fait de géographie sociale et économique. Il est déterminé par l'implantation plus ou moins dense des négociants en kola comme par celle des tisserands. Le premier coup d'oeil jeté sur la carte impose dans le cas présent l'évidence d'un déterminisme géographique.
Les musulmans se pressent en masses serrées au nord et au sud, le long des deux bandes prospères que définissent l'axe du Niger et la zone préforestière. On ne les trouve qu'en taches sporadiques dans la fameuse zone intermédiaire dont la pauvreté générale a été révélée par l'étude des sols et de la végétation, aussi bien que par celle des hommes et de leur économie.
L'lslam soudanais.? Au nord règne la civilisation soudanaise classique, étirée par le Niger jusqu'à Kankan et Kouroussa. Dans l'ensemble, l'Islam s'y trouvait minoritaire, mais il était partout présent et avait même établi sa prépondérance en quelques points depuis le XIXme siècle. Il tenait tout le commerce à longue distance, mais il ne coïncidait plus exactement avec lui car il avait mordu sur certains milieux d'agriculteurs et surtout à une date récente sur les Peuls éleveurs (Masina). Son existence n'étant pas menacée, il ne se rétractait pas dans une défensive hargneuse, mais il rayonnait à partir de grands centres culturels comme Djenné, Ségou et Kankan. Il n'était cependant pas conquérant, du moins avant le XIXme siècle. Il se trouvait sous l'influence de grands négociants soucieux du commerce de l'or ou de l'importation de produits européens, et désireux de contrôler le trafic qui longeait le Niger aussi bien que celui qui traversait le fleuve pour unir le Sahel à la Forêt. Leur installation aux principaux points de passage leur permettait de tirer profit des ruptures de charge, entre les caravanes et les pirogues ou les chameaux et les ânes. Ils avaient établi des compromis satisfaisants avec les chefs animistes et ne contestaient pas leur pouvoir. Ils contrôlaient d'ailleurs des centres urbains importants comme Djenné, Kankan au prix d'un hommage assez vague.
Une exigence de pureté islamique allait pourtant ruiner cet équilibre sous la bannière d'un réformisme qui s'incarnait dans la Kadiriya avant qu'El Hadj Omar n'introduise la Tidyaniya. Il est significatif que cette crise n'ait pas été le fait des dyula, dont le rôle reste marginal mais celui des éleveurs peuls fraîchement islamisés. Rappelons que cette révolution a commencé en 1727 sur les hautes terres du Fuuta-Dyalõ, jusque là très isolées, mais qui allaient désormais servir de route entre les comptoirs des Rivières et le Haut Niger. Kankan, qui grandissait alors, s'affranchit de la tutelle animiste en 1778 ; les dyula accédaient ainsi à la souveraineté, mais ils demeuraient dans l'ombre du Fuuta-Dyalô et ne songeaient pas encore à des conquêtes militaires. C'est dans l'Ouest, sur le Bas Sénégal, que s'étendit la révolution religieuse, quand les Almami remplacèrent la dynastie païenne des Dényanké, en 1775, et imposèrent bientôt leur foi au Bhundu.
Au début du XIXme siècle, le mouvement peul atteignit son apogée dans le Masina de Shéku Ahmadu, en liaison étroite avec le Sokoto d'Osman dan Fodio. Il est remarquable que les dyula ne bougèrent pas et que l'hégémonie animiste de Ségou se maintient sur le Niger des Bambara, comme celle du Dyalõnké Tamba-Bweri sur la section malinké du fleuve. L'impact des Toucouleurs d'El Hadj Omar, issus de la vallée du Sénégal, allait être necessaire pour en venir à bout.
Ce vieil Islam du Nord, bien enraciné, nombreux et éclairé, n'est donc pas directement responsable du bouleversement. Les commerçants citadins de langue manding n'y ont participé qu'accessoirement ou se sont ralliés tardivement car ils étaient satisfaits de leurs relations traditionnelles avec les animistes. La volonté de conquête est née ici d'une évolution générale du monde musulman, coïncidant avec le ralliement soudain d'éleveurs allogènes qui ne supportaient plus de vivre en marge, alors qu'ils détenaient tout le « capital » du pays.
La lisière de la forêt. ? Si nous nous tournons à présent vers la zone préforestière, nous constatons que l'Islam, sans être aussi répandu que dans le Nord, l'est infiniment plus que dans la zone intermédiaire. Cela tient évidemment à la richesse relative de cette région, mais surtout à l'organisation du courtage du kola. Les noyaux dyula se relaient en ordre serré du Haut Niger jusqu'au Bandama : ils occupent presque toujours des gros villages autonomes plutôt que des quartiers et leur liberté est d'autant plus grande que le morcellement politique des Malinké animistes dont ils dépendent est ici très marqué. Enrichis par le monopole des relations avec les Forestiers qui leur permet d'exploiter les colporteurs du nord, les courtiers ont perdu la tradition de mobilité des autres dyula. Sédentarisés dans ce terroir riche, leurs coutumes sont moins individualistes et les gros lignages de la tradition malinké tendent à se reconstituer chez eux. De nombreux petits groupes se sont fondus dans la masse animiste mais les gros centres, du fait de leur masse et de leur richesse, ont su défendre leur personnalité. Il est vrai que leur Islam, fidèlement maintenu, est souvent aberrant, et que leur ignorance est grande. La pression du paganisme ambiant était jadis très forte et les lumières filtraient difficilement le long des pistes interminables, qui descendent du Niger. Les colporteurs qui assuraient la liaison, étaient généralement illettrés, et il était rare que les hommes de religion du pays acceptassent un long exil dans les écoles du nord pour renouveler leur science. Le cas se présentait cependant. Les villages musulmans, du Haut Konyã gardent le souvenir de plusieurs savants qui passèrent leur jeunesse à Kankan ou à Djenné et dont les performances interdisent de mépriser sans nuances cet Islam préforestier. Dans son isolement, et malgré une adaptation profonde à un milieu païen, il a su maintenir la flamme d'une religion universelle et la conscience très nette de ses liens avec les pays du Nord.
Sa principale originalité se situe au niveau des relations avec les païens. L'enracinement remarquable des courtiers a lié les deux groupes par des unions matrimoniales nombreuses et la prospérité extrême de la communauté musulmane explique qu'elle ait considéré avec ferveur le maintien du status-quo. En un point seulement, à Mankono, des chefs animistes se convertirent très tôt à l'Islam, sans doute dès la fin du XIXme siècle, mais ce fut par l'effet d'une conjoncture locale, non de la pression des musulmans, qui s'y montrèrent d'ailleurs défavorables.
Il faut donc conclure que cet Islam préforestier, en raison même de sa richesse et de son nombre, était un milieu particulièrement hostile à une révolution. Ces musulmans sédentarisés, satisfaits mais peu instruits, enrichis par leur position dans la société païenne à laquelle les unissaient d'étroits liens de parenté, n'étaient pas prêts à prendre les armes. Ils auraient sans doute eu les moyens de mener une « guerre sainte », mais cette idée leur faisait horreur.
Cette volonté de pacifisme ne se limitait pas à leurs « parents maternels » (birakè), les Malinké païens. Elle s'étendait aux forestiers producteurs de kola, ce qui est bien naturel car on ne fait pas la guerre à ses fournisseurs. Les dyula étaient d'ailleurs convaincus que la culture des kolatiers était incompatible avec l'Islam et qu'une conversion massive des gens du Sud l'aurait ruinée. Les guerres de conquête, menées aux dépens des Kisi, des Toma ou des Dã, ne furent donc pas lancées par des musulmans, mais par des Malinké païens si bien qu'elles n'entraînèrent jamais la conversion des vaincus.
Nous aurons pourtant à parler des conquêtes de Mori-Sulèmani Savané en pays Kisi. Elles ne nous démentent nullement puisqu'elles sont dues à un groupe d'immigrés venus récemment du Fuuta-Dyalõ et non aux anciens dyula du pays Kuranko. Elles s'expliquent d'ailleurs par le désir d'organiser la collecte du kola qui présentait des difficultés exceptionnelles dans un pays dont la coutume ignorait les marchés. Le premier souci du conquérant fut d'en ouvrir un à Mara, alors qu'il ne fit jamais le moindre effort pour imposer l'Islam à ses ennemis.
La zone intermédiaire. ? Entre les savanes soudanaises et la zone préforestière qui présentent deux faciès de l'Islam dyula, également prospères, mais divergents, la zone intermédiaire maintient un grand vide. Les musulmans n'en sont pas absents, mais ils ne se sentent pas chez eux. Ils se massent dans quelques gros marchés qui servent de gîtes d'étapes sur les routes méridiennes suivies par les colporteurs descendant du Niger. La société païenne est ici trop pauvre et trop repliée sur elle-même pour attirer les commerçants. Elle reçoit quelques revendeurs de kola ou de sel, quelques tisserands, plus rarement des guérisseurs ou fabricants d'amulettes car des spécialistes animistes occupent déjà ces fonctions. Ces isolés sont d'ailleurs généralement perdus pour l'Islam car ils se disséminent en petits groupes et s'assimilent vite au milieu païen. La société musulmane ne subsiste donc que si elle peut se regrouper en gros villages ou du moins en quartiers autonomes. La chose n'était jadis possible qu'au long des routes du kola, là où le passage régulier des colporteurs assurait des revenus suffisants à leurs hôtes. Ainsi naissaient des îlots d'Islam, peu nombreux mais vigoureux. Ils souffraient de leur isolement dans une mer de paganisme et craignaient de se dissoudre s'ils ne s'y opposaient pas fortement. Incapables de s'imposer à leurs voisins païens, ils avaient tendance à se replier sur eux-mêmes et à renforcer leurs liens avec l'Islam du nord. Leur religion était donc bien moins corrompue que celle du sud, et leur société gardait l'esprit individualiste et mobile des dyula. Leur prospérité était assez médiocre et ils nourrissaient une certaine animosité méprisante à l'égard des animistes. La tradition signale souvent qu'ils ont expulsé un quartier païen, ou qu'ils ont déplacé le leur parce que les cris du komo les empêchaient de dormir. La coupure était assez marquée entre les deux sociétés pour que les musulmans aient été accessibles aux idées de guerre sainte, qui furent d'autant plus facilement diffusées que leurs relations avec le nord demeuraient étroites. La force nécessaire leur manquait cependant, du moins jusqu'au second quart du XlXme siècle.
Les terres de l'Est. ? Ce triptyque de l'Islam dyula nécessite quelques retouches si on veut l'étendre aux pays de l'Est. L'opposition fondamentale entre deux sociétés, celle des paysans animistes, relativement close et statique, et celle des commerçants musulmans, ouverte et mobile, s'y trouve encore valable.
Chez les Malinké et les Bambara, la minorité dyula partage cependant la culture de ses partenaires ; la société globale inclut donc un élément musulman spécialisé et participe elle-même aux caractères d'ouverture et de mobilité qui en découlent. Le dynamisme des Manding à l'ère coloniale ne s'explique pas autrement.
Dans l'Est, l'élément dyula est au contraire isolé des paysans voltaïques par un fossé linguistique et culturel profond, qu'on ne peut franchir sans rupture. L'alternative entre l'assimilation au milieu ou la domination militaire est ainsi beaucoup plus nette. La première voie a été suivie par les dyula du pays Sénufo et la seconde par l'Empire de Kong.
Bien que l'originalité humaine des Sénufo soit un démenti à la pauvreté de la zone intermédiaire. La répartition des communautés musulmanes le long des pistes commerciales ressemble à celle des pays manding. A l'est comme à l'ouest du Bandama, la position des musulmans est beaucoup plus forte sur les franges forestières que sur les routes du Nord. Bégho et son héritière Bondoukou en témoignent ainsi que, plus à l'est, le vieux centre de Salaga. L'Ano et le Dyammala ont joué le même rôle sur le Comoé, mais seulement depuis le XVIIIme siècle, comme succursales de Kong.
Kong est la métropole des Dyula de l'Est, comme Kankan celle des Maninka Mori, et elle s'élève à la limite méridionale de la zone intermédiaire. Il n'est donc pas surprenant que le premier impérialisme dyula soit parti de là, mais il faut garder à l'esprit qu'il ne s'est pas inspiré des idées de guerre sainte car son but avoué était d'ouvrir des routes au commerce et non de convertir les infidèles. La date précoce de ce mouvement s'explique dès lors facilement : il suit de près la formation de la confédération Ashanti et on doit y voir l'effet du développement des comptoirs européens de Gold Coast à la fin du XVIIme siècle. Les dyula éprouvèrent un désir irrésistible de tenir les routes de Djenné à la mer dès que l'enjeu devint appréciable et que la possession d'armes à feu assura leur prépondérance.
Le problème ne se posait pas ainsi dans l'Ouest car la Forêt barrait de ce côté l'accès à la mer, si bien que le commerce du kola pouvait se poursuivre paisiblement selon une routine séculaire.
Il reste à savoir pourquoi cette situation n'a pas duré jusqu'à l'ère coloniale. L'Islam dyula s'est en effet révélé guerrier au XIXme siècle et c'est justement pour contrôler les routes du kola qu'il s'est lancé dans plusieurs entreprises militaires, sur les confins de la zone intermédiaire et de la zone courtière. Les hégémonies musulmanes des Turè d'Odienné, des Sisé de Madina, et accessoirement celle des Bèrèté, sont au coeur de notre propos, car elles ont servi de prélude à l'aventure samorienne.
Notes
1. Rodinson. 1966, p. 33.
2. Ch. Monteil, 1932. p. 149.
3. Sous le roi de Kano Yasi (1349-1385, selon Palmer - Sud. Mem. IX, pp. 105-106).
4. Pefontan, Les Arma (B.C.E.H.S.A.O.F., 1924, pp. 51-53).
5. La plupart des Shérifu ont adopté le nom des Haïdara entre Tombouctou et Bamako. Leur origine doit être attribués au chérif marocain Ali ben Haidar qui se réfugia au Soudan vers 1670; (Delafosse, H.S.N., 7, p. 247) Cela ne signifie pas, bien entendu, qu'ils descendent tous de cet homme, mais sans doute proviennent-ils de sa famille, au sens le plus large, en incluant les partisans, les raillés de toute espèce, les captifs et les affranchis.
6. Gouilly (1952), Spencer-Trimingham (1959). Froelich (1962), V. Monteil (1964). Cardaire (1954) donne une idée du réformisme moderne au Soudan occidental.
7. Marty. L'lslam en Guinée. (1921).
8. Mamadi, forme Malinké s'oppose à Mamadu, forme peule. Le recours, dans la langue parlée, à des formes arabisantes comme Mohamadu, sinon Mohamed, est dû à un snobisme réformiste postérieur à la deuxième guerre mondiale. C'est ainsi qu'on a vu le Président Sékou Tourè adapter le prénom d'Ahmed à partir de 1960.
9. Le taba est une variété de kolatier, sterculia cordifolla. Ses fruits ne se consomment pas. Le véritable kolatier se dit woro-yiri (Cola acuminata). Cette tradition, dont j'ignore la source, est courante de Kankan à Beyla et Séguéla.
10. Voici l'horaire et la composition habituels des cinq prières légales chez les Malinké du sud :
Subagha (= Fedjèr) de 2 rekaa - au lever du soleil. |
Asara (= Acèr) de 4 rekaa - vers 10 heures |
Salifana (= Zahor) de 4 rekaa - vers 15 heures |
Fitiri (= Maghreb) de 3 rekaa - vers 18 heures |
Les positions de l'orant sont classiques et n'appellent aucune observation.
11. On admettait généralement les femmes à prier au fond de la mosquée. Si elles en étaient exclues, on construisait à proximité des « mosquées de femmes », grandes cases rondes orientées ou hangars sur le modèle des Gbá.
12. A l'ère coloniale, la plupart ont été munies de toits de tôle, ce qui compromet sans doute leur valeur esthétique , mais leur assure une solidité véritable. Les villages les plus riches, reniant la tradition soudanaise, font construire d'horribles bâtiments en ciment, inspirés du modèle maghrébin.
13. C'est ainsi que, dans les années 50, les réformistes, qualifiés à tort de « wahhabi », refusaient de parler en compagnie des autres musulmans, ce qui provoquait des bagarres souvent violentes à l'occasion des grandes fêtes.
14. Il y a cependant des exceptions notables. C'est ainsi que la grande mosquée de Kankan est construite sur le côté sud de la place.
? Saladiya vient de sala (bavarder) et non de sali (prier).
15. Mori, équivalent du Pular Modibbo, d'après la racine arabe Mu‘addib, « lettré ».
16. Kalamu = plume, mogho = homme. C'est la traduction du Mallam des Peuls et des Toucouleurs.
17. Naamu, « usage, coutume » ? donc maîtres de la coutume, c'est-à-dire de la tradition.
C'est sans doute à eux que fait allusion Caillié (I, p 394). « Je voyais arriver à chaque instant des vieillards à manteaux rouges ». Rappelons que les couleurs jaune et rouge étaient celles des empereurs du Mali ». Les Namutigi n'étaient pas seuls à enseigner mais leur prééminence morale n'était pas contestée. Ils étaient censés ne jamais mentir.
18. C'est ainsi que les musulmans dyula, incapables de prononcer le ‘ain, le remplacent par un f ? ‘ Ali donne Fali. Les Sénufo possèdent une gutturale voisine du son sémitique (Ka°a = village) mais ils ont reçu l'lslam par l'intermédiaire des Dyula, et imitent fidèlement leur prononciation défectueuse.
19. Dieterlen, La Religion Bambara (1952).
20. Les classes étaient arrêtées du mercredi midi au vendredi après l'Asara. Les cadeaux hebdomadaires étaient remis au moment où elles reprenaient. Un autre cadeau est requis chaque fois qu'une fraction du Coran est apprise.
Chez les Malinké du Sud, la classe se tenait après la prière de l'aube (Subagha) et durait environ deux heures, soit de 6 à 8. Elle reprenait au crépuscule du soir après le Fitiri et se prolongeait. Jusqu'à la prière de la nuit (Safu), soit de 18 à 20 heures.
21. Fannu vient de l'arabe fann et correspond au Fennu du Fuuta-Dyalõ. Les trois cycles diffèrent un peu de ceux des écoles peules (Marty, 1921, p. 349-55). L'orthodoxie du tafsir (ou exégèse) paraît ici mise en doute.
22. Les livres utilisés sont assez nombreux, mais il est difficile de les identifier pour un non-arabisant, car les plus populaires sont désignés par les surnoms malinké. Voici quelques titres, d'après la bibliothèque de Fatumani Sisé, de Kankan. Le seul recueil de Hadith couramment utilisé est l'Al Salih d'Al-Bukhari, que les dyula appellent Ibn Ismaïl.
La grammaire est étudiée dans Al-Asurrumiyya d'lbn Malik (Aldyarumiya) et Al-Maqamat d'Al Hariri (= Makama).
La théologie est fondée sur Al-Kubra de Sulaim et Al-Burhan d'As Suyuti.
La loi (Fannu) est connue surtout par la Risala d'lbn Abi Zaid, et le Tuhfat d'lbn ‘Asim. On est surpris de voir l'importance extrême attachée au Mukhtasar d'Al Akhdari, un obscur écrivain algérien du XIVme siècle. L'Ummal-Barahin d'Al-Sanusi est également très prisé. Ses livres sont désignés comme « les cinq enfants de Sanusi ». (Saousi dén lulu). Citons enfin le Talaqi d'Abd-el-Wahhab Al-Zituni (= Tiliaki).
D'autres noms sont énigmatiques, car on doute que le Persan de Djalal-ed-din-Rumi soit accessible aux Soudanais. Diabur est peut-être Djabir, alchimiste du XIXme siècle. El Wasta, Asad-ed Din Suleimi, Bulumã, Dyabi, El Bãnda, El Ankaida, El Udu, n'ont pas été identifiés. Pour tous ces auteurs, on se reportera aux deux éditions de l'Encyclopédie de l'lslam. Avec moins de richesse, cette éducation suit à peu près le même cours que celle d'Abdalah ibn Muhammad, le frère d'Osman dan Fodio, telle que l'a décrite M. Hiskett (Tazyin al Waraqat, 1963). Pour la culture musulmane de Djenné, voir Ch. Monteil (1932), p. 153-156.
23. On trouvera une étude assez rapide de cette question dans Delafosse (1929, pp. 287-289).
24. Meillassoux signale un cas de ce genre à Bamako (1964, p. 214).
25. Cette fête se distingue naturellement de la grande danse (Dõmba) des animistes, qui a lieu régulièrement vers avril, à l'approche des cultures.
26. C'est-à-dire :
les Kèita contre les Kaba les Turè, les Bèrèté les Sisé ou les Shérifu |
les Kondé contre les Sisè |
les Kamara contre les Konatè, les Kuruma, les Sisè ou les Suma |
les Kaba contre les Kèita ou les Dyallo |
les Dyakité contre les Dyallo |
27. C'est la danse des arbres dont parle Emile Cissé (1958, p. 175) au cours de laquelle les jeunes excisées qui assistent à la fête choisissent un époux parmi les danseurs.
28. Sur le Kurubi, voir Prouteaux (1925) repris par Bernus (1960). Que Séku soit ou non à l'origine de cette coutume, son domaine coïncide exactement avec celui des milieux dyula qui ont soutenu l'Empire de Kong. R. Colin l'a observée dans l'ensemble du cercle de Sikasso et moi-même à Korhogo.
29. Le meilleur exposé d'ensemble sur leurs confréries est celui de J. S. Trimingham (1959, pp. 88-101) à compléter sur quelques points par Froelich (1962, pp. 211-266) et Monteil (1964. pp. 121-148).
Pour la Tidyanya, on dispose maintenant du livre commode d'Abun Nasr (1964) qui connaît malheureusement assez mal l'Afrique Occidentale.
30. Chez les dyula, le nom est choisi par le père le huitième jour. Pendant que les femmes et le nouveau-né attendent dans la famille maternelle où a lieu l'accouchement, un Karamogho convoqué par le père fait sur son seuil un sacrifice d'action de grâce (akika) qui peut être un boeuf ou un mouton, selon ses moyens. Il offre alors des kolas à un griot qui parcourt le village en proclamant le nom de l'enfant et va l'annoncer à la mère qui rase aussitôt la tête du nouveau-né.
Rappelons que si le nom imposé à l'enfant est celui d un personnage vénéré, il sera remplacé dans l'usage quotidien par Séku ou Karamogho. Le cas le plus connu est celui de Dyaulè-Karamogho, fils de Samori, qui s'appelait en réalité Morifiñ, comme le vénéré Karamogho de Nyõsomoridugu.
Sur les prénoms malinké du Haut-Niger, on se reportera aux articles presque exhaustifs de Humblot (1918-1919)
31. Bonnes reproductions de Kpèligè in Goldwater (1982) Sur la signification des jambes maxillaires, voir Zahan (1960. pp. 81-82). Le Musée de l'Homme possède un Ntomo de Ségou pourvu de ces appendices (n° 31-74-937)
32. Caillié signale cette pratique à Kankan (I, p. 387).
33. Le procédé habituel consiste à percer d'une arme la surface d'un bassin d'eau où des incantations ont appelé l'ennemi. Pour d'autres techniques, voir J.S. Trimingham (1959, pp. 117-118).
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