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Histoire


Ibrahima Khalil Fofana
L'Almami Samori Touré. Empereur
Récit historique

Présence Africaine. Paris. Dakar. 1998. 133 pages


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Chapitre X
L'exode vers l'est

La décision d'émigrer vers l'est ayant été prise, l'armée fut organisée en fonction des nouvelles exigences.

L'armée de l'Est, sous les ordres de Morifindian Diabaté avait désormais une double mission : conquérir de nouvelles contrées tout en encadrant le mouvement des populations en exode vers les régions récemment intégrées.

La Foroba ou armée centrale sous les ordres de l'Almami couvrait les arrières. Entre mai et décembre 1892, la conquête du Nafana en pays Sénufo avait été achevée par Morifindian Diabaté. Cependant l'instabilité géopolitique à laquelle l'empire était ainsi condamné n'avait cessé de le miner dans ses fondements.

En effet en s'enfonçant toujours plus à l'est, l'Almami perdait entièrement le contrôle des riches plaines du Niger, du Milo et du Niandan. L'Empire vivait désormais, tant bien que mal sur les contrées soumises ; la cohésion au sein des instances dirigeantes de l'État avait pris jusque-là ses racines dans le consensus réalisé autour de la personne de l'Almami Samori Touré.

Dans les pays fra�chement conquis par les armes et parmi les populations déplacées par la contrainte et supportant mal l'abandon de leur terroir, ce consensus faisait défaut.

Sur le plan des affrontements, les troupes coloniales avaient commencé, en novembre 1892, la préparation d'une nouvelle campagne sous les ordres de Combes.

Forte de dix compagnies, dont une de la tristement célèbre légion étrangère composée d'apatrides sanguinaires, la colonne visait d'une part à bloquer toute progression de l'Almami vers l'est du fleuve Dion et à couper d'autre part les voies d'approvisionnement en armes de la Sierra-Leone en délogeant Bilali du Haut-Niger.

Combes partit de Siguiri le 26 décembre 1892 pour arriver à Kankan le 30. Ayant appris que l'Almami était revenu du Nafana à la rencontre de convois d'armes, il quitta Kankan le 7 janvier 1893 en direction du Sankaran.

Combes arriva à Kô-Nafadji (non loin de Tokounou) le 19 janvier pour apprendre que l'Almami venait de quitter ce village le 14janvier, soit cinq jours seulement auparavant; avec une cargaison importante d'armes et de munitions qui y avait été constituée par Bilali. L'expérîence ayant enrichi le conquérant, sa stratégie tendait désormais à rendre inefficace le réseau de renseignements de l'adversaire : autant que faire se pouvait l'ennemi ne rencontrait que le vide.

Ainsi jusqu'en avril 1893 qui marqua la fin de cette campagne, Combes n'avait pas réussi à localiser avec exactitude son adversaire qui était par contre bien informé. Maintes fois les troupes coloniales furent sciemment orientées vers des objectifs erronés.

Après une vaine chevauchée vers l'est jusqu'aux rives du fleuve Dion, Combes dut revenir à Kérouané le 10 mars 1893 sans avoir éliminé l'Almami Samori, qui ne lui avait même pas donné l'occasion de combattre une seule fois.

La mission dirigée par Briquelot à partir de Kouroussa visait à capturer Bilali le pourvoyeur d'armes. Après avoir longuement erré lui aussi, Briquelot dut admettre qu'il avait échoué, Bilali ayant réussi à rejoindre l'Almami sur les rives du Dion le 6 avril 1893 avec une autre cargaison d'armes et de munitions.

Cependant la colonne avait atteint son second objectif en bloquant l'accès aux sources d'approvisionnement.

Dans le Kissi et le Sankaran, les capitaines Dargilos et Valentin avaient remporté des succes importants. Ils avaient contraint les lieutenants de l'Almami : Kissi Kaba Kéïta, Sidi Baba et Bakari Touré à déposer les armes.

Vers le sud, les troupes coloniales sous les ordres de Richard, secondé par les capitaines Bohin et Loyer, remportèrent aussi des succès importants. La route des armes menant au Libéria a été bloquée, l'armée du Sud commandée par Djaoulén Karamo secondé par Kounadi-Kèlèba ayant été délogée.

Dans leur progression les troupes coloniales occupèrent tout le Haut-Konia, le Karagwa et le Mahana entre décembre 1893 et janvier 1894. Le ralliement obtenu de Kabiné Kourouma et de AssaKaba, tous alliés notoires de l'Almami Samori, mettait fin à la réalité de l'empire dans cette région.

Les frontières de l'ouest au sud, depuis Hèrèmakono (Faranah) jusqu'à Guéasso (Beyla) étaient aux mains des troupes coloniales.

Cette situation rendait l'armée samorienne particulièrement vulnérable. En attendant d'avoir accès aux comptoirs de la Gold Coast (actuel Ghana) l'Almami dut vivre sur ses réserves et sur la production de ses armureries transférées à Dabakala.

Il convient de signaler que les opérations militaires se poursuivaient malgré les instructions d'un gouverneur civil en la personne de M. Albert Grodet, nommé en novembre 1893 à la tête du Soudan.

Il avait rejoint Kayes en décembre et s'était empressé de traduire par des instructions précises les nouveaux objectifs assignés à sa mission, à savoir mettre fin aux conquêtes militaires anarchiques et coûteuses afin d'organiser les territoires déjà conquis en vue de leur rentabilité économique. Mais il lui fallut compter avec l'entêtement et la désinvolture de l'équipe militaire dirigée par le lieutenantcolonel Bonnier, fidèle émule d'Archinard, soutenu par Borgnis-Desbordes devenu inspecteur général des armées. Grodet réussissant enfin à se faire obéir, il en résulta une accalmie sur tous les fronts.

L'Almami Samori estima le moment propice pour engager des démarches diplomatiques par l'intermédiaire d'un notable influent de Samatiguila, Moustapha Dyabi.

Le messager se présenta au capitaine Lefort à Bougouni le 23 janvier 1894 pour sonder les autorités coloniales sur les opportunités de négociation.

Rappelons que douze longues années d'affrontements sanglants s'étaient déjà écoulées. A cette époque à Paris, les « militaristes » avaient perdu l'initiative au profit des « économistes » soucieux avant tout de rentabiliser les territoires conquis. La nomination d'un gouverneur civil à la tête du Soudan traduisait éloquemment le nouveau rapport des forces. M. Grodet fut donc prompt à alerter le gouvernement à Paris sur les intentions de l'Almami Samori Touré.

Le 6 mars 1894, instructions étaient données au gouverneur du Soudan de négocier avec l'empereur, mais en territoire français, précisait-on. Cette exigence fit avorter la tentative, eu égard aux nombreux déboires occasionnés par les violations flagrantes et répétées des traités.

Bonnier n'avait-il pas tenté de mettre la main sur lui à Kôloni alors qu'il pacifiait le pays Bambara ?

Le gouverneur, M. Albert Grodet, invita l'Almami Samori à le rencontrer à Bamako au mois de mai 1894.

Sa réponse, typique du genre, on la connaît depuis.

« J'accepte de commander les Noirs tout en me plaçant sous la tutelle du gouverneur blanc, déclara-til. Mais je n'irai pas à Bamako ; j'y serai représenté par mon fils Tiranké-Mori. Je demande que l'on me permette de réoccuper mon pays natal, le Konia et le Sankaran. J'établirai ma capitale à Kankan. En outre je ne veux ni garnison militaire, ni résident français auprès de moi, à moins que ce dernier soit un Noir comme le lieutenant Alakamessa.»

Comme on le constate, cette réponse traduit, on ne peut mieux, la méprise de l'Almami Samori face à l'entreprise de la conquête coloniale dont les objectifs fondamentaux étaient de nier aux peuples colonisés le moindre droit naturel, tout pouvoir exercé en dehors du système colonial devenant illégal.

Il saute aux yeux que les voeux exprimés par l'Almami avaient d'autant moins de chance d'être satisfaits que les militaires servant au Soudan étaient loin d'être neutralisés et qu'ils « rongeaient leur frein ». Ils étaient pleins de rancoeur de ne pouvoir « en découdre » avec les sofas.

Ils exerçaient une forte pression sur le gouverneur en invoquant en particulier l'inconséquence qu'il y aurait à céder à l'ennemi de la France des territoires conquis par les armes.

Les négociations tournèrent court et la délégation de Tiranké-Mori fut renvoyée de Bamako d'où elle se rendit à Odienné où l'Almami tenait garnison. Pour autant, celui-ci ne rompit pas le contact afin de neutraliser les troupes coloniales pendant que les sofas progressaient vers l'est.

En plus de ce motif d'ordre stratégique, l'Almami Samori était confronté à une situation d'une exceptionnelle gravité pour l'avenir de l'empire.


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