Mémoires de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire. N° 80
Dakar. 1968, 1970, 1975. Trois Tomes. 2377 pages
Quelle que soit la part qu'on accorde au milieu dans un travail d'histoire, il est évident qu'il ne convient pas de s'attacher aux fondements physiques, comme la géologie, le modelé ou le climat, mais plutôt au relief et à la végétation qui influent directement sur l'activité des hommes.
C'est donc en considérant l'aspect du pays et non en analysant ses éléments, comme le ferait en géographe, que nous allons tenter de délimiter les grandes régions naturelles de l'Empire samorien, avant de les passer en revue tour à tour. Comme on pouvait s'y attendre, le seul découpage possible dans l'immensité monotone de l'Afrique Occidentale, est celui des zones végétales, si bien que nous allons examiner successivement le massif forestier, puis la zone préforestières dont la puissante originalité a joué un rôle considérable dans cette histoire, en conjonction avec la zone intermédiaire, qui est celle des Savanes sud-soudanaises. L'étude de celle-ci suivra avant celle de la région proprement soudanaise qui restera pour nous, dans l'ensemble, marginales 1.
La barrière forestière à laquelle s'adossait l'Empire samorien tout au long de sa frontière méridionale présente un caractère unique en Afrique occidentale en raison des hautes montagnes de la Dorsale qui en différencient le relief et le couvert végétal. Alors que, plus au sud, jusqu'à l'Atlantique et au Golfe de Guinée, la grande forêt ennoie des modelés mous et monotones, et jusqu'au nord, les savanes interminables dégagent les vastes horizons du bouclier ouest-africain, on peut observer ici un région privilégié dont le rôle historique a été considérable puisqu'elle a contribué à isoler de la mer le Soudan des Empires.
Cette zone fortement personnalisée est aussi extrêmement diversifiée, et les provinces historiques qui l'occupent d'ouest en est possèdent chacune des traits physiques originaux.
Cette variété est évidente, d'emblée sur le plan du relief et d'autant plus remarquable que les fondements géologiques gardent ici une uniformité bien africaine puisqu'on n'y trouve que des roches précambriennes analogues à celles du Bouclier, Bien que la Dorsale prenne le relais du Fuuta-Dyalõ a l'ouest du Haut Niger, dans les collines du Solimana, les énormes tables gréseuses de ce massif lui sont étrangères.
Toute la chaîne est occupée par des roches cristallines anciennes où dominent des granites de nombreuses variétés et qui englobent souvent des enclaves métamorphiques, traces d'anciens sédiments inégalement digérés. Certaines formations, comme les granites à hyperesthène, qu'on trouve en îlots dans le Kisi et le Toma mais qui sont surtout remarquables par leur place dominante dans les monts des Dã, forment transition avec les roches cristallines ordinaires.
C'est seulement dans l'est, en Pays Guerzé, que l'on trouve une province plus jeune car les gneiss et micashistes du Dahomèyen s'étendent en lanières du Milo au Dyani et forment l'assise des quartzites birrimiens du Haut Konyã (chaînes du Gben et du Fõ) 2.
Les roches phylliteuses, caractéristiques du Birrimien, n'existent donc qu'à l'état d'enclaves, chez les Kono dans l'Ouest, et, à l'opposé, dans les monts des Dã. Comme partout en Afrique Occidentale, elles déterminent l'emplacement des orpaillages et on trouve généralement sur leurs bordures des roches vertes d'origine volcanique métamorphisées au contact des granites, ou dressées en lambeaux au-dessus des parties cristallines du socle.
Les ruptures de celui-ci, qu'il soit cristallin, ou phylliteux, ont permis de nombreuses irruptions de roches volcaniques plus récentes, surtout des dolérites qui jouent un rôle considérable dans le relief en raison de leur extrême dureté . Dans la région considérée , elles sont cependant relativement rares au Sud du 8°50, c'est-à-dire dans la zone proprement forestière.
Il se trouve que cette province à dominante granitique a été fortement relevée selon un axe nord-ouest à sud-est et que la reprise de l'érosion a donné à cette chaîne, la Dorsale, une physionomie quasi-appalachienne. Son altitude moyenne, voisine de 1.000 mètres, reste modeste, et bien que de nombreux sommets y dépassent nettement 1.000 mètres, elle garde l'aspect d'un pays archéen quand on l'observe d'un point élevé. On découvre alors une immensité de hauteurs mamelonnées, avec des dômes d'allure parabolique, parfois en pains de sucre, séparés par des vallées étroites où coulent de véritables torrents jalonnés d'énormes blocs de rochers. Tout cela dessine un paysage d'aspect fort peu africain.
L'érosion différentielle a naturellement joué entre les différentes catégories de granites, mais ces reliefs émoussés forment surtout contraste avec les lames coupantes et les falaises verticales caractéristiques des enclaves doléritiques ou les arêtes abruptes des quartzites qui sont d'une surprenante régularité.
Les plus élevées de ces montagnes sont cependant de nature granitique, comme l'énorme masse du Loma, qui culmine à 2.100 mètres dans l'ouest, sur les confins du Kuranko et du Kono, tandis que le Tèmbi-Kunda voisin, où le Niger prend sa source, n'en compte que 1.601.
La Dorsale domine naturellement toute l'hydrographie de l'Ouest africain puisque le Niger et ses principaux affluents de droite, depuis le Nyãdã, le Milo et le Dyõ (Sankarani;) jusqu'aux composantes du Bani, comme le Baulé et même le Bagoé, en sont issus. Seul le Tenkiso, affluent de gauche, sort des glacis granitiques du Fuuta-Dyalõ. Ces fleuves sont cependant tellement encombrés de rapides sur leurs cours supérieurs que leur usage pour la navigation, ou même pour la pêche, est absolument impossible dans la zone ici étudiée.
On peut en dire autant des fleuves du versant atlantique, qui descendent également de la Dorsale et dont la richesse en eau impose le respect, bien que leurs, cours soient nécessairement brefs: Rokèl, Sèwa, Makhona, Dyani ou Saint Paul, Yu ou Cavally, Fèrèduguba ou Sassandra. Bien qu'ils sortent vite de la zone montagneuse pour se perdre dans les étendues monotones de la grande forêt, leurs secteurs navigables se trouvent près d'embouchure, très au-delà de notre horizon.
Parallèle au rivage de l'Atlantique dont elle renforce l'effet de mousson, la Dorsale joue un rôle climatique tout aussi important. Les courbes des pluies se moulent littéralement sur son axe et les très fortes précipitations de la côte, qui dépassent 4 mètres de Konakry à Monrovia, s'expliquent par sa haute barrière. Etant donné la latitude, elle ne connaît cependant pas des climats de type équatorial, mais des climats tropicaux de transition avec deux saisons bien marquées, encore que la sèche ne soit vraiment caractéristique que sur le versant nord, car partout ailleurs le degré hygrométrique demeure élevé. Même au-delà de la zone forestière, les précipitations restent d'ailleurs considérables puisqu'il tombe 2 mètres à Beyla, tandis que l'altitude généralement élevée abaisse sensiblement la moyenne thermique.
Jouant sur les sables plus ou moins grossiers et acides. qui proviennent des granites ainsi que de certains quartzites ou schistes, ce climat donne des sols clairs ou beiges, très sensibles à l'érosion hydrique. Sur les argiles à bases, issues des schistes, roches vertes ou dolérites, comme de certains granites mélanocrates (à hyperesthène par exemple), il donne toute la gamme des sols rouges et bruns, beaucoup plus riches, mais exposés aux phénomènes de cuirassement. Les premiers sont généralement des sols ferralitiques et les seconds des ferrisols mais leur fragilité relative dépend évidemment du couvert végétal dont l'incidence sur les hommes est directe et puissante.
Parce que le paysage est ici modelé par les reliefs de la Dorsale, la végétation n'y joue pas le rôle déterminant qui est le sien partout ailleurs dans l'Ouest africain. La violence des contrastes, qui est la caractéristique de ce continent, en est sensiblement atténuée. La montagne s'interpose ici entre la grande forêt, moite et obscure, et le monde lumineux des savanes.
Cette forêt écrasante ne domine ici qu'au sud de la Dorsale, et dans les hautes vallées des fleuves du versant atlantique. Constituée presque exclusivement de ligneux, elle est profondément différente de ses soeurs des climats tempérés. Au lieu d'un peuplement cohérent, on y trouve un nombre extraordinaire d'espèces formées d'individus dispersés sur de vastes étendues. On y distingue trois strates, celle des arbres géants à 40 ou 60 mètres de hauteur, en pleine lumière, avec leurs feuilles curieusement xérophiles, celles des arbres moyens dont les frondaisons continues se pressent à 20 ou 30 mètres, enfin celle des arbustes qui vivotent dans la pénombre moite. Partout, les lianes et épiphytes abondent mais le sol obscur est presque nu. Les racines se transforment en échasses ou contreforts énormes pour échapper à l'humidité.
En dehors des zones marécageuses, qui sont presque absentes des hautes terres que nous considérons, les botanistes opposent la forêt hygrophile, qui prospère s'il tombe au moins 1. 700 mm. d'eau et si la saison sèche n'excède pas deux mois, à la forêt mésophile, qui est seule à nous intéresser ici. Celle-ci mérite le nom de semi-décidue car beaucoup de ses arbres perdent leurs feuilles en saison sèche, les lianes se raréfient, le sol se couvre d'herbes et des fleurs multicolores abondent. C'est un milieu moins austère que la forêt hygrophile mais de grands arbres comme le makoré ou le sumbu lui gardent toute sa majesté. Cette forêt ne se maintient que jusqu'à 1.300 mm. sur les terres cristallines, mais jusqu'à 1.100 dans les domaines schisteux du Birrimien. Cet élément différentiel ne joue cependant ici qu'accessoirement, alors qu'il délimite nettement, dans l'est, les frontières du « golfe » Baule, du Nzi jusqu'à Bondoukou.
La forêt mésophile règne de façon plus ou moins continue sur les basses terres des rivières, mais elle n'occupe qu'une bande de 80 kilomètres en arrière de la côte au niveau des Scarcies. Elle domine la vallée de la Makhona, à travers le vaste pays des Mèndè, le sud du Kisi (Guékédou) et quelques secteurs du Toma occidental et méridional. On la retrouve naturellement dans les vallées du Dyani et du Sassandra. Partout ailleurs, dans le centre du Kisi, la plus grande partie du Toma, le Guerzé, et tout le nord du Pays Dã, le relief mouvementé de la Dorsale suscite une végétation distincte des formations classiques que nous venons de décrire. D'innombrables microclimats suscités par l'altitude et l'orientation des vallées y font naître des faciès originaux. Du fait de l'humidité , des brouillards matinaux et des températures plus basses, nous découvrons une forêt de montagne dont les branches surchargées d'épiphytes, se couvrent de mousses et laissent prendre des usnées barbues.
Sur le flanc nord de la Dorsale, les formations redeviennent classiques mais leur répartition ne l'est pas. Nous sommes à la limite de la forêt et on a souvent insisté sur la frontière précise et brutale qui la sépare des savanes car son monde clos et obscur commence au point précis où s'arrêtent les herbes. Les feux de brousse, qui sont le produit de l'action humaine, expliquent évidemment cette netteté peu naturelle mais si les limites sont ici précises, elles ne sont nullement rectilignes. La forêt couvre toujours les fonds des vallées, dont les sols limoneux gardent l'humidité, mais sa répartition sur les hauteurs paraît capricieuse. Rougerie a montré, pour la moyenne Côte d'Ivoire, qu'elle occupe le sommet arrondi des collines granitiques mais seulement le flanc des buttes schisteuses car celles-ci sont généralement coiffées par le plateau rigide d'une cuirasse ferrugineuse.
Cette disposition est caractéristique des îlots boisés de la savane préforestières. Le relief et les sols s'y prêtant, la lisière de la forêt se plisse et s'émiette pour dessiner sur la carte une véritable dentelle. On finit par ne plus avoir si on a affaire à des taches de savane en forêt ou à des fragments de forêt en savane.
Ces paysages végétaux nous intéressent seulement dans la mesure où ils conditionnent l'activité des hommes. Ils l'ont fait très fortement à haute époque, avant la diffusion de l'agriculture, quand la subsistance dépendait de la cueillette ou de la chasse. Le chasseur suivait naturellement le gibier, et celui-ci n'était pas uniformément réparti car les espèces animales, en dépit de leur souplesse, tendent à se concentrer dans les milieux les plus favorables.
La forêt frappe aussitôt par sa pauvreté en vie animale, les oiseaux mis à part, et surtout en animaux terrestres. Les deux tiers des espèces sont nocturnes et près de la moitié arboricoles (singes, chimpanzés). Des formes naines s'y trouvent souvent. Le grand carnivore est le léopard et, en dehors de l'éléphant, on trouve seulement quelques antilopes spécialisées comme le céphalophe à dos jaune ou le bongo, ainsi qu'un buffle nain et un suidé nocturne, l'hylochère. Les grands fleuves bénéficient seuls de la présence des hippopotames.
Cette pauvreté animale est confirmée par les essais qui ont été faits pour chiffrer la « bio-masse » et qui démontrent la richesse des savanes. Si la grande vallée du Rift, en Afrique Orientale, est un cas exceptionnel avec 24 tonnes de viande au kilomètre carré, on peut admettre des chiffres de 4.200 à 16.500 kilos pour les pays de savane. La Zambie, qu'on peut considérer comme une zone préforestière, en compte un peu moins de 5.000. Quant à la forêt hygrophile du Ghana, ses chiffres tombent à 5/6 kilos pour la faune terrestre et à 65 pour les espèces arboricoles. Les formations de la Dorsale sont cependant moins pauvres et la zone voisine des lisières qui nous intéresse particulièrement, est même relativement riche car on y trouve aussi des espèces savanicoles 3.
Il reste que la forêt, dont le maigre sous-bois n'attire déjà guère les meilleurs, n'est pas un milieu favorable aux chasseurs. Son gibier est rarement grégaire et sa recherche sous le couvert n'est pas aisée, ce qui explique que les indigènes aient souvent recours à des pièges dressés sur des parcours connus. La chasse au filet est également une solution mais elle est inconnue chez les Kisi, rare chez les Toma et ne prend de l'importance que chez les Guerzé et les Dã. Il faut aller dans l'est, en Côte d'Ivoire pour observer des grandes chasses collectives, avec des filets gigantesques dont la propriété régit toute l'organisation sociale chez certains peuples, comme les Gagu.
La chasse joue toujours un rôle appréciable, encore que très variable, dans certaines économies traditionnelles, mais la cueillette n'est plus que survivance. C'est pourtant elle, par le truchement de la proto-culture, qui est à la source de l'agriculture africaine, quelle que soit l'importance des apports successifs qu'elle a reçus par la suite. La liste des espèces autochtones prouve qu'elle fut aussi active dans les forêts claires d'où allaient naître les savanes (riz, sorgho) que sur les franges de la forêt humide (ignames, dioscoréa) 4.
La forêt elle-même, cependant, n'a été conquise qu'assez tard, grâce à des apports asiatiques, comme la banane et le taro. L'agriculture a du alors se transformer en s'adaptant à ce milieu ingrat, si bien que l'opposition classique entre forêt et savane se retrouve largement au niveau des espèces cultivées, des techniques, et du rythme du travail, comme de la vie sociale. L'Afrique occidentale se partage entre deux agricultures radicalement différentes par l'esprit et la méthode.
L'économie de la forêt est fondée sur la banane et les plantes à tubercules ou rhizomes. Elle a été bouleversée depuis le XVIeme siècle par un apport massif d'espèces américaines comme le manioc, la patate douce et le maïs. L'igname, qui exige de robustes qualités paysannes, n'est pas à l'aise dans la grande sylve mais elle triomphe sur ses franges et dans la zone préforestière. Les céréales ne jouent ici qu'un rôle secondaire, à l'exception du riz de montagne, semé sur des défrichements en hauteur. Cette dernière culture n'a gagné qu'au XIXe siècle l'espace entre Sassandra et Bandama, et elle disparaît de la forêt à l'est de ce fleuve. Son rôle est décisif, surtout dans les zones préforestières, c'est-à-dire, dans la zone considérée, sur le flanc nord de la Dorsale. On sait la place éminente qu'elle tient dans l'économie des Kisi, « gens du riz », et elle est loin d'être négligeable chez leurs voisins Toma, Guerzé ou Dã.
A l'exception du riz, l'originalité de l'agriculture de forêt est qu'elle se fonde sur des plantes, dont la croissance échappe au rythme des saisons. Le manioc notamment peut rester plus d'un an en terre, si bien qu'il n'y a aucun problème de soudure ou de conservation des aliments. En dehors des défrichements, qui exigent un effort écrasant, le travail est peu absorbant et réparti sur toute l'année, si bien qu'il ne rythme nullement la vie sociale.
L'alimentation connaît une certaine carence en protéines puisque la chasse est peu rentable et que la pêche n'est ici qu'accessoire. La mouche tsé-tsé diffuse partout la trypanosomiase animale, ce qui limite les possibilités de l'élevage. Le bœuf brachyceros nain, de la race des lagunes, a acquis une certaine immunité et est partout présent, mais seulement en petit nombre, tandis que les moutons et chèvres, qui pullulent, sont de taille minuscule.
L'homme lui-même souffre de maladies endémiques, qui sont nombreuses dans ce milieu moite et chaud. La fièvre jaune a longtemps fait des ravages près des côtes mais le paludisme est partout présent et il sape les énergies ; même si le grand nombre des siclémiques, surtout vers le nord, procure de nombreuses immunités.
Dans le sud, au coeur de la Forêt, l'homme est mal fixé au sol et ses hameaux minuscules se déplacent tous les trois ans avec les défrichements. Ils se cachent à l'ombre des grands arbres et l'action des cultivateurs ne marque pas le paysage car elle doit être perpétuellement renouvelée. C'est ici que les forêts secondaires, partout présentes, font simplement transition entre les défrichements abandonnés et la forêt primaire qui se reconstitue. L'effort humain n'est pas moins considérable mais il est irrégulier et le voyageur pressé, qui le sous-estime naturellement, s'imagine facilement des êtres écrasés par la grande sylve. Les communications sont d'ailleurs précaires, en dehors de quelques biefs fluviaux, et les sociétés de cette zone sont caractérisées par un remarquable morcellement et un extrême repli des petits groupes sur eux-mêmes.
La Forêt familière à Samori, c'est-à-dire celle de la Dorsale et de ses glacis du nord connaît cependant des conditions bien différentes. L'altitude y crée des conditions sanitaires bien meilleures et l'emprise de l'homme y est beaucoup plus sensible. Les villages, généralement perchés pour des raisons défensives, sont relativement stables et souvent doublés par des hameaux en contre-bas près des champs.
Ceci introduit déjà des facteurs culturels dans notre recherche et on est en effet obligé d'y recourir dès qu'on veut compléter l'étude de cette vaste région en brossant des synthèses régionales.
C'est l'ethnographie, non la géologie ou la botanique, qui permet de distinguer les pays des Kono, Kisi, Toma, Guerzé ou Dã 5. Les facteurs naturels jouent seulement pour diversifier ces secteurs découpés arbitrairement. C'est ainsi que l'extrémité occidentale de la Dorsale, en pays Kuranko, échappe au monde des civilisations forestières et qu'à l'opposé il en va de même de ses glacis orientaux. De ce côté, les pays Guerzé et Dã se cantonnent sur le versant de l'Atlantique, tandis que les savanes du Konyã et d'Odienné occupent les montagnes qui marquent la ligne de partage des eaux.
A l'extrême ouest, est également situé au sud de l'axe de la Dorsale, dans le bassin des fleuves qui coulent vers l'Atlantique. Il s'étend du Bagbè ou Sèwa, qui frôle la frontière des Témnè, jusqu'au Mèli, affluent du Makhona, qui le sépare, dans l'est, des Kisi.
Ce glacis méridional est formé par une fraction du socle granitique qui descend par gradins vers le sud jusqu'aux terres du pays des Mèndè. Des enclaves de schistes précambrien en discordance y sont à l'origine d'orpaillages anciens et célèbres 6. En dehors des hauts reliefs granitiques de la Dorsale (Loma, Sãnkã-Biriwa: 1.848 m.) sur la frontière des Kurãnko, ce haut plateau a été marqué par l'érosion différentielle, et il en résulte un modelé assez confus de collines et de vallées montagneuses d'où surgissent quelques sommets bien marqués (monts Nimmi). Avec une pluviométrie déjà assez faible et une saison sèche de deux mois, une grande partie de ce pays est couverte de savanes à îlots forestiers et le cuirassement du sol y est fréquent, sauf dans le sud et l'ouest où la grande sylve envahit tout. La population, dispersée en petits villages bien cachés dans des îlots forestiers, est relativement dense et elle se livre à une agriculture assez intensive où prédomine le riz de montagne.
Il prolonge vers l'est le Kono, est beaucoup plus vaste et infiniment plus complexe. En y incluant l'enclave linguistique du Lélé, il s'étend des cours supérieurs du Niger et du Nyãdã à celui du Makhona, si bien que l'axe de la Dorsale le traverse de part en part. Le substrat, porté à haute altitude, est ici toujours granitique mais l'érosion en a dégagé diverses variétés, particulièrement les granites à hyperesthène, qui sont des roches particulièrement dures. Les sommets cristallins se reconnaissent aisément à leur silhouette comme le mont de Yombiro (982 m.) mais les reliefs les plus abrupts sont dus aux intrusions doléritiques comme les pics de Yarkuldu et Bolodu (1.355 m. et 1.375 m.), sur le versant atlantique. Dans le nord, sur le haut Nyãdã, ces enclaves sont souvent formées de schistes et quartzites. Il en résulte un fouillis de collines qui portent des îlots forestiers où se cachent les agglomérations, au milieu de savanes dont les sols sont souvent sujets au cuirassement. Les grands sommets de la Dorsale sont en revanche dénudés et, sur le versant atlantique, c'est-à-dire dans le bassin du Makhona, la place de la forêt grandit très vite. Elle finit par submerger le paysage partout ou le relief s'atténue.
Malgré toutes ces nuances, le Pays Kisi garde une forte unité grâce aux robustes paysans qui l'occupent de façon assez dense en le couvrant du réseau serré de leurs petits villages. Ils méritent le nom de « gens du riz » en raison de la prédominance extrême qu'ils donnent à cette céréale et ils ont maintenu avec énergie une civilisation aussi diverse qu'originale.
Il n'est séparé par aucun obstacle naturel du Kisi central et méridional dont sa fraction occidentale ne se distingue que par la langue. Les Toma s'enfoncent cependant très loin en territoire libérien, le long du Lofa, alors que, seule, une infime fraction de leur domaine se trouve sur le versant du Niger (sources du Milo). Entre le Makhona et le Dyani (Saint Paul) qui marque à peu près leur frontière orientale, l'aspect de leur pays se transforme cependant, bien qu'on ait toujours affaire au même substrat granitique à intrusions de dolérites ou parfois, de quartzites (birrimiens). La Dorsale a été relevée ici avec une vigueur extrême et il en résulte de hautes et majestueuses montagnes séparées par de larges vallées qui contrastent avec le fouillis des chaînes de l'ouest.
La haute cime granitique du mont Bara, dans le Zyama, culmine ainsi à 1.387 m., tandis que le Bindi, non loin de là, en territoire libérien, s'élève à 1.340 m. Il en résulte que la limite des savanes, qui s'étendent ici largement sur le versant atlantique, est assez nette et qu'elle perd l'aspect de dentelle qui la caractérisait dans l'ouest.
Alors que les Toma de l'Ouest, excellents riziculteurs, sont groupés en villages minuscules comme leurs voisins Kisi, ceux de l'Est, les Loma, occupent de grands villages fortifiés et la place qu'ils accordent à la chasse nuit à leurs activités d'agriculteurs.
Situés entièrement sur le versant de l'Atlantique, le pays des Kpèllè ou Guerzé et celui des Konon, qui en sont une sous-ethnie, s'étend vers l'est, du Dyani jusqu'au mont Nimba, mais sa physionomie originale l'oppose fortement aux secteurs précédents. C'est qu'ici l'axe orogénique de la Dorsale recoupe un axe géologique méridien, celui du haut Konyã. Le substrat granitique habituel cède donc la place à un socle de gneiss dahoméyens, surmonté par des chaînons fortement redressés de schistes à hématites (Atakorien) et des intrusions de dolérite. Il en résulte des reliefs particulièrement hardis que la forêt enserre de toutes parts.
Le socle granitique reparaît à l'est de Nzèrèkorè, en pays Konon, où il détermine une pénéplaine ennoyée de forêt, mais le complexe dahoméyen surgit à nouveau au sud-est dans le chaînon remarquable du Nimba qui dresse ses flancs abrupts à 1.700 mètres au-dessus d'horizons rectilignes. Les naturalistes ont observé un cycle climatique complet dans les anneaux étagés de sa végétation et cette disposition caractérise toute la région. En dehors de quelques fonds de vallées, la forêt ennoie en effet tout le paysage, mais ses faciès sont multiples en raison des caprices du relief. Au nord, elle s'arrête net au pied des murailles verticales du Konyã.
Bons riziculteurs, les Guerzé et Konon ont aménagé cette région originale selon des normes très proches des Toma du Sud et leurs gros villages, du moins ceux du nord, les distinguent des Manõ, anthropophages, dispersés en petits hameaux au sud du mont Nimba. Celui-ci marquait traditionnellement la limite du monde connu pour les gens des savanes car les plateaux que traverse ensuite le Cavally, pour descendre vers la mer, sont étouffés par une forêt de plus en plus hygrophile, qu'aucun relief ne diversifie et où les étrangers n'osaient pas s'aventurer.
La Dorsale se termine de façon spectaculaire dans l'est, entre le cours supérieur du Yu ou Cavally et celui de Fèrèduguba ou Sassandra et son affluent le Bafiñ. Une cuvette de hautes montagnes dont ce dernier draine le centre tombe en effet de façon abrupte sur la rive ouest du Sassandra. Son flanc nord forme le Mau de Touba dont les sommets tabulaires ont déjà un aspect soudanais et où domine effectivement la savane préforestière. Son flanc sud forme les monts des Dã et des Wen (ou Toura) dont la masse impressionnante s'enfonce dans le sud jusqu'à Danané, sur le Cavally. Ces massifs proviennent d'un énorme bloc de granites à hyperesthène dont la structure est compliquée par des enclaves de quartz et de gneiss, ainsi que par des intrusions de dolérites. Ces reliefs extrêmement vifs sont impressionnants. Ils culminent à 1.300 m. au Mont Mommi mais, leur sommet le plus spectaculaire est le Tonkwi dont l'abrupt surplombe la ville de Man. La forêt est donc extrêmement diversifiée en hauteur et elle retrouve ici, comme dans le Kisi et le Toma occidental, une frontière en dentelle car elle s'accroche aux zones escarpées qui attirent les agglomérations en quête de sites défensifs. Les Dã et les Wen s'opposent fortement aux Toma et Guèrzè, qui représentent une autre branche de la famille Mandé, mais ils se différencient eux-mêmes à l'extrême. Les Dã à eux seuls, étirés des savanes du Mau, jusqu'au coeur de la grande forêt du sud présentent des faciès très marqués. Ceux du Nord, qui tiennent les montagnes, sont d'excellents cultivateurs qui rappelleraient les Kisi si leurs villages étaient plus petits. Leur économie est fondée sur le riz alors que le manioc prend la première place au sud du massif où les agglomérations sont moins stables et où les chasses collectives prennent une grande importance. On serait finalement en peine de distinguer ce genre de vie de celui des Kru de la grande forêt.
Ces hommes si divers échappent dans une certaine mesure à l'isolement car c'est chez eux que s'est développé l'une des rares arboricultures de l'Afrique Noire, celle du kolatier. Grâce à elle, les forestiers des lisières ont été intégrés au réseau du commerce soudanais. Voici des siècles qu'ils regardent vers les savanes dont ils sont en partie issus et leur civilisation en a été profondément modifiée.
Ce complexe d'ethnies originales, que les Manding ont toujours considérées comme barbares, ne s'oppose donc pas absolument au monde soudanais. Le rôle de refuge de leurs montagnes est cependant évident et la symbiose antagoniste qui les unit à leurs voisins immédiats traduit fort bien la relation dialectique entre forêts et savanes.
Si les forêts montagnardes de la Dorsale ont assuré au domaine de Samori une originalité exceptionnelle, elles lui sont pourtant demeurées marginales car elles n'étaient pour lui qu'une marche méridionale d'où aucun danger grave ne pouvait surgir, et à laquelle il s'adossait pour construire son Empire à travers les savanes.
Toute l'assiette de celles-ci appartient au vieux Bouclier et ses roches, comme celles de la Dorsale, remontent toutes au précambrien , si l'on excepte la bande méridienne de schistes falémiens du Koko, à l'extrême ouest. Il faut aller à la périphérie pour rencontrer les grès primaires dont les puissantes falaises ferment les frontières du nord (Menye, Monts du Manding) ou ceux du Cambrien qui occupent quelques districts entre Niger et Bani et que nous retrouverons dans l'est, de Sikasso à Banfora. Les vieux matériaux précambriens se répartissent naturellement entre les granites qui occupent l'immense surface des provinces cristallines et les roches phylliteuses des séries birrimiennes, qui couvrent une vaste zone sur le Haut Niger et strient partout ailleurs le socle en lanières méridiennes.
Quelle que soit la nature de ses roches, cette immense région n'est qu'une fraction du Bouclier ouest africain et elle se caractérise donc par une extrême monotonie du relief qui l'oppose en bloc à la zone précédente. La seule exception notable est celle du Konyã et du pays d'Odienné, à l'extrême sud, mais il s'agit là justement de contreforts de la Dorsale qui s'étendent en dehors de la zone forestière. Partout ailleurs, nous trouvons enfin des paysages typiquement africains, avec leurs surprenants horizons rigoureusement plats où le relief, quand il existe, s'exprime par l'étagement. « Plutôt que d'un plan unique, écrit Rougerie, il est fait d'une superposition de surfaces rigoureusement isolées les unes par rapport aux autres ». C'est le « modelé en marches d'escaliers », où la résistance différentielle des matériaux isole souvent au-dessus de la pénéplaine de vraies tables délimitées par un escarpement abrupt. Les roches vertes ou les quartzites donnent ainsi des collines en dents de scie, les cuirasses tertiaires ou quaternaires coiffent des tables rectilignes, les noyaux de granites durs se dressent en dômes chauves aux flancs inaccessibles. Là où la forêt n'en voile pas la grandeur, ils créent ainsi ces paysages d'« inselberg » qui donnent une touche fantastique à certaines régions d'Afrique.
Ces plateaux sont typiques du « bourrelet gondwanien », qui commande la structure de l'Ouest africain, tout au long du 18° parallèle, et qui est au coeur de l'ancien Empire de Samori, puisque son domaine s'étendait de part et d'autre, vers le Niger et le golfe de Guinée.
Dans ces immensités monotones et sans frontières, le seul élément de différenciation est évidemment le paysage végétal, qui est déterminé par les zones climatiques et les sols qui en résultent.
Or la répartition des climats est désormais fort simple puisque le système tropical classique, faisant alterner deux saisons, la sèche et l'humide, s'étend jusqu'au Sahara méridional. Les isohyètes, orientés du nord-ouest au sud-est, selon l'axe de la Dorsale, tendent à suivre l'axe des parallèles à mesure qu'elles s'éloignent des montagnes et que les facteurs astronomiques deviennent prépondérants, faute de relief.
Les précipitations diminuent lentement vers le nord et l'est puisqu'il tombe encore 1.50 m. d'eau de Kankan à Odienné, soit plus qu'à Bouaké, et 1,30 m., jusqu'à la ligne Siguiri-Korhogo.
La durée de la saison sèche, qui est encore plus significative, est de deux mois seulement dans la première zone et de trois dans la seconde. Il faut atteindre la ligne Bamako-Sikasso pour que le climat prenne une allure typiquement soudanaise 7.
Tous ces pays sont du domaine de la Savane, qui, à première vue, s'oppose massivement à la Forêt comme les paysages des plateaux à ceux de la Dorsale. Mais cette opposition radicale est relativement récente s'il est exact, comme on le croit à présent, que la savane s'est constituée grâce à l'action de l'homme aux dépens de formations forestières plus anciennes, forêt dense demi-décidue le long de la grande sylve, forêt claire décidue partout ailleurs, jusqu'aux étendues dénudées du Nord 8.
Du fait du caractère abrupt de la lisière de la Forêt, ce sont les savanes les plus proches qui offrent avec elle les contrastes les plus violents et manifestent la plus forte personnalité ll s'agit d'une zone fort étroite, qui n'atteint jamais 100 kilomètres de large, et dont le tracé se moule étroitement sur celui de la Dorsale, c'est-à-dire qu'elle s'oriente vers le nord-ouest, depuis le Sassandra jusqu'aux falaises méridionales du Fuuta-Dyalõ.
Cette région a le même climat que la forêt dense mésophile qu'elle borde et il semble bien qu'elle en a été différenciée par la seule action de l'homme, partout où l'équilibre naturel se trouvait instable. Cette forêt ancienne, floristiquement très proche de celle du sud, subsiste en galeries le long de chaque cours d'eau et en îlots nombreux au sommet des buttes granitiques et au flanc des collines schisteuses.
La savane qui l'enserre de toutes parts présente un contraste surprenant car elle est recouverte d un océan de graminées gigantesques, le plus souvent des herbes à éléphants (Pennisetum purpurenm) qui poussent avec une vigueur extrême sur des sols souvent fertiles. Ceux-ci ne montrent en effet qu'une faible tendance au cuirassement grâce à ce tapis végétal qui est infiniment plus haut et dense que dans les savanes du nord. Ils permettraient à la forêt de se reconstituer si les feux de brousse ne venaient à chaque saison sèche éliminer les jeunes ligneux. Ceux-ci appartiennent en effet à des espèces de forêts denses qui ne peuvent supporter un tel traitement et il en résulte que ces savanes sont entièrement dépourvues du semis d'arbres qui caractérise les régions plus sèches. Des rôniers (Borassus aethiopium) s'incrustent cependant près des bas-fonds humides mais ils ne marquent pas le paysage, sauf dans quelques régions isolées, comme une fraction du Kurãnko oriental ou, dans l'est, le sud du Baulé.
Ce pays est humanisé plus qu'aucun autre en Afrique Noire, et la brièveté de la saison sèche, qui n'excède pas ici deux mois, confirme sa vocation de terre féconde, et lui assure une forte attraction sur les hommes.
L'agriculture qui y règne répond déjà aux normes des savanes et ses traditions techniques proviennent du nord, mais le voisinage de la forêt lui procure un remarquable enrichissement. Elle se distingue nettement de celle que nous avons décrites dans la Dorsale par le rythme saisonnier que lui impose la saison sèche. Enrichie très tôt par des apports arabes (nouvelles variétés de riz, divers fruits comme l'orange et le citron, navets, oignons, ail) elle n'a pas connu une révolution au XVIeme siècle. Elle a bien adapté des plantes américaines, comme le manioc, le maïs, l'arachide et le tabac, mais celles-ci n'ont joué qu'un rôle marginal jusqu'à l'ère coloniale.
En dehors des jardins clos, engraissés et irrigués auprès des villages, le terroir demeure peu structuré car les champs, défrichés pour un cycle cultural de trois ou quatre ans, sont ensuite abandonnés pendant une jachère trois ou quatre fois plus longue. Ce travail épuisant doit être renouvelé chaque fois et les taches irrégulières des cultures se perdent dans l'étendue de la brousse.
Les façons culturales, toujours faites à la houe, sont cependant souvent savantes. La mise en butte de la terre arable est nécessaire pour protéger les plantes à racines, comme les ignames, mais elle demande un travail considérable, tandis que les rotations et associations de cultures sont complexes.
Le fait essentiel est que les principales récoltes, où prédominent les céréales, sont ici groupées en un petit nombre de mois, à l'orée de la saison sèche. D'octobre à novembre, la communauté assure sa subsistance et elle nage dans l'abondance au moment où la fin des pluies arrête les travaux agricoles. D'immenses feux parcourent alors la brousse qu'ils revêtent d'un manteau noir et les nuits sont illuminées par leurs lueurs profondes. Ils permettent les chasses collectives et c'est alors que chaque groupe humain renforce sa cohésion par de grands rites cornmunautaires, ceux de l'initiation. Ces quelques mois d'oisiveté et d'abondance, mais aussi de joie et de communion, et donc souvent de guerre, contrastent fortement avec la terne monotonie de la vie forestière.
A ces caractères, qui sont plus ou moins valables pour l'ensemble des agricultures de savane, la zone préforestière ajoute cependant quelques traits particuliers. Le plus remarquable est qu'elle ignore pratiquement la soudure, grâce à la brièveté de la saison sèche, qui permet aux plantes forestières d'y prospérer, particulièrement le taro et le manioc dont le rôle est considérable. L'igname s'y trouve dans son milieu naturel et passe ici au premier rang, tandis que le riz de montagne occupe les hauteurs où la forêt défrichée a laissé des sols riches. La sécheresse est cependant suffisante pour les plantes soudanaises et le rôle de différents mils est déjà considérable (Sorghum penisettum). De nombreux palmiers fournissent de l'huile ou des boissons alcoolisées (Elaeis, Borassus, Raphia).
L'élevage prend une certaine importance car la petite race des lagunes n'est plus seule. La mouche tsé-tsé de race forestière (Glossina palpalis) a désormais son habitat réduit aux galeries, et on peut élever dans leur intervalle des bêtes de grande taille au prix de quelques précautions. Dans les rares districts qui jouissent d'une altitude élevée, ces conditions marginales deviennent extrêmement favorables.
A défaut de la pêche, toujours peu rentable aussi près de la Dorsale, la chasse de type soudanais est déjà active. Elle s'exerce sur un gibier qui est extrêmement abondant, sauf dans les zones où son effectif a été réduit par des groupes humains nombreux et solidement enracinés.
Au-delà de ce canevas général, il faut revenir aux facteurs du relief et du sol pour découper des provinces plus étroites. Celles-ci sont généralement le fruit de l'histoire et elles démontrent à quel point l'homme peut finalement surmonter les contraintes de la nature. Cette zone, dont la richesse relative est uniforme, se différencie en effet en secteurs où la densité et l'emprise les habitants varient à l'extrême.
A l'extrême ouest, occupe le rebord accidenté du plateau granitique, orienté du nord au sud au-dessus de la bande des schistes falémiens que tiennent des Loko et Témné. C'est un riche pays agricole où le riz de montagne joue un rôle capital et dont les villages, innombrables mais minuscules, se nichent sur toutes les hauteurs.
L'immense Pays Kurãnko qui lui fait suite vers l'est jusqu'à la vallée du Milo est une unité ethno-historique mais nullement géographique. Cette longue bande de territoire se moule étroitement sur le pays des Kisi, aux dépens desquels elle s'est formée, et qu'évoquent beaucoup de ses cantons. La frontière occidentale est marquée par les fortes collines méridiennes des schistes du Kambwi (précambriens) dont la richesse en or et en fer est célèbre. En poussant plus au sud, on rejoint le mont Loma qui amorce puissamment l'axe de la Dorsale.
Par la suite, vers l'est, le socle granitique, hérissé de dômes en grano-diorites et de quartzites en divergence, sert de glacis aux montagnes du sud. Il a l'aspect d'un fouillis de hauteurs médiocres, tachetées de forêts, et évoque le pays Kisi tout proche.
A l'est du Nyãdã, c'est un plateau qui descend par paliers vers le Basãndo et Kankan, mais son aspect change car il est ici absolument criblé d'intrusion de quartzites et surtout de dolérites dont les énormes falaises dominent tout le paysage. Celles du Lõngoroma (1.105 m.) et du Lãngurima sont orientées au nord mais celles du Tèlèbodu et du Falãnko surplombent, face au sud, les vallées forestières du Makhona et de son affluent la Wau. Vers l'est, entre Baulé et Milo, elles appartiennent déjà au Konyã.
Dans ce terroir aux possibilités assez homogènes, les Kuranko, dispersés en assez petits villages, témoignent de médiocres qualités agricoles et n'atteignent qu'une faible densité. L'importance exceptionnelle du manioc réduit ici la part du riz; et la chasse garde un rôle considérable. Le peuplement ne s'accroît que sur la frontière des Kisi qu'annoncent déjà les villages enfermés dans les anneaux de forêt.
De la vallée du Milo au cours supérieur du Fèrèduguba, nous découvrons le Konyã et ce pays admirable nous retiendra un peu puisque c'est la patrie de Samori.
L'originalité du Konyã est due à son relief qui est lui-même déterminé par une large bande de gneiss et micaschistes du Dahoméyen (Atakorien), surmontée de quartzites à magnétites extrêmement redressés . Cet axe remarquable, orienté du nord au sud supporte des hauts chaînons appalachiens, verticaux comme des murailles et c'est lui qui détermine, plus au sud, la personnalité des monts du Guerzé et du Nimba. Il a orienté vers le Niger les vallées du Milo et du Dyõ, et vers l'Atlantique celle du Dyani.
Le Konyã est formé de deux pays, complémentaires mais très différents.
C'est un quadrilatère très régulier de gneiss dahoméyens et de granites qui s'est trouvé projeté à 700 mètres d'altitude sans perdre la rigidité du socle. Ses horizons plats et nus n'évoquent pourtant pas un paysage du Bouclier car ils sont fermés de toutes parts par les hautes montagnes qui l'enserrent, et que la distance colore en bleu. Dans l'ouest, il s'agit de l'étonnante chaîne absolument rectiligne du Gben qui étire sur 110 kilomètres ses flancs verticaux, culminant à 1.656 mètres au pic du Fõ. C'est un véritable bloc de fer, formé de quartzites à magnétites et de micaschistes à formation subverticale, en discordance sur les gneiss du socle. Ceux-ci constituent au sud le Yèréoru-Tyèkelè, qui n'a ni cette richesse ni cette pureté de lignes mais qui n'en forme pas moins une haute barrière culminant à 1.170 mètres au Tètini. Au nord, le plateau est fermé par les dolérites du Gbãnkundo (1.099 m.) et plus à l'est par celles du Borõnkènyi (monts de Sinko, 1.200 m ).
Il est situé au nord et en contrebas de ce plateau, occupe d'abord la vallée du Milo, fermée à l'ouest par les dolérites du Tintikuru (Sanigbè: 1.296 m.) et du Koninko, sur la frontière des Kuranko, et à l'opposé, par l'extrémité nord du Gben. A l'est de celle-ci, le bas Konyã occupe les plateaux à inselberge que traversent le Dyõ, le Kulay et le Gbãhala, jusqu'au pays d'Odienné actuel mènent une série de paliers. Cette région, qui annonce déjà les savanes du nord, descend doucement vers le Torõ et Kankan.
Vers le sud, le Konyã se termine par contre de façon abrupte. Dès qu'on traverse les cols étroits du Gben on dévale soudain à 500 mètres d'altitude dans la vallée étouffante du Dyani, partiellement couverte de forêt, et qu'il faut traverser pour atteindre les monts du Toma (Buzyé). Si l'on descend du Yèréoru-Tyèkelè on arrive sur les rives du Gwa qui mène au Bafiñ et au Sassandra, tout près des montagnes boisées de la Dorsale (Monts des Guèrzè et des Dã).
Le Konyã est donc un contrefort de la Dorsale dressé dans la zone préforestière et en même temps un véritable château d'eau puisque le Milo et le Dyani sourdent de sa muraille occidentale, tandis que les principaux affluents du Sãnkarani descendent du plateau vers le nord et ceux du Sassandra vers l'est (Fèrèduguba et Bafiñ). La personnalité de ce pays est due évidemment à l'altitude du haut plateau qui lui vaut un climat exceptionnel au seuil de la forêt. Cet îlot de savanes continues, sans galeries forestières ni tsé-tsé, est un pays d'élevage privilégié, où les boeufs de race Ndama pullulent en troupeaux considérables La structure ethnique du pays en a été modifiée puisque les Fula, venus du Wasulu ou du Fuuta-Dyalõ, y sont par endroits aussi nombreux que les Malinké. Ceux-ci groupés dans les vallées en gros villages fortifiés, sont des agriculteurs très supérieurs aux Kurãnko, et savent exploiter les ressources exceptionnellement variées de leur pays.
Le Konyã se prolonge vers l'est par les plateaux à inselberge du Gben et du Barala, dont le peuplement est analogue au sien et, plus au sud, par le Mau de Touba. Ce dernier, enserré entre Fèrèduguba et Bafiñ, occupe l'une des extrémités orientales de la Dorsale et son relief est marqué par des intrusions de quartzites birrimiens et de dolérites (massifs de Sãnta et de Sirakoro). Bien que l'élevage y tienne une moindre place, en raison de sa faible altitude on peut le considérer comme une annexe du Konyã, dont il partage les principales traditions historiques.
Nous retrouverons la forte personnalité de cette avant-garde des savanes en étudiant les groupes humains. Toute la zone préforestière est en effet le domaine de sous-ethnies malinké qui ont refoulé dans la Dorsale depuis peu de siècles les peuples barbares du Sud. C'est à eux qu'est due en grande partie la destruction de la forêt, si bien que la frontière étonnamment nette des paysages végétaux coïncide largement avec celle des civilisations.
En poussant un peu vers le nord, on passe insensiblement des savanes préforestières à celles qu'on a longtemps qualifiées de guinéennes mais que nous baptiserons subsoudanaises comme le suggèrent Miège et Rougerie.
Il s'agit là d'un milieu bien différent, bien que l'opposition des climats ne soit pas totale, puisque d'Odienné à Farana il tombe encore un mètre d'eau. La saison sèche se prolonge cependant trois mois et elle est déjà assez dure pour suspendre toute la vie végétale au moment où les brumes de l'harmattan recouvrent l'horizon.
Contrairement aux savanes préforestières, le climax n'est plus ici la forêt dense mésophile mais la forêt claire xérophile et celle-ci est franchement décidue car elle perd ses feuilles en saison sèche. Elle se caractérise par des arbres de 10 à 20 mètres en peuplement assez lâches, parmi lesquels on remarque le lingué (Afzelia africana), le sandon (Daniela olivieri) le méné (Lophira lancealata) et le samon (Uapaca somona), souvent associés à d'admirables peuplements d'isoberlina. Un acajou original (Khaya senegalensis) apparaît dans les régions les plus sèches. Le sous-bois de cette forêt claire est fort encombré car la lumière qui descend jusqu'au sol y fait naître un tapis vigoureux de graminées et d'arbustes.
Cette formation climatique est aujourd'hui réduite à des îlots localisés sur des sols particulièrement humides et fertiles car elle est très sensible aux feux de brousse. Elle a presque partout été remplacée par la savane subsoudanaise, qui n'en est qu'une forme dégradée, avec des transitions tellement insensibles qu'on hésite souvent à dire si l'on a affaire à lune ou à l'autre.
Cette savane s'oppose dès l'abord aux savanes préforestières par un semis d'arbres qui est souvent assez serré pour masquer l'horizon. Ce sont les mêmes espèces que dans la forêt claire, mais les sujets sont ici tordus et rabougris, pourvus d'une écorce subérifiée qui leur permet de résister aux feux. L'homme a d'ailleurs protégé systématiquement les espèces utiles comme les iroko (Chlorophlora excelsa) fréquents dans les bois sacrés, les nèrè (Parkia biglobosa) qui fournissent un condiment apprécié, ou encore les karité (Butyrospermum parkii) dont l'huile sert à la cuisine. Les deux dernières espèces craignent d'ailleurs l'humidité si bien qu'elles ne sont communes qu'au-delà de la ligne Kankan-Odienné, là où paraît déjà le baobab.
Les graminées forment ici un tapis moins haut et continu qu'en zone préforestière. Les bas-fonds marécageux sont occupés par des Raphia sudanica et des savanes à Vetiveria nigritana. Les rôniers se trouvent un peu partout mais leurs peuplements ne sont denses que dans les zones relativement humides (falaise de Banfora dans l'est). Les forêts ripicoles ou les galeries forestières, toujours riches donnent aux rives des cours d'eau une touche véritablement exotique. La conjonction de l'humidité des vallées avec des précipitations encore fortes crée en effet des conditions rappelant celles de la forêt mésophile, si bien que ces galeries sont surtout formées d'espèces méridionales. Dans leur cadre restreint, elles reproduisent le milieu de la forêt dense, avec son ombre épaisse et son sol peu couvert. Peu sensibles à l'action des feux de brousse, elles sont relativement étrangères, par leur aspect comme par leur flore, à la forêt climacique qui a produit les savanes voisines. La place considérable qu'y tiennent les palmiers à huile en fait un facteur économique d'importance.
Ces savanes subsoudanaises contrastent fortement avec celles de la riche zone préforestière car elles forment au coeur de l'Afrique occidentale une large bande de misère et de vide relatifs 13.
Cette aire de dépression isole les pays guinéens de l'axe soudanais et elle est apparente dans tous les Etats côtiers de l'Afrique occidentale, taillés perpendiculairement à la mer par l'arbitraire des colonisateurs. Elle s'explique sans doute en partie par l'histoire car les grands Empires axés sur le Niger étaient des voisins redoutables et comme cette fraction du Bouclier offrait peu d'abris aux vaincus, ils allaient s'entasser dans les montagnes de la Dorsale. Plus à l'est, c'est au coeur de cette zone que l'on trouve les fortes densités du Sénufo, ce qui prouve qu'il n'y a pas de véritable fatalité naturelle et que l'homme demeure le facteur décisif, une fois défini le cadre qui lui est imposé.
Il reste que ce cadre, dans la zone intermédiaire, est incontestablement défavorable car les savanes subsoudanaises ont l'infortune de cumuler les inconvénients de la bande préforestière et ceux du Soudan sans présenter aucun de leurs avantages. Richard-Molard l'a montré il y a déjà longtemps avec un grand talent mais peut-être un peu trop d'esprit de système 14.
La saison sèche, déjà longue, joue ici aux dépens des sols et les feux de brousse plus intenses limitent la végétation susceptible de les prolonger. C'est le cas particulièrement des sols ferrugineux qui sont fragiles, car sableux en surface et affectés en profondeur par des phénomènes d'accumulation et d'induration des hydroxydes de fer. Si l'érosion décape la partie supérieure, elle découvre une nappe de gravillons qui se transforme aisément en cuirasse ferrugineuse et d'immenses surfaces se trouvent bientôt stérilisées.
Du point de vue agricole, cette saison sèche élimine désormais les plantes de forêt, taro, manioc ou banane. L'igname elle-même se maintient seulement sur les meilleures terres. Les espèces soudanaises dominent désormais mais l'humidité est encore trop forte pour certaines d'entre elles comme le da, un textile indigène (Hibiscus cannabinus), le baobab, voire même le karité. Seules prospèrent des céréales pauvres comme le millet ouest-africain (Digitaria exilis, fonyo en malinké) ou des légumes de jardin comme le poids de terre bambara (Voandenzia subterranea). Le riz de montagne est généralement éliminé par un climat trop sec et il faudrait lui substituer le riz inondé en travaillant les bas-fonds des vallées, mais c'est justement là une chose souvent impossible.
Cette malheureuse zone intermédiaire est en effet caractérisée par le soin avec lequel l'homme se tient à l'écart des vallées, c'est-a-dire des régions les plus fertiles. La faute en est à la maladie du sommeil qui a toujours joué un rôle considérable dans l'évolution des peuples africains 11.
L'Ouest du continent ne connaît pas la forme virulente de cette infection (Trypanosomia rhodesiense) mais sa forme atténuée (Trypanosomia gambiense) est peut-être socialement la plus néfaste. Attestée depuis le Moyen Age 12, elle met deux à trois ans à tuer le malade, et parfois même lui permet de s'adapter. Ce dernier n'en est pas moins incapable de travailler et sert de réservoir au virus qui ne subsisterait autrement que dans la faune sauvage. Celle-ci sert en effet d'hôte à la maladie, dont elle n'est pas affectée, alors que les animaux domestiques, particulièrement les chevaux et les boeufs, y sont extrêmement sensibles 13.
La diffusion de cette affection catastrophique est heureusement limitée par celle de l'insecte vecteur, la mouche tsé-tsé, dont les différentes espèces fréquentent d'ailleurs des milieux très différents. Trois d'entre elles intéressent l'Afrique occidentale.
La répartition de ces mouches coïncide avec celle de la trypanosomiase animale, mais non la variété animale. Pour des raisons encore incertaines, celle-ci est en effet absente de la grande forêt. Nash pense que Glossina palpalis, trouvant partout une moiteur favorable, vit dispersée dans ce milieu et préfère s'attaquer à la faune sauvage alors que, sur les lisières ou en savane, elle se concentre dans les zones humides où l'homme doit chercher son eau et elle le transforme alors en réservoir à virus.
De ce fait, les galeries forestières sont dangereuses dès qu'on sort de la grande sylve, mais les savanes préforestières, dénudées, écartent Glossina morsitans. Dans la zone subsoudanaise, par contre, les trois espèces de mouches sont actives, la première le long des fleuves, la seconde un peu partout et la troisième dans les brousses arborées hantées par la faune sauvage. L'homme ne trouve son salut qu'en occupant des secteurs défrichés, à l'écart des cours d'eau. Ceux-ci sont des axes de vie intense au Soudan comme au coeur de la Forêt, mais ils coulent ici entre des rives malsaines dont l'homme s'écarte avec horreur. Au nord, comme au sud, les frontières sont généralement perpendiculaires aux fleuves. Ici, elles suivent les vallées.
La terrible menace de la maladie du sommeil pèse donc constamment sur la zone subsoudanaise. Le moindre déséquilibre du milieu naturel, tel que la transformation d'un tapis herbacé en savane arborée, peut susciter une offensive de la mouche et rendre toute une région inhabitable De ce fait, l'élevage des grandes races bovines reste ici difficile, d'autant plus que le relief aplani de ces régions exclut des refuges montagneux analogues au Konyã. Le bétail se multiplie seulement vers le nord-est, à mesure que l'on atteint des zones de climat plus sec (Wasulu, Bambara méridional).
La saison des pluies est encore assez longue pour qu'un paludisme virulent affaiblisse la population. Privée des plantes à racine de la forêt, et écartée des vallées, celle-ci doit se contenter de médiocres céréales cultivées sur un sol pauvre. La conservation des grains devient un problème et chaque année ramène la hantise de la soudure.
Il est vrai que ces savanes abritent le cortège admirable de la faune africaine qui y pullulait d'autant plus que jadis les hommes y étaient rares. D'immenses hardes d'antilopes de toutes races et des troupeau; d éléphants se déployaient à travers les brousses et les forêts claires, tandis que les hippopotames hantaient les rives des fleuves. De nombreux carnivores, sur les traces du lion, y trouvaient une abondante provende.
Les grands incendies, en début de saison sèche, donnent lieu ici comme partout à des chasses collectives, mais cette zone se caractérise surtout comme le paradis des chasseurs (dõnso en Malinké). Dans tout le monde manding, ceux-ci sont organisés en corporations hiérarchisées et détentrices de techniques magiques, dont le rôle politique et militaire est souvent considérable. C'est par eux que les armes à feu furent introduites à partir du XVIIIme siècle. La chasse qu'ils pratiquent est cependant beaucoup moins communautaire que celle de la Forêt, ce qui s'explique par l'abondance du gibier et ils procédaient généralement par petits groupes de deux ou trois hommes, liés par un compagnonnage étroit. La faune des savanes a été largement détruite, à l'ère coloniale, mais auparavant les dõnso l'exploitaient assez modérément. La demande d'ivoire était pourtant déjà telle que l'éléphant se trouvait menacé et Samori le décima systématiquement en temps de crise, pour financer son commerce avec la Côte des Rivières.
L'appoint de la chasse était bien nécessaire car son apport en protéines compensait un peu la pauvreté générale de la zone. La pêche ne pouvait y pourvoir car la fuite loin des fleuves la réduisait à peu de choses, qu'il s'agisse de l'activité occasionnelle des femmes que la tradition a toujours associées naturellement aux points d'eau, ou des cérémonies collectives destinées à vider périodiquement un étang ou un marigot déterminé.
Cette fois encore il nous faut considérer le sol et les hommes si nous voulons imposer des divisions à cette étendue sans limites. Si monotone et inorganique qu'elle paraisse, et en dépit de sa pauvreté, c'est elle qui a constitué le gros du jeune Empire et celui-ci y a installe sa capitale.
Dans le cadre des domaines de Samori, les savanes subsoudanaises commencent dans l'ouest avec les pays Dyalõnké : le Solimana, le Firiya, le Wulada et le Baleya, isolés entre le Haut Niger et la frontière du Fuuta-Dyalõ. On peut déjà y observer le paysage de pénéplaine à inselberge que nous ne quitterons guère mais les éléments intrusifs qui en accidentent le relief sont ici particulièrement nombreux.
Le socle, qui est ici granitique, avec des faciès migmatiques originaux dans l'ouest, entre le Solimana et les Scarcies, est surmonté de puissants massifs doléritiques, comme le Tãnko (1.015 m.) qui marque les sources du Tenkiso, sur les frontières du Fuuta-Dyalõ, et celui de Bãnko (999 m.) autour duquel s'est constitué le Ulada. Le Tãnko est entouré d'une auréole de roches phylliteuses d'âge birrimien qui ont donné lieu, comme il est naturel, à un orpaillage fort ancien. D'autres inselberge proviennent de quartzites de la même famille ou de granites intrusifs jeunes.
A l'exception du Solimana, ces pays, longuement ravagés par les Peuls depuis le XVIIIme siècle, sont mal peuplés et leurs gros villages fortifiés ne connaissent qu'une médiocre activité agricole.
Plus à l'est, du Niger au Milo, l'immense Sãnkarã, prolongé par l'annexe du Basãndo, nous offre un spectacle analogue. C'est seulement à son extrémité orientale que des massifs de gneiss se joignent aux quartzites et dolérites pour constituer des inselberge. Au nord-est, des granites intrusifs jeunes forment les chaînes vigoureuses du Nyemakosa (708 m.) et du Kurulamini (804 m.) qui marquent la limite de la province birrimienne des Malinké (Kouroussa, Kankan).
Les médiocres agriculteurs dont les gros villages fortifiés parsèment ce domaine n'exploitent guère les vallées de leurs fleuves et n'atteignent qu'une faible densité. La chasse joue par contre un rôle très remarquable dans leur économie et elle entretient chez eux une vigueur guerrière qui a longtemps assuré leur liberté.
Le Torõ s'étend plus à l'est, du Milo au Sãnkarani et, en amont, au Gbãhala. Jusqu'au XVIIIme siècle il englobait même le pays d'Odienné (Côte d'Ivoire) et atteignait les affluents du Haut Sassandra (Tyemba). Son relief relativement varié s'explique du fait que le socle granitique à inselberge n'occupe que les cantons du centre et de l'est. Au nord, il mord sur la province birrimienne mais les roches de celle-ci, étant comprises dans le socle, n'ont qu'une faible incidence sur le relief. Au sud-ouest, par contre, le Torõ inclut l'extrémité nord de l'axe atakorien du Konyã. Ses quartzites et ses gneiss ne donnent pas ici des reliefs spectaculaires comme le Gben mais un fouillis de collines abruptes qui occupent tout le Gundo, entre le Milo et le Dyõ. Cette partie du Torõ est fortement peuplée par des paysans actifs, alors que l'est est encore plus désert que les étendues du Sãnkarã.
Les pays d'Odienné, regroupés au XIXme siècle par le royaume de Kabasarana, présentent une grande originalité physique car ils correspondent au dernier glacis oriental des montagnes de la Dorsale.
Ceci explique leur altitude relativement élevée, voisine de 400 mètres, en contrebas d'une série de gradins qui descendent du Haut Konyã.
C'est ici que le socle ouest-africain commence à présenter le « dispositif en clavier » que Rougerie a décrit pour le Nord de la Côte d'Ivoire et que l'on retrouve jusqu'aux abords de Niamey. Le substrat de la pénéplaine, toujours formé de granites, est en effet zébré en lanières méridiennes par les roches phylliteuses du Birrimien. C'est à cet étage qu'appartiennent des quartzites peu métamorphisés qui constituent, avec des dômes gneissiques et des dolérites, les éléments du paysage d'inselberge très caractéristique que nous retrouvons à Odienné (Fullakuru: 889 m.). Ce spectacle se poursuit plus à l'est, dans les monts du Noolu (914 m.) et du Fuladugu, jusqu'aux portes de Boundyali où expirent les derniers glacis de la Dorsale. Il s'agit cependant là de pays Sénufo qui resteront généralement extérieurs à l'Empire de Samori.
En raison d'une altitude exceptionnelle et d 'un climat encore très humide , cette région n'est pas caractéristique de la zone intermédiaire. L'élevage y tient une place considérable mais les Malinké ct Bambara qui l'occupent en gros villages, généralement très espacés, sont de médiocres agriculteurs contrairement à leur voisins sénufo.
Plus au nord, entre le Sãnkarani et Baulé, le Wasulu ne s'écarte pas moins de la norme, mais cette fois pour de toutes autres raisons. La pénéplaine qui s'y déploie à l'infini est particulièrement monotone. En dehors de quelques buttes latéritiques, c'est seulement dans le sud qu'on trouve de modestes inselberge (Mãntãn-Kuru: 435 m.).
La première originalité de ce pays est d'ordre géologique car c'est ici que le socle présente le plus clairement la « disposition en clavier ». A l'extrême ouest, le Sãnkarani coule en effet à la limite de la grande province birrimienne du Malinké, tandis que, plus à l'est, une longue bande, partant du Niger, coïncide à peu près avec le cours du Balé et s'étend au sud jusqu'aux abords d'Odienné. Ces zones phylliteuses ont vu naître de modestes orpaillages indigènes et les sols qu'ils produisent seraient relativement riches sans le processus de cuirassement qui est ici particulièrement actif.
La personnalité du Wasulu s'est formée surtout en raison d'un climat déjà fort sec et de la rareté de la tsé-tsé, qui en font une zone de transition avec les savanes proprement soudanaises. Il en résulte un début de culture rizicole dans les grandes vallées fluviales, et particulièrement celle du Sãnkarani. Il en résulte surtout un développement exceptionnel de l'élevage, qui n'est pas le fait d'un district restreint comme le Haut Konyã, mais l'ensemble du pays.
Comme dans tout l'ouest africain, c'est ici le domaine des Peuls ou Fula, qui possèdent des races bovines assez grandes, du type Ndama, mais non des zébus, pour qui le climat serait encore trop humide. Le fait essentiel est que ces Peuls se sont métissés et culturellement assimilés aux paysans bambara, qu'ils unissent étroitement l'agriculture à l'élevage, et que leur connaissance de la traite assure une certaine valeur économique à leurs troupeaux. Ils restent cependant fidèles à leurs conceptions traditionnelles et il est évidemment interdit d'abattre des bêtes pour la nourriture quotidienne ou d'en généraliser le commerce.
Il reste que le Wasulu présente un exemple d'équilibre agro-pastoral exceptionnel en Afrique occidentale et que ce fait culturel explique son fort peuplement en gros villages en dépit de conditions naturelles qui n'étaient pas tellement favorables.
Le pays des Bambara du Sud prolonge le Wasulu vers l'est jusqu'au Bagoé, où l'on peut fixer la frontière orientale de l'Empire samorien, mais il ne nous retiendra guère. Cette marche lointaine est en effet très semblable à celle qu'on vient de décrire.
Ici également, le socle granitique est zébré de roches birrimiennes dont on trouve deux taches à l'extrême nord, sur le Baulé, l'une autour de Bougouni, et l'autre plus en aval, autour de Bole. Cette dernière explique les orpaillages anciens du Kékoro, dans le sud du Baninko occidental. Plus à l'est, le Bagoé suit un axe birrimien qui débute dans le sud, bien au-delà de Boundiali où il est semé de granites intrusifs jeunes. Les inselberge sont un peu plus nombreux qu'au Wasulu, mais on les trouve toujours à la périphérie, vers le nord (Kékoru, 517 m.) ou vers le sud (Tyéton-kuru: 641 m., dans le Tudugu).
Au nord, la plus grande partie du Baninko disparaît sous un manteau de grès cambrien et l'isohyète de 1 mètre y fait régner la vraie savane soudanaise, ce qui l'aurait exclu de ce paragraphe même s'il n'était pas resté étranger au domaine de Samori.
A l'exception du Baninko, la plupart de ces pays bambara sont pauvres et relativement peu peuplés. Les qualités paysannes de la race y sont moins marquées qu'ailleurs, avec quelques exceptions, dont le Tyendugu est la plus remarquable. Les Fula ne dominent pas ici comme au Wasulu, mais ils sont partout présents avec leurs troupeaux et on les retrouve jusqu'au Sénufo, en remontant le Bagoé, du côté de Tëngrèla.
Si l'on voulait donner une définition purement climatique des savanes soudanaises on dirait qu'elles se trouvent au-delà de l'isohyète de 1 mètre, qui suit à peu près dans notre domaine une ligne Kangaba-Bougouni-Sikasso.
Ce critère n'est cependant pas satisfaisant car il masquerait un élément fondamental qui oppose cette zone à la précédente et qui est l'utilisation intense par les hommes des grandes vallées fluviales. Ceci nous amène à remonter le Niger jusqu'à Kouroussa et le Milo jusqu'à Kankan, et à joindre à ce domaine la vaste province de roches birrimiennes qui occupe le cours supérieur du grand fleuve en aval de ces villes, jusqu'à Kangaba, avant de plonger au nord sous les falaises gréseuses des monts du Manding. C'est à ce sous-sol qu'est due la concentration dans cette région des plus célèbres orpaillages de l'Ouest africain et on retrouve les mêmes couches dans le Bambuk, plus à l'ouest, au-delà de l'ennoyage des grès ordoviciens.
Dans cette région méridionale, la savane subsoudanaise règne dès que l'on sort des vallées fluviales, mais, plus au nord, là où la saison sèche compte désormais quatre mois ou davantage, on rencontre enfin la vraie savane soudanaise . Le sol est désormais revêtu d'un tapis d 'herbes assez courtes qui lui donnent une couleur fauve pendant la sécheresse. En dehors de la silhouette monstrueuse du baobab qui est ici chez lui, les arbres aux troncs tourmentés se font désormais discrets et leur taille ne dépasse guère dix mètres.
Quel que soit le type des savanes, le fait essentiel est qu'elles sont de plus en plus abandonnées par l'homme car, dans ce climat moins humide, la pauvreté devient le lot des régions sèches, et l'activité se concentre désormais dans les grandes vallées. La régression de la trypanosomiase et du paludisme, la généralisation de l'élevage des bovins, voire même du cheval, et de l'âne créent des conditions toutes nouvelles. Les cours d'eau n'étant plus hostiles à l'homme, celui-ci prospère grâce aux ressources que lui offre le riz, cultivé cette fois en plaine humide ou inondée.
Le fait est net dès que les grands émissaires de la Dorsale sont en mesure de déblayer de larges zones d'inondation qu'ils couvrent de limon. Bien que les cultivateurs ne soient pas maîtres du plan d'eau, la montée progressive du fleuve permet deux récoltes annuelles a deux niveaux successifs et les variétés flottantes du riz sont capables d'affronter des crues rapides.
Le volume des eaux et la régularité du cours permet en outre à des villages entiers de se spécialiser dans la pêche, qui devient alors leur activité principale et détermine leur genre de vie. C'est ainsi qu'en aval de Kouroussa les Somono sont maîtres du Niger auquel leurs flottes de pirogues donnent une vie toute nouvelle. Les traditions malinké parlent jusqu'à ce point de migrations par voie d'eau, ce qui serait naturellement inconcevable plus au sud.
Dans ce domaine nouveau, les provinces se définissent par le cours des fleuves qui ne servent plus guère de frontière mais le long desquels s'échelonnent les cantons historiques, tandis que les brousses intermédiaires sont souvent désertes et abandonnées aux chasseurs.
C'est ainsi que les gros villages du Baté et du Balimakhana se succèdent à courts intervalles sur les rives du Milo entre Kankan et le confluent du Niger. C'est ainsi que le domaine des Malinké commence avec le Hamana quelques kilomètres en amont de Kouroussa, puis descend les rives du fleuve à travers le Basãndo de Dugura, le Kulunkala, le Dyuma, le Nungade Siguiri, puis le Bas-Manding de Kangaba (Kaaba). Plus à l'est, le Fyé sert d'axe au Sakodugu et au Kulibalidugu, le Sãnkarani au Dyumawañya et à divers cantons malinké et bambara. Dans la plupart de ces kafu, il ne se trouvait traditionnellement aucun village important à l'écart du fleuve. La basse vallée du Tenkiso faisait cependant exception car son cours encaissé n'avait pas de plaine d'épandage et ses abords malsains, où régnaient l'onchocerchose, en écartaient depuis toujours les hommes.
L'attirance des fleuves paraît particulièrement forte dans cette région parce que le bouclier est ici exclusivement formé de roches birrimiennes et que les sols qui en résultent sont extrêmement portés au cuirassement. Il suffit cependant que quelques roches intrusives élèvent des reliefs au-dessus de la monotonie du plateau pour que naissent de nouveaux centres d'attraction. Ce fut jadis le cas au nord de Kouroussa pour la chaîne du Nyãdã-Banyé (708 m.) qui marque la limite du Baléya et par là même celle du Birrimien. Ses granites intrusifs hyper-alcalins sont entourés d'une auréole d'anciens orpaillages. C'est aussi au contact d'enclaves cristallines que l'on trouve les orpaillages classiques du Burè et du Bidiga, surmontés par des inselberge doléritiques au nord-ouest de Siguiri, et aussi ceux du Manding, qui parsèment les zones peu accidentées des deux rives du Niger.
En dehors de ces activités minières, tous les groupements établis à l'écart des fleuves, comme les Malinké de Marèna ou ceux du Mãndé (Nyagasola) sont incontestablement misérables aussi longtemps qu'on demeure dans le domaine du Birrimien. Il en va autrement sur les grès ordoviciens du Menyen et du Gãngarã, au nord-ouest, mais ces hautes terres, isolées entre Bafin et Bakoy, sont pratiquement extérieures au domaine que nous étudions.
La fraction des Bambara du centre, qui s'étend de la rive droite du Niger, face à Bamako et Koulikoro, jusqu'au bas Sãnkarani, au Baulé et aux frontières de Ségou, a également été intégrée de façon durable à l'Empire de Samori. Nous sortons ici de la grande province birrimienne pour retrouver le socle granitique, zébré de bandes phylliteuses, avec son paysage classique de pénéplaine à inselberge (pays de Wolosebugu, Banã). Celle-ci cède cependant la place plus au nord au modelé des grès cambriens, qui s'annoncent par des basses falaises, et ennoient le pays en direction de Ségou. Bien que les rives du Niger et, plus loin, celles du Bani, attirent toujours une forte population, le peuplement bambara est désormais réparti sur tout le pays et les rares zones désertes peuvent s'expliquer par l'histoire. Par les structures agraires comme par la civilisation, ces gens ne se distinguent pratiquement pas de leurs frères du royaume de Ségou.
Les savanes soudanaises out toujours été marginales par rapport au domaine de Samori et celui-ci ne mordra sur elles que dans l'Est, au-delà de la Volta. L'axe du Niger a cependant joué dans l'Ouest un rôle vital et c'est par rapport à lui que la région s'ordonne clairement, contrairement au fouillis confus des zones précédentes. Il est significatif que ce rôle prenne fin là où s'arrêtent simultanément l'agriculture riveraine, la pêche et la navigation en pirogue. Ce n'est pas un hasard si ces points de rupture, qui coïncident avec les limites du bloc birrimien, sont déterminés par des rapides situés à proximité de Kouroussa et de Kankan, en amont du Niger et du Milo. Ces villes traditionnelles en sont nées, la première en amorçant les pistes caravanières qui mènent vers la Côte des Rivières, et la seconde celles qui montent vers les lisières de la Forêt.
A l'autre extrémité du bief, les rapides de Sotuba ne marquent pas une frontière aussi nette, mais ils expliquent la croissance de Bamako, au point où les pistes du nord rejoignent le fleuve en contournant la barrière des Monts du Manding.
Cet axe fluvial était donc prédestiné à porter loin vers le sud les influences soudanaises, jusqu'aux centres d'où il était relativement aisé de poursuivre par terre vers les forêts de la Dorsale et la Côte des Rivières. En rapprochant des zones complémentaires, il augmentait le gradient des échanges et prédestinait la région à un rôle historique de carrefour.
Ce champ de forces s'est exercé puissamment sur l'Empire de Samori car il héritait d'entreprises plus anciennes mais mal connues comme les migrations du XVIme siècle. Né dans la zone préforestière dont il tirait sa puissance, il allait se trouver naturellement attiré par l'axe du Haut Niger puisque la zone intermédiaire qu'il devait traverser était ici dans sa moindre largeur. L'hégémonie ainsi étirée depuis les vieilles métropoles soudanaises, jusqu'aux forêts du sud allait cependant souffrir d'un certain vice de structures puisque ses régions prospères s'échelonnaient à la périphérie d'un centre misérable bien représenté par le Sankarã et le Torõ avec moins de 5 habitants au kilomètre carré Samori allait y parer en plaçant là sa capitale, Bisandugu, et en l'entourant d'une zone agricole prospère.
Loin de nuire à la cohésion d e l'Empire, ce déséquilibre allait être finalement un avantage dans sa lutte contre les Français. Après la perte des riches terres du nord, il lui sera relativement facile de transformer en désert les savanes subsoudanaises pour protéger les pays de la zone préforestière où demeuraient ses forces vives, hors de portée des agresseurs. C'est en jouant de ce dispositif naturel que Samori pourra se maintenir jusqu'en 1893 sur son terroir originel.
Les pays que Samori occupa après 1893 dans l'Est, du Haut Sassandra à la Volta Blanche se distinguent assez fortement de l'ancien Empire par l'absence d'axes naturels comparables à la Dorsale ou au Niger. Leur assiette est beaucoup plus méridionale, centrée entre les 8° et 9° parallèles sur le flanc sud du « bourrelet gondwanien », et comprise exclusivement dans le bassin des fleuves qui coulent vers l'Atlantique, comme le Bandama, le Comoé et la Volta.
Si l'on excepte les grès cambriens des falaises de Banfora et du Gondja central, on est confronté, cette fois encore. au bouclier ouest-africain avec son socle cristallin zébré « en clavier » par des bandes de roches birrimiennes. On y trouve exclusivement des paysages de pénéplaines que l'érosion différentielle de divers matériaux hérisse d'inselberge. Leurs vastes horizons rectilignes portent souvent des dômes granitiques comme à Korhogo et Nyãngbo (Tagwana) ou bien des alignements d'une régularité admirable comme celui qui s'étend de Séguéla à Mankono. Des roches vertes se dressent ailleurs en chaînons abrupts comme à Syõpligè, Soloka'a ou Kaapéle (Dikodugu) en pays Sénufo et on rencontre aussi des affleurements de quartzites comme les collines du Bandama près de Katiola (Tagwana) (510 m.).
A l'Est du Bandama, les principaux accidents du relief proviennent d'intrusions diverses, généralement localisés sur les axes birrimiens. C'est le cas des roches vertes volcaniques des monts Gorowi (64 0 m.) à l'Est de Kong et des hauteurs du Dyimini , mais non de l'alignement des monts Buturu (560 m) qui surgissent en pleine zone granitique, au sud de Bouna. Toutes ces hauteurs ne dominent cependant le plateau que de 100 à 200 mètres si l'on excepte les quartzites abruptes des monts Tètèwa (741 m.) qui dressent leurs sommets tourmentés à 400 mètres, au-dessus des lisières de la grande Forêt. Ce massif voisin de Bondoukou, qui est un noeud géologique important, nous introduit d'ailleurs à une dernière série précambrienne, le Tarkawaien, postérieur au Birrimien, que l'on rencontre surtout au Ghana.
Dans ces régions où la monotonie africaine a repris tous ses droits, les fleuves coulent du nord au sud dans des zones pratiquement désertes et ils ne sont utilisés par l'homme qu'au voisinage de leurs embouchures. On ne peut donc mettre un peu d'ordre qu'en se guidant sur les zones climatiques et végétales, et à l'intérieur de celles-ci sur les facteurs humains, donc historiques.
Le fait essentiel est alors l'existence du « golfe » du Baulé qui repousse la forêt loin dans le sud sur l'axe du Bandama tandis que le niveau moyen des précipitations diminue sensiblement vers l'est, à mesure qu'on approche du Ghana. A partir du Nzi et du Comoé la Forêt remonte cependant fortement vers le nord, jusqu'aux abords de Bondoukou, car elle se moule, en dépit d'une faible pluviométrie, sur les ferrisols engendrés par le substrat birrimien.
Entre Sassandra et Bandama, les frontières samoriennes ont évité la forêt mais elles l'ont pénétré assez profondément sur le Comoé. Cette forêt orientale appartient culturellement au monde Akãn et l'igname y joue un rôle fondamental alors que le riz y est inconnu. C'est là que Samori pour la première fois, a contrôlé directement des régions, productrices de kola (Gã, Ano) mais il n'y voyait qu'une marche exotique qu'il utilisait exclusivement pour protéger sa frontière méridionale et établir certaines relations avec le monde extérieur (Côte d'Ivoire ou Gold Coast).
Dans l'Est, comme dans son ancien domaine, Samori avait naturellement tendance à s'adosser sur la Forêt comme à un rempart protecteur, mais le « golfe » Baulé ouvrait ici une large brèche et la menace des Français qui montaient de Côte d'Ivoire, faillit un instant empêcher la stabilisation du nouvel Empire. L'échec de Monteil, en 1897, allait cependant lui assurer trois années de paix.
La sécurité de cette frontière était fondamentale pour Samori car ici, comme dans l'Ouest, il massait ses forces vives dans la zone préforestière. Celle-ci est cependant moins riche qu'au revers de la Dorsale, et surtout moins bien mise en valeur, du moins à l'ouest du Bandama, par les Malinké du Worodugu et Koyara (Séguéla, Mankono) 15. Le Koro est plus riche mais, au-delà du fleuve, jusqu'au Nzi et au Comoé, les pays des Sénufo Tagwana et Dyimini étaient déjà ravagés par la guerre et réduits à l'état de désert quand Samori les annexa. Les colonies agricoles qu'il y installa n'étaient qu'un palliatif, si bien qu'une seule fraction de la zone préforestière s'avéra une acquisition valable pour le conquérant, et ce fut le royaume Abro, entre Comoé et Volta.
Tout le reste de son nouveau domaine était compris dans la zone subsoudanaise dont la pauvreté générale paraît confirmée dans les pays de Kong et de Bouna, comme dans le Gondja, mais est démentie plus à l'ouest par l'activité intense et les fortes densités des Sénufo du Centre (Korhogo, Boundiali). Les grands pôles d'activité de la zone soudanaise ne se trouvaient pas ici à portée de la main, comme l'axe du Haut Niger dans l'ancien Empire. L'irruption des Français fera reculer Samori en 1896 avant qu'il ait atteint le Mosi et sa marche sur Bobo Dioulasso, l'année suivante, ne sera qu'une improvisation. La zone intermédiaire allait donc le protéger des Français du Soudan jusqu'au jour où le désir de prévenir les Britanniques les incitera à la traverser, puis, par enchaînement, à éliminer leur vieil ennemi.
Ce survol des forêts et savanes qui allaient constituer le domaine de Samori a mis en évidence la variété des réponses humaines aux défis de la nature. La variété des systèmes agraires, en dépit de milieux souvent analogues, nous a constamment menés au seuil des problèmes de civilisation. Nous allons désormais étudier les hommes pour eux-mêmes et puisque nous avons souligné la diversité relative des pays de l'ancien Empire, il nous faudra rendre compte de l'uniformité du milieu humain malinké, qui contredit la norme de l'Ouest africain.
Notes
1. Pour la géographie de l'Afrique occidentale, prise dans son ensemble, j'ai eu recours à l'admirable petit livre de Richard-Molard (1949) complété par les articles spécialisés de l'Encyclopédie Coloniale et Maritime A.O.F. (tome 1, 1949).
Pour la géologie, Arnaud (1945) et Marvier (1953) ainsi que lesnotices des feuilles Kissidougou, Kankan, Bougouni et Odienné. (Carte géologique de reconnaissance au 1/500.000e).
Pour les sols, Dabin, Leneuf et Riou (1960), ainsi que Riou (1966).
Pour la végétation, Aubreville, 1933, 1936 et 1949, et Adjanohoun (1966).
Pour les agricultures, les livres de Labouret (1930, 1939) sont particulièrement au courant des problèmes malinké.
En matière de géographie régionale, la Côte d'lvoire est bien pourvue, grâce aux travaux de Rougerie: sa thèse admirable, mais limitée aux milieux forestiers (1960) et surtout sa précieuse synthèse de 1964. Nous avons également utilise la géographie du Ghana de Boateng (1960), et, à titre, de comparaison, le livre remarquable de Buchanan et Pugh sur le Nigéria (1955). En dernier lieu, la grande thèse de Sautter (1966) sur le Bas-Congo
2. Roque (1948).
3. Bourlière (1961) et Desmond-Clarke (1963).
4. Desmond-Clarke (1964).
5. Description du Kisi in Paulme (1953). Pour le Toma et le Guerzé, notes de voyage de Schwab (1967) pour le Dã méridional, Himmelheber (1958).
6. Arnaud (1945), p. 31.
7. Carte de durée des saisons in E.C.M.-A.O.F., tome I. p. 231.
Dans la zone préforestière, de Faranah à Beyla, Bouaké et Bondoukou, il pleut habituellement de février à décembre et de février à novembre sur les marges de la zone subsoudanienne. Celle ci, d'Odienné à Kankan, Bamako et Bougouni, connaît des pluies de mars à novembre la zone de Ségou d'avril à novembre.
8. Carte des Bioclimats in E.O.M.-A.O.F., T. , p. 373; Colloque d'Adiopodoumé (1963).
9. La personnalité de cette zone a été clairement définie par Aubreville de 1933 à 1936. Ses recherches ayant été limitées à la Côte d'lvoire, il est curieux de voir la zone « baouléenne » s'arrêter subitement à la frontière de Guinée, sur la carte de l'Atlas Grandidier (Cartes XVIII - notice de Delafosse, revue par M. Hubert). Plus à l'ouest les savanes subsoudaniennes sont plaquées directement au contact de la forêt.
10. 1949, p. 124-126. Aussi, in E.C.M.-A.O.F. T. 1, p. 128 sqq.
11. Les problèmes de la trypanosomiase en Afrique occidentale sont exposés par Buchanan et Pugh (1958, p 47-51). L'article de Lambrecht (J.A.H., 1964, p. 1 à 24) nous donne une mise à jour écrite dans un esprit très historique.
12. On lui attribue la mort de l'Empereur du Mali, Mari Dyata II, en 1373-74.
13. La trypanosomiase animale, qui a arrêté l'expansion des Boers au XlXme siècle, porte en Afrique centrale le nom de nagana. Goody (1965) émet l'hypothèse que l'expansion de l'Ashanti dans la zone préforestière au XVIIIme siècle a été favorisée par une offensive de la tsé-tsé. Les états de tradition septentrionale qui occupaient cette zone avaient été alors ruinés par la décadence de leur cavalerie.
14. Exemples in Buchanan, p. 50 et Lambrecht, p. 19. Selon Christofer Fyfe, la Sierra Leone aurait été le théâtre d'une offensive de ce genre au cours du XIXme siècle.
15. Cette opposition demeure nette de Séguéla à Mankono et au Bandama, où les kafu méridionaux, sur une profondeur d'environ 30 kilomètres, restent beaucoup plus peuplés que les voisins situés plus au nord. Cette densité est cependant relative, et est éclipsée par les fortes concentrations des allogènes du sud, Guro et Baulé. Mais il faut justement considérer que ces derniers débordent largement en dehors du milieu sylvestre et que la partie la plus riche de la zone préforestière est ici entre leurs mains.
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