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Histoire


Ibrahima Khalil Fofana
L'Almami Samori Touré. Empereur
Récit historique

Présence Africaine. Paris. Dakar. 1998. 133 pages


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Chapitre VII
L'apogée

Les frontières ouest de l'empire se stabilisaient tandis que les alliés de l'Almami dans la région : Dalaularè-Mori de Douako, Mori-Souleymane Savané et Kissi-Kaba dans le Kissi progressaient vers le sud. Lankama N'Valy parachevait la sécurité des routes d'approvisionnement en armes et munitions.

On peut considérer que l'empire samorien a connu son apogée entre 1883 et 1887, date à laquelle le siège de Sikasso eut des conséquences néfastes sur l'équilibre interne de l'entité politique.

Les années 1884, 1885, 1886 ont été des années fastes, la tendance générale des événements qui se sont produits à l'époque étant à l'affermissement des bases de l'empire.

1. L'année 1884

L'événement le plus important de l'année 1884, celui qui a eu un impact décisif sur l'orientation politique et sur l'organisation de l'empire, fut sans conteste l'institutionnalisation de l'Islam en juillet, à Bissandougou.

En effet, après une collaboration suivie avec les Kaba de Kankan, les relations culturelles actives avec les Cherif et les échanges diplomatiques fructueux avec le pouvoir théocratique de Timbo au Foutah-Djallon, l'Almami Samori en arriva tout naturellement à adopter les principes tirés du saint Coran dans l'exercice du pouvoir.

Comme on le sait, l'Islam est à la fois un code de conduite individuelle et un système politicosocial d'organisation de la communauté musulmane et ce en sus des credo de l'épanouissement spirituel.

L'Almami convoqua tous les dignitaires en une Assemblée générale. A cette occasion l'Islam fut proclamé religion d'Etat. Les conséquences immédiates et tangibles furent nombreuses, entre autres :

En effet selon la coutume malinké, l'héritage se transmet par collatéraux, de frère en frère, tandis que le code musulman le prescrit de père en fils, par ordre de primogéniture. Par l'application de cette disposition, l'Almami Samori déshéritait ses frères du pouvoir :

Quelle frustration !
Face à cette décision, les frères protestèrent : on parla d'arbitraire et d'ingratitude. Excédé par ces récriminations, l'Almami réagit, avec pondération néanmoins en leur rétorquant :
— « Je ne vous ai fait aucun tort ; le pouvoir que je détiens n'est pas hérité de notre père, comme il peut vous le confirmer lui-même. Nous avons opté pour l'Islam et devons en respecter les principes. »
Et pour bien signifier le caractère irréversible de sa décision, il retira à Kèmè Bréma fin 1884, c'est-à-dire quelques mois seulement après l'Assemblée de Bissandougou, tout le territoire situé à l'est du Baoulén, pour constituer une région autonome avec une armée placée sous les ordres de l'aîné de ses fils, Managbé Mamadi.
Contraints d'avaler leur déception et d'étouffer leur rancœur, sachant bien qu'ils feraient désormais l'objet d'une surveillance constante, même discrète, les frères de l'Almami durent se contenter de jouer les seconds rôles.
Plus tard (en 1890) la désignation de Sarankén-Mori comme prince héritier, et ce en violation flagrante de cette loi successorale établissant que la dévolution se fait par ordre de primogéniture, cette désignation, soulignons-nous, fut à l'origine de bien des tragédies au sein de la famille imperiale. Nous verrons que les conditions de la mort de Djaoulén-Karamo (1894) y trouveront leur fondement.

Mais en 1884 déjà, le consensus qui avait prévalu jusque-là autour du pouvoir était profondément atteint.

Pour en revenir aux conséquences de l'action d'islamisation il convient de remarquer que la campagne a visé tout d'abord les peuples de l'ethnie malinké ou apparentée tels que les Bambaras et les Sénufos. Ceci expliquerait le fait que les peuplements forestiers intégrés à l'empire à la suite de l'annexion du royaume de Saadji (Toma, Kpèlè, Kono, etc.) aient échappé à l'entreprise d'islamisation.

En revanche, dans le Wassoulou et en pays Bambara, la campagne d'islamisation fut un échec.

Les Wassoulounkés, habitués, en général, à la vie errante des chasseurs, ont toujours été réfractaires à toute forme de contrainte.

La pratique de l'islam avec la rigueur de ses rites n'est certainement pas de nature à convenir spontanément à ces populations.

En tout cas les maîtres d'écoles coraniques affectés dans cette région n'ont connu que des déboires !

Que faire assimiler en effet, à des élèves se présentant aux cours du soir, enivrés de bière de mil la plupart du temps ? Les séances d'enseignement se réduisaient le plus souvent à l'audition de bourdonnement de sons indistincts.

Dans le pays Bambara les difficultés étaient de plusieurs ordres : le peuple Bambara avait une culture profondément ancrée depuis des siècles, une culture où trône le « Komo ». Dans ces conditions l'introduction de l'Islam et surtout la destruction des idoles, le « Komo » en particulier, se heurtèrent à une résistance des plus farouches ; si l'on y ajoute les maladresses de Téninsô-Kaba, ce cousin de Sarankén Konaté, on comprendra pourquoi la révolte Bambara a pu déstabiliser l'empire à certains moments : en 1885 puis en 1894.

2. L'année 1885

Cette année fut dans l'ensemble une année favorable pour l'empire. La révolte des Bambaras à l'est a pu être maîtrisée par Kèmè Bréma.

La contre-offensive de Tyéba dans la zone est restée sans lendemain, eu égard aux menaces que le royaume Toucouleur de Ségou faisait peser sur le Kénédougou.

Les Toucouleurs n'avaient pas réussi, quant à eux, a s'implanter sur la rive gauche du Bagbè. Kèmè Bréma était parvenu à dégager une large bande de sécurité sur la rive droite du fleuve.

Les troupes coloniales sous les ordres du commandant Combes avaient attaqué NIAGASSOLA en mars 1885. La réaction de l'Almami avait été très énergique et du fait que le gros des effectifs des troupes coloniales était engagé contre l'armée Toucouleur, d'une part, et que d'autre part Mohamed Lamine Dramé menaçait Bakel, l'envahisseur fut obligé de vite rechercher un compromis.

Des contacts furent pris afin de « neutraliser » le front samorien par voie de négociation.

Ces négociations entamées fin 1885 aboutirent à la signature du traité de Kényéba-Koura le 28 mars 1886.

Enfin en 1885, Lankama N'Valy avait réalisé à l'ouest les conditions d'une sécurité relative des routes menant aux comptoirs commerciaux de la côte sierra-léonaise.

3. L'année 1886

Elle fut l'une des plus heureuses dans la vie de l'empire. Le traité de Kényéba-Koura signé avec le lieutenant-colonel Henri Frey, agissant en qualité de commandant supérieur du Haut-Sénégal, représentant le gouverneur, « précisait que le fleuve Niger, jusqu'à son confluent avec le Tinkisso (ou Bafing) servirait de limite entre les possessions françaises sur la rive gauche et les territoires soumis à l'autorité de l'Almami Samori sur la rive droite jusqu'à Koulikoro ».

La substance du traité portait par ailleurs sur le statut des habitants, la liberté de commerce et de navigation entre les deux rives, la libre circulation et la sécurité des personnes.

Il convient d'en souligner ici les articles 13 et 14 :

On pourra ainsi mieux apprécier la mutation perverse intervenue depuis ce premier rapport empreint de légalisme et les heurts violents des années 1891, 1892, jusqu'en 1898, suite aux violations flagrantes répétées et sans scrupule perpétrées par les partenaires de l'Almami Samori Touré.

Si l'on relève, par ailleurs, le fait que ce traité était le premier du genre passé entre l'Almami Samori et une puissance étrangère, il est compréhensible que celui-ci avait à l'époque, plus d'une raison d'en être satisfait.

Dans ce document, l'Almami traitait en effet d'égal à égal avec une puissance qui l'avait déjà combattu pendant quatre années consécutives (1882-1886).

Le traité ne reconnaissait-il pas sa souveraineté sur des territoires situés assez loin de son pays natal ? Il attestait en tout cas, de la capacité qui lui était reconnue d'organiser lesdits territoires, en garantissant la sécurité des biens et des personnes. L'empire était ainsi identifié comme un État qui assumait pleinement les attributs et les charges de sa souveraineté.

De bonne foi, l'Almami Samori accepta d'envoyer son fils Djaoulén-Karamo en mission de bonne volonté en France. L'envoi de ce fils était la preuve la plus éloquente de la sincérité du souverain ; c'était aussi la manifestation de ses bonnes dispositions à cooperer avec un monde extérieur duquel il était en droit d'attendre des échanges mutuellement avantageux dans tous les domaines.

L'Almami était certainement curieux de connaître bien des choses utiles sur la France, surtout ce qui touchait à l'art de faire la guerre. Il est permis de penser que l'homme, qui décida de parfaire sa connaissance du Saint Coran en se soumettant à un enseignement régulier à l'âge de cinquante ans, attendait beaucoup du voyage de Djaoulèn-Karamo au pays des Toubabs.

Sa déception aura été à la dimension de l'immense espoir suscité par ce voyage dont l'un des témoins fut le célèbre Tassili-Mangan qui pouvait, à l'occasion, jouer à l'interprête.

Écoutons Djéli Kaba Soumano qui dit tenir ces informations d'un descendant de Tassili-Mangan :

Le programme de visite du jeune prince d'une vingtaine d'années avait été élaboré avec soin. Affublé d'uniformes militaires avec des parements rutilants de dorure, Djaoulén-Karamo fut promené de revue de troupes en revue de troupes, visitant arsenal après arsenal.
Il eut même le privilège d'assister à des exercices de combat. On le familiarisa avec le maniement de quelques armes perfectionnées ; avec les longues-vues on lui permit de voir loin, très loin Djaoulén-Karamo en revint profondément marqué, l'esprit totalement bouleversé ; ses nuits étaient souvent troublées de cauchemars. À son retour à Bissandougou son comportement ne pouvait traduire qu'un tel état d'esprit.
C'est pourquoi Djaoulén-Karamo n'hésita pas à déclarer publiquement la vanité de la lutte que son père soutenait contre les troupes d'invasion coloniales, et ce, en présence du capitaine Péroz.
Cependant tenir de tels propos devant son père qu'il vénérait pourtant, devant les grands dignitaires de l'empire, devant ses frères dont il devait craindre le mépris et les sarcasmes relevait d'un comportement considéré comme « profondément perverti » à l'aune des normes de la tradition.
Djaoulén-Karamo aurait certainement mieux fait de s'en ouvrir confidentiellement à son père.
Ses propos ayant eu un effet démobilisateur sur le moral des sofas, il tomba en disgrâce.

Précisons que Djaoulén-Karamo ne fut pas mis à mort dans l'immédiat. Contrairement à une certaine légende de l'hagiographie coloniale, le prince a vécu de 1887 à 1894.

Pour l'instant suivons Djéli Kaba dans son récit :

Les courtisans, les griots, ceux-là mêmes qui l'avaient tant encensé à son retour de France, firent le vide autour de lui. Djaoulén Sidibé, la mère du prince déchu, connut alors l'amertume des jours difficiles en ce milieu de polygamie : l'Almami Samori boudait; les coépouses jasaient et raillaient à longueur de journée. Elles ne laissaient échapper aucune occasion de l'humilier. La férocité des attaques contre Djaoulén était à la mesure de l'intensité des sentiments de jalousie qu'avait suscité le choix de Karamo pour visiter le pays des Toubabs.
L'atmosphère à la cour impériale pesait lourdement sur Djaoulén et sur son fils. Mais Karamo, tout jeune qu'il était, révélait déjà des qualités de guerrier valeureux : courageux, intelligent et physiquement imposant.
Il ne tardera pas à le démontrer l'année suivante au siège de Sikasso ; ce qui lui vaudra d'être réhabilité et de recevoir le commandement d'une armée chargée de missions importantes.

4. L'année 1887

Elle fut marquée par deux événements importants dans la vie de l'empire : la signature du traité de Bissandougou et le début du siège de Sikasso où règnait Tyèba Traoré.

Le traité de Bissandougou, négocié par le capitaine Péroz au nom du lieutenant-colonel Galliéni, fut signé le 23 mars 1887, soit un an après celui de Kényéla-Koura. Entre les deux négociations l'Almami Samori avait envoyé Djaoulén-Karamo en France.

L'on se souvient aussi de la violente réaction du conquérant en 1882 à Gbéléban lorsque le lieutenant Alakamessa lui avait transmis la proposition de se placer sous protectorat français.

On aura constaté une évolution fort significative dans le comportement de l'Almami : en effet dans l'article 2 du traité de Bissandougou « il acceptait de se placer lui, ses héritiers et ses États présents et à venir sous le protectorat de la France ».

Est-ce vraiment par naïveté que l'Almami Samori a signé ce traité ? Pour un homme aussi intelligent, jaloux de son indépendance et sourcilleux à propos de sa dignité, on peut en douter. Il s'agirait plutôt, à notre avis, d'un profond malentendu quant au concept de protectorat.

Rappelons que depuis bien des années déjà le conquérant entretenait de bonnes relations d'affaires avec des partenaires britanniques qui ont toujours opté pour la colonisation indirecte, les structures locales de chefferies servant de relais.

Un tel modèle ne pouvait pas ne pas le tenter alors que pour les colonialistes français les objectifs plus ou moins lointains de l'entreprise de colonisation, visaient la mainmise pure et simple sur tout le pays pour asseoir directement la domination par la force, voire par l'élimination, par la violence de tout obstacle à ces visées.

En ce début de l'année 1887, les troupes coloniales sont très occupées au Soudan où le roi Toucouleur de Ségou leur opposait une grande résistance. Aucune action d'envergure ne pouvait être entreprise, sans risque, contre les sofas de l'Almami Samori.

Aussi pouvait-on se contenter, dans les sphères du commandement, des clauses d'un traité qui accordait la liberté totale du commerce en plus des avantages qu'on ne manquerait pas de tirer des dispositions relatives au régime du protectorat.

Quant à l'Almami Samori, il pensait que le traité devait lui assurer, sinon l'appui, du moins la neutralité des Français, au regard de toute action de conquête qu'il pourrait entreprendre dans des zones non contrôlées par les troupes coloniales.

Il espérait ainsi obtenir des facilités d'approvisionnement, ne serait-ce que par le libre accès aux comptoirs du Sénégal et aux marchés du Sahel pour la remonte de sa cavalerie. Il était en outre persuadé qu'il pourrait engager, sans aucun risque, la lutte contre Tyéba.

En tout cas la hâte avec laquelle il mit le siège devant Sikasso dès le mois d'avril, soit un mois après la date de la signature du traité, indique bien l'état d'esprit qui était le sien à l'époque.
Il était sûr que les Français ne lui créeraient aucun problème de sécurité pendant qu'il serait aux prises avec Tyéba.
L'Almami Samori était encore loin de saisir la nature réelle de l'entreprise de colonisation menée par ses partenaires au traité.


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